#34 Les entreprises doivent endosser la responsabilité d'être des rôles modèles
Egalement filiale française à mission c'est possible; Harmonie Mutuelle change tout; Typology passe B Corp pour aller aux US; investisseur vert mais pas dans les ENR et beaucoup d'autres actus...
Bonjour,
Bienvenue dans la 34e missive de La Machine à sens.
Dans l’édito de la semaine, je vais vous parler des entreprises rôles modèles. Habituellement, les rôles modèles sont des personnes. Le concept est né aux Etats-Unis et même s’il n’est pas extrêmement bien borné, il s’appuie sur plusieurs fondamentaux.
Tout d’abord, un rôle modèle est un miroir inspirant pour les autres : c’est par ses actions - positives ou négatives - qu’il inspire les autres. Il renvoie une image que les autres ont envie d’imiter.
Ensuite, le rôle modèle “idéal” est aligné entre les mots et les actes. Le pire est en effet une dissonance totale entre les deux ; mais peut-on alors parler de rôle modèle ? Une autre possibilité est d’appliquer aux autres les bons conseils que l’on n’arrive pas à s’appliquer. Cette ambiguïté n’est pas forcément bénéfique, car elles envoie des signaux contradictoires.
Enfin, le rôle modèle peut soit inspirer sur un aspect spécifique (on utilise souvent l’exemple d’un professeur de droit qui va inciter ses élèves à être de meilleurs avocats), soit de manière globale (l’exemple des parents est souvent invoqué).
Cette notion est beaucoup moins mobilisée pour parler des entreprises. Peut-être cela peut-il soulever une crainte de supériorité mal placée ou bien de conférer une dimension à l’entreprise qu’elle ne cherche pas à incarner.
Lorsque le dosage est bien trouvé, c’est pourtant une trajectoire qui paraît très pertinente à plusieurs niveaux et que certaines entreprises empruntent déjà consciemment ou non.
Quand on décide d’afficher une qualité de société à mission, d’être labellisé B Corp ou autres, on rentre dans une démarche d’exemplarité à l’égard de tout son écosystème. Dans tous les cas de figure, on s’expose et on endosse une responsabilité supplémentaire. On peut choisir de taire cette responsabilité au maximum ou accepter de l’incarner pleinement sans tomber dans le moralisme déplacé.
La volonté peut donc être claire et affichée. Grove Collaborative, groupe américain spécialisé dans les produits d’entretien et de soin, vient de passer Public Benefit Corporation, rejoignant une toute petite cohorte d’entreprises. Cette démarche s’inscrit dans une tradition de conception éco-responsable et une politique RSE très forte, mais elle va au-delà. Comme l’a déclaré Stuart Landesberg, PDG de l’entreprise, “le monde a plus que jamais besoin d’entreprises à mission. Notre espoir est que l’engagement de Grove inspire d’autres entreprises à prendre conscience que le succès et l’impact positif peuvent, et même doivent, co-exister.”
On voit bien que l’envie de Grove est de sensibiliser son écosystème à ces enjeux, voire de les encourager à les imiter. L’entreprise s’affirme comme un rôle modèle. C’est une démarche que l’on retrouve également explicitement chez beaucoup d’entreprises qui sont certifiées B Corp - cette démarche prescriptive. On voit des sections locales créées par des dirigeants B Corp pour diffuser la bonne parole. Cela peut prêter à du prosélytisme, tant l’engagement dans ces démarches vertueuses est porté par des convictions fortes qui dépassent les murs de l’entreprise.
Les initiatives d’Alenvi pour transformer le secteur de l’assistance aux personnes de grand âge sont un autre exemple. C’est ce que Guillaume Desnoës, son co-fondateur, m’expliquait dans notre entretien et qui a amené l’entreprise à créer un collectif avec d’autres structures pour pousser le changement au niveau national.
Plus original, le positionnement de certaines start-ups B Corp comme Phenix. Dans un entretien pour Bpifrance Le Hub, Jean Moreau, son fondateur, explique : “Notre rôle, c’est d’ouvrir le chemin pour que les très grandes entreprises, celles qui par l’ampleur de leurs activités changent la donne, s’engouffrent dedans et changent, in fine, le monde dans lequel nous vivons pour le rendre plus soutenable et plus solidaire”. Un peu comme les start-ups sont des poils à gratter pour l’innovation vis-à-vis des grands groupes, il pourrait en être de même sur les sujets d’engagement.
