"Le secteur du prendre soin va peut-être devenir la high tech d’hier" (Guillaume Desnoës, co-fondateur d'Alenvi)
Entretien de mars : Guillaume nous parle de la volonté de changer un secteur, d'innovation managériale, de société à mission, de revaloriser un métier et de la relation avec les actionnaires
Bonsoir,
Je publie enfin l’entretien du mois. Et quel échange ! J’ai entendu Guillaume Desnoës, co-fondateur d’Alenvi, lors du salon PRODURABLE en septembre dernier. Je l’avais trouvé passionnant. Alenvi est une start-up fondée en 2016 dans le secteur de l’accompagnement des personnes de grand âge active en Ile-de-France et sur Lyon. Il est également auteur d’Un Pacte, essai passionnant sur l’entrepreneur d’aujourd’hui.
Dans cet entretien, nous parlons d’une envie de gérer une entreprise différemment, de changer un secteur trop marqué par une approche tayloriste, de l’approche collective pour transformer le métier, de la manière dont l’entreprise a développé très tôt une activité de formation, du débat entre le label ESUS et la qualité de société à mission, et de l’importance de bien choisir ses fonds d’investissement.
Bonne lecture ! Pour un Français sur trois, vous aurez un peu plus de temps à partir de samedi…
En me renseignant sur Alenvi, j’ai l’impression que tes associés et toi avez fondé votre entreprise pour changer le secteur de l’accompagnement des personnes.
Oui, complètement. C'est ce qu'on revendique, en tout cas. Notre raison d'être, c'est d'humaniser l'accompagnement des personnes qui ont besoin d'aides et de soins. C'est faire changer un secteur. On dit souvent que notre but n'est pas de faire une entreprise qui marche mieux que les autres et de s'en gargariser.
Au tout début, dans notre phase de preuve de concept, on s'est employé à faire fonctionner différemment un modèle d'organisation du travail, avec une valorisation plus forte des professionnels, mais on ne s'est pas immédiatement dit que nous faisions ça pour changer le secteur.
Je dirais que cette ambition est venue en avançant, en voyant la différence entre la manière dont on fonctionnait par rapport à d’autres. Puis, on s'est aussi senti pousser des ailes, peut-être grâce justement à ce nouveau type de véhicules, le cadre qu'on utilise qui est une société à mission.
Si on repart un peu en arrière, qu'est-ce qui, vous trois, vous a intéressé dans ce secteur-là, en particulier, de l'accompagnement des personnes de grand âge ?
Si on revient même peut-être encore plus en arrière, tous les trois, avec Thibault et Clément, on était à HEC ensemble il y a une grosse quinzaine d'années. Eux ont des expériences dans des grands groupes. Ils manageaient des équipes assez importantes. Moi, j'ai plutôt eu une expérience de création d'entreprise, déjà dans un domaine avec du sens, puisqu'il s'agissait de créer un nouveau mode de collecte de fonds pour les associations caritatives.
Je trouve que le terrain entrepreneurial est un beau terrain de jeu parce qu'il offre des outils très puissants pour changer la société.
Pourquoi l'envie après ces différentes expériences ? A titre personnel, créer une entreprise pour créer une entreprise, ça ne m'a fondamentalement jamais intéressé. Il fallait que je crée une entreprise pour répondre à un problème social, sociétal. C'est ce que j'ai fait avec Alvarum sur la collecte de fonds. Même historiquement, quand j'étais à HEC, j'étais plutôt intéressé par la politique. J'ai cette fibre de l'action politique, mais je trouve que le terrain entrepreneurial est un beau terrain de jeu parce qu'il offre des outils très puissants pour changer la société.
Dans le secteur caritatif, on avait travaillé pour apporter une innovation, qui dure toujours aujourd'hui avec la course des héros. Mais j'avais une frustration : j'avais l'impression qu'on avait apporté une innovation, mais qu'il n'y avait pas de vague exogène, externe, qui faisait que cette innovation pouvait prendre une ampleur importante, parce qu'il n'y avait pas de dynamique très forte dans le secteur du caritatif.
Si je prends Thibault et Clément, leurs motivations viennent évidemment d’expériences personnelles, familiales, avec la vulnérabilité, avec la perte d'autonomie de personnes âgées. C'est vraiment un point qui a cristallisé les choses, qui nous a fait nous intéresser à ce secteur en 2016.
Mais je dirais en plus que Clément et Thibault ont été biberonnés de formation à l'innovation managériale chez Sodexo et Leroy Merlin, où ils travaillaient. Malgré tout, dans leur vécu de managers, ils n'avaient pas forcément l'occasion de mettre en œuvre tout ce qu'ils voyaient comme nouvelles manières de manager. C'est ce mix de ressenti chez eux, chez moi, et la sensibilité à prendre soin, à la perte d'autonomie qu'on a pu avoir dans des expériences personnelles. Moi, en l'occurrence, c'était dans ma belle-famille, où il y avait des grands-mères à accompagner, et je voyais que c'était compliqué côté aidant familial.
