#56 Je vous ai écoutés...
Création d'une ressource que vous n'avez pas plébiscitée; décryptage de la mission Inddigo; sondage riche sur la société à mission; l'urgence climatique, oui, l'urgence d'agir, pas sûr etc.
Chère lectrice, cher lecteur,
Tout d’abord, je remercie celles et ceux qui m’ont fait part de leur avis sur la question de la semaine dernière, à savoir s’il fallait que je me limite à l’analyse d’une mission par semaine plutôt que deux ou trois. Vous avez été unanimes : une par semaine, c’est suffisant pour bien s’approprier l’analyse et le raisonnement.
En échangeant avec plusieurs d’entre vous, deux idées me sont venues et une troisième s’est confortée. Première idée : répertorier toutes les missions analysées. C’est tout bête, mais jusqu’à présent, je ne l’avais pas fait. Vous pouvez désormais retrouver la totalité des missions analysées sur cette page.
Deuxième idée. Ne pas inclure toutes les missions analysées dans les missives. Je pourrais ainsi analyser d’autres missions, vous proposer de les consulter, mais pas forcément de les inclure systématiquement dans le texte. Substack n’est pas forcément idéal pour ce type de démarche, mais je vais voir ce que je peux faire.
Troisième idée. Je le propose déjà depuis peu, mais je le mets clairement en avant. Je me propose d’être votre sparring partner pour votre raison d’être et vos objectifs, ou ceux de vos clients (avec leur accord bien sûr). Mon regard peut être critique, mais il se veut toujours constructif. Si je peux débloquer une situation, apporter un regard frais quand cela fait des mois que différentes formulations sont testées, conseiller sur la cohérence d’ensemble des propositions, je le ferai avec intérêt et plaisir.
Vous l’aurez peut-être compris : pas d’édito cette semaine, juste le fruit des échanges avec vous, mais vous ne manquerez pas de lecture si vous vous plongez dans celle des précédentes missions analysées. Il y en a 27 !
Et surtout, vous ne manquerez pas de contenu. Mon comparse Clarence du côté de Purpose Info a eu la gentillesse de m’inviter pour un débat autour de la société à mission avec Frédéric Fréry, professeur à l’ESCP et à Centrale Supelec. La vidéo du premier extrait est déjà disponible. On y parle de création de valeur financière. Et bravo à Clarence, car il fêtait le premier anniversaire de ce rendez-vous mensuel !
Avant de passer au sommaire, petite nouveauté suite à l’enquête de lectorat pour mieux s’y retrouver dans la lecture de la missive. J’ai ajouté des emojis pour chaque item traité. Ils servent de repères pour votre lecture. Dites-moi si cela vous aide.
Au sommaire :
🌍 Décryptage de la mission d’Inddigo, bureau d’études en développement durable
▶ Une future société à mission dans le secteur de la santé
🙋♂️ Emmanuel Faber donne son avis sur le comité de mission
⭐ Nouvelle catégorie où je mets en avant des actions d’entreprise une fois passées société à mission ou labellisées Positive Workplace ou B Corp
💡 Faire le lien entre RSE et innovation
📖 France Stratégie publie un sondage très intéressant sur la perception de la société à mission
🙄 L’urgence climatique, presque tout le monde la ressent ; l’urgence de l’action, beaucoup moins
💭 Parler d’impact, c’est souvent parler de mesure, mais laquelle ?
🎧 Mon son de la semaine : Vitalic - Rave Against The System
🌍 DES TERRITOIRES DURABLES
Il est certain que les cabinets de conseil en développement durable sont a priori de potentielles sociétés à mission en puissance. J’avais déjà parlé de Dervenn par exemple (missive #42). Aujourd’hui, décryptage de la mission du bureau d’études en développement durable Inddigo, belle PME de 210 collaborateurs originaire de Chambéry, mais présente partout sur le territoire. Notons déjà l’effort de pédagogie réalisée par l’entreprise pour expliquer sa démarche et ses engagements.
Sa raison d’être : “Accélérer la transition par des expertises et solutions innovantes, conciliant respect du vivant et bien-être humain, pour habiter durablement les territoires”. La formulation est globalement claire et compréhensible. On y retrouve un certain nombre d’éléments qui permettent de bien saisir les moyens qu’Inddigo souhaite mobiliser pour atteindre son ambition. La singularité du cabinet ressort à plusieurs endroits : “concilier respect du vivant et bien-être humain” et “durablement”. L’ancrage territorial est également bien présent, ce qui fait partie de l’identité de l’entreprise.
