#24 On peut toujours se différencier par ses engagements
Les exemples dans le conseil, dans l'investissement, dans la beauté, et plein d'autres analyses
Bonjour et bienvenue en 2021 !
Cette période est souvent attendue pour formuler des vœux. Je suis assez mauvais à cet exercice, mais vu l’année 2020, un peu d’espoir n’est pas malvenu. Je me contenterais toutefois de vous souhaiter une année moins chaotique que 2020. Elle restera comme une année difficile à gérer, surtout parce qu’on n’a jamais su sur quel pied danser (ce qu’on ne pouvait pas faire de toute manière) et pas plus s’il fallait avancer, faire un pas de côté ou reculer. A force, ça peut user si on ne prend pas soin de soi. Souhaitons que cette nouvelle année permette d’affermir des tendances positives qui se sont accélérées et que nous puissions commencer assez rapidement notre nouveau normal.
Et pour 2021, je formule un objectif pour cette newsletter. Je ne pensais pas le faire, mais je c’est important pour tenir la distance. Vous êtes près de 150 abonnés aujourd’hui et beaucoup d’entre vous sont des lecteurs/trices assidus. Je vous en remercie !
Mon objectif est d’atteindre les 1000 abonnés d’ici la fin de l’année. Je vais redoubler d’efforts pour faire parler de cette newsletter, mais l’effet réseau a montré à de multiples reprises qu’une recommandation de votre part (au hasard… un post LinkedIn par exemple) vaut plus que beaucoup d’efforts de ma part. Si vous estimez que cette newsletter vous apporte de la valeur, soyez certains qu’elle en apportera à d’autres.
J’en profite pour remercier ceux qui ont répondu à l’enquête que je lançais dans la dernière missive de 2020. Je remets le lien pour avoir les retours de ceux qui n’ont pas eu l’occasion d’y répondre. Il n’est pas trop tard (temps de réponse moyen de quatre minutes).
En tout cas, je peux d’ores et déjà vous annoncer que je lance une nouvelle initiative avec “La rencontre du mois”. C’est un rendez-vous avec le/la dirigeant/e d’une entreprise vertueuse. L’échange fera l’objet d’un entretien fouillé sur plusieurs thématiques (je ne les ai pas toutes arrêtées et justement votre avis m’importe sur ce sujet dans le questionnaire). Les deux premiers invités sont déjà choisis et je m’en réjouis par avance tant ils ont beaucoup à partager et peuvent inspirer d’autres entrepreneurs à se lancer dans des démarches engageantes et élévatrices. Rendez-vous fin janvier pour découvrir ce nouveau format.
D’ici là, voici le sommaire de la semaine :
Même en B2B, on peut se différencier par l’engagement
3,257 milliards d’euros : à quoi cela correspond-il ?
Frey et bientôt Le Bon Coin vont rejoindre les sociétés à mission
Ma fixette sur Hootsuite continue
Le comité à mission à visée stratégique ?
Dove, un cas d’étude tout propre
Le débat américain sur le “stakeholder capitalism” se poursuit à l’approche de la nouvelle présidence
OUTIL DE DIFFÉRENCIATION. On lit souvent que le label B Corp peut être davantage utile en B2C qu’en B2B comme un gage d’engagement vis-à-vis du consommateur. Le cabinet de conseil Bartle fait un autre pari. Seul cabinet de conseil général français de taille importante (plus de 100 collaborateurs) à être labellisé, il axe beaucoup sa capacité à accompagner les futures B Corp. Ils font d’ailleurs partie du petit pool de cabinets européens retenus par B Lab Europe pour le programme “B Corp Way” afin d’accompagner les entreprises intéressées par la labellisation. Et l’entreprise perçoit un intérêt grandissant pour le label. Le fait d’être labellisé serait un atout fort pour les entreprises qui ne se seraient peut-être pas rapprochées de lui autrement, selon le cabinet.
B DESSUS B DESSOUS. Too Good To Go vient d’ouvrir son capital à un premier fonds, blisce/. La startup spécialisée dans l’antigaspi avait toujours fait le choix de se passer de fonds d’investissement. Mais dans son envie d’Amérique, il fallait passer à l’échelle supérieure. Pourquoi parler de cette opération ? Parce que l’entreprise comme le fonds sont labellisés B Corp. Et on ne peut pas passer à côté de cette information. La campagne de communication autour de cette annonce en est presque étonnante tant on parle autant de Too Good To Go que de blisce/ (Les Echos ont même consacré un article sur le fonds piloté par Alexandre Mars suite à cette opération). C’est une sorte de rencontre de valeurs, semblerait-il. Pour reprendre les propos de la co-fondatrice de l’entreprise Lucie Basch :
Les investisseurs saisissent aujourd’hui la puissance et la valeur des entreprises à mission. L’ambition d’une réelle amélioration sociétale dans le développement d’une entreprise est désormais un qualificatif essentiel pour valoriser une société. blisce/ partage cette vision : nous apprécions l’intention qu’ils portent à honorer notre ADN et à le renforcer. Premier fond certifié B-Corp, c’est aussi la preuve de leur volonté de soutenir cette nouvelle génération d’entreprises, déterminées à améliorer la société.
