#40 Sujet light : et si on parlait de discrimination en entreprise
Mon édito de la semaine / Nature et Aliments et le groupe Hautier vont passer à mission / La vie chez Shine / Syndicat contre mission / L'économie du good / Le climat et les futures générations etc.
Bonjour,
L’interview de Dominique Buinier a connu un vif succès. Je remercie celles et ceux qui l’ont partagée sur LinkedIn et souhaite la bienvenue à vous qui nous rejoignez dans l’aventure de La Machine à sens.
Dans l’édito de cette semaine, je m’attaque à un sujet hyper sensible que j’ai hésité à traiter : le mâle blanc en entreprise. C’est mon point de départ, mais en réalité, je vais plutôt parler de la discrimination en entreprise. Avertissement : cet édito ne prétend ni être exhaustif, ni couvrir tout le sujet, ni être moralisateur. C’est une réflexion en évolution sur un sujet important.
Tout est parti d’un article dans Fast Company qui interviewe la première directrice de l’équité raciale (racial equity) d’Intuit (éditeur notamment de QuickBooks). Je sais que le sujet racial est explosif aux Etats-Unis, mais, en tant que Français, je me suis interrogé sur une telle création de poste. Pourrait-on l’envisager ? En aurait-on besoin ?
C’est vrai que c’est un sujet dont on parle beaucoup moins qu’outre-Atlantique, en tout cas sur ce qui se passe en entreprise. On évoque souvent le fait qu’il y a une discrimination à l’embauche. On se souvient de cette étude qui avait fait grand bruit début 2020, qui révélait que les candidats avec un patronyme d’origine maghrébine avait 20% moins de chances d’avoir un entretien que leurs homologues avec un patronyme franco-français. C’est un sujet récurrent.
Mais on parle peu de l’existence de discriminations en entreprise, exception faite de l’égalité hommes-femmes. A tort ou à raison ?
Le dernier baromètre du Défenseur des droits sur les discriminations dans l’emploi est éclairant à cet égard. 33% des Français estiment que des personnes sont traitées défavorablement ou discriminées au cours de leur carrière professionnelle. J’avoue que je trouve ce chiffre très faible… 23% des Français déclarent avoir subi au moins une discrimination dans leur vie professionnelle. Elle peut être liée à l’âge, au sexe, à la couleur de peau, au handicap, bref tout type de discrimination. Ce n’est pas rien, un Français sur cinq, mais au niveau macro, cela lisse les différences. Dans le détail, il s’avère que les principales discriminations portent sur l’âge (en premier chez les hommes) et le sexe (en premier chez les femmes).
Mais, le plus intéressant est ce tableau que je me permets de copier-coller, car il est instructif à décortiquer et illustre que le diable se cache dans les détails.
On note que les femmes de manière générale souffrent beaucoup de discrimination : sur l’âge (1 sur 2 chez les moins de 35 ans), sur la grossesse ou ayant des enfants en bas âge (1 sur 2), sur le handicap (56%) et tout ceci semble encore plus accentuée quand elles ne sont pas blanches (61% des femmes perçues comme noires, arabes ou asiatiques ont connu des discriminations !).
Chez les hommes, le critère le plus source de discriminations portent sur la couleur de peau. A l’autre bout du spectre, l’homme blanc de 35-44 ans se porte plutôt bien.
Bon an mal an, le sujet de la couleur de peau est moins fort qu’outre-Atlantique, mais les chiffres indiquent qu’il n’est pas anecdotique. Mais, il serait réducteur de n’aborder la question de la discrimination que sous cet angle. On le sait et on le voit encore : le sujet des femmes en entreprise mérite toute notre attention, et pas simplement sur le sujet de l’égalité des chances et des salaires.