Et aussi, un constat un peu macro, où on avait l'impression que dans ce secteur de l'accompagnement du grand âge, finalement, il y avait beaucoup de monde pour essayer d'imaginer la solution qui allait résoudre tous les problèmes des personnes âgées. Mais vraiment, se poser la question de "Qu'est-ce qu'on peut changer dans la manière d'accompagner un professionnel, pour le mettre dans les meilleures conditions possibles pour accompagner la personne ?", ce n’était pas au cœur des priorités d'innovation.
On s’est donc dit que notre combinaison d'expériences managériales, d'expériences start-up, en innovation, pouvait peut-être produire quelque chose d'intéressant.
Comment vous êtes-vous dit qu’il y avait un travail important en matière d’innovation managériale ?
Dès le début, on a vu qu'il y avait un nœud… Avant même de démarrer l'activité, on a rencontré des dizaines d'auxiliaires de vie. On a aussi rencontré des gens qui avaient dirigé ou qui dirigeaient des structures d'aide à domicile. On s'est forgé un constat, qui n'a pas varié : le monde des auxiliaires de vie, c'est un peu le monde ouvrier du début du XXe siècle.
C'est vraiment le résultat d'un système qui, d'une part, a précarisé. En voulant répondre de manière massive aux besoins d'accompagnement, on a appliqué des logiques tayloristes industrielles. On s'est dit : "Il y a un coût de production, il faut qu'il soit variable et le plus faible possible, donc tout le monde est au SMIC, et puis il y a 70 % de temps partiel subi".
Ensuite, comme on a des conditions très difficiles, on part du postulat, évidemment faux, que les gens qu'on arrive à attirer, globalement, ne sont pas bons à grand-chose. On les forme de manière extrêmement mécaniste ; on va réduire le métier à une liste de tâches à faire et qui soient contrôlables. Mais c'est complètement contradictoire avec la réalité de ce métier, qui est un métier de lien humain et où l'attendu n'est pas une liste de tâches, mais c'est la création d'un lien humain.
Une auxiliaire de vie n'est pas une professionnelle du ménage ou de la préparation des repas, c'est une professionnelle de l'empathie.
Et puis, évidemment, c'est avec une logique contrôlante, donc un mode de management très pyramidal, où vous avez des personnes dans des bureaux qui font des plannings, et qui disent aux auxiliaires à quelle heure et où ils doivent aller, et qui leur tapent sur les doigts quand ils ne vont pas à la bonne heure pointer chez la bonne personne. Je caricature un peu, parce qu'évidemment toutes les structures d'aide à domicile ne sont pas dans un fonctionnement aussi extrême. Mais, cela nous a paru choquant que l'on en soit là. C’est contradictoire avec la réalité de ce métier où l’empathie est centrale. Une auxiliaire de vie n'est pas une professionnelle du ménage ou de la préparation des repas, c'est une professionnelle de l'empathie.
Qu’est-ce que ça change dans le métier ?
A partir du moment où on part de ce postulat-là, on se pose la question : comment un professionnel de l'empathie est-il dans les meilleures conditions possibles pour développer son empathie et créer un lien avec la personne qui l'accompagne ? Ça change tout dans la vision qu'on peut avoir du cadre de travail.
L'autre postulat de base est que s'occuper d'une personne âgée, c'est compliqué. Donc si on est capable de le faire, a priori, c'est qu'on est capable de faire d'autres choses. Ce sont des postulats que nous avons rapidement adoptés chez Alenvi. On ne voulait pas créer une structure d'aide à domicile comme les autres, puisque ce n'est pas ça, fondamentalement, qui nous intéressait, c'était vraiment d'apporter une innovation.
Donc, on a commencé, tous les trois, à recruter une auxiliaire de vie, puis deux, et à recruter des bénéficiaires. Au début, on a beaucoup appris le métier. Et puis, au fur et à mesure, on a vraiment pu créer ce modèle d'équipe autonome, évidemment, en s'inspirant de Buurtzorg, qui a été un modèle dès le début. On est allé les voir, et on a vachement creusé la manière dont ils fonctionnaient.
Comment est-ce que vous avez réussi à combiner le côté très humain, très empathique de ce métier, avec le côté start-up, qui est plus tourné sur la tech ?
Effectivement, dès le début, on s'est dit qu’il fallait quand même creuser la manière dont la tech fonctionne dans ce secteur. Mais sans non plus se dire qu'il y avait forcément une solution technologique au problème. Notre parti pris, c'était de dire : "Utilisons déjà les outils qui existent, voyons comment ça fonctionne. Si un blocage est lié aux outils, on pourra développer une innovation, et la déployer à grande échelle."
La tech, c'est un moyen d'innover à grande échelle. Alors qu'être opérateur de services, on sait qu'il y a une limite dans la capacité de scalabilité. Ça nous a amenés assez vite à tester des choses, des interfaces pour les auxiliaires notamment. On est parti du postulat pas si fréquent dans le secteur que tout le monde aujourd'hui sait utiliser des outils technos quand ils sont intuitifs, et c’est possible avec tous les progrès qu'il y a eu dans l’UX (user experience) et l’UI (user interface).
On a créé des interfaces pour que les auxiliaires puissent eux-mêmes gérer leur planning. Au départ, en étant raccroché à des outils qui existaient. Puis, on est arrivés à la conclusion qu’il fallait qu’on développe notre propre ERP.
