#12 Etre une entreprise responsable, c'est pas si facile
Hootsuite fait les frais d'une mauvaise décision / Ca se bouscule pour être entreprise à mission / Prêt participatif=raison d'être ?
Bonjour,
Quel merveilleux temps pour nous faire comprendre que l’automne est bien parmi nous… Heureusement, de belles nouvelles nous font oublier toute “maussitude” possible (néologisme assumé), comme vous le verrez. Mais, l’analyse de la semaine portera tout de même sur le retour de bâton quand une entreprise responsable n’est pas à la hauteur des attentes…
Au sommaire cette semaine :
Les candidates au statut d’entreprise à mission continuent de se dévoiler avec Aigle, Vivalto Santé ou encore Provepharm.
Normalement, quand dans son logo, on a une chouette, on doit faire preuve de sagesse. Ce n’est pas tout à fait ce qu’a fait Hootsuite…
Une belle inspiration pour le mouvement Tech For Good
Prêt participatif et raison d’être, le combo gagnant ?
Le saladier des labels RSE
Comptabiliser l’impact environnemental ou comment trouver un moyen de comparer performance financière et extra-financière
Aigle sera-t-il pour le groupe Maus Frères ce que Ben & Jerry’s a été pour Unilever, à savoir le cheval de Troie vertueux qui a fait bouger les lignes en interne ? Je ne pensais pas en faire une habitude, mais encore un papier de Paris Match cette semaine ! Cette fois-ci donc pour vous parler d’Aigle, la marque de vêtements et de bottes. Sandrine Conseiller, sa PDG arrivée l’an dernier, annonce une trajectoire claire pour l’entreprise : l’environnement. Cela passe notamment par l’adoption du statut de société à mission, de la labellisation B Corp et par la relocalisation de la dernière production de bottes encore en Asie. Elle souhaite conjuguer business et environnement. Elle présentera son plan aux actionnaires à la fin de l’automne, le groupe familial Maus Frères. Sandrine Conseiller ne découvre pas cet univers, puisqu’elle a passé 20 ans chez Unilever, dont je parlais il y a quelques semaines. A suivre pour savoir comment et si elle insuffle une dynamique dans le groupe plus largement...
On se bouscule pour devenir entreprise à mission. C’est le cas de Vivalto Santé, et de Provepharm.
Mais au fait qu’est-ce ça change d’être entreprise à mission ? Entretien avec Mathilde Salama, directrice de la communication de la société de gestion Ecofi. Dans cet article de L’Argus de l’Assurance, plongée dans l’univers de Klesia, le groupe paritaire, qui est passé entreprise à mission avant l’été :
Notre mission d’intérêt général s’inscrit certainement dans nos gênes. Pour autant, il est indispensable d’en apporter la preuve à toutes les parties prenantes : assurés, salariés, fournisseurs… », justifie son directeur général, Christian Schmidt de la Brélie. Et d’insister : « Cette démonstration exige des indicateurs objectifs, mesurables et qui font l’objet d’un véritable suivi. Autant dire que la démarche va bien au-delà d’une simple charte ou label.
Ce n’est pas simple d’être une entreprise responsable. C’est ce que Hootsuite, entreprise canadienne spécialisée dans les plateformes de gestion de réseaux sociaux et labellisée B Corp, vient de découvrir suite à une sérieuse crise d’image et de réputation. Tout commence par le tweet d’une collaboratrice.
Been debating talking about this publicly because I don’t want to get fired, but it seems like the cat’s already out of the bag so whatever: yesterday Hootsuite signed a three-year deal with ICE. Over 100 employees have been extremely vocal in their opposition to this dealCet élément est important : ce n’est pas une alerte en interne, ni une fuite dans les médias. La prise de risque est maximale pour cette salariée en s’exposant sur les réseaux sociaux, mais cela assure la viralité de sa prise de parole. Elle relaie l’opposition en interne à la signature d’un contrat avec l’agence fédérale Immigration and Customs Enforcement (ICE). Cette agence est sous le feu de nombreuses critiques aux Etats-Unis depuis quelques années, notamment par les opposants de Donald Trump. Faire des affaires avec eux n’est pas sans conséquence. Même la très secrète entreprise Palantir en a fait les frais.
Je ne vais pas revenir sur toute l’histoire en détail. Plusieurs le feront mieux que moi. In fine, Hootsuite a décidé de renoncer à ce contrat.
