#29 A quoi sert un comité de mission ?
Mes premiers éléments de réflexions / Actu chargée avec notamment Florim en Italie, EthicDrinks, Harmonie Mutuelle, French Impact, la RSE et les métropoles, KPMG UK et plein d'autres choses
Bonjour,
Bienvenue dans la 29e missive de la Machine à sens. Avant de commencer, je vous invite à lire l’entretien avec Jean-Pierre Richard, DG d’ESII. L’email est parti mercredi. Dans ce tout premier entretien mensuel, on y parle d’holacratie, de management, de RSE, de société à mission. Comme il est riche et long, vous pouvez le lire en plusieurs fois. Le rythme est mensuel, donc vous avez un peu de temps avant le prochain !
Cette semaine, je débute par une ébauche de réflexion qui m’anime ces jours-ci : à quoi sert un comité de mission ? Cette interrogation est liée à une conjonction d’événements. Je vais moi-même rejoindre un comité de mission. Ecofi vient d’annoncer que son comité éthique allait devenir “comité éthique et de mission”. Jean-Pierre Richard m’expliquait dans notre entretien que son comité de mission était pour le moment exclusivement composé de membres internes (c’est rare par rapport à ce qui se pratique pour le moment). Et en discutant avec Guillaume Desnoës - pour l’interview du mois de mars - on se disait que ce n’était pas évident d’animer un comité de mission.
Cet organe prévu par la loi PACTE est un objet sans forme pour le moment. Il est obligatoire pour les entreprises de plus de 50 collaborateurs et doit inclure au moins un représentant des salariés. Pour les plus petites structures, elles peuvent se contenter de ne nommer qu’un référent permanent. Le comité doit produire un rapport annuel joint au rapport de gestion de l’entreprise. Par ailleurs, il peut avoir accès à tout document nécessaire au bon suivi de la mission. C’est tout ce que la loi dit. Charge à l’entreprise donc d’en déterminer le fonctionnement et la composition.
C’est bien à ces deux niveaux que le flou s’installe. Les premières données de l’observatoire des sociétés à mission illustraient très bien la diversité des profils présents dans ces comités. Si la direction générale est présente dans trois-quart des cas, on retrouve dix autres catégories représentées plus ou moins fréquemment (un expert dans 54% des cas, les actionnaires à 44%, les collectivités à 12% etc.). On recommande souvent d’inclure différentes parties prenantes dans les comités de mission afin de refléter la raison d’être et les objectifs attenants. Mais ce n’est pas si facile que cela.
En effet, et c’est lié au point sur le fonctionnement, une fois qu’on a réuni plein de parties prenantes : que fait-on ? Chaque membre aura une connaissance plus ou moins fine de l’entreprise, ses actions, ses mécanismes, sa stratégie et son organisation. Chacun regardera les choses au travers de son prisme. Cela peut être autant source de richesses et de diversité que de discussions assez peu fertiles.
Par ailleurs, les pratiques varient aujourd’hui entre les entreprises qui rémunèrent les membres du comité de mission et celles qui ne le font pas (je n’ai pas de chiffres, mais je pense que c’est la majorité). Inévitablement, on arrivera à une conclusion proche de celle concernant les administrateurs indépendants : qu’ils soient formés s’avère indispensable pour qu’ils puissent avoir une parfaite valeur ajoutée.
Contrairement à une assemblée générale dont le fonctionnement est tout de même assez normé, point d’information sur le comité de mission. Certaines entreprises vont l’utiliser comme un conseil consultatif ou stratégique, surtout quand elles ne disposent pas de ce type d’organe. D’autres l’utiliseront comme une chambre d’enregistrement où toutes les initiatives sont présentées mais peu challengées faute de connaissance (ou d’implication) des membres. On peut multiplier les usages possibles. Dans certaines structures, le comité aura une activité fréquente ; dans d’autres, rarement plus d’une réunion par an sera prévue.
Il est aisé d’affirmer que c’est à l’entreprise de définir les objectifs de ce comité de mission et de nommer les personnes qui peuvent les servir au mieux. En théorie, c’est évident. En pratique, cela ne l’est pas. Nous n’avons aucun recul aujourd’hui pour savoir comment faire “bien” fonctionner un comité de mission, le “bon” niveau d’information recommandé, ce qu’est un “bon” membre de comité de mission etc.
En tout cas, il est certain que la direction doit choisir des membres dont elle accepte que les opinions tranchent des siennes. Elle doit instaurer un dialogue de transparence avec le comité, peut-être pas seulement avec les représentants des salariés. Et évidemment, les membres choisis doivent prendre le temps de s’investir pour être utile.
