#54 Le management humain ne doit pas être un objectif de mission
Egalement décryptage de la mission de Colombus Consulting; Lyon-La Duchère, premier club sportif à mission; la CFDT prend position; état des lieux des sociétés à mission, etc.
Bonjour,
Nous sommes vendredi, ne serais-je pas en retard pour la missive de la semaine ? En fait, non. Lorsque je publie L’Entretien du mois le mercredi, je décale la missive au vendredi pour vous donner le temps de commencer à parcourir l’entretien comme il se doit… et pour que j’ai le temps de rédiger la missive.
Si vous avez été submergés d’emails ces derniers jours, je vous renvoie à l’entretien avec Thomas Meyer, DG de Socaps, coopérative spécialisée dans l’assistance industrielle. Dense, riche et inspirant, je vous recommande de le lire en profondeur. En écoutant vos retours sur l’enquête de lecture, je vous ai proposé des pauses à plusieurs endroits. Je vais également faire du découpage de contenu sur la page LinkedIn de La Machine à sens en relayant une question à chaque fois.
Cette semaine, j’aimerais consacrer l’édito à un piège - j’assume le terme - dans lequel beaucoup d’entreprises tombent dans la définition des objectifs de mission : un objectif sur le management ou la QVT. Cet édito m’est venu à la lecture de Puissante et fragile: l’entreprise en démocratie de Dominique et Alain Schnapper. Ils écrivent : “[Les théoriciens de l’entreprise à mission] se donnent pour projet de fixer à l’entrepreneur et aux collaborateurs un objectif extérieur à eux-mêmes et à leur recherche personnelle de bien-être. Ce n’est pas formuler une intention psychologique (que les collaborateurs se développent et s’épanouissent, que leur compétence et eux-mêmes soient pleinement “reconnus”), mais élaborer un projet de transformation du rôle de l’entreprise”. Je suis en total accord avec cette vision.
Je souligne souvent ce point, mais je voulais revenir sur ce sujet, car à bien y réfléchir, il n’est pas si évident que cela et je ne voudrais pas paraître “puriste rigoriste”. Il y a bien une raison pour justifier cette position !
Quand on travaille sa mission, penser à ses collaborateurs est évident. C’est même essentiel ! C’est une partie prenante fondamentale dont les intérêts doivent être pris en compte dans la mission. En outre, en réalisant le travail préparatoire à la rédaction de la raison d’être et des objectifs, l’entreprise se doit de consulter ses collaborateurs. On peut imaginer que les questions de QVT, de management et plus largement d’organisation interne émergent de ces consultations. C’est normal : c’est leur quotidien.
En plus, la mission sera partagée auprès des équipes, donc cet exercice peut servir à envoyer un signal en interne : on pense à vous et on met vraiment “l’humain au cœur de l’entreprise” ! (Celles et ceux qui ont lu l’entretien de Thomas Meyer verront le clin d’œil…).
Certains pourraient même affirmer que mettre le quotidien des collaborateurs dans les objectifs de mission est un moyen de les impliquer directement. Franchement, je ne crois pas du tout à cet argument. On peut tout à fait mettre les collaborateurs et ne pas les associer dans les faits, et inversement ne pas les mentionner explicitement tout en en faisant des acteurs indispensables.
Bref, la démarche est louable et bien intentionnée, mais elle est mal placée.
Pour en comprendre la raison, il faut revenir à l’idée de la mission. La raison d’être est une ambition qui doit guider l’entreprise dans son fonctionnement au quotidien et dans son évolution à l’avenir. L’enjeu est profond. Deuxièmement, elle doit amener l’entreprise à participer à un mouvement qui la dépasse : une mission n’appartient pas à une entreprise, mais elle doit en affirmer les singularités. Grâce à son offre actuelle et ses évolutions futures, quelle est la contribution que l’entreprise veut et peut apporter pour répondre à un enjeu social, sociétal ou environnemental ? Peu importe la taille de l’entreprise ; l’important est de participer à un mouvement plus global.
Les objectifs viennent alors appuyer cette raison d’être. Ils sont complémentaires : il est important d’éviter la longue liste d’objectifs divers qui couvrent nombre de sujets que la raison d’être n’aborde pas du tout. Il faut une cohérence et une continuité entre la raison d’être et les objectifs. C’est ce qui donne de la force à une mission, ainsi qu’une véritable direction à l’entreprise.
Insérer des engagements de management bienveillant, de qualité de vie au travail, de respect des salariés etc. ne vient très souvent pas servir la mission. C’est un signal envoyé aux équipes, mais cela ne sert finalement pas à grand chose pour la réussite des objectifs fixés. En effet, le management, la QVT et l’organisation interne relèvent d’autres considérations. Cela peut concerner un travail sur les valeurs, une démarche RSE, une volonté de la direction de transformer le management dans l’entreprise etc.