Sur le sujet de l’autonomie donnée aux auxiliaires, comment vous êtes-vous pris sachant que ce n’est pas la norme du secteur ?
Au début, on jouait le rôle de coach encadrant et l'autonomie était plus faible qu’aujourd'hui. Après, cela a été progressif. On n'a pas tout relâché en même temps mais, il faut accepter qu'il y ait des sauts. Quand il y a de la semi-autonomie sur un sujet, ça peut ne pas si bien fonctionner. Par exemple, dans une réunion d'auxiliaires, parfois, quand les coachs (plus ou moins l’équivalent de managers ndlr) ne sont pas présents, la réunion ne produit pas les mêmes résultats. Donc, il faut accepter qu'il y ait des réunions, où il n’y a que les auxiliaires. A un moment, il faut accepter de lâcher des choses d'un coup.
Après, l’autonomie s'est construite au fur et à mesure. Ce qui est intéressant dans ce modèle d'équipe autonome, c’est qu’on ne cherche pas l'uniformité. Chaque équipe n'a pas vocation à fonctionner de la même façon. Elles définissent leurs propres règles et n'ont pas non plus toutes le même degré d'autonomie.
Le lâcher prise sur l'autonomie, c'est un lâcher prise sur le moins contrôler, mais c'est aussi un lâcher prise sur le moins uniformiser.
Chaque équipe est un peu comme un organisme vivant : elle a sa vie, son entropie et donc, il y a des moments où elle peut fonctionner très, très bien, parce qu'il y a une symbiose avec les individus, un certain leadership qui s'exprime bien, et puis avoir besoin de très peu de coaching. A d’autres moments, ce n'est plus le cas et les coachs vont être beaucoup plus présents pour les accompagner. C'est vraiment la première leçon de ce fonctionnement par équipe autonome et de cette forme d’autonomie : elle est variable selon les équipes, les géographies et le temps. Le lâcher prise sur l'autonomie, c'est un lâcher prise sur le moins contrôler, mais c'est aussi un lâcher prise sur le moins uniformiser.
Après, la montée en compétence, ça s'accompagne par de la formation soit très classique avec des contenus, des formateurs externes, soit de la formation entre pairs. Chez Alenvi, on a un système de rôles tournants dans les équipes qu’on a vraiment calqué sur celui de Buurtzorg (acteur néerlandais de l’accompagnement des personnes connu pour son système organisationnel très décentralisé) : des rôles fonctionnels, responsable planning, responsable intégration de nouveaux arrivants, responsable relations partenaires. Cela génère plein d'échanges entre équipes.
Ensuite, il y a une logique très pragmatique avec la nécessité d’un accompagnement fort d'une équipe centrale sur certains sujets : la relation par exemple avec des partenaires médico-sociaux et les prescripteurs. Il y a une forte implication de l'équipe centrale, tout simplement parce que les auxiliaires de vie passent quand même la majorité de leur temps avec des personnes âgées.
Comment est-ce que vous gérez la gestion des conflits dans les équipes d’auxiliaires ?
C'est un des gros rôles des coachs. Dans nos formations, on en a une qui s'appelle « savoir évoluer en équipe autonome », dans laquelle on va former à des méthodes de prise de décision par consentement mutuel. Donc, ce sont des manières de prendre des décisions par consensus. C'est une méthode de décision qui s'appelle SDMI (Solution Driven Method of Interaction).
Ensuite, on a également une charte de principes qui peut servir de cadre. Evidemment, les équipes peuvent se définir des règles, mais il y a quand même un cadre avec des principes de respect, de curiosité, de transparence. Quand quelqu'un manque à ces principes, on peut facilement lui rappeler. Mais, c'est vrai que les coachs sont beaucoup formés à accompagner les conflits.
Donc c’est une organisation sans manager directif, mais avec une organisation animée par des coachs qui accompagnent.
C'est exactement ça. C’est une inversion de la pyramide. C’est-à-dire qu’ils sont là pour aider les équipes à prendre des décisions. Pour eux, c’est beaucoup plus riche aussi. On parle évidemment beaucoup des auxiliaires de vie en tant que métier peu valorisé, mais les encadrants dans le secteur sanitaire social ont un métier extrêmement difficile. On leur demande de manager des gens qui sont structurellement dans des conditions très compliquées pour faire leur travail, pour des bénéficiaires qui sont généralement en difficulté. Vous êtes donc pris entre le marteau et l'enclume en permanence. Et dans un modèle pyramidal, vous avez toute la charge mentale qui peut vous remonter, parce que le modèle où on contrôle, on déresponsabilise.
Évidemment, dès qu'il y a un problème, ça remonte. Quand l'équipe est en autonomie, elle gère elle-même ses remplacements, des modifications de planning etc. Pour les auxiliaires, il y a à la fois un épanouissement et une valorisation, parce qu'on se développe professionnellement, on a la liberté d'organiser son travail et ça, je dirais que nous, chez Alenvi en tout cas, philosophiquement, on est assez persuadé que c'est un élément important de l'estime de soi.