C’est une réflexion bien préliminaire, mais si vous faites partie d’un comité de mission, que vous avez un tout premier retour d’expérience ou que vous vous interrogez sur la composition de votre comité, je serais heureux d’échanger avec vous.
Passons au sommaire non exhaustif de la semaine :
On regarde côté italien avec un bel exemple inspirant dans la céramique
Et si le monde devenait plus responsable : c’est la mission d’EthicDrinks
Au tour d’Harmonie Mutuelle de s’emparer de la loi PACTE
Etat des lieux des B Corp en France
Le retour de boomerang pour le patron britannique de KPMG
Les métropoles et la RSE : Amsterdam comme role model et classement des métropoles françaises en la matière
Chronique de Un Pacte de Guillaume Desnoës
Le Balance Scorecard fait sa mue verte
Invitation à participer à deux enquêtes en cours qui valent le coup
Du côté des entreprises
DE LA CÉRAMIQUE RESPONSABLE. Je suis tombé par hasard sur le cas inspirant de Florim. 1400 collaborateurs pour 380 millions d’euros de chiffre d’affaires, ce groupe italien présent dans une vingtaine de pays vient d’être certifié B Corp après être passé società benefit l’an dernier.
Ce géant de la céramique a enclenché une profonde démarche RSE il y a une dizaine d’années qui est couronnée par ces deux évolutions récentes. Cela se traduit par une stratégie climat d’autant plus importante que Florim est dans un secteur très intensif en ressources et en énergie, par une attention aux territoires avec le soutien à différentes initiatives et structures locales et un management “d’aujourd’hui”. Je retrouve les mêmes marqueurs que chez Chiesi dont je vous parlais il y a quelques semaines.
En soi, leur démarche n’est pas hors du commun. Ce qui est encourageant, c’est que c’est une grosse ETI. Aujourd’hui, en France, les ETI B Corp et/ou sociétés à mission sont très peu nombreuses. La marge de progression est donc forte et nos homologues italiens montrent que c’est tout à fait faisable !
LE BON VIN FAIT PARLER MISSION. La start-up EthicDrinks passe à mission. Déjà labellisée B Corp, ce négoce du vin poursuit sa mission : changer ce métier de fond en comble. Vous connaissez mon petit tropisme pour ce liquide, donc je soutiens à fond ! Sa raison d’être : “rendre le monde du vin plus respectueux de l’environnement en s’inscrivant dans une démarche de développement durable pour la planète et pour les consommateurs”. Elle se fixe cinq objectifs : limiter et compenser les émissions de CO2 ; éliminer le plastique dans les produits et les emballages ; réaliser des actions en faveur de l’environnement ; commercialiser uniquement des vins ayant un label certifié ; et agir pour la préservation de la biodiversité.
L’ambition d’EthicDrinks est très claire et bien portée par sa raison d’être et les objectifs qui la sous-tendent. Mon seul point d’attention est que les objectifs sont très tournés vers des choix et des actions internes, tandis que la raison d’être inclut une dimension écosystémique d’évolution “du monde du vin”, qui est quasi absente des objectifs.
PORTRAIT D’UN DÉSORMAIS MAL-AIMÉ. Pour beaucoup d’entre nous, Emmanuel Faber a valeur d’inspiration. Mais depuis plusieurs semaines, ses détracteurs s’en donnent à cœur joie. C’est le constat que je fais à la lecture de ce portrait publié dans Le Figaro.
LES MUTUELLES NE S’ARRÊTENT PLUS. Si j’étais à la tête d’une mutuelle, je commencerais à me demander si je souhaite rester la brebis galeuse qui reste en dehors des débats sur la raison d’être et la société à mission. Après la Maif, la Macif, la MGP, Malakoff Humanis et d’autres encore, c’est désormais Harmonie Mutuelle qui prend le pli de la loi PACTE, annonçant vouloir devenir société à mission lors de sa prochaine AG en juillet.
Vous pouvez contribuer à leur consultation publique jusqu’au 15 mars via ce site.
B CORP EN FRANCE. Désormais aussi présente au quotidien sur BFM Business, Cyrielle Hariel s’est penchée sur le label B Corp en France. Etat des lieux en 1’40’’.
VOILA, VOILA. Le boss de la branche britannique de KPMG vient de découvrir l’effet boomerang. Suite à un échange vidéo avec 1500 collaborateurs dans lequel il leur disait “d’arrêter de se plaindre” et de “jouer les victimes” en raison du confinement, Bill Michael a été forcé de démissionner. Je me dis qu’il aurait du écouter ce podcast sur l’intelligence émotionnelle. Cela lui aurait peut-être permis d’éviter cette situation…
En tout cas, c’est un exemple parfait pour démontrer que le rapport de force s’inverse. Si ça se passe même dans les Big Four, cela devient clairement une tendance de fond !
