#2 Entreprise à mission vs B Corp : une possible concurrence ?
Wessanen, Caisse d'Epargne Normandie, Sabarot, Fifth Wall, 60 raisons d'être analysées
***ERRATUM*** : Marie, une lectrice pointue, m’a signalé deux erreurs dans cette missive que j’ai corrigées : la première concerne l’existence de la communauté B Corp en France qui prédate la création de l’antenne française et la seconde porte sur la nécessité pour les B Corps de modifier leurs statuts.
Bonjour à toutes et tous,
Une semaine bien chargée ou j’ouvre pas mal de sujets sur lesquels je reviendrai très certainement…
Du côté des entreprises…
On parle régulièrement de cette demande de quête de sens en entreprise. La semaine dernière, je parlais d’un article faisant le lien entre cette demande de sens qui se trouve accentuée dans un contexte COVID. Dans une enquête réalisée par Payfit auprès des Next-40, il ressort que 37 % de ces entreprises possèdent une raison d’être et 56 % travaillent ou prévoient de travailler dessus. On est théoriquement proche des 100 %. Reste à voir la proportion parmi les 56 % de celles qui y travaillent déjà aujourd’hui… Moi aussi, je “prévoie de travailler” sur plein de choses…
La question des fusions-acquisitions dans le monde du B-Corp et des entreprises à mission
Le groupe néerlandais de l’agroalimentaire bio Wessanen confirme l’acquisition de Danival, PME française bien implantée sur le marché des repas bio. Cette acquisition vient gonfler les rangs d’entreprises françaises rejoignant ce groupe, puisqu’il détient également le groupe Bjorg Bonneterre et compagnie depuis 2000. Danival fête par ailleurs ses 30 ans cette année et a lancé un site dédié : https://30ansdanival.fr/.
Surtout, cette acquisition s’intègre dans la stratégie de Wessanen, labellisé B Corp (ie benefit corporation), d’acquérir des entreprises qui participent de sa mission. C’est peut-être le point le plus intéressant à observer.
Une fois qu’une entreprise s’est engagée dans la voie de l’entreprise à mission ou de la B Corp, cela guide également ses choix en matière de partenariats, d’investissements et d’acquisitions. Le risque réputationnel pourrait être élevé de sortir du “droit chemin” au motif de partenariats lucratifs ou d’acquisitions rentables avec des acteurs qui ne partageraient pas les mêmes valeurs. Le pool de candidats possibles se restreint alors.
Mais, il ne faut pas y voir qu’une contrainte. Au contraire ! Le fait d’afficher des valeurs fortes, une mission claire, définie et vérifiée, est un gage de qualité et une garantie pour des partenaires ou des repreneurs éventuels ou même lorsqu’une entreprise en rachète une autre. C’est rassurant pour l’écosystème de cette entreprise, notamment les collaborateurs, les clients, les investisseurs et les fournisseurs.
Je ne suis pas certain que nous ayons assez de recul pour voir si les acquisitions réalisées par des entreprises à mission (une fois les statuts modifiés) doivent également s’astreindre aux mêmes changements de statut. Si vous avez des exemples, je suis preneur. A suivre en tout cas…
B Corp vs entreprise à mission ?
Je lance le sujet et j’y reviendrai très probablement plus tard : allons-nous assister une concurrence entre les deux ? D’un côté, nous avons un label (B Corp) qui est garanti par une organisation internationale indépendante. De l’autre, nous avons un statut d’entreprise qui nécessite également la mise en place d’un suivi par un organisme indépendant.
Les deux ont des finalités très proches sur la gouvernance et la RSE notamment. On remarque certaines entreprises s’engager dans les deux voies, comme Danone ou le Groupe Rocher. Mais, ce qui me fait me poser la question, c’est cette phrase anecdotique dans un communiqué de presse de la Caisse d’Epargne Normandie. L’entité régionale a été labellisée B Corp en avril. Dans ce récent communiqué, on y lit :
Cette labellisation intervient dans le cadre de la Loi PACTE qui a donné un cadre législatif pour reconnaître le rôle sociétal de l’entreprise avec la notion d’«entreprise à mission» qui formalise les engagements des entreprises en matière de responsabilité sociétale et environnementale.
L’association entre le label B Corp et la loi PACTE m’interpelle. Est-ce un raccourci du service Médias ? Est-ce une confusion volontaire ? Je laisse le sujet en suspens, mais il ne serait pas étonnant que le label B Corp bénéficie indirectement de la loi PACTE. L’antenne française B Corp s’est d’ailleurs formée l’an dernier, mais le cabinet Utopies, labellisé depuis 2014, était jusqu’alors “country partner” et avait déjà commencé à fédérer la communauté en France dès 2015. Ce label est très engageant et demande, comme le statut d’entreprise à mission, une modification des statuts de l’entreprise. Je pense qu’une grande entreprise sera en mesure de jouer sur les deux tableaux, mais quid d’une PME dont les ressources humaines et financières sont plus limitées ? Quelle complémentarité entre les deux ? Comment peuvent-elles co-exister ? A suivre… Un avis ?
Autres infos
Dans le cadre d’une réorganisation juridique chez Saint-Gobain PAM, les syndicats auraient proposé à la direction que l’entreprise devienne une “société à mission”. Je n’ai pas plus d’infos, mais c’est intéressant que l’initiative vienne des syndicats. Une nouvelle carte que l’on reverra à l’avenir ?
