#69 Les licornes sont-elles des entreprises rôles modèles ?
Tout ce que personne ne regarde sur nos 26 licornes; décryptage de la mission d'Acteurs publics (média) et plein d'autres choses (13')
Mes chères lectrices, mes chers lecteurs,
Bienvenue dans la 69e missive et également à la quinzaine de nouveaux abonnés qui ont rejoint la communauté depuis jeudi dernier !
Depuis le début de l’année, mon fil LinkedIn n’arrête pas d’afficher des messages concernant les nouvelles licornes de la tech. L’objectif qu’Emmanuel Macron avait fixé était d’atteindre 25 avant 2025. Quand Exocet est devenue la 25e licorne, il s’est même fendu d’une vidéo pour l’occasion. L’ambition est maintenant d’avoir 10 “géants” (je sais ce qu’est techniquement une licorne—pour rappel au cas où—mais je suis preneur de la définition du “géant” si quelqu’un l’a).
A l’heure où j’écris ces lignes, nous en sommes à 26, mais on pourrait très vite atteindre 27 !
Dans mon fil LinkedIn, je vois également passer quelques messages d’irritation (ici ou ici par exemple) face à ce culte de la levée de fonds. On voit aussi passer des entrepreneurs quelque peu agacés par la course à la plus grosse valo. Arnauld Mesqui de Proxiteam remporte la palme suivi de Tim Saumet de Tilkee qui s’est bien défendu. Vous en avez d’autres ? Partagez les en commentaires. Ils sont généralement très éclairants !
Je ne vais pas rentrer dans l’arène du débat concernant les licornes. Je souhaitais juste regarder ces entreprises sous un autre angle qui n’est pas lié à l’aspect financier (cet article Maddyness le fait très bien), mais davantage autour de la question qui anime cette newsletter : les licornes sont-elles des entreprises rôles modèles ? Pour rappel, je considère à gros traits qu’une entreprise rôle modèle veut améliorer sa performance globale (performance financière ET extra-financière) et faire bouger tout son écosystème (clients et fournisseurs).
Pour cet exercice, j’ai essayé de mobiliser un certain nombre de données, qui indiquent des actions menées par les entreprises. C’est évidemment discutable et partiel, mais cela a le mérite de poser quelques grands constats. Au niveau du décompte, j’ai suivi la même méthodologie que Maddyness, à savoir que j’ai exclu celles qui étaient rentrées en bourse (Believe, Criteo et OVH) et celles dont le siège social n’est plus en France, comme Dataiku ou Talend.
Voici le résultat :
Combien sont des sociétés à mission ?
Aucune. Doctolib et Swile sont en voie.
Combien ont des labellisations RSE ?
Labellisation BCorp : Vestiaire Collective.
Label “RSE Engagé” de l’Afnor : aucune.
Label PositiveWorkplace : aucune.
Label Lucie : aucune.
Combien sont signataires du Global Compact de l’ONU ?
1 : Ivalua
Quels sont leurs résultats à l’Index égalité Femme-Homme ?
Pas simple de trouver l’information, car la publication n’est obligatoire qu’à partir de 250 salariés. Toutes les licornes n’ont pas ou n’avaient pas atteint ce seuil l’an dernier. Par ailleurs, la recherche n’est pas facilitée par le fait que le nom commercial peut diverger du nom renseigné dans le Registre du commerce, mais normalement, tout ce qui est disponible est recensé.
Sur une base 100, on voit une forte disparité entre les entreprises, mais globalement il y a des progrès à faire, puisque la note moyenne en 2021 était de 85 points.
Combien ont signé la Charte Relations fournisseurs et achats responsables ?
Aucune.
Combien ont signé le Climate Act (initiative de scale-ups lancée par Shine qui veulent être davantage tenues responsables pour leur empreinte carbone) ?
8 : Alan, Back Market, BlaBlaCar, Mirakl, Payfit, Spendesk, Swile, Vestiaire Collective.
Pour rappel, les entreprises signataires du Climate Act s’engageaient à faire un bilan carbone d’ici fin 2021 pour celles qui ne l’avaient pas déjà réalisé. Selon mes recherches, ce n’est pas le cas de toutes (voir juste après).
Combien ont réalisé un bilan GES ou carbone ?
Un bilan GES (scopes 1 et 2) est obligatoire pour toute entreprise de plus de 500 salariés. Elles doivent également le publier sur le site de l’ADEME. Un bilan carbone va plus loin, parce qu’il prend également en compte le scope 3 (les émissions indirectes). Le référencement est plus difficile.
Il y a peu de licornes à plus de 500 salariés, et parfois même, l’information du bilan GES n’est pas sur la base de données de l’ADEME, donc je n’ai pas de moyen de vérifier si elles l’ont bien réalisé (ex : BlaBlaCar, Deezer et Doctolib). Donc, j’ai essayé d’être exhaustif, mais je suis peut-être passé à côté d’informations. Me le signaler s’il y a des erreurs.
