#27 Pourquoi une politique RSE est un bon tremplin pour passer société à mission ou B Corp
Et aussi : le marketing et la communication à l'ère du responsable, Châteauform' ne lâche rien, l'exercice de pédagogie de Danone, le partenariat de sens entre Aigle et Faguo etc.
Bonjour,
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Je vous annonce que la semaine prochaine, je vous enverrai une missive spéciale : la première rencontre avec un dirigeant d’entreprise. Ca fait un moment que je vous parle de ce projet. Vous la recevrez mercredi. Je vous ai promis du long format ; ce sera du long format. L’invité : Jean-Pierre Richard, DG d’ESII.
Mon analyse de la semaine porte sur la RSE. Les semaines passent et les annonces continuent de tomber : une nouvelle B Corp, une nouvelle société à mission... Mais une constante, pour les entreprises qui ont un petit historiques de cinq au moins, ces démarches viennent couronner des politiques RSE ancrées dans son fonctionnement. On dit souvent qu’il n’y a pas besoin de passer par l’étage “raison d’être” avant de devenir société à mission, mais je pense qu’il faut passer par l’étage RSE avant de devenir société à mission. Il n’y a pas d’avantage concurrentiel réel aujourd’hui à passer à mission, et très peu à être B Corp (le label reste peu connu à ce stade). Les avantages sont donc à trouver ailleurs.
C’est tout d’abord une question philosophique. Devenir société à mission ou B Corp est un acte militant, qui se fait par conviction. Il s’agit dans la très grande majorité des cas d’une démarche interne : “nous sommes convaincus que le profit n’est pas la seule finalité de l’entreprise et nous avons envie que ce principe soit gravé dans le marbre”. Comme le déclarait Frédéric Delloye, PDG d’Anaïk (société à mission), lors du lancement de l’observatoire des sociétés à mission, “vous n'êtes pas sous la contrainte d’une loi. Au contraire, vous avez l’opportunité de saisir cette loi”. Dans un pays comme la France où le pouvoir de la loi est puissant, cette qualité de société à mission permet de consacrer des efforts réalisés par ailleurs.
Deuxièmement, c’est une question de stratégie d’entreprise. Dans ces entreprises, les politiques RSE sont au cœur de l’activité, non seulement dans le fonctionnement de l’organisation et la culture de l’entreprise, mais également dans son développement commercial. L’entreprise y dédie des ressources importantes depuis plusieurs années. On y retrouve généralement un poste de responsable RSE même quand il n’y a pas d’obligation de reporting. Ces entreprises se sont régulièrement engagées dans la certification ISO 26000. Elles passent du temps à améliorer leur politique d’achat sur des critères environnementaux et sociétaux, de transport pour trouver des alternatives moins polluantes etc. Bref, la RSE n’est pas un sujet ancillaire pour la direction, c’est un sujet pivot.
Pour beaucoup d’entreprises qui passent à mission ou qui adoptent le label B Corp, c’est donc une évidence. Pour le premier, c’est une boussole qui aidera aux prises de décisions stratégiques. Pour le second, c’est un guide qui vient nourrir la réflexion de l’entreprise sur les axes d’efforts principaux pour être plus responsables. Les deux pouvant se combiner, c’est pour beaucoup le combo gagnant !
Cette approche en deux temps — RSE d’abord, société à mission et/ou B Corp ensuite — me paraît assez saine. Pour toute entreprise de moins de 500 collaborateurs ou cotée de moins de 100 millions d’euros de chiffre d’affaires (bref, la quasi totalité des entreprises françaises), il n’y a pas d’obligation juridique de reporting RSE. Ainsi, l’entreprise peut expérimenter et consolider une démarche qui lui est propre en développant les axes qui lui correspondent le plus : l’aspect environnemental, social, sociétal ou managérial. Progressivement, ces efforts infusent dans toute l’entreprise, deviennent de plus en plus liés les uns aux autres et centraux dans son fonctionnement : fierté des collaborateurs, épanouissement de la direction, marque employeur pour le recrutement, potentiellement effet levier sur certains marchés. C’est alors que l’entreprise est mure pour franchir le pas et le réussir.
Griller ces étapes me paraît délicat. Encore une fois, je précise que je ne parle ici que des entreprises qui ont un peu d’ancienneté, pas des start-ups. Au niveau du label B Corp, la sentence risque d’arriver rapidement : l’entreprise n’atteindra pas le score minimum de 80 sur 200 pour être certifiée. Cela peut toujours servir de benchmark utile pour s’améliorer, surtout que l’évaluation est gratuite.