Il reste qu’un sujet semble expliquer que ce sujet ne soit pas si central en entreprise. Une étude de Glassdoor de 2020 montre qu’en France, 43% des salariés ont été témoin de discrimination en entreprise. Toutefois, ce chiffre doit être nuancé, car il y a un effet générationnel très fort. Quand 48% des 18-34 ans déclarent avoir déjà été témoin de discrimination sur la base du sexe, seuls 13% des plus de 55 ans abondent dans ce sens. Les données sont quasi identiques sur la discrimination sur la base de la couleur de peau. Dans la grande majorité des entreprises, ce ne sont pas les plus jeunes qui sont à des postes de décision pour faire bouger des lignes… Vous me direz qu’avoir une direction de jeunes trentenaires dans une start-up n’apporte aucune garantie que le sujet sera bien traité non plus…
Alors, faisons-nous la politique de l’autruche depuis longtemps ? Assistons-nous à une évolution sociétale où nous serions plus sensibles aux discriminations qui ont toujours existé ? Le sujet de la discrimination au travail est un sujet évidemment hyper sensible pour les entreprises. Il n’y a que des coups à se prendre, comme moi en écrivant cet édito ;) Ce ne sera jamais assez ! On pointera du doigt tel service où il n’y a que des hommes ou telle direction où le CODIR est 100% masculin, tel employé noir qui s’est vu refuser une mobilité dans un service où il n’y a que des blancs ou tel employé gay qui subit des blagues homophones sans récriminations contre ceux qui l’attaquent.
Bref, les entreprises ne feront jamais assez bien, mais elles peuvent faire plus. Je donne deux exemples parmi d’autres. Au même titre qu’il y a des formations obligatoires pour tout nouvel arrivant dans beaucoup d’entreprises, qu’elles soient réglementaires ou propres à l’entreprise, il me paraîtrait sensé qu’il y ait des formations sur la question des discriminations. Egalement, il faudrait que chaque entreprise ait un mécanisme pour faire remonter les discriminations de manière confidentielle et que des actions soient vraiment menées contre celles et ceux qui les perpètrent. N’hésitez pas à me partager des idées, je serais intéressé de savoir ce qui se fait (les entreprises américaines en font d’ailleurs généralement déjà pas mal pour la plupart).
En faisant mes recherches, j’ai vu que le gouvernement avait lancé une consultation citoyenne sur les discriminations avec un volet emploi. Vous pouvez voter sur plusieurs propositions du gouvernement, ainsi que des propositions citoyennes. Vous savez ce qu’il vous reste à faire.
Au sommaire de cette 40e missive :
Passer société à mission pour se réinterroger après des décennies d’existence
5 ans pour devenir à mission
Etre banque et engagés à la fois
Quand un syndicat ne veut pas que La Poste passe société à mission
En Allemagne, la Cour constitutionnelle pense aux futures générations
L’économie du good a son grand prix
Révisons les modèles économiques pour intégrer la croissance qualitative
De bonnes lectures et de bons podcasts
Mon son de la semaine : We Have Band - “Visionary”
EN CHEMIN VERS LA MISSION. Pourquoi passer société à mission ? Chaque entreprise peut y voir une raison qui lui est propre. Pour Nature & Aliments, PME nantaise centenaire spécialisée dans les préparations en poudre biologiques, le point de départ a été :
“Nous nous posons les questions du pourquoi de l’existence de Nature et Aliments”, explique la co-dirigeante Magalie Jost dans Le Journal des entreprises. “Quel est son rôle, que pourrait-on faire de mieux pour limiter notre impact négatif et améliorer notre impact positif sur le monde dans lequel nous vivons ? Ce sont de vraies questions de fond tant sur le plan environnemental que sociétal et social. Par exemple, doit-on produire pour produire, pour dégager des bénéfices, ou pour partager ?”
Ces questions sont passionnantes. Quand on est à la tête d’une entreprise familiale très ancienne, il y a souvent des valeurs qui régissent l’entreprise, mais elles passent de génération en génération. J’ai l’impression que la société à mission offre un nouveau canevas de réflexion pour les entreprises familiales qui cherchent à reposer un cadre, insuffler une nouvelle dynamique, ou plus globalement réinterroger le pourquoi de cette longue aventure familiale et entrepreneuriale.
L’officialisation de l’adoption de qualité de société à mission sera faite lors de leur AG le 22 juin.
C’EST NOTE. Le groupe Hautier, spécialisé dans les transports, poursuit son développement par croissance externe et va atteindre prochainement les 1000 collaborateurs. A l’horizon de cinq ans, l’objectif est de passer société à mission. L’article n’en dit pas plus sur la raison de cet horizon de temps assez lointain, mais je prends note !