LA QUÊTE DES LABELS. Le label ne fait pas le moine, mais il lui donne un premier aperçu plus attrayant. C’est ainsi que je vois le positionnement de Laudescher, PME normande dans habillage bois. Dans une logique de valorisation de l’entreprise, elle postule à plusieurs labellisations, dont Entreprise du Patrimoine Vivant et B Corp.
Pour EPV, l’objectif est clair : « Le label EPV, de plus en plus connu, est une distinction importante à la fois pour notre notoriété, le recrutement de nos futurs collaborateurs, mais aussi pour notre développement à l'international. Cela permet d'intégrer des réseaux et de mieux chasser en meute sur certains marchés. » C’est donc la reconnaissance du savoir-faire qui est visé. Pour B Corp, il s’agit davantage de la partie RSE.
L’approche est intelligente. La forêt de labels peut avoir un effet repoussoir. Autant commencer sa réflexion dans l’autre sens : “il y a des bons labels pour tout, mais qu’est-ce que je cherche vraiment à valoriser ? Quels labels pourraient répondre à ces besoins ?” Un label n’est pas un gage vertueux ; il doit vraiment refléter une réalité de l’entreprise. Sinon, vous finissez comme Lou Yetu…
Du côté de la politique
AMSTERDAM, ROLE MODEL. Je parle beaucoup des entreprises dans cette newsletter, mais aussi vertueuses et ambitieuses peuvent-elles être, l’impulsion et l’accompagnement des pouvoirs publics sont souvent des accélérateurs. C’est la dynamique initiée depuis cinq ans à Amsterdam autour du programme “Amsterdam Impact”. Cette initiative vise à faire de la ville néerlandaise un hub de l’entrepreneuriat social grâce à financements, des infrastructures, des programmes d’accompagnement, de la visibilité etc. D’une petite initiative regardée avec un certain scepticisme, c’est devenu un élément d’attraction phare sur lequel la ville souhaite continuer de déployer des ressources. Elle souhaite même promouvoir l’idée à l’international via différents réseaux.
Comme souvent, les collectives locales sont plus agiles pour prendre des initiatives, consacrer des ressources et passer à l’acte. Les résultats sont effectivement visibles rapidement et la spirale du succès s’enclenche instantanément.
ET EN FRANCE ? La fondation Oïkos vient de sortir un classement des métropoles françaises les plus RSE. Il s’agit de voir les grandes villes françaises dans lesquelles sont implantées des entreprises de plus de 200 collaborateurs ayant une politique RSE. Recensement loin d’être évident à effectuer, mais la fondation a adopté une méthodologie qui, à défaut d’être parfaite, permet de faire émerger une photographie intéressante d’écosystèmes RSE.
Alors qui domine ? Si vous lisez La Machine à sens depuis un moment, vous ne serez pas surpris d’apprendre que c’est… Nantes ! Ca vient confirmer mon intuition d’un superbe écosystème dans la capitale de Loire-Atlantique. Viennent loin derrière Lyon et Bordeaux. Sans grande surprise, Paris est très loin…
Citation de la semaine
“Pour faire grandir une économie vertueuse à travers et au-delà de l’ESS, il apparaît nécessaire d’incorporer au plus vite des variables extra-financières au bilan des entreprises : l’entreprise à impact positif ne doit pas être simplement le meilleur choix éthique, mais aussi la meilleure option économique.
(…) Mesurer est primordial, mais pour que la mesure ait un impact, elle doit trouver sa place dans les bilans des entreprises. Cela peut apparaître arbitraire ou subjectif de donner une valeur aux impacts écologiques et sociaux d’une structure. Mais n’en va-t-il pas déjà ainsi lorsqu’on valorise financièrement les apports en nature, en industrie et en capitaux immatériels d’une entreprise ?” (Extrait de la tribune collective signée par French Impact parue dans Le Monde)
Du côté des idées
CHRONIQUE DE “UN PACTE. ET SI LES ENTREPRENEURS AVAIENT LEUR SERMENT D’HIPPOCRATE ?” Il y a quelques semaines, je vous parlais de la sortie de l’ouvrage Un Pacte (éd. Phronesis) de Guillaume Desnoës. Dans ce court essai, le co-fondateur d’Alenvi promeut une vision presque morale : “un pacte engageant entre la société et les entrepreneurs, qui nous reconnecte avec notre héritage civilisationnel”.
Pour l’auteur, cela passe par une profonde réflexion autour de trois rôles de l’entrepreneur : moral, institutionnel et économique. Guillaume Desnoës considère que seule la conjugaison de ces trois rôles peut amener aux changements nécessaires. C’est une vision que certains trouveront utopique, mais qui a le mérite de la clarté.