L’utilisation du verbe “accélérer” est peut-être un peu trop galvaudée. On est dans un environnement où tout le monde veut “accélérer” quelque chose, donc le terme perd un peu de sa verve. L’utilisation du seul mot “transition” peu paraître un peu flou. Ce concept est souvent accompagné d’un adjectif et cela pu être utile de le faire ici. LA transition, oui, mais laquelle ? La transition énergétique, écologique, “climatique” (même si je n’aime pas trop ce terme), la transition des business models etc., bref les options sont multiples.
Je note le choix astucieux de ne pas mentionner explicitement des parties prenantes (autrement dit les types de clients). Ils transparaissent dans les termes de “vivant”, “humains” et “territoires”. Ce sont ici les bénéficiaires des approches plus respectueuses des organisations privées et publiques qu’Inddigo accompagne.
La mobilisation des termes “expertises” et “solutions” est également bien trouvée, car elle permet de couvrir les différents métiers du cabinet qui est à la fois sur le diagnostic et sur la mise en œuvre. Donc, la combinaison entre le business et les ambitions de la mission est réussie.
Qu’en est-il des objectifs ? Ils sont nombreux, mais regroupés en trois catégories. Je dis souvent un objectif = une partie prenante. Inddigo offre une bonne alternative. Dans le détail.
Dans le cadre de nos missions, programmes, projets et produits à :
Contribuer à la décarbonation de tous les usages, en recherchant la sobriété, l’efficacité et le développement des énergies renouvelables
Promouvoir une Economie Circulaire territorialisée basée sur une consommation raisonnée et le recours prioritaire aux bioressources
Agir pour la préservation et la régénération de la biodiversité et des services écosystémiques
Défendre un environnement favorable à toutes les santés, prenant en compte les interdépendances entre santé humaine, santé animale et santé des écosystèmes
Sur cette première catégorie, certains objectifs sont très liés au cœur du métier - le premier notamment sur la décarbonation des usages - et sont peut-être moins essentiels, car très évidents. Les trois autres sont intéressants, car ils présentent des partis pris forts, par exemple celui de l’économie circulaire territorialisée.
C’est sûr que c’est plus évident pour un cabinet spécialisé en développement durable de rentrer dans les clous de la loi Pacte. Mais, en tout cas, ces objectifs posent ce que défend l’entreprise et lui seront utiles pour se développer. Il faut espérer que tous ne reflètent pas juste l’existant, mais également des ambitions pour l’avenir.
Avec nos clients et parties prenantes à :
Sensibiliser, former, embarquer et accompagner le changement grâce à des démarches participatives de conception et de décision
Renforcer la résilience des territoires aux risques climatiques, sanitaires et sociaux par l’adapation (sic) au changement climatique, l’inclusion et la réduction des inégalités.
Sur cette seconde catégorie, je trouve que le cabinet se limite à ce qu’il fait déjà, surtout sur le premier. Comme ils l’écrivent sur le site, “depuis plus de 30 ans, Inddigo agit aux côtés des acteurs des territoires”. Et donc, “sensibiliser, former, embarquer et accompagner le changement” est le strict reflet de ce qu’ils font déjà : comment aller au-delà ? Ou plus généralement, est-ce utile de le mentionner si c’est une offre déjà couverte ? Ou alors, cela pourrait les amener à être plus présents auprès d’autres parties prenantes non-commerciales, comme les étudiants (leurs futurs clients) ou les citoyens (ceux qui élisent leurs clients…).
Le second objectif concernant le renforcement de “la résilience des territoires aux risques climatiques” est plus pertinent. Cela participe déjà de l’ambition du cabinet et, en soi, recouvre l’objectif précédent, mais surtout, c’est une dimension sous-estimée et sous-évaluée par les entreprises et les collectivités. Donc, le champ des possibles est beaucoup plus vaste pour Inddigo.
Au sein de l’organisation à :
Consacrer en permanence des moyens adaptés à l’innovation organisationnelle, managériale, technique et numérique
Poursuivre et conforter son modèle de gouvernance participative et d’actionnariat réservé aux salariés et dirigeants, garant de son indépendance
Sur cette dernière catégorie, je suis plus mesuré. Cela sert à envoyer des signaux en interne, mais ces deux objectifs servent-ils la mission ? Le deuxième objectif ne me semble pas vraiment utile s’il ne sert qu’à “poursuivre et conforter”. Quelle innovation peut être tirée de ce type de formulation ? Le premier pourrait être plus ciblé s’il avait fait le pont avec les objectifs des deux premières catégories. L’innovation organisationnelle, managériale, technique et numérique, c’est un moyen, mais à quelles fins ?