Cette posture est moins fréquente, mais intéressante. Souvent, les rôles modèles sont soit plus expérimentés ou plus senior. A l’échelle de l’entreprise, on peut donc s’attendre à ce que les rôles modèles soient plutôt des acteurs bien établis, connus et respectés. Phenix adopte une approche plus audacieuse : l’agilité organisationnelle des petites structures et “la nouvelle génération d’entreprises” que les start-ups incarneraient peuvent inciter à faire bouger les lignes dans les plus grandes entreprises où le changement est lent et les structures lourdes.
Mais il y a également beaucoup d’entreprises qui jouent ce rôle plus inconsciemment, dans le sens où elle ne le choisisse pas. Quand un acteur d’un secteur est le premier à adopter la qualité de société à mission ou d’être certifié B Corp par exemple, l’enjeu du rôle modèle est tout aussi similaire, notamment si l’entreprise est un acteur d’une certaine taille. Soudainement, cette entreprise est regardée par le secteur - ses concurrents, ses partenaires, ses fournisseurs : pourquoi se sont-ils engagés dans cette voie ? Qu’en retirent-ils ? Si eux l’ont fait, pourrait-il y avoir un intérêt pour nous ? etc.
L’entreprise pionnière peut décider de ne pas surfer sur cette vague d’intérêt. Dans ce cas, ceux qui continueront à la scruter, voire à l’interroger, seront ceux qui avaient juste besoin que quelqu’un ouvre la voie pour s’y engouffrer. Les autres continueront leur chemin.
En revanche, elle peut prendre conscience de ce nouveau statut de rôle modèle et l’incarner pleinement. Cela passe par de la sensibilisation auprès d’un écosystème proche, de prises de position dans des fédérations professionnelles, voire à accepter d’être une sorte de laboratoire à ciel ouvert pour des confrères. FAVI a beaucoup joué ce rôle sur le sujet des entreprises libérées.
Nous sommes à un moment où beaucoup d’entreprises se posent des questions et sont mises sous pression par leurs parties prenantes. Pour que ce moment marque un pivot vers un rôle plus important et engagé des entreprises dans la société, que le capitalisme vertueux devienne la norme, il faut que ces rôles modèles s’affirment et endossent cette responsabilité.
Dans tous les débats sur l’engagement des entreprises, on parle toujours des volets environnementaux, sociaux et sociétaux, mais cet engagement passe également par des actions auprès d’autres entreprises, que ce soit dans son secteur (concurrents, partenaires, fournisseurs) et au-delà (via des associations locales, des clubs de dirigeants, des interventions publiques etc.). La dynamique positive sera alimentée par cet engagement entre entreprises.
Au sommaire :
On peut être une filiale française et passer à mission
Le débat peu fructueux chez certains mutualistes
La super nouvelle direction d’Harmonie Mutuelle
Etre vert sans investir dans les ENR
Passer B Corp pour aller aux US
Ca recrute dans la RSE
Formation pour dirigeants cherchant à comprendre de quoi on parle
La RSE, c’est du sérieux
Le changement par les citoyens
Mon son de la semaine : “Narrator” de Squid
Bonne lecture ! N’hésitez pas à liker, partager et commenter. Merci !
Du côté des entreprises
LE CAS DES FILIALES FRANÇAISES. Quand on est à la tête de la filiale française d’un groupe étranger, sa marge de manœuvre en termes de stratégie de développement est souvent limitée. Le pilotage est assuré par le siège et la direction France exécute. Aller parler de la société à mission à un groupe américain, japonais ou même espagnol n’est pas chose aisée…
Ce n’est toutefois pas le cas partout, surtout quand le groupe en question est lui-même engagé dans une démarche de transformation. L’exemple le plus emblématique (aussi parce que c’est le seul à ma connaissance), c’est Chiesi, le groupe pharmaceutique italien. Je vous en ai déjà parlé : ils sont società benefit et désormais B Corp.
Rien de plus naturel donc que sa filiale française s’engage dans la voie de la société à mission, qualité qu’elle devrait acquérir prochainement.
Mais, c’est plus délicat lorsqu’il n’y a pas forcément cette dynamique insufflée par le siège. C’est pourtant le pari qu’a annoncé Arnaud Naudan, nouveau président de BDO France, un cabinet international d’expertise comptable. “Les esprits sont en train de changer surtout sur le rôle des auditeurs et des experts-comptables. Les dirigeants ont vu encore plus l'utilité de nos métiers durant cette crise”, a-t-il déclaré aux Echos.