3,257 MILLIARDS. C’est la somme totale mobilisée par les fonds d’investissement à impact, selon un rapport de France Invest. Le rapport recense 86 fonds qui accompagnent 1188 entreprises. De ces chiffres, on peut faire un peu ce qu’on veut évidemment, d’autant plus que le rapport n’est pas très disert sur la méthode de calcul. L’avantage, surtout, de ce rapport, c’est qu’il se présente comme un annuaire des fonds à impact. Et ça, c’est toujours très pratique !
ILS NE MANQUENT PAS D’AIR. Frey, ETI foncière spécialisée dans les centres commerciaux en plein air, va passer société à mission après son AG extraordinaire le 29 janvier. Leur raison d’être sera “de remettre le commerce au service de l’intérêt collectif. La Société entend également générer un impact social, sociétal et environnemental positif et significatif dans l'exercice de ses activités.” Parmi les objectifs, on retrouve la volonté de faire du commerce un vecteur de mixité urbaine et de lien social, un vecteur de résilience économique local et de transition écologique. Je trouve la mission potentiellement riche et, même, urgente ! Il y a effectivement tant à faire sur les points de vue social et sociétal. Je reste un peu circonspect par le caractère laconique de cette mission et des objectifs. Ils mériteront d’être détaillés et challengés par le comité de mission. Je ne me fais pas de souci là-dessus : le groupe est engagé dans la RSE depuis de longues années et en fait un axe de développement fort.
Mais, soulignons un autre point. Frey, comme le groupe immobilier Réalités dont je parlais dans une précédente missive, va rentrer dans le club encore plus select des sociétés à mission cotées. Et ça, ce n’est pas une mince affaire !
HOOTSUITE ET FIN. L’affaire semble classée. Je suis probablement le seul à me captiver pour cette histoire de ce côté de l’Atlantique ! La plateforme de gestion de réseaux sociaux Hootsuite conserve son label B Corp après une revue effectuée par le B Lab. Il semble que le fait d’avoir renoncé à son contrat avec l’agence fédérale américaine ICE a été un gage suffisant pour l’association. Il est probable que l’épisode de l’automne aura servi de leçon au nouveau CEO de Hootsuite Tom Keiser. C’est ce qu’il a déclaré en substance et on peut en arriver à cette conclusion suite aux changements de gouvernance dont je parlais il y a quelques semaines.
Que peut-on retirer de cet épisode ? Le label B Corp est connu pour être difficile à obtenir. Toutefois, une fois obtenu, toutes les entreprises ne le pilotent pas en interne en dépit du reporting annuel demandé. Et pour celles qui l’ont choisi par opportunisme, il ne sert pas vraiment de boussole pour les décisions stratégiques. Il y a certes un processus de recertification au bout de trois ans, mais sauf changement à 180°, il semble peu probable que l’entreprise ne passe plus le score minimum, sauf si elle était juste au-dessus de la limite.
C’est là que les différentes parties prenantes peuvent jouer leur rôle, qu'elles soient en interne (les collaborateurs) ou en externe (les clients) pour rester vigilants sur l’adéquation entre engagements et actions.
LE COMITÉ D’UTILITÉ STRATÉGIQUE. Le cabinet de conseil Kea & Partners, devenue société à mission en mars dernier, a organisé la première réunion de son comité de mission. Dans le compte-rendu qu’il en est fait, cet organe est présenté comme “l’instance d’orientation stratégique” de Kea. C’est intéressant comme approche. Plus que challenger la mission, ce comité s’inscrit davantage dans la veine d’un conseil stratégique. Ce n’est pas la fonction première d’un comité de mission, mais pour les entreprises qui ne sont pas dotées de conseil d’administration et/ou stratégique, cela peut tout à fait faire office. Une bonne manière de présenter ce nouvel organe pour ce type d’entreprise.
LE BON MOUVEMENT. Il semblerait que Le Bon Coin soit en voie de devenir une société à mission. De son côté, Gifts for Change vient de rejoindre le mouvement.
LES PARIS SONT OUVERTS.
Bien pensé
Nouvelle rubrique pour recenser quelques bonnes idées portées par diverses entreprises.