LA VIE CHEZ SHINE. Je suis un auditeur régulier du podcast Canary Call qui met en avant les actrices et les acteurs de la transition écologique et solidaire des entreprises. Dans un de ses derniers épisodes, Perrine Grua reçoit Mathilde Callède, VP People and Culture chez Shine. Une plongée intéressante dans la néobanque labellisée B Corp et soucieuse des enjeux environnementaux.
PAS COMPRIS. Il y a un vrai sujet à creuser sur le rapport des syndicats à la société à mission. Certains semblent plutôt partisans (notamment la CFDT qui avait même soutenu Emmanuel Faber), d’autres le sont moins (notamment la CGT qui estime que ce n’est pas une avancée parce qu’elle ne donne pas assez de pouvoir aux salariés). On a vu les premières utilisations de la société à mission à des fins de stratégie d’entreprise dans le cadre de vente ou de rachat : cela a été le cas de la CFTC dans le dossier Saint-Gobain PAM (voir missive #2).
Il apparaît aujourd’hui que l’UNSA (syndicat bien connu dans le milieu bancaire) s’oppose au projet de société à mission pour La Poste. Le syndicat a écrit un message au DG de la Caisse des dépôts, actionnaire majoritaire de La Poste pour lui faire part de ses réserves. Donc, c’est le premier syndicat de l’actionnaire majoritaire d’une structure tierce qui prend position. Cela doit être une première !
Les réserves portent sur deux sujets. Le premier : “le risque est grand de voir la Poste se détourner, dans les années à venir, de ses missions originelles de service public”. Le second : “la création d’un Comité de mission, distinct du Conseil d’administration de la Poste et de la Commission de surveillance de la Caisse des Dépôts, courcircuitera automatiquement les instances légales existantes, tant à la Poste qu’à la CDC”.
Eric Lombard n’a pas besoin de moi pour répondre ; il l’a fait même si son courrier n’aborde ces points que de manière incomplète (cf. le lien plus haut). Toutefois, je trouve les points de l’UNSA peu compréhensibles.
Je rappelle la raison d’être affichée par La Poste (missive #31) : “Au service de tous, utile à chacun, La Poste entreprise de proximité humaine et territoriale développe les échanges et tisse des liens essentiels en contribuant aux biens communs de la société tout entière”. Si une évolution devait éloigner le groupe de ses missions originelles de service public, ce n’est clairement pas sa raison d’être… Cela porte davantage sur le fait que l’activité historique de La Poste (le courrier) connaît un irrémédiable déclin, mais il n’a jamais été question d’arrêter cette activité. Bref, je ne comprends pas la position de l’UNSA.
Sur le deuxième point, cela me rappelle un édito que j’avais écrit sur le comité de mission (missive #29). Il est vrai que le comité de mission est un nouvel organe qui vient s’insérer dans la gouvernance des sociétés à mission. Chaque entreprise peut décider de lui donner plus ou moins de poids. Mais, je ne comprends pas le point de l’UNSA, qui semble ne pas avoir saisi le périmètre de ce comité. Le comité est là pour vérifier que l’entreprise dédie des moyens suffisants pour remplir sa mission et la guider dans la réalisation de ses objectifs. Il ne prend pas de décision qui devrait être abordée en conseil d’administration ou conseil de surveillance. Je pense surtout que c’est une guerre de chapelle : il n’y a pas de représentant syndical au comité de mission…
Du côté de la politique
PENSEZ AUX ENFANTS. La Cour constitutionnelle allemande est connue pour ses verdicts très conservateurs sur l’économie, mais elle a pris une décision très significative sur le climat jeudi dernier. En effet, elle a établi que la loi allemande relative au climat était partiellement anticonstitutionnelle. Pourquoi ? (et c’est là que cela devient intéressant) Eh bien, elle estime que la loi inflige un fardeau trop important aux générations futures pour réduire les émissions de carbone.