Mais pour autant, ça ne répond pas forcément aux besoins de tout le monde, parce qu’il y a des gens qui, à un moment donné, peuvent avoir une charge mentale trop forte à côté dans leur vie. Donc, ils cherchent juste un travail où quelqu'un leur dise quoi faire. Ça peut arriver, mais souvent ce type de profil ne reste pas très longtemps chez Alenvi.
Tu as beaucoup parlé de la formation, qui semble être un axe très fort chez Alenvi.
On a créé une activité en soi et qui aujourd'hui forme beaucoup de gens. Ce sont des cursus de formation, qui amènent à un certificat de compétences. Donc, on a créé une sorte de diplôme pour la formation continue sur la dimension humaine du métier, qui permet de former sur la gestion des émotions, la communication non-violente, la collaboration, la gestion de feedback avec des mixtes d’e-learning et de présentielle, qui s'intègrent bien dans les plannings des auxiliaires de vie.
La partie technique est évidemment présente également, parce qu’on a quand même des enjeux forts. Mais disons qu'ils sont déjà adressés dans les formations initiales et nous, dans notre métier normalement, tout le monde en a reçu une. Donc, on a vraiment cette vision d'être en complément.
C’est un pari osé de se lancer dans une diversification d’activités aussi tôt après la création de l’entreprise ?
Oui, effectivement. On a vu que la formation était vraiment un gros besoin dans le secteur. Il y a peu de formations, et quand il y en a, elles ne sont pas assez centrées sur la dimension humaine, l'empathie et les soft skills. En plus, on a vu qu'on avait les capacités pour développer des choses qui fonctionnaient et qui produisaient un effet chez les auxiliaires de vie chez Alenvi.
A côté, il y a des dizaines et des dizaines, et bientôt, j’espère des centaines de structures d'aide à domicile qui veulent faire évoluer leurs méthodes de management, ce qui s’accompagnera de formation. On a vu que la formation allait être un bon support. En parallèle, ce qu’on constatait aussi sur notre activité d’aide à domicile, c’est que ça fonctionnait bien, mais qu’on n'arriverait pas à générer une croissance exponentielle sur le métier d'opérateur d'aide à domicile parce que c'était inconciliable avec l'idée de faire quelque chose de très humain, qui valorise, responsabilise les auxiliaires.
Avec la formation, on coche toutes les cases : la perspective de faire changer le secteur à grande échelle et aussi la perspective économique de se développer, et de nous permettre d'atteindre un certain niveau d'ambition.
Après, c'est vrai que c'était assez audacieux de faire de la formation si tôt. On aurait pu se concentrer plus sur le cœur d'activité, peut-être essayer de faire la croissance avec des forceps. L'histoire nous a donné raison parce que ça se développe très fortement actuellement.
En parallèle, vous avez initié le collectif L’humain d’abord.
Effectivement, quand on a développé Alenvi, on a été plusieurs fois en mission d'observation chez Buurtzorg et à ces occasions, on a rencontré des structures françaises qui étaient en train de transformer leur organisation. Avec eux, on a commencé au début à faire de l'échange entre pairs, complètement informel. Et puis, au bout d'un moment, on a commencé à accompagner encore d'autres pairs qui eux se lançaient dans la démarche. Faire des journées d'acculturation, de l'accompagnement, puis, c’est au fur et à mesure que l’idée d'une association est née. Aujourd'hui, elle accompagne une quarantaine de structures d'aide à domicile. Il y a une vraie vague de transformation qui se développe, qui est même encouragée par des collectivités locales, des départements ou des régions. L’activité de formation vient en complément de cette dynamique.
Il y a donc une vraie action liée au collectif et un financement associé par des subventions de l’AG2R et des fonds sociaux des collectivités qui financent la transformation des structures. Il y a vraiment une prise de conscience que le modèle organisationnel actuel ne fonctionne pas dans les services d'aide à domicile. Le collectif a un peu poussé ses idées en montrant qu'il y a des solutions.
Que faites-vous concrètement ?
On fait régulièrement des sessions et des journées de présentation en région. Et à cette occasion, il y a pas mal de dirigeants de structures d'aide à domicile présents qui ressentent tous les mêmes difficultés : absentéisme, turn over, difficultés à s’en sortir financièrement, qu’on soit une association ou une entreprise. Face à cette situation, quand quelqu'un vous dit : "là, il y a moyen de faire différemment et que c’est un peu médiatisé dans le secteur", ça crée un intérêt, donc il y a pas mal de gens qui viennent assister à ces sessions. Après vous avez des gens qui accrochent.
On ne vise surtout pas que les dirigeants, parce qu’on évite le syndrome du dirigeant qui vient raconter, d’où les témoignages d’auxiliaires aussi.
Après, chacun adapte tous les éléments en fonction de son organisation, de son historique, de son ADN. C'est ça aussi qui est très riche. C’est un écosystème, ce n’est pas un mouvement qui cherche à prescrire une manière de faire.
Je comprends la philosophie d’ensemble.
C'est un questionnement qui est général et qui touche la posture et le rôle du dirigeant ; il n’y a pas de raison que ce secteur y échappe. Sur ce mouvement, il y a un point sur lequel je porte beaucoup d’espoir : notre secteur pourrait bouger encore plus vite que d'autres. On est quand même dans le secteur du prendre soin, du care. La plupart des gens y sont pour de bonnes raisons.