Bilan GES : Veepee (réglementaire)
Combien font partie du mouvement TechForGood ?
Aucune.
Combien ont publié des données ESG sur Impact.gouv.fr ?
C’est l’initiative la plus récente. Lors de l’enregistrement, les entreprises peuvent décider de rendre les données publiques ou les laisser privées. Je ne comprends pas l’intérêt d’uploader des données sur un portail à vocation d’open data et de ne pas les rendre accessibles. Mais bon…
Données accessibles : Alan
Données uploadées mais non-accessibles : Back Market
Conclusion : il y a du boulot…
Au sommaire de cette missive :
📰 Décryptage de la mission d’Acteurs publics (média)
⭐ Le Jour d’après à Grenoble Ecole de Management
💭 La citation de la semaine : il parait que les start-ups ont “presque toutes” intégré le concept d’entreprise à mission
📣 Les filets de la semaine concernant la PFUE
💡 Pascal Demurger sort un rapport très instructif sur la nouvelle relation entre l’Etat et les entreprises
📊 Le Global Compact France sort son baromètre annuel
🧠 Un peu plus de jus de crâne
🙋♀️ Le vote de la semaine : Sofi Group (réparation de téléphones) vs Neos Immo (réseau de mandataires immobiliers)
🎧 Mon son de la semaine : Igit - “Le temps qui reste”
A picorer ou à dévorer !
Du côté des entreprises
📰 DECRYPTAGE DE LA MISSION D’ACTEURS PUBLICS.
Merci à celles et ceux qui ont voté pour le décryptage de la semaine. A une voix près, Acteurs publics l’emporte sur le groupe Waterair. Acteurs publics est le média de référence sur les politiques et services publics. Leur activité comporte d’autres volets, moins visibles, pour des clients privés : événementiel, media training, accès à des bases de données de contacts, accompagnement sur diverses prestations etc. Pas surprenant en tout cas qu’ils aient décidé de franchir le pas de la société à mission. Décryptage !
La raison d’être :
Mieux informer, former et accompagner les décideurs publics et privés qui s’engagent pour le service public et les causes d’intérêt général.
C’est clair, compréhensible et dynamique. Il ressort plusieurs éléments bien ficelés : les trois grands métiers d’Acteurs publics, les clients et la focale sur le service public. Autre point intéressant sur lequel je reviendrai : l’accent mis sur l’intérêt général.
Ils ont résolument fait le choix d’angler leur raison d’être sur leurs clients. C’est à double tranchant : au mois, c’est ciblé, mais cela peut être restrictif. Ils se positionnent comme des intermédiaires et uniquement auprès de décideurs, terme un peu fourre-tout. De cette manière, ils donnent toutefois l’impression qu’eux donnent les moyens à d’autres de bien s’engager pour le service public des causes d’intérêt général, mais ce n’est pas leur finalité de le faire. Bizarre ! On s’imagine qu’Acteurs publics et service public font bon ménage, puisque c’est le cœur d’activité, mais l’implicite n’est pas toujours le meilleur ami des raisons d’être. Par ailleurs, bien informer devient aujourd’hui une cause d’intérêt général.
J’aurais par exemple rajouté un tout simple “comme nous” pour que cela devienne : “Mieux informer, former et accompagner les décideurs publics et privés qui, comme nous, s’engagent pour le service public et les causes d’intérêt général”. Un petit rien qui change beaucoup.
L’accent mis sur l’intérêt général laisse à penser que le groupe veut se démarquer des cabinets d’affaires publiques. Certaines activités pourraient effectivement les conduire à faire du lobbying ou servir de plateformes de lobbying pour promouvoir des intérêts particuliers : sponsoring d’événement sous la bannière “neutre” d’Acteurs publics, accès à leurs bases de données de contacts pour des campagnes d’emailing qu’ils ne maîtrisent pas etc. La question est de savoir si et comment ils déterminent que leurs clients s’engagent pour des causes d’intérêt général. C’est un véritable engagement qui exige de la transparence, de la cohérence et des renoncements !
Les objectifs :
favoriser l’efficience des politiques publiques en contribuant à l’information et à la formation du plus grand nombre ;
promouvoir les valeurs du service public comme celles des causes d’intérêt général en faveur du progrès économique, social et écologique ;
accompagner les acteurs du service public comme ceux d’actions d’intérêt général.
Le premier objectif est intéressant, car il ouvre une porte que la raison d’être fermait. On y parle en effet “du plus grand nombre” tandis que la raison d’être évoquait les décideurs. C’est beaucoup plus ambitieux et vu le millefeuille administratif en France, c’est beaucoup plus pertinent aussi : en tant que spécialistes du secteur public—si essentiel, si décrié et si mal connu—ils doivent effectivement participer à une meilleure connaissance, à un plus grand devoir de pédagogie et de transparence des acteurs qui gèrent “le service public” et font les politiques publiques qui impactent nos vies.