Pour la qualité de société à mission, l’échec semble également assez certain. Il se fera ressentir à deux niveaux, en interne et en externe. En interne tout d’abord. La mission (raison d’être et objectifs dédiés) n’aura aucun ancrage dans le fonctionnement de l’entreprise. Même s’il y a eu une concertation en bonne et due forme, cela se traduira au mieux par des efforts au forceps qui fatigueront toute l’organisation, au pire par une déconnexion entre ces ambitions et le fonctionnement au quotidien. En externe, l’organisme tiers indépendant qui doit contrôler l’adéquation entre les actions menées et les ambitions de la mission révoquera la qualité de société à mission faute de résultats probants.
Passées les cinq-six premières années d’existence, la majorité des entreprises commencent à avoir assis un socle de valeurs et une culture interne (formulées ou intrinsèques). Si des pratiques RSE ne sont pas centrales dans l’entreprise, il paraîtra zélé de se lancer dans la certification B Corp (dont le taux d’obtention est très faible) ou dans l’adoption de la qualité de société à mission. Cela requiert un vrai niveau de maturité organisationnelle et une conviction profonde de mettre à niveau quasi égal profit, société et environnement.
Qu’en pensez-vous ? Dites-moi par réponse à cet email ou en laissant un commentaire si vous lisez en ligne.
Et maintenant le sommaire de la semaine :
La communication et le marketing responsable prennent forme et ce n’est pas pour déplaire à France Télévisions
Même quand tout va mal, la société à mission comme lumière au bout du tunnel. Ma vision de la situation de Châteauform’.
Un bel exemple d’un cabinet de conseil qui fait son bilan carbone
L’exercice de pédagogie de Danone continue
Quand on dit que l’entreprise doit être responsable, ça commence par les bâtiments. L’exemple de Chiesi
Le partenariat plein de sens entre Aigle et Faguo
Le gentil clash entre Pascal Demurger et Philippe Silberzahn
Vision de B Corp depuis le Canada
Mon son de la semaine : “Motion and Thought” de Typhoon
LA FACE B VAUT AUSSI LE COUP. Une nouvelle agence de communication devient société à mission (sans donner l’impression du raz-de-marée non plus). Il s’agit de B Side, agence nantaise. Si vous me lisez depuis quelques temps, vous savez que je regarde toujours avec beaucoup d’intérêt l’écosystème nantais qui est très imprégné par la RSE. En adoptant la qualité de société à mission, B Side vient consacrer une démarche RSE engagée il y a dix ans.
La PME nantaise a scellé sa raison d’être : “Militer et agir pour une communication utile qui amplifie le pouvoir de transformation des entreprises au service d’une économie positive”. J’aime beaucoup ! Elle parvient à lier une dimension factuelle (le métier de la communication) à des aspirations fortes (la transformation des entreprises et même des évolutions dans la monde économique). Ce n’est pas une agence de communication pour rien…
Elle est complétée de quatre objectifs, qui s’adressent à différentes parties prenantes. Mais, je trouve qu’ils sont parfois trop évasifs, par exemple : “s’impliquer pour faire progresser sa communauté (clients, fournisseurs, territoire, filière professionnelle, monde économique)”. Les faire progresser sur quoi et comment ?
MARKETING ET RESPONSABLE. Loacam est un cabinet de conseil en marketing californien. Dans un article très instructif, Eric Cardenas, co-fondateur de l’agence, explique le parcours vertueux de l’entreprise. Labellisée B Corp depuis 2019, elle est devenue une Social Purpose Corporation fin 2020 (statut juridique qui n’existe que dans quelques Etats américains, dont la Californie). C’est un niveau plus élevé d’engagement. Dans l’article, Eric Cardeas détaille les principes qui régissent leur fonctionnement. Une belle source d’inspiration pour d’autres agences de marketing qui pourraient être intéressés par B Corp ou la société à mission.
GARDER LA FORM’. J’ai déjà parlé de la culture d’entreprise de Châteauform’. L’entreprise a connu une année 2020 terrible : d’un chiffre d’affaires de 255 millions d’euros en 2019, ils sont tombés à 80 millions l’an dernier (heureusement qu’ils peuvent compter sur un PGE de 45 millions). Pas étonnant vu leur business et la situation économique. Cela pourrait en assommer plus d’un. Pas Châteauform’.