Quand on arrive à créer, à titiller cette exigence de cohérence qu'on a tous, mais qui parfois est mise à mal, ça peut changer très vite, surtout quand on fait les choses avec un management plus bienveillant, une gouvernance différente, etc. Dans notre métier, on en tire les fruits immédiatement, sur l'engagement des professionnels et in fine, la qualité des accompagnements.
Ce qui va fédérer la société, c'est cette envie de prendre soin les uns des autres. Le secteur du prendre soin va peut-être devenir le high tech d’hier.
Historiquement, on était un secteur tricard qui était là pour réparer tout ce que la société, les familles n'arrivent plus à gérer. Ma conviction est notre société, dans le scénario positif, va migrer vers une société du prendre soin. De toute façon, il y a de plus en plus de vulnérabilité à accompagner liée notamment au vieillissement de la population, mais aussi aux enjeux sanitaires et écologiques. Et que finalement, ce qui va fédérer la société, c'est cette envie de prendre soin les uns des autres. Le secteur du prendre soin va peut-être devenir le high tech d’hier.
Dans le cadre du collectif, vous avez créé l’indicateur d'alignement humain. En quoi cela consiste-t-il ?
On l’a d’abord testé chez Alenvi. Très vite, on l’a ouvert en se disant que ça pouvait avoir un intérêt de le diffuser collectivement. Cela vient au départ d’un accompagnement dont on a bénéficié pour prendre la mesure d'impact pour Alenvi.
Plutôt que de faire des méthodes compliquées pour monétiser nos impacts, on a cherché à créer le thermomètre pour mesurer vraiment ce qui nous importe le plus, ce pour quoi notre entreprise existe. Et au fond, c'est l'alignement, c’est-à-dire en quoi les conditions de travail sont en phase avec la vocation des personnes qui font ce job et en quoi elle les aide à développer encore plus cette vocation. Parce que c'est ça, finalement, qui a de la valeur et qu’Alenvi cherche à développer, à préserver.
Au sein d’Alenvi, vous avez également développé une activité de plaidoyer. Ce n’est pas si fréquent pour une entreprise. Comment cela s’est-il fait ?
C'est venu au fur et à mesure. On s'est forgé des convictions et il nous semble que c'est un secteur qui est très réglementé, qui est solvabilisé par la puissance publique. En fait, l'État a beaucoup de leviers pour changer la manière dont les métiers sont organisés. A l'échelle d'une entreprise, on peut mettre en place plein de choses, on ne va pas résoudre tous les problèmes, notamment le fait que ces métiers ne sont pas assez connus et reconnus.
Ce n'est pas un service à la personne comme les autres. L'attendu n'est pas un résultat facilement mesurable. Si demain tu as quelqu'un qui vient faire le ménage chez toi : si le ménage est bien fait, tu es content, si le ménage est mal fait, tu n'es pas content. Quand tu as quelqu'un qui vient t'accompagner parce que tu as une fragilité ou accompagner un de tes proches, là c'est beaucoup plus compliqué de définir l'attendu : il y a une création de lien humain, mais on comprend que ces métiers, ils méritent d'être pensés différemment, d'être appelés différemment, d'avoir une reconnaissance différente, des conditions de travail différentes, des formations différentes.
C’est pour ça que nous, on les appelle les métiers du prendre soin. Ils ont vocation à être vraiment différenciés des métiers des services à la personne qui sont un grand fourre-tout, vous avez du soutien scolaire, du paysagisme, du ménage. On pense qu’il y a un impensé historique autour de ces métiers. Ça demande d'être pensé, défini et aujourd'hui, il n'y a rien dans la reconnaissance qui pourrait, par exemple, avec le fait d'avoir un caducée ou une carte de professionnel, un titre clair. Aujourd'hui, on sait très bien ce qu'est un infirmier, un aide-soignant, mais ce n’est pas un auxiliaire de vie. Le but, c'est que ça soit vraiment pensé comme un métier au sens noble du terme et ce n'est pas le cas aujourd'hui. Effectivement, ça nous amène à faire du plaidoyer, parce qu’on voit bien que ce n'est pas nous qui allons tout changer.
Le sujet du plaidoyer, c’est qu’il y a des momentums qu’on saisit, mais après, il peut y avoir quand même un sentiment d’épuisement parfois. Il faut aussi faire ce qu'on arrive à faire sur le terrain, parce que c'est aussi comme ça que les choses bougent.
Il y a un débat entre le statut ESUS (entreprise solidaire d’utilité sociale) et la société à mission – certains reprochent à cette qualité d’éloigner des entreprises du label ESUS. Alenvi a les deux. Comment te positionnes-tu sur ce sujet ?
En 2014, on s’est interrogé pour savoir comment faire des entreprises plus vertueuses en s'inspirant des coopératives, qui est la tradition dont s’inspire ESUS. On a décidé qu'avec des critères de lucrativité limitée et des exigences de gouvernance partagée, on allait définir quelque chose qui était une entreprise, mais qui reprenait un peu de l'esprit de l'économie sociale et solidaire.