L’objectif est de passer à mission d’ici la fin de l’année. Cela me paraît très ambitieux s’il souhaite faire un processus sérieux et approfondi. Plus l’entreprise est grande (en l’occurrence 1500 collaborateurs en France), plus le chantier est long. Tout conclure en à peine un an est donc fort audacieux, surtout qu’il faut gérer les relations avec la maison mère, implanté en Allemagne qui n’a aucun équivalent à la société à mission. A suivre…
PERPLEXE. La Macif a annoncé sa raison d’être l’an dernier (missive #11), mais ne passera pas à mission. Jean-Philippe Dogneton, son directeur général, l’a répété dans un entretien pour Influencia. Pourquoi ?
Nous nous sommes posés la question lorsque nous réfléchissions à notre Raison d’être. Devait-on nécessairement rentrer dans la loi Pacte et devenir une entreprise à mission alors que naturellement, nous l’étions déjà ? C’est la raison pour laquelle nous nous sommes contentés de formaliser notre Raison d’être sans aller jusqu’à l’entreprise à mission et de l’utiliser comme boussole pour guider les travaux de notre futur plan stratégique.
Je reste encore dubitatif face à cette idée que “naturellement”, une entreprise est à mission. Ce n’est pas parce qu’on fait partie de l’ESS que l’on est forcément vertueux ou qu’on se fixe des objectifs ambitieux ou que la gouvernance d’entreprise est adaptée pour tenir la raison d’être. Il n’y a pas de logique transformante à la raison d’être seule : c’est du more of the same.
Surtout, le “naturellement” ne l’est pas. Ce n’est pas parce qu’une entreprise est mutualiste, agit comme un opérateur au nom de l’Etat, dispose d’une délégation de service public qu’elle est naturellement à mission. C’est une démarche d’amélioration continue, un cercle vertueux qui doit être en permanence alimenté, un challenge permanent de ses actions pour viser toujours mieux.
LE CHANGEMENT C’EST MAINTENANT. Pas le même son de cloche du côté d’Harmonie Mutuelle qui va passer à mission lors de sa prochaine AG début juillet (missive #29). Et la démarche est effectivement transformante.
Une nouvelle organisation vient d’être annoncée. Je note en particulier la création d’une direction “nouveaux modèles” qui a pour but “de mener la transformation de la mutuelle en entreprise mutualiste à mission, de piloter les activités d’action sociale, d’ingénierie sociale et de prévention, d’accélérer la capacité de la mutuelle à innover”. Super initiative ! Hyper stimulant !
ETRE VERT DIFFÉREMMENT. Parnassus Core Equity Fund est le plus gros fonds ESG de private equity aux Etats-Unis et pourtant il ne détient aucune participation dans les énergies renouvelables. Cela lui vaut quelques critiques outre-Atlantique.
Sa position : aucune entreprise cotée dans les ENR ne remplit ses critères d’investissement (entendez : est suffisamment énorme). En effet, Parnassus est un très gros investisseur. Surtout, sa stratégie est plutôt d’investir dans des très grandes entreprises qui prennent des engagements climatiques. Raison pour laquelle ils investissent chez Deere, le géant des tracteurs qui travaille énormément sur l’agritech afin de réduire le recours à l’eau par exemple, ou récemment chez Amazon, qui s’est engagé à passer neutre en carbone d’ici 2040. Stratégie assez différente de beaucoup de fonds.
B CORP POUR ALLER AUX US. Typology est une jeune marque française de cosmétiques lancée en 2018. La DNVB prône les clean labels depuis le début sur un marché en explosion. Ils ont récemment été certifiés B Corp. Une des motivations : se faire accepter sur le marché américain où ils viennent de se lancer, comme l’explique son fondateur Ning Li au Journal du Net. En effet, il estime que la labellisation a beaucoup de valeur aux Etats-Unis. Approche intéressante !
LA RSE NE CONNAIT PAS LA CRISE. Si la crise sanitaire a marqué un coup d’arrêt dans le recrutement des cadres dans pas mal de domaines, la RSE n’en fait pas partie, selon un article de Novethic. Il semblerait au contraire que la tendance soit à l’accélération du recrutement de profils assez pointus, sur la neutralité carbone, la taxonomie européenne etc.
Beaucoup de ces recrutements sont liés soit à de nouvelles réglementations, soit à des engagements pris par les entreprises. Dans les deux cas, cela se traduit par des budgets accrus pour les directions RSE et développement durable et donc des recrutements à la clé.
