#66 Décryptage de la mission de Victoire Avocats
Analyse de la raison d'être et des objectifs statutaires de cette société à mission
Chère lectrice, cher lecteur,
La semaine dernière ne m’avait pas laissé le temps de produire le traditionnel décryptage hebdomadaire. Vous aviez assez largement choisi Victoire Avocats. Ce qui tombe plutôt bien, parce que les cabinets d’avocats à mission sont encore très rares en France.
Avant de passer au décryptage, voici le vote pour la semaine prochaine. Vous avez le choix entre Epsor (épargne salariale) et le Groupe Tisserin (promoteur immobilier).
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Allez, j’ose ! Je vous propose un son complètement incongru… a priori. Seuls ceux nés avant 1990 devraient reconnaître.
Victoire Avocats est un jeune cabinet d’avocats créé il y a six ans à Paris et spécialisé dans le droit social et le droit des affaires. Depuis l’an dernier, les trois associés sous l’impulsion de leurs plus jeunes collaborateurs se sont penchés sur l’impact environnemental du cabinet. Cela est venu alimenter d’autres actions menées par ailleurs et qui ont abouti à une démarche RSE, puis à l’adoption de la qualité de société à mission.
La raison d’être :
Dans un environnement durable et responsable, rendre le droit accessible à tous.
Cette raison d’être offre suffisamment de clarté sur le secteur d’activité de l’entreprise, avec l’utilisation du “droit”. Cela étant, on pourrait penser à une publication souhaitant offrir des articles ou des livres didactiques sur un monde juridique souvent opaque et complexe davantage qu’à un cabinet d’avocats.
En quoi rendre le droit accessible à tous impacte l’activité du cabinet, d’un point de vue commercial ou de ses offres ? Il faudra voir si les objectifs sont plus précis sur le sujet.
Mon conseil : votre raison d’être doit pouvoir répondre à des questions telles que “qu’est-ce que mon entreprise apporte à la société ?” ou “en quoi la société irait moins bien si mon entreprise n’existait pas ?”. Elle doit donc vous amener à questionner la nature profonde de l’existence de votre entreprise, votre positionnement, vos offres, vos segments clients, votre culture d’entreprise, votre style de management etc.
Comme toujours, je suis perplexe sur l’utilisation des notions “responsable” et “durable”. Elles sont très génériques et manquent de singularité. Surtout, on part du principe qu’une entreprise à mission veut évoluer dans un environnement responsable et durable. En cela, elles apportent rarement de valeur ajoutée.
Je suis assez sensible à l’utilisation de “accessible à”. En effet, c’est une porte ouverte vers l’amélioration continue. Je mentionne toujours l’exemple d’Openclassrooms sur le sujet. Dans le cas de Victoire Avocats, reste à voir si cela s’applique également. Spontanément, on pense à des tarifs adaptés aux typologies de clients, à du pro bono largement favorisé pour tous les avocats etc.
Les objectifs
Rendre le droit accessible à tous, par la mise en œuvre d’actions sociétales
Mon conseil : Evitez de reprendre une partie de la raison d’être dans les objectifs. C’est de la forme, mais cela vous pousse également à approfondir et expliciter votre démarche d’ensemble.
Cet objectif peut surprendre. En effet, il n’est plus lié au cœur d’activité ; il devient périphérique avec l’ajout “par la mise en œuvre d’actions sociétales”. Il relève d’une vision classique de la RSE : limiter les externalités négatives, en l’occurrence l’accès à du conseil juridique peut être onéreux et le droit est un domaine complexe pour les non-juristes. Chez Victoire Avocats, cela se traduit par des actions très louables, comme un podcast (dans lequel ils parlent d’ailleurs de la société à mission), du pro bono (“Notre objectif consiste collectivement, à offrir, d’ici fin 2024, 30 heures de conseils”—cela me parait peu quand même), des activités associatives et des cours.
Cet objectif ne répond donc plus à la question : comment le cabinet va-t-il faire pour que ses offres répondent à cet enjeu d’accessibilité du droit ?
Relever le défi de la sobriété par la mise en œuvre d’actions durables et responsables en faveur de l’environnement
Quand on pense à un cabinet d’avocats, on a toujours l’image d’immenses armoires remplies d’épais dossiers, d’archives papiers, bref, beaucoup de papier. Peut-être est-ce une image d’Epinal et que la dématérialisation est devenue la norme ; j’en doute. Précisions que dématérialiser ne garantit pas de diminuer son empreinte environnementale.
Mais ici, le cabinet opte pour une approche beaucoup plus pragmatique qui relève davantage d’une démarche RSE, à savoir éteindre les lumières le soir, limiter les envois d’emails volumineux, recourir au tri etc.
Favoriser le bien-être au travail de nos talents
Pour les habitués de La Machine à sens, vous saurez que cet objectif obtient rarement mon soutien, sauf dans des cas spécifiques où la norme sectorielle du bien-être au travail est très mauvaise.
Encore une fois, je pose la question : le bien-être des équipes participe-t-il d’une mission sociétale qui dépasse l’entreprise ou d’une bonne et saine gestion d’entreprise ?
Mon conseil : si vous souhaitez mentionner vos équipes dans les objectifs, je vous recommande de réfléchir à ce que vous pouvez mettre en place pour qu’ils participent à la réalisation de la mission, en termes de formation, d’investissement de temps, de mentoring etc.
Au global
✅ Il y a une bonne complémentarité entre la raison d’être et les objectifs.
✅ La promesse de rendre le droit accessible à tous est intéressante et pourrait ouvrir de belles pistes de réflexions sur l’activité du cabinet. Malheureusement, cela semble être marginalement le cas.
📶 Cette mission est davantage une formalisation d’une politique RSE qu’un engagement sociétal qui va transformer l’activité du cabinet. Je rappelle schématiquement une des principales différences : la RSE cherche à minimiser les impacts négatifs de l’entreprise, tandis que la mission vise à maximiser ses impacts positifs (voir mon article sur le sujet). Ainsi, cette mission reflète un “nice to have”, mais pas un “need to be”, une trajectoire énergisante qui donne envie au quotidien à l’entreprise et à ses équipes de travailler pour progresser.
📶 La raison d’être fait appel à des termes aujourd’hui trop galvaudés, tels que “responsable” et “durable”. Comme je l’écrivais récemment, forcez-vous à bannir le terme “durable” de vos raisons d’être : vous serez plus créatifs et plus authentiques.
Cet exercice d’analyse se veut pédagogique pour toute entreprise souhaitant devenir société à mission ou en cours de transformation. Je m’évertue à être critique MAIS constructif.
Vous pouvez retrouver toutes les missions déjà analysées ici et mes 16 conseils pour passer société à mission ici.
Et si besoin, je suis à disposition pour échanger avec l’entreprise analysée.
Merci de votre lecture ! J’espère que ce décryptage vous aura plu. Retrouvez les 64 premiers décryptages ici.
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A demain,
Vivien.