#68 Décryptage de la mission de Doctolib
Analyse de sa raison d'être et de ses objectifs statutaires (lecture: 5 minutes)
Chère lectrice, cher lecteur,
Bienvenue dans le 68e décryptage de mission. Petite note interne : je voulais vous envoyer le décryptage hier. Malheureusement, ma connexion dans l’Eurostar était inexistante et je n’ai pas pu le faire dans la soirée. En conséquence, pas de missive traditionnelle cette semaine. Je vous enverrai toutefois l’huile essentielle ; c’est plus digeste dans la même journée.
Cette semaine, je m’attèle à l’analyse de la mission d’un des poids lourds de la French Tech, mais plus globalement une entreprise icône des dernières années, Doctolib, qui a pris une autre dimension ces deux dernières avec le Covid.
Doctolib est le cas typique d’une entreprise que d’aucuns considèrent “impact native”, étant un acteur désormais incontournable de la santé. Cela crée un terreau fertile, mais encore faut-il structurer sa démarche d’impact, sinon, il reste hypothétique.
Mais avant de commencer ce décryptage, voici le vote pour la semaine prochaine. Vous avez le choix entre deux ETI, qui ont toutes deux un côté “c’est une première” : Kéolis Bordeaux Métropole (opérateur de transports publics) et Groupe Défense Conseil International (cabinet de conseil spécialisé dans la sécurité et défense).
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J’ai découvert ce morceau en cherchant le bon son pour ce décryptage. Je suis souvent assez conquis par les morceaux “unplugged” surtout quand les versions originales sont un peu traficotées de partout. C’est le cas de “Doctor, Doctor” de YUNGBLUD. Cette version acoustique m’a beaucoup plu, bien plus que la version électrifiée. Elle est plus écorchée et honnête !
En début d’année, j’avais fait une analyse des engagements RSE des licornes françaises. Clairement, la société à mission n’était pas à l’agenda de beaucoup d’entre elles, mais Doctolib était déjà en voie. En réalité, il aurait été étonnant que l’entreprise reste à l’écart de cette évolution juridique tant elle est aujourd’hui perçue comme une extension de service public.
Notez que ce décryptage intervient alors que Doctolib n’a pas encore déroulé son plan de communication. Ils ont déjà mis en ligne leur mission, mais aucune campagne médiatique n’a été lancée. Vous pourrez dire que vous l’avez lu en premier sur La Machine à sens 😉.
La raison d’être :
Œuvrer pour un monde en meilleure santé.
Le choix s’est porté sur une raison d’être courte et inspirationnelle, plutôt sur le modèle d’une phrase mémorable. On comprend néanmoins le secteur d’activité de Doctolib. Si nous connaissons tous son service de réservation, l’entreprise a développé de nouveaux outils pour les professionnels de santé moins visibles pour les patients.
L’utilisation du verbe “œuvrer” est peu fréquente dans les raisons d’être, mais il révèle une ambition noble. C’est plus invitant que des synonymes plus neutres comme “agir”, “favoriser” etc.
Cette raison d’être offre une perspective très large : “un monde en meilleure santé”. C’est conceptuel sans l’être véritablement, car on a tous une vision de ce qu’être en bonne santé signifie. C’est d’ailleurs étonnant d’avoir choisi “meilleure santé” plutôt que “bonne santé”, mais c’est probablement pour ne pas faire sur une promesse intenable.
Ce qui est astucieux, c’est que Doctolib s’est focalisé sur une thématique sociétale davantage que sur son cœur de métier : la tech. Astucieux, car cela donne un réel sens aux activités de l’entreprise.
L’écueil d’une raison d’être aussi large est qu’elle est peu singulière. Le Leem (fédération des entreprises du médicament) l’utilise, au même titre que GE Healthcare, Pfizer ou l’OMS.
En se focalisant uniquement sur une thématique sociétale, la raison d’être ne permet pas vraiment de comprendre comment l’entreprise va contribuer à ce monde en meilleure santé.