Dans une entreprise où le management est déjà bienveillant, où la culture d’entreprise porte au respect d’autrui, à la transversalité, à l’autonomie, à l’épanouissement de chacun etc., pas la peine de l’inscrire dans les statuts, c’est déjà dans l’ADN de l’entreprise. Dans une entreprise où le management est plus hiérarchique et directif, ce n’est pas l’inscription dans les statuts qui changera la donne. S’il faut en arriver là pour créer des indicateurs de suivi, quitte à incentiver financièrement des managers sur l’atteinte d’un niveau de satisfaction interne par exemple, le problème est plus profond. Surtout, la mission ne sert pas à répondre à ces enjeux. C’est un problème de culture d’entreprise.
Faut-il donc exclure de facto les collaborateurs, partie prenante essentielle, des objectifs ? La réponse est dans la question. Non, évidemment ! En revanche, il faut que le/les objectifs les concernant visent à enrichir la mission en termes de compétences, d’horizons, de participation à d’autres objectifs. Il ne s’agit pas d’améliorer le management de l’entreprise…
Donc, si dans les consultations pour la définition de la raison d’être et des objectifs, des griefs remontent sur le management ou la QVT, il est important de les traiter… dans un autre cadre.
Au sommaire de cette missive :
Prise de position de la CFDT sur la société à mission
Lyon-La Duchère, premier club sportif à passer société à mission
Décryptage de la mission de Colombus Consulting
Un nouveau rapport de mission à décortiquer
Publication du troisième baromètre des sociétés à mission
Quelques futures sociétés à mission
L’EPITA veut former des ingénieurs responsables
Suite de l’analyse du baromètre “la RSE et les Français”
Mon son de la semaine : La Femme - “Trop de peine”
Du côté des entreprises
LA CFDT PREND POSITION. Il y a une espèce d’amour-haine des syndicats vis-à-vis de la société à mission. Difficile de critiquer un objet dont l’ambition est que l’entreprise traite le profit comme une des composantes de son action, et pas comme la seule qui compte, et qu’elle s’intéresse à toutes ses parties prenantes internes et externes.
Mais, cette vision est peu relayée. Parce que ce qui les gêne le plus : c’est que les représentations syndicales peuvent être laissées complètement à l’écart de ces démarches. La loi n’impose ni la consultation préalable des élus pour définir la mission, ni leur participation au comité de mission. Et ça, pour beaucoup de syndicats, ce n’est pas acceptable.
Le syndicat le plus accueillant vis-à-vis de la société à mission est sans nul doute la CFDT. Elle l’a déjà fait savoir à plusieurs reprises, mais la publication d’un rapport sur le sujet le confirme définitivement. Le syndicat ancre ainsi son argumentaire en faveur de la société à mission. Le rapport vaut la lecture, parce qu’il a forcément deux tropismes forts : la place des salariés dans la mission et la place des syndicats dans le dispositif. Le rapport est très centré sur la gouvernance, probablement le maillon le plus évasif de la loi. Cette plongée est intéressante, parce qu’elle apporte une perspective originale sur le sujet.
Surtout, la position de la CFDT est intelligente. Dans son argumentaire, elle ne demande pas à ce que les organisations syndicales soient forcément représentées au comité de mission. Elle propose que 50% des membres du comité soient nommés par des salariés (que ce soit des internes ou des externes) et précise qu’un élu a un avantage certain puisqu’il connaitra bien la réalité de l’entreprise et a l’expérience de siéger dans un comité. Maline comme approche ! Tous les syndicats ne seront pas si subtils… maintenant que la CFDT a pris position, d’autres devraient suivre.
CA ARRIVE DANS LE SPORT. Dans une précédente missive, je vous disais que le club de football Lyon-La Duchère allait devenir société à mission. C’est chose faite. Pas d’analyse, car je n’ai pas accès aux objectifs, mais je relaie l’interview de Jean-Christophe Vincent, son président, qui explique les raisons de ce choix qui font du club le premier club sportif en France à adopter cette qualité. D’autres clubs sont à venir…
LE CONSEIL A MISSION. Il existe déjà pas mal de cabinets de conseil qui sont passés société à mission. Nuova Vista, plutôt pionnier en la matière, a même publié son premier rapport de mission, ce qui en fait un des tous premiers rapports disponibles.