Pour nous, la lucrativité limitée, c'est vraiment une manière de dire les choses clairement. On trouve ça très bien d'être ESUS. Maintenant, il y a quand même un côté un peu blanc ou noir. On est d'un côté ou on est de l'autre en fonction de quelque chose qui est écrit dans les statuts. Il faut savoir que ça ne couvre pas non plus tous les sujets de la lucrativité, parce que ça ne couvre pas la répartition des plus-values en cas de cession partielle ou totale de l'entreprise. C'est quand même un vrai angle mort.
Je trouve qu'il ne faut pas s'arroger un brevet de vertu avec ESUS si, derrière, on génère énormément d'argent, y compris pour les actionnaires ou les entrepreneurs à la tête des entreprises, via de la plus-value de cession de parts.
Ensuite, la société à mission, c'est une autre tradition qui ne vient pas de l'économie sociale et solidaire, mais qui est plutôt, de mon point de vue, une nouvelle version du cadre juridique de la société anonyme. La volonté est de l'améliorer et de le mettre plus au service de l'ensemble des parties prenantes, et pas uniquement des actionnaires.
Je trouve ça très bien d'avoir les deux, ESUS et société à mission, notamment parce que la société à mission intègre un vrai cadre, même s'il n'est pas très prescriptif, de gouvernance au profit de l'amélioration continue, avec l'idée d'avoir des objectifs d'impacts socio-environnementaux dans les statuts, un comité de mission, un OTI (organisme tiers indépendant).
ESUS, c’est très bien, parce que ça permet de cadrer les choses, mais en soi, c’est moins porté par une logique d'amélioration continue. Pour moi, les deux sont complémentaires. Ce sont juste deux traditions différentes.
Ensuite, étant trésorier du Comité des entreprises à mission, je suis militant de la société à mission. Je pense que la grande majorité des entreprises peuvent devenir sociétés à mission. Je trouve ça extrêmement stimulant d'étrenner, de militer pour un cadre qui peut vraiment aider l'ensemble des entreprises à être pilotées au service de l'ensemble de leurs parties prenantes, dans mon secteur en particulier. La dynamique de l’ESUS et de l’ESS restera plus limitée dans l’économie.
Je trouve ça bien de se lever le matin en me disant : "Essayons de faire en sorte que l'ensemble du capitalisme fonctionne différemment"
En plus, dans l'ESS, il y a un risque d'isolement par rapport au reste de l'économie. Je trouve ça bien de se lever le matin en me disant : "Essayons de faire en sorte que l'ensemble du capitalisme fonctionne différemment". Parce que je pense que les problèmes socio-environnementaux ne seront résolus que si l'ensemble des entreprises, ou l'écrasante majorité, se met à vraiment travailler au service de l'ensemble des parties prenantes, et pas uniquement des actionnaires.
Je trouve aussi que dans tout ça – ESUS, société à mission - il y a un gros piège, qui est de les voir comme des brevets de vertu plutôt que comme des outils pour piloter son entreprise au service de l'ensemble de ses parties prenantes avec une logique de progression continue.
Et on voit bien, avec les problèmes de Danone, etc., qu'en mettant "mission", on y a mis une connotation "brevet de vertu". Et je pense que c'est presque un piège des détracteurs de la société à mission. Parce que ça risque de cornériser les gens qui osent dire qu'ils sont vertueux, alors que tout le monde est concerné.
Tu dis souvent que la mission n’appartient pas à l’entreprise. Ce n’est pas évident d’accepter cela pour un.e dirigeant.e, qui pourrait avoir l’impression de perdre du contrôle ou même la propriété de son entreprise. Est-ce que tu penses que les deux sont conciliables ?
Ce qui est sûr, c'est qu'on a une vision de la propriété qui n'est pas très évoluée, de penser que c'est binaire : soit une entreprise m'appartient, soit elle ne m'appartient pas. Alors que ce qui appartient au chef d’entreprise, c'est une partie du capital, qui est en soi une abstraction.
La mission, par définition, ne peut pas nous appartenir. On n'a pas créé, en tout cas, de système juridique, fiduciaire, pour dire : "Là, la mission, c'est la mienne, ce n'est pas la tienne". Dans les faits, ça crée un nouveau rapport de force entre les collaborateurs, les dirigeants, ou entre les consommateurs et les dirigeants. On le voit tous les jours.
C'est tout l'intérêt de la société à mission ; une fois que tu as donné ta mission, tout le monde peut venir contester ton action au regard de cette mission. Le fait de dire "C'est ma propriété et je fais ce que je veux", c'est la porte ouverte à beaucoup de dérives, à mon avis, de l'entreprise.
Je pense qu'on a assimilé « détention d'un actif financier », en l’occurrence du capital, à propriété d'entreprise. La société à mission, c'est un essai. C'est vraiment un travail itératif. On ne sait pas où il nous mènera, mais il vaut le coup d'être mené.
Tu as récemment publié Un pacte (chronique à retrouver dans une précédente missive), qui est un essai assez engagé sur l’entrepreneuriat. Qu’est-ce qui t’a motivé ?
La première chose, c'est vraiment la volonté, à titre personnel, de promouvoir une vision complexe et holistique de l'engagement entrepreneurial. En étant chez Alenvi, on est à la croisée de différents mouvements qui cherchent à repenser un peu l'entrepreneuriat. Il y a le mouvement autour de l'innovation managériale, de l’entreprise libérée.