Le rôle moral de l’entrepreneur implique qu’il participe activement et vertueusement à l’animation d’une communauté humaine.
Son habit institutionnel est avant tout juridique. Avec l’avènement des statuts modernes et notamment la Société Anonyme, il y a une dissociation entre l’entreprise et ses dirigeants, ce qui peut créer une déresponsabilisation. Celle-ci peut être salutaire dans certains cas, mais peut conduire à des comportements moins éthiques. Bien que je comprenne très bien son argument, je nuancerais, car un très grand nombre d’entreprises en France ne sont pas des SA et pour beaucoup, l’actionnariat est souvent limité créant une logique patrimoniale forte et donc un lien parfois extrême entre le dirigeant propriétaire (ou quasi) et l’entreprise. G. Desnoës considère toutefois que cette déresponsabilisation peut également créer un “potentiel fabuleux”, car elles peuvent porter des missions plus grandes que les individus.
Enfin, le rôle économique appelle à élargir le champ des indicateurs économiques, aujourd’hui principalement financiers. Pour G. Desnoës, il faut les élargir en intégrant d’autres dimensions environnementales, sociales et sociétales. C’est un grand débat actuel sur les normes extra-financières.
Au final, cet ouvrage empreint de références historiques ouvre un débat pertinent et utile. En une soixantaine de pages, Guillaume Desnoës donne beaucoup de matière à réflexion et conclut avec un certain nombre de recommandations, dont l’obligation d’avoir une raison d’être statutaire pour les grandes entreprises, créer un musée de l’entrepreneuriat ou encore enrichir les parcours scolaires de parcours d’entrepreneurs.
J’aurai le plaisir de vous proposer l’entretien de mars avec Guillaume.
LE BALANCE SCORECARD SE MODERNISE. Le Balance Scorecard et la Strategy Map sont deux outils que n’importe quel consultant, étudiant d’écoles de commerce ou toute personne intéressée par la stratégie d’entreprise a déjà croisés. Kaplan et Norton les ont lancés en 1992 et ils reflètent leur époque : comment construire et faire évoluer une stratégie et une organisation qui permettent de maximiser le profit.
Mais, les choses ont beaucoup changé depuis et pour que l’outil reste pertinent et de son temps, Robert Kaplan le fait évoluer, notamment à la lumière de l’utilisation que certaines entreprises en ont fait. L’objectif est d’inclure les dimensions sociales et environnementales afin de mettre en avant le “triple bas de bilan” (triple bottom line). Cette nouvelle version adopte l’approche du “stakeholder capitalism”, puisque le client (et les actionnaires) ne sont plus les seules parties prenantes incluses dans les réflexions.
L’adaptation d’outils nés dans les 30 dernières années va se généraliser. C’est le cas du Business Model Canvas également. C’est une bonne nouvelle, car ils deviennent rapidement des références pour les consultants, les entrepreneurs et dans les écoles de commerce. Bref, le “biberonnage” d’outils plus vertueux et non strictement focalisés sur la maximisation du profit peut inaugurer un changement d’état d’esprit fort.
LA RSE FAIT PLUS QUE SURVIVRE. Face à la crise, on pourrait s’interroger sur la vivacité des démarches RSE. Dans un papier collectif (merci Antoine pour l’avoir relayé), les auteurs multiplient les exemples de PME et d’ETI qui ont maintenu leurs démarches RSE, mais les ont même accélérées, notamment sur le volet social.
LUMIÈRE SUR DEUX ENQUÊTES. Je mets en avant deux enquêtes en cours. La première a été initiée par le cabinet 3-Com sur “l’identité des organisations françaises”. La cible est plutôt TPE/PME/ETI après avoir fait le même exercice l’an dernier plutôt du côté des grands groupes.
La seconde est une initiative internationale menée par trois cabinets français, allemand et britannique. Le projet s’intitule “Future Study : de quelles forces les entreprises ont-elles besoin dans un monde en mutation ?”.
Prenez le temps d’y répondre, c’est toujours important !
Mon son de la semaine
Comme il fait froid, prenons la direction du Nord pour aller au Danemark découvrir Yung. Du bon indie rock bien inspiré et entêtant ! “Such a Man” tourne en boucle en ce moment.
C’est tout pour cette semaine. Merci de votre lecture ! N’hésitez pas à me faire vos commentaires, retours, recommandations par email ou via LinkedIn. Et partagez cette newsletter auprès de votre réseau. Je suis sûr que deux personnes que vous connaissez pourraient être intéressées.
A vendredi prochain,
Vivien.