Je vais plutôt offrir une analyse de la situation. Hootsuite n’est ni une GAFAM où la médiatisation pourrait être forte, ni un newbie dans l’univers de la tech qui ferait que personne ne pourrait avoir vent de cette histoire. Cette crise laissera donc des traces, mais avec des ordres d’importance différents vis-à-vis :
des collaborateurs : en Amérique du Nord, les révoltes de salariés contre des contrats passés sont fréquentes, surtout dans la tech. On peut par exemple penser à Google qui n’avait pas renouvelé un contrat avec le Pentagon en 2018 suite à des oppositions internes. Hootsuite est labellisée B Corp et doit donc s’astreindre à une très forte éthique. Et ce d’autant plus qu’une des principales raisons de la certification à l’époque était d’attirer des talents. Vu les critiques assénées contre l’ICE, il aurait été étonnant que la direction s’en sorte sans égratignure. D’autres entreprises, comme Microsoft, n’ont pas renoncé à des contrats avec cette même agence en dépit de protestations internes. Mais, elles n’ont ni les mêmes engagements RSE, ni la même taille qui fait que quelques centaines d’employés militants pèsent peu. Hootsuite compte un millier de collaborateurs : autant dire que 10% de mécontents savent se faire entendre. La réputation de l’entreprise ressortira entachée auprès des collaborateurs actuels et candidats futurs. Autrement dit, ce sont des années de marque employeur qui viennent de s’évaporer. Et ce d’autant plus que ce contrat venait d’être conclu sous la direction d’un nouveau PDG arrivé quelques mois plus tôt…
du B Lab : évidemment l’association n’est aucunement responsable des faits et gestes de toutes les entreprises qu’elle labellise. S’il y a une réévaluation de la certification tous les trois ans, un suivi en temps réel n’est pas envisageable. Toutefois, la question se pose des actions à mener dans le cadre d’un changement de management. Tom Keiser a pris la tête de Hootsuite en juin 2020 en arrivant de chez Zendesk où il était directeurs des opérations. Il n’a donc aucune expérience d’être à la tête d’une B Corp. Peut-être faudrait-il envisager une action de sensibilisation auprès d’une nouvelle équipe de management quand elle prend ses fonctions.
des investisseurs, de ses clients et de ses partenaires : l’impact sera limité. Hootsuite n’a pas réalisé de levée de fonds depuis 2014 et n’a pas opté pour des fonds à impact. Si des levées étaient prévues à l’avenir, des investisseurs peu intéressés par le label B Corp pourraient ne pas le remettre en cause sur la simple base que cela ne semble pas être une très forte préoccupation de l’entreprise… Peu de chances que cela impacte fortement sa base de clients non plus. La concurrence est rude dans le marché des plateformes de gestion de réseaux sociaux, mais l’affaire n’a pas fait grand bruit dans les médias, à l’exception de la presse canadienne (rien dans les médias français par exemple). On peut penser que quelques entreprises très avancées sur la gestion de leurs fournisseurs pourrait être tentées d’aller voir ailleurs, mais elles seront peu nombreuses. Et sur les partenaires, Hootsuite n’est pas dans une logique éthique non plus, que ce soit des partenariats business ou dans sa logique de croissance externe. Comme pour les clients, on peut toutefois penser que des entreprises éthiques n’accepteront pas de se faire racheter par Hootsuite si l’occasion se présentait.
En tout cas, cette crise révèle à quel point une entreprise qui décide d’afficher sa vertu sociétale doit être hyper consciente de la portée de toutes ses actions vis-à-vis de toutes ses parties prenantes. Dans une entreprise conventionnelle, le dirigeant est certes tiraillé par des intérêts parfois contraires de ses parties prenantes internes et externes. Néanmoins, ses intérêts ainsi que ceux de ses actionnaires sont souvent ceux qui priment. Dans une B Corp ou une société à mission, ignorer la sensibilité de ses collaborateurs fait partie des premières erreurs à ne pas commettre. C’est précisément l’objectif de ces démarches : ne pas donner systématiquement la primauté aux intérêts des actionnaires ou intérêts commerciaux de court terme.
