#94 Décryptage de la mission de Naïo Technologies (robotique)
Analyse de la raison d'être et des objectifs statutaires de l'entreprise
Chères lectrices, chers lecteurs,
Voici venu le temps du dernier décryptage de l’année. Il y en aura 22 au total, y compris celui du jour. Demain, je ferai une missive bilan en reprenant tous les chiffres et les différents Top 5.
Pour ce dernier décryptage, on part dans l’univers de la robotique avec Naïo Technologies qui a remporté le vote d’une courte tête.
Avant de passer à l’analyse, ne dérogeons pas aux bonnes habitudes ; voici le dernier vote de l’année. J’ai hésité à vous proposer un décryptage croisé, car ce sont deux sociétés de gestion récemment devenues sociétés à mission, mais l’une est centrée sur les startups quand l’autre se spécialise dans les PME-ETI, donc les métiers sont assez différents. Il s’agit de Serena Capital, bien connu dans le milieu startup, et de Geneo Capital Entrepreneur, structure plus récente mais qui a déjà bien décollé.
Voici leurs raisons d’être :
Serena Capital : “Nous soutenons la réussite d’entrepreneurs innovants et ambitieux au service d’un monde meilleur.”
Geneo Capital Entrepreneurs : “Mettre à disposition de l’économie réelle une finance positive, qui concilie performance et sens.”
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Forcément, j’ai tout de suite pensé à Kraftwerk et à son album mythique The Man-Machine en 1978 et en particulièrement au morceau “The Robots”. Cette musique a assez mal vieilli—reconnaissons-le—mais replongeons-nous dans l’époque : c’était complètement visionnaire.
Naïo Technologies est une entreprise de robotique créée en 2011 spécialisée dans les robots agricoles, avec une belle focale sur les vignobles. L’entreprise a réalisé plusieurs levées de fonds, dont une importante début 2023 de 32 millions d’euros.
L’entreprise toulousaine porte une démarche RSE depuis plusieurs années et globalement cherche par son activité à réduire la pénibilité du travail des agriculteurs et à favoriser une agriculture plus saine. Elle est passée société à mission au printemps. Jusqu’à présent, il y a eu très peu de communication sur le sujet. Le site ne le mentionne d’ailleurs que brièvement.
La raison d’être :
Faire de l’agriculture durable une réalité mondiale.
Le choix se porte sur une formule facilement mémorisable qui relève d’une signature de marque davantage que d’une raison d’être. On comprend que l’activité est centrée sur l’agriculture, mais rien ne parle de robotique, donc il est difficile de comprendre ce que fait l’entreprise. En l’état, on pourrait penser à un financeur international de projets agricoles, voire à une ONG active dans l’agriculture.
Quand on connaît l’activité de Naïo Technologies, on peut penser que la raison d’être est trop globale. Certes, je dis souvent que la mission dépasse l’entreprise, mais en l’occurrence, on ne peut pas résumer l’agriculture “durable” à l’usage de robots dans les champs. Je ne dirais rien de “durable”.
La singularité n’est de même pas très explicite. On comprend certes la volonté d’avoir une action à l’échelle internationale, mais le reste est peu distinctif ou identitaire. C’est évidemment le revers d’une raison d’être courte et large.
Quid de mettre l’entreprise dans une démarche d’amélioration continue et de projection ? Sur le point de la projection, l’ambition internationale aide au positionnement, bien que cela soit davantage un enjeu commercial, mais qui peut être très lié à la résolution d’un enjeu social ou environnemental.
Quant à la dimension d’amélioration continue, elle n’est pas très apparente dans la raison d’être, mais peut-être les objectifs statutaires donnent-ils davantage de matière.
Les objectifs
Une gestion soutenable des terres arables
Cet objectif est très ambitieux. Sans verbe d’introduction, on ne sait néanmoins pas trop comment Naïo envisage son rôle. Encore une fois, la gestion “soutenable” des terres arables ne dépend pas que du déploiement de robots dans ses champs ou ses vignes même si cela peut par exemple limiter les intrants chimiques dans certains cas, en remplacement d’un traitement manuel. Il faut donc espérer que l’indicateur derrière ne soit pas simplement le nombre de robots vendus en partant du principe que plus il y a de robots vendus, plus cela (mettez le verbe adéquat) une gestion soutenable des terres arables.