Parallèlement, Colombus Consulting a annoncé l’adoption de la qualité de société à mission. Tout était déjà fait avant l’été à en croire leur rapport RSE, mais la communication presse est toute récente. On commence à toucher les plus gros cabinets, puisqu’il compte 200 salariés. L’occasion d’en décrypter la raison d’être et les objectifs. Deux “caveats” toutefois : la première est que la raison d’être a été définie l’an dernier comme première étape en chemin vers la société à mission ; la seconde est que je n’ai accès qu’aux cinq macro-objectifs qui ont été déclinés en 18 objectifs plus opérationnels.
La raison d’être pour commencer : “aider les individus, collectifs et écosystèmes à révéler ce qu’ils ont à apporter au monde”. On sent ici la volonté d’embrasser dans une même phrase l’interne et l’externe. “Les individus” peut faire référence aux consultants, comme aux collaborateurs des structures qu’ils accompagnent. “Les collectifs” permet de parler des organisations publiques et privées. En revanche, le terme “écosystème” est plus flou. C’est un concept fourre-tout, donc chacun comprend des choses différentes et au final, dans cette raison d’être, je ne sais pas à quoi il fait référence.
L’utilisation de la formule “aider à révéler qu’ils ont à apporter au monde” est judicieuse pour parler de leur approche du conseil. On voit que l’objectif de Colombus Consulting est stratégique. Quand il intervient auprès d’une organisation, l’ambition n’est pas de prendre le problème par le bout de la lorgnette, mais d’adopter une approche aussi transformative que possible. Et sa présidente de préciser qu’ils “avanceron[t] progressivement en fonction de la maturité de [leurs] clients”. Attention toutefois au grand écart. Inscrire ce type de formulation dans sa mission signifie qu’il y a des choix à faire vis-à-vis de potentiels clients ou prospects : c’est un réel positionnement à assumer, et donc il faut potentiellement renoncer à certains clients pour être cohérent et congruent.
Sur cette dernière formulation, elle me semble trop vaste. “Ce qu’ils ont à apporter au monde” peut recouvrir tout et n’importe quoi, de l’optimisation d’un process dans une équipe qui va permettre d’améliorer l’expérience client dans une entreprise (apport au monde somme toute très mineur) à des bifurcations stratégiques beaucoup plus profondes de business models sur des grosses structures.
Les objectifs :
Aider les organisations à oser et concrétiser des transformations responsables et durables avec audace
Accompagner les hommes et les femmes dans le développement des compétences et connaissances dont ils ont besoin pour s’accomplir en tant que professionnels, individus et citoyens
Porter une vision éthique du management en favorisant le développement de l’organisation et l’épanouissement des individus
Amplifier l’impact de Colombus Consulting sur la société par l’exemplarité et la singularité
Accompagner les organisations sur le chemin d’une appropriation positive de la technologie
J’exclus le troisième (cf. mon édito). Les quatre autres ouvrent de vraies pistes d’amélioration continue. Ils appellent à être déclinés, notamment le quatrième, et c’est ce que le cabinet a fait. Chaque objectif couvre soit une partie prenante spécifique, soit une thématique. C’est donc clair, compréhensible et chacun peut appréhender les objectifs simplement, d’autant plus qu’ils viennent éclairer la raison d’être et forment un tout cohérent.
N’hésitez pas à me faire part de vos mission pour un décryptage si vous le souhaitez. J’essaie toujours d’être critique MAIS constructif. Cela peut être utile pour vous en interne, afin de clarifier certains points, mais également pour d’autres qui sont en chemin et peuvent bénéficier d’éclairages.
ILS SONT EN ROUTE POUR DEVENIR SOCIETE A MISSION : Trans-Faire, Centre de formation spécialisé dans les métiers du sport et de l'animation, By Charlot, marque de décoration végétale, et Cabaïa, fabricant de sacs à dos.
ETAT DES LIEUX. A l’occasion du salon Produrable la semaine dernière, la Communauté des entreprises à mission a dévoilé son troisième baromètre des sociétés à mission. Quelques chiffres :
250 sociétés à mission recensées (hyper important : ce recensement n’est possible que si les sociétés à mission font la démarche auprès de la communauté de répondre à un questionnaire, qui, je le précise, n’engage pas à rejoindre la communauté de facto)
En dehors d’Ile-de-France, trois régions se distinguent par leur dynamisme d’émergence de sociétés à mission : Auvergne-Rhône-Alpes, Pays de la Loire et Nouvelle-Aquitaine.
Les TPE-PME continuent d’être les principales pourvoyeuses de sociétés à mission (87%). Mais, c’est quasi arithmétique : pour une grande entreprise qui passe à mission, vous aurez 5-6 PME qui le feront aussi. On compte aujourd’hui cinq groupes cotés et 18 ETI.
500000 salariés qui sont travaillent dans des sociétés à mission.