L’Allemagne a pris l’engagement d’arriver à la neutralité carbone d’ici 2050 et de réduire ses émissions de 55 % d’ici 2030. En théorie, c’est très bien, sauf que la loi n’est claire que sur la prochaine décennie, tandis que le gros du travail - les deux décennies restantes - n’est pas exploré. La Cour estime que les efforts nécessaires après 2030 seront tellement importants qu’ils pourraient amener à une réduction significative des libertés. En matière de respect intergénérationnel, ce n’est pas acceptable.
A l’heure où la loi Climat est débattue et critiquée en France, une telle décision outre-Rhin ne va pas passer inaperçue…
Du côté des idées
L’ECONOMIE DU GOOD A SON PRIX. Toujours enclin à de bonnes initiatives, le média en ligne The Good lance le premier grand prix de la Good Economie, qui récompensera les meilleures initiatives d’entreprises engagées pour une transformation écologique, sociale et solidaire de leurs activités, au service du bien commun.
Le prix est ouvert à toutes les entreprises engagées, et je sais que parmi vous, il y en a qui cochent toutes les cases pour candidater ! Donc n’hésitez pas. Le dépôt des dossiers est fixé au 3 septembre. Tous les détails ici.
TRANSITIONS EN BRETAGNE. La région Bretagne a une forte identité. Ce n’est un secret pour personne. A tel point qu’en 2011, ils ont créé la marque Bretagne. C’est grâce à ce porte-étendard que Bretagne Développement Innovation lance le programme « TransitionS » destiné à aider les entreprises locales à monter en compétence autour de la RSE et également des sujets liés aux transitions écologiques et sociétales comme l’économie circulaire, la stratégie bas carbone ou l’éco-conception.
Ce programme cousu main par différents acteurs régionaux dont l’agence Déclic dont j’ai déjà plusieurs fois parlé. Le programme est surtout destiné aux entreprises qui souhaitent enclencher les premiers pas ; il s’articule autour d’ateliers et de webinaires.
FOCUS SUR LA TRANSFORMATION. Le cabinet de conseil PMP a sorti il y a quelques semaines un livre blanc de témoignages de dirigeants de l’assurance et de la banque. Intitulé Diriger et transformer. Regards de dirigeants sur la transformation de leur entreprise, cet ouvrage traite donc des transformations que ces dirigeants ont enclenchées dans leurs entreprises en affichant les succès et les difficultés. Je lis ces 16 témoignages au fur et à mesure et certains sont passionnants. On retrouver par exemple Patricia Lacoste, PDG du groupe PREVOIR, Nicolas Gomart DG de la Matmut, André Renaudin DG de AG2R La Mondiale, Dominique Godet, DG de Relyens et plein d’autres.
BON PODCAST. Mon comparse Clarence de 3-COM a sorti un nouveau débat de Purpose Info avec Sophie de Menthon, Présidente du mouvement ETHIC et Bernard Gainnier, Président de PwC France et Maghreb. Regardez également son entretien avec Geoffrey Bruyère de BonneGueule.
QUALITÉ VS QUANTITÉ. Dans un article pour The Conversation, trois chercheurs du pôle universitaire Léonard de Vinci, Sergio Focardi, Davide Mazza et Manon Rivoire expliquent que la réussite du Green Deal européen dépend de la capacité de la théorie économique à évoluer pour prendre en compte la croissance qualitative.
Aujourd’hui, la mesure de l’économie se fonde principalement sur la quantité de biens produits ou consommés, alors que l’économie va devoir évoluer vers une logique de biens de meilleure qualité, plus durable, et d’économie circulaire. La conséquence : au niveau macro, on consommera moins.
Sans proposer une alternative claire, les trois auteurs concluent que si la théorie économique et les modèles qui l’accompagnent n’évoluent pas, ils pourraient rapidement établir que les économies européennes sont en récession, à tort…
Mon son de la semaine
Le second album de We Have Band sorti en 2012 est une merveille musicale. Je ne m’en lasse pas. Regardez la composition du groupe et vous comprendrez le choix…
C’est tout pour cette semaine. Merci de votre lecture ! Vos commentaires, likes et partages sont le meilleur de faire connaître cette newsletter et toutes les initiatives engagées dont je parle.
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A jeudi pour la prochaine missive,
Vivien.