Citation de la semaine
Une étude a montré que les entreprises engagées sur des sujets sociétaux sont deux fois plus la cible des fonds spéculatifs que les autres. Parce que ce genre d’engagement public alerte sur le fait que vous ne maximisez pas forcément le profit à court terme : pour peu que votre gouvernance soit fragile ou que votre communication financière ne soit pas convaincante, les fonds sont alors dans une situation idéale pour faire un raid…
En résumé, il ne faut pas être au milieu du gué avec un discours sociétal ou environnemental innovant… et une stratégie financière peu lisible?
Lorsqu’un dirigeant s’affiche sur sa responsabilité sociétale, il s’expose. Et il ne doit pas avoir deux discours, ni d’actions contradictoires. Il faut dix ans pour qu’une entreprise se transforme en un leader dans cette démarche, c’est long. Cela demande idéalement d’être accompagné par des actionnaires de long terme…
(Entretien d’Elisabeth Laville dans Challenges)
Du côté des idées
PAR OU COMMENCER ? La Communauté des entreprises à mission, en partenariat avec makesense et Corporate for Change, lancent une formation-action à destination des dirigeants d’entreprise qui souhaiteraient se lancer dans la démarche de société à mission sans forcément passer par du conseil ou au moins pour savoir par où commencer. La formation débutera le 21 avril et s’étalera jusqu’à l’automne. Toutes les infos ici.
DEUX ANS DÉJÀ. La radio RCF a consacré une excellente émission sur les deux ans de la loi PACTE avec Anne-LaureGuiheneuf, de l’agence Declic à Nantes, Ingrid Berthe, Co-fondatrice de l'agence B Side, et SebastienBolle, président de l'agence RESO2D.
LE CHANGEMENT PAR LA RSE. Face à la vague RSE qui commence à prendre une réelle ampleur, les entreprises n’ont qu’un choix : reprendre tout depuis le début. C’est en tout cas l’approche soutenue par Peter Bryant co-fondateur du Development Partner Institute, et Jessica Long, managing director de Closed Loop Partners.
En effet, ils considèrent que face à la montée en puissance de la RSE, les entreprises ont trois options : traite la RSE sous le prisme de la conformité et du risque ; faire un repackaging de l’existant sans changer grand chose ; repartir de la page blanche pour intégrer la RSE au cœur de la stratégie de l’entreprise.
Selon eux, cette dernière option est nécessaire, mais pour se matérialiser, elle nécessite un changement d’état d’esprit très fort qui appelle à de nombreuses initiatives, parmi lesquelles l’engagement avec les différentes parties prenantes et l’utilisation des ODD. Pas révolutionnaire, mais le cadre d’analyse est pertinent.
LE CHANGEMENT PAR LES CITOYENS. Un autre article dans la Harvard Business Review vient compléter le précédent. Michael O'Leary et Warren Valdmanis, auteurs d’un nouvel ouvrage Accountable: The Rise of Citizen Capitalism, formule trois recommandations face à la vague RSE :
1/ que les entreprises rendent publics leurs actions en matière de RSE en utilisant des indicateurs clairs et standardisés. On en revient au débat sur la normes extra-financières qui sont en débat en ce moment.
2/ que les clients, collaborateurs et actionnaires soient très vigilants face aux actions des entreprises et les tenir responsables. C’est davantage une question de mouvement d’ensemble qu’une initiative en particulier.
3/ que les entreprises franchissent le pas en passant B Corp ou société à mission - oui, les auteurs parlent bien de la qualité.
Pour eux, ces trois recommandations sont un moyen de transformer le capitalisme en profondeur. Ils estiment que si “les entreprises ne transforment pas le capitalisme ; il sera transformé pour eux”. Pas sûr de bien comprendre cette phrase, notamment à la lumière de la troisième recommandation, mais je comprends l’idée qu’ils espèrent une approche globale incitant, voire imposant aux entreprises de se transformer.
Mon son de la semaine
Squid est probablement un des meilleurs groupes de rock dont vous n’avez jamais entendu parler ! Il ne sorte que des singles depuis près de trois ans. Les morceaux sont longs, hargneux, déroutants et juste incontournables. La preuve avec “Narrator” sorti en début d’année. Je vous mets la version “courte”.
C’est tout pour cette semaine. Merci de votre lecture ! N’hésitez pas à me faire vos commentaires, retours, recommandations par email ou via LinkedIn. Et partagez cette newsletter auprès de votre réseau. Je suis sûr que deux personnes que vous connaissez pourraient être intéressées.
A la semaine prochaine pour la 35e missive,
Vivien.