Il y a le mouvement autour de la gouvernance : c'est effectivement reprendre l'historique de l'ESS, avec le cadre coopératif ou ESUS, et la société à mission. Une sorte de nouvelle gouvernance pour une nouvelle entreprise.
Il y a le troisième mouvement, qui est un nouvel indicateur : une nouvelle mesure, une mesure d'impact, pour une entreprise qui produit une utilité différente. Il y a le mouvement Tech for Good qui s'inscrit complètement là-dedans.
Je constate que souvent, on peut avoir tendance, dans chacun de ces mouvements, à penser que le mode d'action auquel on s'est intéressé, la gouvernance, la mesure d'impact ou le management, est suffisant, et qu'il suffit d'agir sur un de ces leviers pour rendre l'entreprise vertueuse.
Ce que j'observe, c'est qu’il existe un cimetière d'entreprises libérées, qui ont été délibérées, reprises en main par des actionnaires contrôlants. Il existe des coopératives qui ne sont pas forcément extrêmement vertueuses sur le plan du management, ou même de l'impact environnemental. Il existe des Tech for Good ou des entreprises qui, à un moment donné, définissent un indicateur, foncent tête baissée, et puis se rendent compte, au bout de quelques années, qu’ils n’ont pas pensé à tout.
Ma conviction, c'est que pour avoir des entreprises qui sont contributives, il faut s'intéresser aux trois sujets en permanence, qui se complètent très bien. Je ne crois pas du tout qu'un levier doit fonctionner au détriment des autres.
Y a-t-il une autre raison ?
L'autre raison a trait à l’histoire. Je suis frappé par le fait qu'on connaisse assez mal l'histoire de l'entrepreneuriat français, européen, même mondial. Il y a beaucoup de domaines où l'histoire est plus creusée : domaine politique, domaine artistique, domaine scientifique.
Je trouve que c'est dommage, parce que je pense qu'il existe, dans l'histoire, des rôles modèles vachement intéressants pour l'entrepreneuriat responsable de demain, qu'il est intéressant de comprendre pourquoi on en est arrivé là, pourquoi on a accepté tel ou tel cadre moral. Pourquoi a-t-on accepté un cadre juridique – la société anonyme – qui est très déresponsabilisant ? Pourquoi utilise-t-on des normes comptables qui donnent une primauté intrinsèque aux financiers sur, par exemple, l'environnement ou l'humain ?
C'est assez évident quand on regarde l'histoire, mais il y a aussi des gens qui, tout au long de l'histoire, ont essayé de jouer une autre musique. Et aujourd'hui, cette musique est assez forte, mais elle a déjà été forte à d'autres époques. Comprendre qui a joué cette autre musique, pourquoi ils ont réussi, pourquoi ils ont échoué, c'est extrêmement intéressant.
Je pense qu'on a un peu tendance, par déformation professionnelle, dans l'entrepreneuriat, dans le monde économique, à toujours vendre l'innovation, la nouveauté. La vraie innovation consisterait sans doute à bien assimiler tout ce qui a été testé, réussi, et qui a échoué dans le passé, pour reconstruire par-dessus.
Il y a aussi une ambition qui va un peu au-delà de simplement publier l'ouvrage, notamment avec cette idée de serment d’Hippocrate pour les entrepreneurs. Comment comptes-tu promouvoir cette idée ?
Effectivement, il y a des propositions programmatiques, dont le serment. Au fond, sur la responsabilité de l'entrepreneur, je pense aussi que la société ne va pas assez loin. Aujourd'hui, on est dans un mouvement où on met en avant les entrepreneurs… Il est de plus en plus bien vu et populaire de dire "Je fais une entreprise qui est positive, qui correspond à mes valeurs, et c'est génial". Mais je pense aussi qu'il y a une question : pourquoi la société ne cherche-t-elle pas aussi à définir quel devrait être le cadre éthique et moral, qui encadre l'entrepreneur et, indirectement, l'entreprise ?
On parle tout le temps de crise morale. Par contre, quand tu parles de la morale à propos de l'entreprise, ça crée souvent un sentiment de crainte. C'est plus un pavé dans la mare que je jette, mais ce que je constate, c'est que l’idée de serment d’Hippocrate parle à pas mal de gens. Je pense que pendant l'année, on va s'atteler à une action collective. J’ai quelques idées sur le respect de la personne humaine, de l'épanouissement, la volonté de proposer un cadre d'épanouissement par le travail à tous ses collaborateurs, le respect de la nature, le fait de travailler pour l'ensemble des parties prenantes, et pas que pour les actionnaires. Ce sont des choses qui, pour beaucoup d'entrepreneurs, sont assez évidentes. D’où l’idée de ne pas le définir seul.
Après, le fait qu'elles soient formulées de manière très claire et engageante pourrait aider à réconcilier l'entrepreneur et la société. Parce que le fait que l'histoire de l'entrepreneuriat ne soit jamais documentée, enseignée dans les écoles, qu'on ne mette pas en avant, effectivement, dans les musées les entrepreneurs qui ont construit l'économie française, c'est parce qu'il y a une sorte de petit malaise entre la société et l'entrepreneur en France.
