Quelle est la différence entre la RSE et la société à mission ?
En résumé : La RSE vient nourrir la mission, tandis que la mission vient orienter la RSE.
La distinction entre la RSE et la société à mission n’est pas toujours évidente. Pourtant elle est importante, car les deux sont complémentaires, mais participent d’engagements différents : souvent réglementaires pour la RSE, et volontaire pour la société à mission. Revenons donc sur ces deux concepts qui animent les entreprises aujourd’hui afin d’éclairer comment s’appuyer sur les deux pour améliorer la performance globale des entreprises1.
Quelles sont les différences entre la RSE et la société à mission ? Pourquoi comparer un outil juridique—la société à mission—et une pratique d’entreprise—la RSE ? Pour deux principales raisons : premièrement, la frontière est floue entre ces deux notions, car beaucoup d’entreprises à mission font de la RSE par exemple. Deuxièmement, parce que même si ces deux concepts nagent dans le même océan, celui du rôle de l’entreprise dans la société, ils exhibent quelques différences qu’il faut bien avoir à l’esprit pour savoir ce qui relève de l’un ou de l’autre.
Quelques grandes différences de forme
Tout d’abord, ces deux notions n’ont pas la même antériorité. La Responsabilité sociétale (ou sociale) de l’entreprise (RSE) est un corpus de normes patiemment construit depuis une vingtaine d’années. Cette ancienneté explique l’existence de multiples labels, certifications, reportings sur le sujet. Certaines sociétés se font certifier ISO 26000 ou labelliser RSE Engagé, BCorp, PositiveWorkplace etc. D’autres structurent leur démarche RSE, publient une DPEF (déclaration de performance extra-financière) ou répondent à d’autres questionnaires, comme GAIA, sans forcément s’engager dans des démarches de certification.
La société à mission est beaucoup plus jeune. Bien qu’elle ait été théorisée depuis une dizaine d’années, elle a émergé dans l’univers des entreprises en 2019 avec la loi Pacte. C’est un objet juridique tout jeune, peu normé et peu structuré.
Lié à cela, il est important de comprendre que la RSE vise à l’exhaustivité, ce qui n’est pas le cas de la société à mission. En effet, toute labellisation ou certification regarde la totalité des actions de l’entreprise sur les sujets sociaux et environnementaux, et de plus en plus en matière de gouvernance. Il s’agit de se conformer à un cahier des charges. En revanche, la société à mission reflète une ambition spécifique de l’entreprise. Elle sera complètement intégrée dans toutes les strates de l’entreprise, à commencer par ses statuts, et se déclinera dans toutes ses actions en interne et en externe.
D’un point de vue conceptuel, les deux relèvent d’ambitions différentes. La RSE s’intéresse à la responsabilité de l’entreprise vis-à-vis de la société : on regarde d’ailleurs souvent des aspects qui ne sont pas forcément core business, bien que cela tend à changer. La mission s’apparente davantage à une contribution de l’entreprise vis-à-vis de la société au travers de son business model, ce qui affecte donc profondément son fonctionnement et son activité. Ainsi, on peut trouver des entreprises irresponsables—en termes de notation ESG par exemple—à forte utilité pour la société et inversement, des entreprises responsables à l’utilité sociétale limitée.
Autre point important, la RSE est un concept international et à peu près appréhendé de manière similaire partout dans le monde. A l’inverse, la société à mission est un concept français, bien qu’il ait des cousins dans quelques autres pays, en Italie par exemple avec la società benefit.
Cette petit point global est important, parce que la RSE a mis des années avant d’être prise au sérieux par les entreprises. Il a fallu qu’elle s’impose dans le paysage réglementaire pour que beaucoup d’entreprises s’y intéressent réellement—et d’aucuns diront que ce n’est pas encore le cas partout. Il est trop tôt pour savoir si la société à mission trouvera sa place plus rapidement, mais quelques éléments permettent de le penser.