L’ETHIQUE EN UN CLIC. La mode durable est un courant qui ne cesse de prendre de l’ampleur et le chemin est encore très, très long pour transformer ce secteur mastodonte (et aussi nos habitudes d’achat…). Mais ce n’est pas toujours simple de dénicher les marques qui s’engagent. C’est le besoin auquel répond Renoon, une plateforme néerlandaise de e-commerce qui réunit des vêtements de 185 marques. Seul hic, il n’y en a que pour les femmes… Dans une dynamique assez proche, en France, The Good’s Good recense une centaine de marques sous forme d’annuaires (avec des marques d’hommes cette fois !).
OCTO SE LA RACONTE. L’ESN Octo a lancé une démarche amusante avant Noël en créant un conte de Noël en plusieurs épisodes autour de ses valeurs, de ses engagements et de sa culture d’entreprise. Engagé dans le processus de labellisation B Corp et dans des démarches de numérique sobre et de RSE, ces courtes histoires humoristiques sont un bon moyen de communiquer sur les dispositifs et les actions mises en place par le cabinet.
Citation de la semaine
« Résilient »
Alors oui, je l’avoue : cette liste est au départ fondée sur mon intuition (mais toujours validée par des chiffres). Cela dit, lorsque j’ai vérifié la tendance Google trends pour le mot « résilient », dont le Larousse nous rappelle qu’il qualifie quelqu’un ou quelque chose qui « présente une résistance aux chocs », j’ai tout de même été assez estomaquée.
Le mot « résilient », dans tous les pays, connaît une ascension continue depuis 2009. On observe +25 % d’occurrences entre janvier et décembre 2020, et il est trois fois plus utilisé aujourd’hui qu’en 2013. Que nous apprend cette veille pour le moins étrange ? L’utilisation de plus en plus intensive de ce mot emprunté à la psychologie traduit un monde où les chocs systémiques sont de plus en plus fréquents. (Elodie Tordjman, “« Inclusion », « Résilient », « One health » et autres mots à surveiller en 2021” dans Usbek&Rica)
Du côté des idées
LA BEAUTÉ D’UNE ENTREPRISE. Dove fait partie de ces entreprises connues pour avoir depuis longtemps adopté un positionnement d’impact : bien se sentir dans sa peau est essentiel pour bien réussir sa vie. Je paraphrase, mais c’est un peu l’idée. Ils ont quelques spots publicitaires absolument géniaux sur ce sujet, qui parle de leur mission davantage que de leurs produits. Si vous ne les connaissez pas, j’en mets un ici qui ne me laisse jamais insensible.
Harvard Business Review a consacré un des podcasts de la série “Cold Call” à Dove. C’est passionnant ! Le positionnement de l’entreprise n’est pas un simple exercice marketing. Cela se traduit dans la culture de l’entreprise, notamment par de nombreux programmes de sensibilisation aux enjeux de la peau et de l’impact de leurs produits sur la sensation de bien-être générée chez leurs clientes.
L’épisode aborde également un aspect très intéressant et pas évident à aborder. Ce positionnement prôné par Dove de longue date était une marque de différenciation par rapport à la concurrence : non aux stéréotypes d’une beauté où le maquillage est roi et où les canons de la beauté sont dictés par les magazines de mode. Leur problème est que leur mission a tellement bien fonctionné que beaucoup d’autres entreprises, jeunes et établies, ont adopté ce créneau en réponse à l’évolution de la demande. Aujourd’hui, Dove a donc beaucoup plus de mal à se distinguer dans un environnement où le clean label et la beauté plurielle sont des acquis pour beaucoup d’entreprises.
UN PACTE A IMPACT. Guillaume Desnoës, co-fondateur d’Alenvi, société à mission, fait partie de ces entrepreneurs bouillonnant d’idées. Il vient de sortir un ouvrage sous forme de réflexion autour d’une question : et si les entrepreneurs avaient leur serment d’Hippocrate ? Son essai est disponible sur son site.
DU CÔTÉ AMÉRICAIN. Le débat sur le “stakeholder capitalism” continue de soulever quelques passions outre-Atlantique. A l’approche de l’investiture de Joe Biden à la Maison Blanche, les contributions se multiplient pour appeler à de nouveaux efforts politiques en faveur de ce type de capitalisme. Je vous passe les réformes vraiment techniques spécifiques au système américain. Mais il est intéressant de voir qu’il y a des demandes marquées pour inscrire dans la loi le capitalisme des parties prenantes. Aux US, le statut de benefit corporation existe bien dans la loi, mais pas dans tous les Etats, et il reste assez confidentiel. L’objectif cette fois serait de le généraliser à toutes les entreprises. Le modèle français peut être un exemple (ça c’est mon avis…). Mais les auteurs de cette tribune pour Fast Company veulent aller plus loin en instaurant un niveau de transparence et de reporting public qui me paraît très ambitieux. En revanche, en lisant cet article, on se dit qu’il reste beaucoup de chemins aux Etats-Unis. Une des recommandations de la tribune est de promouvoir les accords de branche plutôt que les accords entreprise par entreprise… On ne part pas du même point des côtés de l’océan…
2020 DANS LE RETRO. Evidemment, les papiers revenant sur la folle année 2020, il y en a eu beaucoup ! J’ai décidé de n’en garder qu’un trouvé dans la HBR : “comment le rôle de l’entreprise a changé dans la société en 2020 ?”. C’est une liste assez intelligente bien que très anglo-saxonne sur les dimensions qui ont émergé ou accéléré en 2020. On y retrouve des éléments assez classiques sur l’agilité industrielle des entreprises avec la fabrication de masques, respirateurs et autres gels hydroalcooliques, mais aussi des éléments moins évidents : le fait que les engagements climatiques des entreprises semblent avoir été peu réduits en dépit des secousses économiques, que beaucoup d’entreprises se sont vraiment démenés pour leurs collaborateurs (sans nier le versant plus négatif qui existe tout autant…), que les engagements ESG deviennent de plus en plus centraux dans le monde de l’investissement, ou encore que les entreprises sont de plus en plus soucieuses des débats sociétaux.