Ce serait l'occasion de peut-être réconcilier un peu ça. Je ne lance pas un parti politique. Aujourd'hui, je pense que beaucoup de choses peuvent se faire en dehors du champ politique, et tant mieux. Il y a plein de gens en ce moment qui s'expriment sur ce sujet. C'est intéressant. Il y a un débat foisonnant. J'apporte ma petite pierre à ce débat, et c'est déjà bien. On verra où ça nous mène.
Pour terminer, il y a un terme que tu utilises fréquemment : la cohérence. Cohérence dans le pilotage de l'entreprise, cohérence dans la prise de décision. Est-ce que ça, c'est quelque chose qui est lié, pour toi, à la philosophie de la société à mission, ou c'est quelque chose qui t'est vraiment personnel ?
Je pense qu'il y a effectivement des attentes de mise en cohérence aujourd'hui, qui sont fortes, un peu partout. Quand quelqu'un nous dit que la bouffe qu'il produit est bonne, on veut être sûr qu'elle soit vraiment bonne pour notre santé. On le voit dans le domaine de la politique. Il me semble que dans le domaine de l'innovation, on a envie que l'innovation réponde aux enjeux d'amélioration de la qualité de vie.
Aujourd'hui, je trouve qu'on est tous confrontés à plein d'incohérences. On vit dans un monde où on n'a jamais déposé autant de brevets, mais où notre qualité de vie, globalement, sur le transport, l'alimentation, le logement, pour 99 % des gens, baisse. Ma vision, c'est que, le pari de la cohérence est un pari gagnant. Par exemple pour Alenvi, c’est important de refuser l'incohérence : si on veut bien accompagner les personnes âgées, ça ne peut pas impliquer un cadre de travail très dégradé pour les collaborateurs.
Aujourd'hui, je trouve qu'on est tous confrontés à plein d'incohérences. On vit dans un monde où on n'a jamais déposé autant de brevets, mais où notre qualité de vie, globalement, sur le transport, l'alimentation, le logement, pour 99 % des gens, baisse. Ma vision, c'est que, le pari de la cohérence est un pari gagnant.
C'est comme dans le marketing. On fait un marketing qui est cohérent par rapport à ce qu'on veut faire, la raison d'être qu'on a, en termes de supports utilisés, de messages. C'est une vision presque antirationaliste du business. Sur le marketing on arrêté de faire de l’achat de Google Ads, parce qu'on estimait que ce n'est pas cohérent par rapport à notre raison d'être. On a décidé d’axer sur le contenu dans lequel on peut diffuser notre vision du métier. On ne sait pas trop quel effet ça va produire, mais en soi, ça va produire des résultats. C'est presque quelque chose qui est du domaine de la foi, mais je pense que dans le monde d'aujourd'hui, il y a des attentes par rapport à ça.
Et sur la cohérence, comment ça se passe avec les actionnaires ? Il y a cette notion de, quand vous passez société à mission, cela peut être perçu comme un repoussoir. Est-ce le cas pour Alenvi ?
Nous, pas du tout. Nos actionnaires sont eux-mêmes sociétés à mission. La société à mission, c'est à la fois un outil de mise en cohérence et de gestion des contradictions. La mise en cohérence implique que l’on affiche clairement la raison d'être et les objectifs aux actionnaires.
Notamment, il y a l'objectif d'améliorer en continu les conditions de travail, de rendre nos services accessibles à tous. Un investisseur qui rentre ne pourra pas dire pas un an après si la marge est moins bonne que prévu : "C'est facile, pour augmenter la marge, il suffit de moins bien payer ou de travailler pour moins de bénéficiaires à faibles revenus." Il sait que le cadre dans lequel il s'est engagé implique aussi ces objectifs à côté de ceux de rentabilité.
C'est vraiment un super outil pour essayer de créer un alignement entre les objectifs des actionnaires et les objectifs sociaux de l'entreprise. Et là-dessus, on est vraiment très bien servis, parce qu'on a des actionnaires comme PhiTrust, qui sont les premiers à nous challenger sur les objectifs sociaux, y compris d'accessibilité de notre service, qui peuvent directement dégrader la marge.
Cela demande de bien comprendre les thèses d'investissements des fonds avec qui on discute et être très clairs sur pourquoi on fait les choses, de formaliser au maximum au moment de la levée, pour ne pas signer un pacte, à un moment donné, parce qu'on a besoin d'argent, avec quelqu'un qui, en réalité, n'a pas les mêmes visées.
Effectivement, il y a plein de fonds d'impact, mais il y a plein de thèses d'impact différentes. Il y a des fonds qui vont faire de l'impact avec le même degré de rentabilité que les autres. D'autres qui veulent faire de l'impact avec moins de rentabilité que les autres, parce qu'ils veulent qu'il y ait des partis pris, notamment sociaux, sur l'insertion, sur des sujets très sociaux dans les business models. Sinon, ils considèrent qu'ils ne sont pas dans leur thèse d'investissement.
En fonction de là où en est son projet, il faut vraiment bien choisir les fonds d'impact avec lequel on travaille.