L’entreprise a décidé d’accélérer sa transition en 2021 en devenant société à mission (pas de date précisée). Les valeurs humanistes portées par la société sont bien connues et cette démarche viendra couronner un engagement RSE ancré dans l’entreprise (cf. mon édito plus haut).
EXERCICE DE PÉDAGOGIE. Mathias Vacherat, secrétaire général de Danone, a donné un long entretien à La Tribune pour répondre aux nombreuses critiques auxquels le groupe fait face suite à l’annonce d’une réorganisation interne et du licenciement de 2000 collaborateurs. L’argumentaire est dans la droite ligne de beaucoup d’analyses publiées par ailleurs, qui expliquent qu’être B Corp ou société à mission ne signifie pas que des restructurations pouvant amener à des licenciements sont inenvisageables, et même contraires à l’esprit de l’une ou l’autre démarche.
Bien pensé
ET TOI, T’AS FAIT TON BILAN ? Réaliser un bilan carbone est une obligation réglementaire pour les entreprises de plus de 500 collaborateurs. Cela laisse le choix à des centaines de milliers de sociétés d’en faire un… ou pas. C’est plus souvent “ou pas”. Et pourtant, face à l’urgence climatique actuelle et à la difficulté de savoir par quel bout prendre le sujet, un bilan carbone est une excellente manière d’identifier ses axes d’amélioration et les risques auxquels on peut éventuellement faire face.
Surtout, le bilan carbone n’est pas monnaie courante pour les entreprises des services. Ne “produisant rien”, elles peuvent avoir l’impression d’être moins concernées. Une partie est vraie sur les scopes 1 et 2 d’un bilan carbone, mais c’est bien sur le scope 3 que les choses se compliquent, quand il faut prendre compte par exemple les déplacements professionnels, les déplacement domicile-travail, l’immobilisation de biens ou les actifs en leasing amont.
Fort d’une vingtaine de consultants, le cabinet de conseil en transformation digitale ISLEAN s’est adonné à l’exercice et a publié les résultats sur son site Internet. Comme on pouvait s’y attendre, c’est sur le scope 3 que se porte le gros des efforts, puisqu’il couvre 60% de la production de gaz à effet de serre du cabinet. Les recommandations et actions à mener sont également listés, tant sur les déplacement, la nourriture ou le numérique. Bel effort à souligner !
ÇA COMMENCE PAR LES BÂTIMENTS. Côté italien, le groupe pharmaceutique Chiesi fait souvent parler de lui pour ses engagements RSE. Il est certitifié B Corp et est une Società Benefit, l’équivalent italien du statut américain de benefit corporation. Chiesi poursuit ses engagement partout où il le peut, et dernièrement sur ses locaux. Il vient d’inaugurer son nouveau siège social à Parme. Afin d’adopter un développement aussi responsable que possible, ils ont cherché à suivre les recommandation du Green Building Council qui décerne la certification LEED (Leadership in Energy and Environmental Design). Ils ont obtenu la certification platinium les faisant rentrer dans un club d’une quinzaine de bâtiments dans le monde.
Cet effort ne se limitera pas aux sièges, puisque l’objectif est de suivre cette même démarche pour toutes les branches implantées dans 30 pays dans le monde.
LA PUB RESPONSABLE. France Télévisions a annoncé qu’ils allaient appliquer des conditions tarifaires préférentielles d’accès à la publicité pour les entreprises disposant de certains labels responsables, tels Bleu Blanc Cœur, Ecocert, B Corp ou AB. Cette annonce s’inscrit dans une démarche plus large du groupe d’aller vers de la publicité responsable.
UN PARTENARIAT DE SENS. Un partenariat qui marche, c’est une association entre des acteurs qui partagent des valeurs communes. C’est le cas d’Aigle et Faguo, deux entreprises dont j’ai déjà pas mal parlé dans cette newsletter. Elles ont décidé de lancer un partenariat sur une collection capsule de vêtements éco-conçus. Zoom sur cette initiative dans la nouvelle émission quotidienne de Cyrielle Hariel sur BFM Business.
Citation de la semaine
David Taylor : What was the moment where you decided to go down this route (B Corp certification)? What was the inspiration?
Basil Demeroutis : You know, we've been thinking about it for quite a while. I think it was really finding a time when we had the resources to dedicate to going through this application process, which was a happy consequence, I suppose, of lockdown. We’ve known other B Corps through my previous work with the school foundation and Jeff Skoll’s family office [Skoll is a film producer and was the first president of eBay], and so it's been something that I’ve been trying to do for a decade or so. So I just thought it was the right moment for us to undertake it for ourselves.