Du côté des secteurs, les services sont très loin devant (83% des SAM). Le commerce est second à 10% et l’industrie à 7%.
92% des objectifs concernent des engagements sociaux et 68% touchent des questions environnementales. Ce dernier chiffre me surprend un peu. Je l’aurais pensé plus élevé.
Du côté de l’enseignement
DES INGENIEURS DE SENS. L’EPITA, école d’ingénieurs récemment passée société à mission, lance plusieurs mineures dans son parcours, dont plusieurs intègrent des dimensions responsables, notamment “Tech for Good”, “Ethique du numérique” et “Créer son entreprise responsable”.
Du côté des idées
L’ENQUÊTE QUI FAIT MAL (Partie 2). J’ai commencé la semaine dernière à analyser l’enquête passionnante, bien que plombante, de l’ObSoCo et Trusteam Finance sur la RSE et les Français. Je vous laissais sur le résultat étonnant que seuls 9% des Français savent définir la RSE.
Je fais partie de ceux qui aiment les défis, donc ce prochain chiffre, je veux contribuer, à mon humble échelle, à l’améliorer. 6% des Français savent ce qu’est une entreprise à mission. C’est évidemment très peu, mais rien d’étonnant. Seuls 2% sont capables d’en citer une - pas de surprise non plus. 17% ont déjà entendu l’expression, mais ne savent pas précisément de quoi il s’agit. C’est vrai que dans notre microcosme, on oublie que cette innovation juridique reste, à ce jour, un objet invisible pour une immense majorité de nos concitoyens. J’espère pouvoir participer à faire un peu changer les choses avec cette newsletter. C’est à chacun d’entre nous de jouer un peu le rôle d’évangélisateur sur le sujet.
D’autant plus que 53% des interrogés estiment que la possibilité de devenir une entreprise à mission peut avoir des impacts sociaux, sociétaux ou environnementaux positifs. C’est bien, mais cela pourrait être encore meilleur ; seuls 8% en sont vraiment convaincus. Cela ne représente pas un Français sur deux, puisque 26% ne savent pas. Ce sont ces indécis qu’il faudra convaincre.
Petit message aux sociétés à mission : vous le savez bien, mais je me permets de le redire, vous êtes des pionniers, les fers de lance d’un mouvement positif et puissant. Tout cela vient avec son lot de responsabilités.
En tout cas, si jamais des entreprises voulaient passer société à mission pour des raisons commerciales, revoyez votre copie : seuls 27% des Français seraient prêts à payer plus cher des produits vendus par une société à mission. Notons tout de même que ce résultat lisse de grandes diversités de réponse par rapport à l’âge, la CSP, le niveau d’étude et la conscience environnementale.
Dans une précédente missive, je vous disais que 20% des Britanniques avaient renoncé à un achat dans les douze derniers mois quand ils estimaient que l’entreprise faisait du greenwashing. La question est légèrement différente, mais sachez que 24% des Français ont renoncé à un achat en raison d’insuffisance de l’entreprise sur le plan environnemental, social et sociétal. C’est un phénomène beaucoup plus marqué chez les moins de 35 ans.
Je termine par un des résultats les plus intéressants, selon moi : la crédibilité des engagements. Entre grandes entreprises et PME, le résultat diffère. Dans le cas des grands groupes, pour 56% des répondants, c’est du blabla. 30% estiment que la communication sur les engagements est positive et doit se poursuivre. La ligne de crête à trouver n’est pas simple ! Ce dernier score monte à 46% pour les PME, contre 39% qui n’y voient que du greenwashing. Je ne peux donc que réitérer ce que j’ai déjà écrit à plusieurs reprises : communiquer est important surtout quand vous pouvez démontrer ce que vous faites.
Mon son de la semaine
La Femme donne le micro à une jeune chanteuse qui a quelque chose à nous dire sur l’état de la planète qu’on lui laisse. Je suis toujours partagé sur ce type de démarche, mais le texte est plutôt bon et tout ce qui permet une prise de conscience est bienvenu. Et surtout, la musique est très catchy !
C’est tout pour cette semaine. Merci de votre lecture !
Vos commentaires, likes et partages sont le meilleur moyen de faire connaître cette newsletter et toutes les initiatives engagées dont je parle. Mais, cela me fait également très plaisir !
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Je suis effectivement un être de chair et d’esprit. Si vous souhaitez partager une actu, une analyse, faire du ping pong intellectuel sur vos réflexions, me conseiller une entreprise à interroger pour “L’entretien du mois”, réfléchir à des synergies, ou encore me conseiller de me pencher sur un sujet, vous pouvez me contacter par réponse à cet email si vous me lisez depuis votre boîte, par email ou via LinkedIn.
A jeudi prochain,
Vivien.