Peut-être un exemple à suivre pour les startups qui se revendiquent du mouvement “tech for good” avec la labellisation B Corp de Samasource, entreprise spécialisée dans la fourniture de données de qualité pour entraîner les intelligences artificielles. La comm de l’entreprise revendique haut et fort que c’est la première entreprise d’IA labellisée. Quand on connaît les débats autour de l’éthique et de l’IA, la voie empruntée par Samasource pourrait faire des émules. Cela consacre le rêve de la fondatrice de l’entreprise de Leila Janah, décédée en début d’année. Pour l’actuel PDG par intérim Heather Gadonniex, cette labellisation devrait être une évidence pour les entreprises aujourd’hui. Comme elle l’écrit dans un billet :
It’s not just about chasing after unicorn status anymore, it’s about creating a successful company while creating meaningful change.
Citation de la semaine
Est-ce qu’on a le choix de rester entrepreneur à impact négatif ? Ce qui arrive est absolument catastrophique. On est dans une situation d’urgence absolue. Sur les dix plus grands ouragans tropicaux qui ont traversé l’Atlantique depuis 1900, sept ont eu lieu depuis 2000. Le volet climatique est un des volets de nombreuses ruptures qui nous arrivent en même temps (climatique, énergétique, écologique, financière…). Ma conscience d’homme me dit qu’il est urgent et important d’y entrer. L’origine de tout cela, c’est le paradigme qu’on s’est donné dans notre monde économique, qui est “le plus, le mieux”. Il nous amène à accumuler, au détriment de la santé de chacun. On a besoin de passer de ce monde où on s’intéresse à soi et où on développe notre ego, à un monde où on prend soin de soi, des autres et de la planète. (Nicolas Peltier, CTO de Exki, cité dans Le Guide du dirigeant responsable de Frédérique Jeske)
Du côté des politiques
Bruno Le Maire était dans le Club de l’Economie du Monde. Comme ça, mine de rien, il a affirmé que si jamais une entreprise voulait bénéficier d’un prêt participatif dans le cadre du plan de relance, des conditions liées à la raison d’être et la RSE seraient attachées au prêt. Concrètement ? On peut penser qu’une entreprise devra définir sa raison d’être statutaire pour bénéficier de ce mécanisme de financement. Mais là, c’est une extrapolation personnelle. C’est la première fois que j’entends ce lien.
Du côté des idées
Pas toujours simple de s’y retrouver dans les labels RSE : label Lucie, l’Afnor, B Corp, Positive Workplace, ISO14001 etc. Alice Vachet liste dans sa newsletter L’Empreinte quelques labels qui existent avec une courte description. Utile pour s’y retrouver ! Et sur le thème, regardez le débat sur la chaîne B Smart autour de l’intérêt des labels RSE où l’on parle notamment de B Corp et de Positive Workplace.
Un article de deux universitaires américains dans la Harvard Business Review présente quelques résultats du projet Impact-Weighted Accounts Initiative, qui permet de mesurer l’impact environnemental des entreprises. Ils ajouteront l’impact des produits et de l’emploi à partir de l’année prochaine. L’objectif est de pouvoir déterminer un standard de la performance de l’entreprise qui dépasse la stricte sphère financière. Pour cela, ils développent un modèle qui permet d’évaluer l’impact comptable extra-financier pour le mesurer au résultat comptable d’une entreprise. Autant dire que les entreprises faisant partie de secteurs polluants (aéronautique, hydrocarbures, plasturgie, chimie etc.) se retrouvent avec des résultats négatifs en dépit de leur profitabilité financière. La démarche est intéressante, car elle répond à un vrai besoin. Chacun a son modèle, sa manière de calculer et il est impossible pour les entreprises de savoir quel standard adopter ou quelle méthodologie privilégier. Je ne me suis pas aventuré dans le modèle de calcul, donc je ne saurais vous dire si nous sommes face à la solution !
Après, j’avoue avoir du mal avec ce type de démarche que je trouve uniquement punitive et silotée. Punitive, parce que certains secteurs d’activité vont invariablement se trouver parmi les mauvais élèves, puisque ce type de standard regard ce qui est fait, pas ce qui est prévu. Et certaines industries notamment mettront plus de temps à être climato-compatible que d’autres en dépit d’importants investissements. Silotée ensuite, parce qu’on adjuge les bons et les mauvais points, mais sans recommandation. Ce type de projet ne regarde que le constat et ne crée pas de partenariat avec d’autres initiatives qui seraient davantage dans le plan d’action. C’est dommage !
C’est tout pour cette semaine. Vos commentaires, likes et partages seront très appréciés ! Si vous voyez des articles, rapports, ouvrages, webinaires que je devrais absolument lire et mentionner, contactez-moi en réponse à cet email ou par Twitter.
A vendredi prochain,
Vivien.