Aujourd’hui, le pilier du “plus grand nombre” est probablement l’axe de développement principal pour un média qui reste spécialisé, mais encore faut-il décider : c’est le plus grand nombre ou les décideurs ?
Le second objectif est un peu étrange. Il définit Acteurs publics comme un acteur et pas simple intermédiaire comme la raison d’être le laissait. C’est positif, mais la formulation est alambiquée. On entend souvent parler “des valeurs du service public”, mais à tel point que c’est une expression un peu galvaudée. Par ailleurs, je ne comprends pas ce que sont des valeurs de “causes d’intérêt général”…
Sur le troisième objectif, j’ai le même problème de clarté. On perçoit d’ailleurs une difficulté à trouver les bons mots, parce que je ne sais pas ce que veut dire des acteurs “d’action d’intérêt général”. Surtout, cet objectif est une paraphrase de la raison d’être. Il n’apporte pas grand chose de plus.
Globalement, cette mission se démarque, parce qu’elle ne reprend pas des thèmes fréquents sur l’environnement ou le sociétal. Elle reste centrée sur le cœur d’activité, qui en lui-même est un élément clé pour les politiques environnementales, sociales et sociétales.
On peut juste reprocher à cette mission d’être justement trop resserrée. Au bout du compte, quelle est l’ambition d’Acteurs publics ? Ils œuvrent à observer, challenger, décrypter et in fine améliorer un service et des politiques publics qui, toujours, doivent chercher à travailler pour les citoyens, leur épanouissement et leur qualité de vie. Les citoyens apparaissent en filigrane dans cette mission, alors qu’ils sont une partie prenante fondamentale. Je le dis souvent : une mission n’appartient pas à une entreprise ; l’entreprise vient avant tout apporter sa contribution à une mission.
Cet exercice d’analyse se veut pédagogique pour toute entreprise souhaitant devenir société à mission ou en cours de transformation. Je m’évertue à être critique MAIS constructif. Vous pouvez également me contacter si vous êtes intéressé.e par une démarche de construction ou d’évaluation de votre mission (ou d’un client en toute confidence bien sûr).
Vous pouvez retrouver les 39 missions déjà analysées ici et mes 16 conseils pour passer société à mission ici.
🙋♀️ A VOUS DE VOTER.
La semaine prochaine, quel décryptage de mission vous intéresserait ? Il suffit de cliquer sur votre choix.
📱 Sofi Groupe (réparation de téléphones)
🏡 Neos Immo (réseau de mandataires immobiliers)
⭐ LE JOUR D’APRES A GRENOBLE ECOLE DE MANAGEMENT.
Grenoble Ecole de Management a décidé de lancer son propre concours AST (admission sur titres) pour les Bac+2/+3 ou plus qui ne sortent pas de prépa. Ils ne sont pas les premiers à s’inscrire dans cette démarche, mais cela participe de leur objectif “d’éducation pour tous”, comme l’explique Jean-François Fiorina, le directeur général adjoint. Cette voie d’accès se distingue ainsi du concours classique à destination des élèves de prépa.
C’est ici pour retrouver l’analyse de la mission de GEM.
Citation de la semaine
“Mon constat, c'est qu'il y a un changement de fond. Aujourd'hui, les entrepreneurs de la tech sont beaucoup plus sensibles à la mission que va porter une entreprise, à ce qu'elle va apporter à la société et à ceux qui travaillent pour elle. L'impact positif fait désormais partie des fondamentaux. […] Les collaborateurs veulent donner du sens à leur métier. […] Il y a une vraie tension de l'employabilité qui pousse les entreprises à changer dans le bon sens. D'ailleurs, les nouvelles startups intègrent presque toutes le concept d'entreprise à mission dans leur business model.” (Benjamin Wattinne, co-fondateur de Sowefund dans un entretien pour L’ADN)
Ma remarque : j’aimerais tellement que ce soit vrai…
Du côté de la politique
📣 PENDANT CE TEMPS-LA A LA PFUE.
🌳 Les 27 Etats-membres ont ouvert les discussions sur le projet de règlement européen concernant l’interdiction d’importation de certains produits et matières premières issus de terres déboisés, tels que le soja, le bœuf, l’huile de palme ou le café. Un élargissement du périmètre du règlement est envisagé. La France espère un accord des 27 d’ici fin juin.
🌍 Demain (vendredi) se tient une conférence internationale sous présidence française pour parler de commerce internationale et plus responsable.
💻 La Commission européenne a proposé une déclaration de droits et principes numériques qui guideront la transformation numérique dans l'Union. La signature par le Parlement et le Conseil devrait avoir lieu en fin de présidence française.