Au global, la raison d’être et les objectifs d’Inddigo sont bien ficelés, cohérents avec l’identité et l’activité de l’entreprise, et lui seront utiles pour progresser à l’avenir en contribuant à des objectifs environnementaux ambitieux.
N’hésitez pas à me faire part de vos missions pour un décryptage si vous le souhaitez. J’essaie toujours d’être critique MAIS constructif. Cela peut être utile pour vous en interne, afin de clarifier certains points, mais également pour d’autres qui sont en chemin et peuvent bénéficier d’éclairages. Et je peux m’abstenir de publier mon analyse… Je suis joignable à vivien@machineasens.info.
▶ C’EST POUR BIENTÔT
Déjà labellisés B Corp, les laboratoires Expanscience vont bientôt passer à mission.
🙋♂️ DECIDEMENT, CE COMITE DE MISSION…
Les avis sont nombreux pour clarifier le lien entre le conseil d’administration et le comité de mission. Je vous avais relayé la position de Pierre-Yves Gomez, professeur à l’emlyon. C’est au tour d’Emmanuel Faber de partager son avis dans un entretien pour L’Express :
Une discussion est en cours sur la révision de la loi et il serait cohérent d'appliquer la logique de l'article 1835 - qui dispose désormais que les conseils d'administration doivent tenir compte des éléments sociaux, sociétaux et environnementaux dans leur prise de décision, en rendant systématique la consultation de ce fameux comité de mission indépendant sur les grandes décisions de l'entreprise.
Un peu court pour se faire un avis, mais contrairement à Pierre-Yves Gomez qui voudrait “réduire” le comité de mission à sous-comité du conseil d’administration, Emmanuel Faber le verrait davantage à côté du conseil d’administration.
⭐ LE JOUR D’APRES
Lancement d’une nouvelle catégorie avec “Le Jour d’après” où je signale une ou plusieurs actions menées par des entreprises passées sociétés à mission. Je m’appuie sur ma veille et donc souvent les articles de presse, mais si vous souhaitez me faire part d’actions que vous menez, notamment lancées à la lumière de votre mission, envoyez un email à vivien@machineasens.info.
On commence avec un nouveau concept de magasin lancé par Faguo où tout ou presque est fait en ayant à l’esprit l’empreinte environnemental de chacun des éléments, des présentoirs en carton recyclé ou la peinture à base d’algues. Le magasin servira également d’atelier de réparation et possède un corner de seconde main. Tout ça est très cohérent avec la mission d’élever les consciences sur l’urgence climatique. Les photos sont dans l’article de LSA Conso.
La citation de la semaine
💡 L'enjeu est aujourd'hui de trouver les solutions opérationnelles dans chaque métier pour aligner performance environnementale, sociale et économique. La RSE est intégrée à tous les métiers : équipes packaging, techniques, ressources humaines, achats... Faire de la RSE, c'est à 80% faire de l'innovation, car il s'agit de trouver des réponses à des problèmes complexes. (Entretien de Matthieu Riché, directeur RSE du groupe Casino, dans Ekopo)
Du côté des idées
📖 RAPPORT DE SUIVI
France Stratégie vient de sortir le deuxième rapport de suivi de l’exécution de la loi Pacte. Sur les SAM, le point le plus intéressant concerne un sondage réalisé en juin par BVA pour le comité Impacte - le nom de l’organisme qui assure ledit suivi de la loi.
Seuls 22% des dirigeants d’entreprise ont déjà entendu parler de la raison d’être et 16% des sociétés à mission. C’est plus que dans la population générale, mais cela reste faible (cf. l’enquête de l’ObSoCo et Trusteam Finance analysée dans les missives #54 et #55). Certes, quand les dirigeants connaissent les dispositifs, une très forte majorité les considèrent de manière positive.
35% des dirigeants se disent ouverts à l’idée de faire usage de ces dispositifs (raison d’être ou société à mission), mais 54% craignent leur côté « contraignant » et 42% la complexité des démarches. Un tiers, c’est bien, mais cela ne va pas forcément les faire franchir le pas. Le fait qu’un dirigeant sur deux soit gêné par le côté contraignant est intéressant ; le principe de la saine contrainte n’est donc pas encore ancré, compris ou admis. Quant à la complexité des démarches, je pense qu’elle est surtout valable pour les plus petites structures.