Mes lectures de vacances
J’ai profité de ces deux semaines de congés pour me plonger dans plusieurs ouvrages et BD. Je crois l’avoir déjà dit, mais je trouve tellement essentiel de prendre le temps de lire. C’est un moyen d’ouverture d’esprit. Il n’y a pas de bonnes ou mauvaises lectures, il y a surtout l’envie de découvrir et d’être curieux.
Middle England de Jonathan Coe - C’est un roman très à propos. Sorti en 2018, cet ouvrage s’inscrit dans le contexte du Brexit. Il suit la vie de plusieurs personnages pendant une dizaine d’années dans une Angleterre empreinte de divisions, de fractures sociales et de conflits d’identités. Malgré cette description assez morose, la plume de Jonathan Coe rend ce roman très plaisant à lire avec des personnages différents, attachants, irritants parfois. Il sait très bien utiliser le contexte socio-politique pour servir son histoire.
Always Day One: How the Tech Titans Plan to Stay on Top Forever d’Alex Kantrowitz - Le titre est une phrase bien connue chez Amazon. Day One, c’est l’innovation ; Day Two, c’est la mort. En dépit d’un sous-titre tapageur, l’ouvrage n’est pas une plongée acide dans l’univers des GAFAM, mais plutôt une analyse dépassionnée (ça change !) sur les mécanismes d’innovation de ces entreprises. Alex Kantrowitz définit le “engineer’s mind” autour de trois leviers : “l’invention démocratique”, “une hiérarchie sans contrainte” et “la collaboration”. Pour lui, la capacité des GAFAM à déployer cet état d’esprit fait leur force (ce qui l’amène d’ailleurs à être critique sur Apple). Pour vous rassurer, il conserve toutefois son esprit critique sur ces entreprises.
Carbone et Silicium de Mathieu Bablet - Jeune auteur et pourtant déjà très reconnu, le nouvel opus des BD de science fiction de Mathieu Bablet est remarquable. Toujours dans un grand format, l’auteur déploie un génie du dessin qui est impressionnant, tant sur les couleurs que la puissance du trait. Le tout au service d’une histoire foncièrement mélancolique. On suit la vie de deux androïdes pendant plus de 200 ans qui parcourt un monde qui se délite sur le plan social et environnemental. Parfois triste, parfois alarmant, cette BD interroge sur la nature humaine.
Comédie française. Dans l’antichambre du pouvoir de Mathieu Sapin - J’aime beaucoup les BD politiques de Mathieu Sapin. Il avait précédemment suivi François Hollande dans sa campagne et à l’Elysée. Cet opus est un peu différent. Il y a une forme d’auto-satire. En dépit de sa volonté de ne plus faire de BD politique, il replonge comme aimanté par ce milieu. Cela l’amène à faire une comparaison historique avec Racine, qui outre ses pièces de théâtre a été l’historiographe de Louis XIV. C’est assez caustique. On le suit en train d’essayer de suivre la campagne d’Emmanuel Macron, puis à l’Elysée sans grande réussite, mais souvent à cause des événements…
Et vous quelles recommandations de lecture ?
Mon son de la semaine
Pas grand chose à se mettre sous la dent depuis quelques semaines, donc on replonge quelques années en arrière et je suis tombé sur l’album Myth Takes de !!!. Un incontournable ! J’ai choisi le morceau éponyme, pas le plus jumpy ou funky, mais une fois en tête, il revient comme une ritournelle.
Voilà c’est fini pour cette semaine. Si vous avez apprécié cette missive, un like ou un partage sera très apprécié. C’est le meilleur moyen de faire connaître cette newsletter. Je suis aussi toujours aussi ouvert à vos commentaires et remarques.
Bonne semaine et à vendredi,
Vivien.