Comparaison des impacts de la RSE et de la mission sur l’entreprise
Tout d’abord, les impacts de la RSE et de la société à mission sur le fonctionnement de l’entreprise sont très différents. Pour la RSE, il s’agit d’en piloter les externalités, souvent négatives, en matière sociale et environnementale. On parle parfois d’une posture “défensive”. Je n’aime pas trop ce terme, mais il retranscrit tout de même l’idée que les entreprises répondent à des attaques qu’on peut faire à leur endroit. Il faut donc mener des actions pour montrer patte blanche : tout changer pour ne rien changer.
La société à mission a une vocation plus inspirationnelle, puisque chaque entreprise définit son projet et ses priorités en matière sociale et environnementale. Il ne s’agit pas de se conformer à une liste de bonnes pratiques, mais de choisir sa voie en s’appuyant sur ses forces et son ADN. C’est donc plus engageant (dans les deux sens du terme) pour l’entreprise.
Cela amène au deuxième point qui concerne le projet d’entreprise : la RSE l’impacte marginalement, alors que la mission vient le (re)façonner. La RSE est dans la quasi totalité des cas pilotée par une direction dédiée. Cela devient une composante de l’organisation. Il peut y avoir des relais dans d’autres directions, mais ce n’est pas souvent un sujet de direction générale et l’influence sur la stratégie et la gouvernance de l’entreprise est limitée.
Il faut toutefois nuancer, car depuis quelques années, de nombreuses entreprises font de la RSE un sujet stratégique discuté dans les plus hautes instances de décision de l’entreprise et qui se traduit par des décisions ayant un impact sur le fonctionnement interne et externe. Une évolution est donc notable sur le sujet.
La société à mission intervient, par essence, à un niveau supérieur. En effet, la mission que s’assigne l’entreprise doit devenir la boussole de toutes les décisions qu’elle prend à tous les échelons de décision, y compris au conseil d’administration. Elle infuse dans la stratégie, l’offre, le développement commercial, la politique d’achat, l’innovation, les pratiques RH et managériales, la communication etc. Elle infuse à tous les niveaux, parce que la mission, ancrée dans les statuts, ce qui n’est pas le cas de la RSE, détermine la voie que prendra l’entreprise dans les prochaines années.
On ne pilote pas une entreprise à mission comme une entreprise classique : la performance financière n’est plus l’alpha et l’oméga de la réussite de l’entreprise. Autrement dit, lorsqu’une entreprise “fait de la RSE”, les actions et programmes menés, ainsi que les ressources humaines et financières dédiées peuvent assez facilement devenir des variables d’ajustement si l’entreprise traverse une crise économique.
Cela n’est (théoriquement) pas le cas pour la société à mission. J’écris théoriquement, car nous n’avons pas suffisamment de recul pour observer le comportement des entreprises. Certains pourraient considérer que le plan social de Danone annoncé en 2020 est contraire à sa mission, mais ce serait erroné. Etre société à mission ne dispense pas d’être financièrement sain, en capacité justement de dédier les ressources suffisantes pour mener à bien sa mission. Cela peut amener à prendre des décisions difficiles. Toutefois, si une entreprise venait à rogner sur sa raison d’être ou ses objectifs, des parties prenantes externes, le comité de mission ou l’Organisme Tiers Indépendant qui vient évaluer la mission seraient dans leur droit de contester la qualité de société à mission de l’entreprise.
Autre point essentiel qui peut faire que la société à mission s’ancre plus profondément dans les entreprises que la RSE : une mission met l’entreprise dans une démarche d’amélioration continue. La RSE ne touche que partiellement le cœur d’activité ; c’est une brique de l’action de l’entreprise. Il peut effectivement y avoir des impacts sur le business model. Par exemple, dans l’optique de limiter le recours au plastique, une entreprise peut décider de modifier son packaging, ce qui l’amène à travailler avec d’autres fournisseurs et potentiellement à revoir sa structure de coût. Mais, globalement, la RSE ne porte pas intrinsèquement une dimension d’innovation.