(Basil Demeroutis, managing partner de FORE Partnership, entreprise spécialisée dans l’investissement immobilier, dans un entretien avec le site de la New London Architecture)
Du côté des idées
LE CLASH. Je vous assure que je ne le fais pas exprès ! Je vais encore évoquer Philippe Silberzahn et ce n’est même pas pour gagner un nouvel abonné (stratégie bien connue sur Instagram…). Cette fois-ci, c’est le cabinet de conseil 3-COM qui est à l’origine de cette actu. Il y a quelques semaines, le professeur de l’emlyon s’est un peu écharpé avec Pascal Demurger, DG de la Maif, par tribunes interposées. Le cabinet a décidé d’organiser un débat entre les deux protagonistes. Pas revêches, ils se sont donnés à l’exercice et cela donne un échange très intéressant d’une trentaine de minutes (découpé en quatre épisodes sur la chaîne YouTube du cabinet).
LE CANADA ET B CORP. Voici un des meilleurs articles que j’ai lu ces derniers temps sur le label B Corp. Lecteurs fidèles, vous ne serez pas surpris d’apprendre qu’il vient d’une publication canadienne, The Logic. Même si la saga Hootsuite semble s’estomper (à confirmer toutefois…), cela a déclenché l’intérêt des journalistes locaux : mais qu’est-ce que c’est la certification B Corp et qu’est-ce que ça apporte ? Il faut être un peu sioux pour accéder à l’article (dites-moi si vous êtes intéressé.e). Il évoque des exemples intéressants : une coopérative qui se fait racheter par un fonds et envisage le label pour rassurer ses membres, Hootsuite et son backlash après son contrat finalement avorté avec l’agence ICE, Tentree, une marque de vêtements, qui vient tutoyer Patagonia dans les sommets de l’éthique, ou encore des questions autour des valeurs profondes qui animent le B Lab.
LA BUSINESS HISTORY, QUESACO ? Vous ne connaissez pas non plus. Un aperçu avec cet article dans L’ADN.
Mon son de la semaine
Voilà une chanson du moment. Cette balade pop folk mélancolique de Typhoon semble écrite pour l’époque avec des paroles comme “told you you could call me anytime you want / It’s not as if I got anything going on”.
C’est tout pour cette semaine. Merci à vous d’avoir lu cette nouvelle missive. N’hésitez pas à la partager par email et sur les réseaux sociaux. C’est le meilleur moyen de la faire connaître. Vos commentaires et remarques sont toujours très appréciés. Et exceptionnellement, je vous dis à mercredi !
Vivien.
Tout a fait en accord avec Vivien que le fait que devenir entreprise à mission passe par des étapes indispensables pour que la gouvernance et les collaborateurs d'une entreprise soient en harmonie et que la mission soit une finalité naturelle.
A ESII nous sommes passés en 5 années par une forme d'entreprise libérée (Une formalisation car nous avons toujours été toujours été dans ce mode d'organisation) avec expression de nos valeurs et de notre raison d'être puis appropriation de la norme ISO 26000, rédaction d'un nouveau code de conduite en ligne directe avec la RSE, puis plan d'actions RSE pour agir sur les points à améliorer, puis plan d'action QVT et enfin affirmation de notre mission avec inscription dans nos statuts.
Bravo Vivien pour la pertinence de vos propos et votre communication.
Merci Vivien de poser le débat du lien entre RSE et Mission/BCorp !
Selon moi les deux convergent et s'enrichissent mutuellement mais la clé du succès est ailleurs.
La RSE est en train de sortir de sa tour d'ivoire et de profondément diffuser dans l'entreprise, ce qui est génial.
Mais la RSE ou être BCorp ne fait pas tout. Car avoir une raison d'être, un impact écologique, une belle politique RSE mais en parallèle avoir un comportement toxique du management et c'est la catastrophe.
Voir l'article d'Hélène de Saint Front à ce sujet "Non le sens ne suffit pas": https://www.linkedin.com/pulse/non-le-sens-ne-suffit-pas-helene-de-saint-front/
Toutes ses démarches doivent diffuser profondément, concrètement et en cohérence dans toute l'entreprise pour qu'elle devienne globalement plus harmonieuse. Et c'est cela la clé du succès, que l'on commence par l'un ou par l'autre. L'important est de commencer !