Sabarot, PME familiale bicentenaire spécialisée notamment dans les légumes secs, les céréales les graines, vient d’annoncer qu’elle devenait “entreprise à mission”. Je vous laisse lire sa mission. Ce qui est intéressant dans le communiqué de presse, c’est la référence géographique :
Sabarot est fier d’être la première entreprise du département et l’une des premières PME de la Région Auvergne Rhône-Alpes à inscrire dans ses statuts une mission.
On sent l’ancrage territorial de l’entreprise et potentiellement la volonté d’inscrire cette démarche dans une stratégie de marque employeur. Une approche intelligente !
Et enfin, je conseille le manifeste de Fifth Wall, un fonds d’investissement américain spécialisé dans l’immobiliser, qui a décidé d’être labellisé B Corp il y a quelques semaines. C’est en particulier éclairant sur la posture que le fonds adopte : il s’agit d’être cohérent avec ses engagements et ses demandes vis-à-vis de ses participations mais également pour participer d’une dynamique plus large d’accompagner le secteur dans une prise en compte plus forte des objectifs de réduction d’émission carbone.
Du côté des idées…
Je souligne un article bien pensé de Quentin Mermet dans Les Echos. Il veut enterrer le débat qui amènerait à penser qu’il y aurait une opposition entre “l’actionnaire” et le statut d’entreprise à mission. Comme si ce dernier était anti-actionnaire. Son principal message est simple : tous les actionnaires ne seront en effet pas attirés par les entreprises à mission, mais elles pourront compter sur d’autres qui n’ont pas le profit comme seul objet d’investissement.
Ce dispositif est conçu pour envoyer un signal dont l’objectif est double : d’une part, attirer les investisseurs intéressés à l’idée de s’engager dans un projet au long cours et, d’autre part, dissuader les rachats motivés par le seul rendement de court terme.
Autrement dit, la "mission" est autant un attracteur qu’un repoussoir.
60 nuances de raisons d’être
Le cabinet b-harmonist a sorti une analyse sémantique très intéressante sur la raison d’être en étudiant comment 60 entreprises françaises la définissent. En moyenne, la raison d’être est définie en 22 mots. L’étude classe les raisons d’être en trois grands styles :
le style incisif : phrases très courtes et punchy avec un verbe pour commencer
le style concis : souvent en deux phrases avec une argumentation venant en appui d’une proposition courte
le style volubile : ces entreprises développent une forme de storytelling pour leur raison d’être avec une mise en situation.
L’étude ne va pas jusqu’à répartir les masses dans les trois styles, mais vu la longueur moyenne, les styles incisif et concis prédominent. Cette impression est renforcée par le fait que 75 % des raisons d’être analysées ont une forme purement verbale.
Cinq grandes orientations se détachent dans les raisons d’être afin notamment de créer l’engagement :
l’action (ex : “construire du bien-être et des liens durables”)
la relation et l’accompagnement (ex : “connecter les hommes à la Nature pour les connecter à la Vie”)
la vision et la projection (ex : “imaginer, concevoir et concrétiser un futur durable”)
l’harmonie (ex : “des lieux où il fait bon vivre, habiter et travailler”)
la protection et la transmission (ex : “protéger et agir pour un futur serein”)
A la lecture de cette analyse, il apparaît que le travail sur la raison d’être relève souvent d’un travail proche de celui nécessaire pour définir la vision de son entreprise. Il faut être introspectif, puissant, clair, évocateur, distinctif et fédérateur. On ne peut donc pas se contenter d’une réunion en fin de journée pour déterminer la raison d’être de l’entreprise : il faut consulter les différentes parties prenantes internes et externes. Il faut itérer, tester afin de trouver les mots justes. Beaucoup des entreprises qui ont développé leur raison d’être n’en font pas un simple argument marketing ; cela révèle des actions menées par l’entreprise depuis longtemps. C’est une forme de phare qui permet aux collaborateurs de s’y raccrocher et à toutes les parties prenantes externes (clients, partenaires, actionnaires etc.) de se repérer.
Les vacances commencent pour moi, donc je vais essayer de maintenir le rythme hebdo, mais avec des contenus plus allégés…
Vos commentaires, likes et partages seront très appréciés !
A la semaine prochaine…
Vivien.
Bonjour,
Merci pour votre travail de veille sur ces sujets passionnants et donc l'actualité bouge si vite depuis quelque mois.
Je voudrais vous proposer de corriger deux petites erreurs qui se sont glissées dans votre billet du 24 juillet au sujet de B Corp. D'une part, la communauté française est née en 2014 avec la certification du cabinet de conseil en développement durable UTOPIES, qui a ensuite été "country partner", c'est à dire relai français de l'association européenne B Lab jusqu'à la création d'une antenne française l'année dernière. D'autre part, la certification B Corp exige bel et bien une modification des statuts de l'entreprise pour y intégrer la dimension d'impact socio-environnemental. Enfin, sachez que les frais de certification B Corp sont proportionnés au chiffre d'affaire de l'entreprise (beaucoup de petites et moyennes entreprises sont B Corp aujourd'hui) et n'interviennent que si l'entreprise dépasse le seuil de score exigé ET souhaite devenir B Corp, ce qui signifie que toute entreprise peut s'emparer et se servir gratuitement du questionnaire B Corp, disponible en ligne.
Je vous rejoins quant à la complémentarité entre label B Corp et statut de Société à Mission, la démarche de certification B Corp permettant notamment une large et multiple déclinaison concrète de la raison d'être, ce qui facilite, ancre et soutient une transformation de l'entreprise en Société à Mission.
Bonne journée,
Marie