😲 Chacun campe sur ses positions concernant la présence du nucléaire et du gaz comme énergies de transition dans la Taxonomie européenne.
Du côté des idées
💡 PASCAL DEMURGER MET LES PIEDS DANS LE PLAT.
Le DG de la Maif, Pascal Demurger, a publié un rapport bien senti pour la Fondation Jean Jaurès. Intitulé L’urgence du temps long : un nouveau rapport État/entreprises pour une prospérité durable, ce rapport est détaillé et très prescriptif. Il formule 12 propositions qui ont un avantage : susciter le débat et stimuler la réflexion sur la problématique hyper sensible de l’entreprise de demain et sa reconnaissance par les pouvoirs publics.
Hyper sensible, vraiment ? Oui, quand on voit ses recommandations. Quelques-unes pour vous donner une idée :
Établir un barème de l’impôt sur les sociétés assis sur la part « durable » de leur chiffre d’affaires
Inscrire dans le droit européen le principe de « l’offre écologiquement et économiquement la plus avantageuse »
Instaurer un seuil environnemental minimal dans la notation des marchés publics
Mettre en place un « comité des parties prenantes » adossé au conseil d’administration dans les entreprises de plus de 250 salariés
Rendre obligatoire une consultation annuelle des assemblées générales des sociétés cotées sur leur politique climatique (« Say on Climate »)
Instaurer ces mécanismes dans le droit relèverait de la prouesse ! Comme le dit Pascal Demurger, dans beaucoup de domaines, des premiers pas ont déjà été franchis. C’est la généralisation qui sera complexe. Complexe mais pas impossible ! Je n’ai pas encore fini de lire le rapport. Je vous en ferai une recension complète la semaine prochaine, parce qu’il est très dense.
📊 BAROMETRE DU GLOBAL COMPACT.
Je ne parle pas souvent du Global Compact de l’ONU et pourtant c’est une démarche assez structurante pour les entreprises qui s’y engagent sérieusement. La base de cette organisation, ce sont les 17 ODD. La branche française vient de sortir son baromètre annuel réalisé principalement auprès de leurs membres. Je passe les résultats évidents du type 93% des répondants connaissent les ODD. Thank you Mr. Obvious dirait-on en anglais.
Pris ci et là, quelques résultats sont intéressants. J’en retiens surtout un : 61% des répondants se déclarent favorables aux ODD pour redynamiser leur stratégie RSE. Il est vrai que progressivement, ils deviennent un cadre de réflexion et d’action pour des entreprises un peu en panne d’inspiration ou qui voudraient donner un coup de fouet à leur politique RSE.
🧠 UN PEU PLUS DE JUS DE CRÂNE.
📣 Les Echos ont lu la lettre de Pascal Canfin signée par 20 patrons de grandes entreprises européennes, qui appelle à conditionner une partie du bonus des PDG à l’atteinte d’objectifs environnementaux.
🤔 Yuval Noah Harari veut changer la manière de présenter les énormes besoins en investissement nécessaires pour atteindre nos objectifs de réduction carbone. On parle toujours en centaines de milliards par an. Il suffirait “juste” d’augmenter les investissements en énergie et en infrastructures propres de 2% du PIB mondial.
Mon son de la semaine
Igit est sorti de sa phase post-The Voice et a retrouvé de la créativité. Il sort un nouvel album La Belle époque. “La temps qui reste” en est extraite. C’est une chanson délicate, touchante. Une belle réussite !
Si vous êtes arrivé.e jusque là, je présume que cette missive vous a intéressé.e. J’ai un petit service à vous demander : appuyez sur ❤. Cela permet d’améliorer le référencement de La Machine à sens et vous aidez ainsi à ce que d’autres découvrent cette newsletter plus facilement. Vous pouvez également partager le contenu sur les réseaux sociaux ou auprès de collègues.
Vous souhaitez échanger ou collaborer ?
Si vous souhaitez échanger sur vos réflexions liées à la raison d’être ou la société à mission, partager une actu, une analyse, me conseiller une entreprise à interroger pour “L’entretien du mois”, réfléchir à des synergies, ou encore me conseiller de me pencher sur un sujet, vous pouvez me contacter par réponse à cet email si vous me lisez depuis votre boîte, sinon par email ou via LinkedIn si vous lisez depuis votre navigateur.
A jeudi prochain,
Vivien.
Merci à vous pour ce regard qui apporte un éclairage différent au statut "exemplaire" souvent accolé aux licornes. Le voici un peu ...é( li)corné :)
Super intéressant et sensibilisant ton analyse car ce serait bien que nos licornes soient véritablement des roles models !
dans la course à l'échalotte, après la licorne c'est la décacorne ... mais le vrai sujet c'est la capacité de devenir un acteur mondial