Ce type d’objectif pourrait fonctionner si Naïo avait une offre globale sur des aspects sociaux et environnementaux avec un écosystème de partenaires, qui inclurait des semences, des formations sur des techniques plus respectueuses des terres, d’autres machines etc.
Toutefois, je trouve utile que Naïo s’inscrive dans une démarche qui dépasse une logique produits pour mieux comprendre l’utilité de ses robots pour les agriculteurs. C’est davantage la formulation et ce que l’entreprise intègre que la thématique qui me questionne.
Un modèle soutenable de production des robots
Il est évident qu’un objectif statutaire s’imposait sur ce sujet même si Naïo ne fabrique pas ses robots. Je salue toutefois le fait qu’ils l’aient bien inclus, car j’ai déjà souligné par le passé des startups spécialisées dans le software qui avaient omis le hardware qui embarquait leur solution…
Il faudra en plus que Naïo s’interroge sur le modèle à l’avenir. Aujourd’hui, les robots sont fabriqués en France, mais avec le souhait d’internationalisation de l’entreprise hors d’Europe, il est possible ce modèle ne soit plus si “soutenable”.
Des machines agricoles ayant un impact carbone minimal
J’avoue ne pas bien comprendre la distinction faite entre cet objectif et le précédent. En l’état, cela ressemble à un objectif opérationnel du “modèle soutenable” promu juste avant.
La santé et la sécurité des agriculteurs
C’est un peu l’ADN de l’entreprise au départ, donc c’est très logique de le retrouver dans les objectifs statutaires. Tout le monde connait la pénibilité du travail d’agriculteurs et les robots de Naïo ont vocation à diminuer cette difficulté. Je suis toutefois surpris de le voir en dernier. A mes yeux, il est au même niveau que le premier objectif sur les terres arables. C’est un point de détail, mais l’ordre est important.
Je m’interroge également sur la manière dont ils vont pouvoir démontrer comment ils (insérez le verbe que vous souhaitez) la santé et à la sécurité des agriculteurs. Ils peuvent collecter des témoignages ou faire des enquêtes auprès des utilisateurs, mais cela risque d’apporter une mesure d’impact systématique assez discutable. Encore une fois, il serait un peu facile de prendre le nombre de robots vendus comme indicateur d’une amélioration de la santé de la sécurité des agriculteurs.
Au global :
✅ Les objectifs statutaires couvrent des aspects qui dépassent le strict cadre de maîtrise de l’entreprise pour évoquer les clients et les fournisseurs. C’est un élément essentiel d’une mission réussie, car cela pousse l’entreprise à engager son écosystème. Ce point est particulièrement notable sur la fabrication des robots. Naïo ne les produisant pas elle-même, il aurait été aisé d’occulter cet aspect, comme beaucoup d’autres startups l’ont malheureusement fait dans leur mission.
📶 Je trouve la formulation de la mission trop approximative. La raison d’être reprend plus les canons d’une signature de marque. En l’état, servira-t-elle de boussole dans toutes les décisions de l’entreprises, à part sur la dimension commerciale d’aller à l’international ?
La formulation des objectifs statutaires est également étrange : sans verbe, on ne comprend pas bien le positionnement de Naïo et cela n’en facilitera pas le pilotage, ni la mesure.
📶 Je m’interroge sur la déclinaison opérationnelle des objectifs, notamment le premier et le dernier. L’option facile serait de prendre comme indicateur le nombre de robots vendus. Il faudra faire preuve de créativité pour trouver des indicateurs utiles pour mesurer l’impact.
Certains objectifs me semblent également redondants, notamment ceux sur des “modèles soutenables” et des “machines ayant un impact carbone minimal”. A l’inverse, il manque dans les objectifs des éléments concernant les aspects serviciels de l’offre de Naïo, ainsi que sur l’écosystème dans lequel l’entreprise évolue et sans qui sa mission ne pourra pas être réussie.
⚠️Cet exercice d’analyse se veut pédagogique pour toute entreprise souhaitant devenir société à mission ou en cours de transformation. Je m’évertue à être critique MAIS constructif. Je valorise le travail fourni en interne pour aboutir aux missions décryptées et offre simplement un avis, que j’espère, éclairé.
Vous pouvez retrouver toutes les missions déjà analysées et mes 16 conseils pour passer société à mission ici.
Et si besoin, je suis à disposition pour échanger avec l’entreprise analysée.
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A demain,
Vivien.