Mon conseil : C’est la difficulté d’une raison d’être : en se focalisant sur le “why”, on oublie le “how”. Et en privilégiant le “how”, on occulte le “why”. C’est l’équilibre des deux qui rend une raison d’être puissante et véritablement utile au développement de l’entreprise.
Les objectifs statutaires :
Améliorer le quotidien des équipes soignantes
Cet objectif est clé : 1. c’est là que se trouve la vraie proposition de valeur de Doctolib ; 2. ce sont les principaux axes de développement de l’entreprise avec des solutions comme Doctolib Hôpital ou Doctolib Lecteur. D’où l’utilisation du terme “équipes soignantes”, car c’est plus englobant.
La formulation est générique et pourrait mériter un peu d’affinage, car l’amélioration de ce quotidien passe par des outils technologiques. Deux sous-engagements sont avancés qui sont plus audacieux : “prendre des décisions cliniques éclairées” et “augmenter leurs revenus”. Je ne sais pas comment Doctolib peut s’engager sur le premier point avec les outils actuels ; et l’augmentation des revenus n’est pas facile à prouver.
Améliorer la santé de tous
Un peu comme je le soulignais il y a deux semaines, un objectif doit compléter la raison d’être, pas la paraphraser. En l’état, cet objectif pourrait être un premier jet de raison d’être. De fait, il est fourre-tout.
Doctolib précise certes les différents aspects qui se cachent derrière cet engagement, mais un effort de formulation aurait été bienvenu pour mieux caractériser et borner cet objectif.
En l’état, on peut les challenger : au-delà de faciliter l’accès à d’innombrables praticiens rapidement, que font-ils pour concrètement améliorer la santé de tous ? La preuve n’est pas évidente à apporter. On pourrait plutôt affirmer qu’ils font tout pour donner accès à des soins de qualité.
Au global :
✅ Une mission claire, lisible et inspirante.
✅ Des objectifs dans lesquels les parties prenantes sont bien identifiées, ce qui facilitera la structuration du modèle de mission.
📶 Un choix de phrases très courtes et parfois tellement globales que cela perd en spécificité. Donc, on pourrait challenger Doctolib sur des activités qu’elles ne couvrent pas du tout, mais que la mission pourrait traiter. Pour contrer cela, une option pourrait être de participer à un large écosystème dans le médico-social, par exemple sur la prise de décisions cliniques éclairées.
📶 Deux objectifs, c’est peu. Initialement, il y en avait un troisième (“Constituer une équipe engagée aux valeurs humanistes ayant à cœur d’améliorer le secteur de la santé”, mais il a été retiré, selon les PV d’AG que j’ai lus).
On peut par exemple être surpris de l’absence de mention de la sécurité des données, d’autant que Doctolib est régulièrement concerné par le sujet. Cela concerne la matérialité de l’activité de Doctolib. Même dans son développement à l’international sur des territoires où la protection des données est moins essentielle (hors UE en gros), on peut s’attendre à ce que l’entreprise maintienne le même niveau de protection.
Par ailleurs, si eux font le nécessaire pour assurer la protection des données, quid des professionnels de santé ? Ne serait-il pas de leur périmètre d’accompagner ces mêmes professionnels à se prémunir des cybermenaces ?
Cet exercice d’analyse se veut pédagogique pour toute entreprise souhaitant devenir société à mission ou en cours de transformation. Je m’évertue à être critique MAIS constructif.
Vous pouvez retrouver toutes les missions déjà analysées ici et mes 16 conseils pour passer société à mission ici.
Et si besoin, je suis à disposition pour échanger avec l’entreprise analysée.
Merci de votre lecture ! J’espère que ce décryptage vous aura plu. Retrouvez les 67 premiers décryptages ici.
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A demain,
Vivien.
Je m'interroge sur la cohérence de la décision récente de Doctolib d'écarter les praticiens de la santé naturelle de l'accès à leur plateforme, avec la raison d'être qu'ils se donnent...