La mission, au contraire, doit guider l’innovation et orienter la trajectoire future de l’entreprise. Je vois souvent des missions qui reflètent l’état actuel de l’entreprise : ce n’est pas contraire à la lettre de la loi, mais davantage à son esprit. En effet, cela rend le passage en société à mission beaucoup moins utile. La société à mission est une qualité qui doit se comprendre en mouvement : elle porte une dynamique positive pour l’entreprise. Il s’agit de faire progresser l’entreprise dans son ensemble.
La complémentarité entre RSE et société à mission
Au-delà de ces différences, la société à mission et la RSE sont parfaitement compatibles et complémentaires. Il n’est pas anodin que la grande majorité des entreprises qui sont devenues sociétés à mission avaient déjà une démarche RSE bien ancrée. On va dire qu’il y a “démarche RSE” et Démarche RSE. Certaines entreprises le font pour se plier à la réglementation, par contrainte ou par opportunisme. D’autres le font par conviction. Alors, la RSE est perçue comme stratégique et la direction générale en est la principale sponsor. Ce sont ces entreprises qui ont franchi en premier le cap de la société à mission.
Deuxième point complémentaire, un certain nombre de sociétés à mission décident de s’orienter vers des labellisations RSE après avoir adopté la qualité. Cela correspond à 9% des sociétés à mission, selon l’Observatoire des entreprises à mission. Dans l’absolu, c’est peu, mais en réalité, ce pourcentage est beaucoup plus élevé si l’on exclut les entreprises nées à mission (39% de toutes les sociétés à mission), ainsi que les microentreprises (50%) qui s’engagent rarement dans des démarches de labellisation, souvent par manque de temps ou d’argent.
La raison de ce double tampon est compréhensible. Passer société à mission est une étape, qui doit se décliner en objectifs opérationnels, en feuilles de route, en projets et en indicateurs de succès. Pas toujours évident de mener ce travail pour une entreprise, qui peut trouver dans une labellisation un référentiel à jour et donc être une source d’inspiration.
Le dernier point complémentaire est peut-être le plus sous-estimé : il s’agit de la mesure. On va de plus en plus entrer dans l’ère de l’impact, et donc de la mesure. Dans une démarche de RSE structurée qui s’intègre à une certification, une DPEF ou autre rapport extra-financier, il faut mesurer. Cela implique du reporting, beaucoup de reporting. Cet aspect est bien compris sur la RSE. Beaucoup moins sur la société à mission. A tort !
En effet, devenir société à mission implique un suivi de la mission par un référent (pour les entreprises de moins de 50 salariés) ou un comité de mission, ainsi qu’une évaluation par un OTI. Le comité de mission est responsable d’accompagner l’entreprise dans la bonne conduite de la raison d’être et des objectifs statutaires et opérationnels. Difficile de le faire s’il n’y a pas de trace des actions menées… Idem pour l’OTI. Pour mener à bien son audit, l’organisme va évaluer l’adéquation entre la mission et les actions menées, et donc a besoin de données sur les indicateurs établis, les moyens engagés, et les réalisations effectives. Cela nécessite de tenir à jour un reporting fin de toutes les actions prises dans le cadre de la mission.
Ce comparatif entre les deux vise à clarifier les frontières entre la RSE et la mission. La RSE vient nourrir la mission, tandis que la mission vient orienter la RSE. La mission est donc plus engageante, stratégique et globale que la RSE. Toutefois, n’opposons pas ces deux mondes : ils sont très complémentaires et il paraît improbable de passer société à mission sans structurer au moins un peu une démarche RSE.
Cet article est le fruit de mon intervention lors d’un webinaire organisé par Choregraphy et Gouvernance Responsable (replay disponible). Le contenu de cet article s’inspire d’ailleurs de cette collaboration avec Alain Schnapper et Géraldine Hatchuel.
merci pour cette comparaison. Et en phase avec toi sur le fait que "la mission vient orienter la RSE". Travailler sur sa RSE sans avoir défini sa raison d'être est dommage.
D'ailleurs a démarche RSE inclut je crois de se poser la question de la raison d'être, ce qui est une bonne chose. Les deux sont donc liés