Il y a un point sur les motivations. Pour 55% des dirigeants, la principale motivation pour se doter d’une raison d’être serait d’améliorer l’image de l’entreprise ; pour 49% d’entre eux, il s’agirait de motiver les salariés ; et pour 48% d’agir de manière plus responsable. Je ne sais pas si d’autres modalités étaient proposées. En tout cas, je suis assez gêné par le pourcentage atteint par les deux premières motivations. En effet, la société à mission ne doit pas être un coup de com’. Ce n’est pas son but et je crains que les entreprises qui s’engagent dans la démarche pour ces raisons soient rapidement déçues des effets. Idem pour la seconde raison. Considérer que la société à mission peut (re)motiver les salariés est étrange : l’adoption de la qualité de société à mission n’émerge pas ex nihilo dans les entreprises ; elle s’appuie sur des actions déjà menées. Au mieux, cela donne un coup de boost dans une dynamique déjà bien lancée. C’est penser que “ça fait bien” que d’imaginer qu’elle motiverait les collaborateurs.
La dernière raison est plus compréhensible. Les mécanismes prévus par la loi Pacte permettent une amélioration continue via l’établissement d’objectifs et leur suivi, ainsi que le comité de mission et le contrôle par un OTI.
Dernier élément intéressant cité dans le rapport : 46% des dirigeants estiment que l’adoption d’une raison d’être correspond avant tout à une opération d’affichage et que les modes de contrôle ne garantissent pas l’organisation d’actions concrètes. Sur le seul sujet de la raison d’être, je ne serais pas loin de les rejoindre, mais en tout cas, cela peut expliquer l’hésitation que beaucoup d’entreprises ont encore vis-à-vis des dispositifs de la loi Pacte. Il faudra que les éclaireurs montrent les effets réels liés à cette adoption pour que cette crainte d’affichage commence à se dissiper.
🙄 IL VA Y AVOIR DU SPORT
Pas simple de changer ses habitudes - et je parle en connaissance de cause. C’est un peu le constat que je me suis fait en voyant deux récents sondages. Le premier est l’Allianz Pulse réalisé auprès d’Allemands, de Français et d’Italiens. Interrogés sur la notion de prêt à payer, cette enquête vient conforter ce que bien d’autres ont déjà démontré : il y a peu d’appétence. Près d’un répondant sur deux n’envisage pas de payer un centime de plus pour un produit plus favorable pour le climat (climate-friendly product). 36% seraient prêts à payer un premier de 10%. Un véritable casse-tête pour les entreprises : soit elles baissent leurs marges, soit elles diminuent leurs charges, soit elles robotisent leur chaîne de production, soit elles pressurisent leurs fournisseurs. Sympas comme options… Ou elles changent d’offres pour changer de gammes.
Et ce constat diffère peu en fonction des revenus. On navigue toujours autour de 80% qui ne seraient pas prêts à absorber une augmentation de plus de 10%. Bref, le discours sur “le consommer mieux” a encore du chemin à faire.
Autre enquête sur le réchauffement climatique réalisée par Opinion Way pour Axa Prévention. Quand on demande aux Français les raisons qui les poussent ou pousseraient à agir contre le changement climatique, selon vous, quelle est la modalité la plus citée ? J’ai fait une sélection. Les répondants pouvaient en sélectionner cinq au total. La réponse est en dessous, donc ne trichez pas !
La crainte pour votre santé et celle de votre famille
La responsabilité vis-à-vis des générations futures
Les règles contraignantes, les lois, les taxes sur les activités génératrices de gaz à effet de serre
Les catastrophes naturelles liées au changement climatique
Le respect du monde vivant
Vous avez fait votre choix ?
Il s’agit des catastrophes naturelles liées au changement climatique, modalité sélectionnée dans le top 5 par 57% des répondants. Vu les prévisions de Météo France pour les décennies à venir, on va être servis… mais ce n’est pas très rassurant sur la volonté de changement. Il faudra attendre d’être au bord du précipice pour penser qu’il est peut-être temps d’agir…
💭 LA JUSTE MESURE
Quand on parle d’impact, on parle souvent de mesure, mais quand on parle de mesure, souvent, cela ramène à des éléments de contrôle, d’évaluation, de comparaison aux autres etc. D’où viennent ces mécanismes et comment faire de la mesure une alliée ? Ce sont les deux questions auxquelles Tiphanie Vinet essaient de répondre dans un article sur le Medium de son entreprise Benext.
Mon son de la semaine
🎧 Vitalic est un artiste français que je suis depuis ses tous débuts, bien, bien avant qu’il décolle. Avec le temps, son son n’a pas perdu de sa hargne. La preuve avec ce morceau diabolique !
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A jeudi prochain,
Vivien.