#81 50e décryptage de mission ! 🎉
Ca se fête ! / Edito sur le débat / Décryptage de la mission de Toulouse Business School et d'autres actus et analyses
Chère lectrice, cher lecteur,
Bienvenue dans la 81e missive de La Machine à sens ! Difficile de passer à côté du débat hier : j’en parlerai un peu, mais pas trop… Surtout, cette missive marque un petit événement : le décryptage de la 50e mission. J’ai commencé cet exercice sans forcément penser qu’il allait devenir un des points névralgiques de cette newsletter. Mais j’y ai pris goût, vous aussi apparemment.
J’ai continué, j’affiné ma grille d’analyse et c’est devenu une marque de fabrique. J’ai rencontré plusieurs dirigeants ou responsables de mission, qui ont toujours apprécié l’analyse (peut-être que ce n’est pas le cas de tous…). J’ai fait des consultations pour quelques-uns d’entre vous sur vos ébauches de mission. Bref, cela a pris une dimension que je n’avais pas anticipé !
D’ailleurs, je profite de ce message pour vous dire que je vais faire une pause la semaine prochaine. Pas de missive ! En effet, je travaille à un rapport d’analyse des 50 décryptages que j’aimerais publier début mai. J’ai hâte de vous le partager !
Cela coïncidera également avec le lancement officiel de mon activité de conseil pour les sociétés à mission. Oui, vous avez bien lu ! Mais n’allons pas trop vite en besogne. Vous saurez tout en temps et en heure. Au sommaire de cette missive :
💭Edito : Changer tout, mais pas trop !
🧑🏫Décryptage de la mission de Toulouse Business School
⚖️La ligne de crête pour Greenweez
🧑⚖️La RSE prend doucement sa place dans les directions juridiques
🤝Prendre des parts dans des coopératives
🔎Quels ODD sont les plus plébiscités par les entreprises ?
🧑🏫La décroissance s’installe dans la recherche
🧠Un peu plus de jus de crâne avec l’égoïsme altruiste, le renoncement, les substituts à l’huile et aux graines de tournesol, la low tech, le mécénat et un peu d’autopromo
L’édito
Le lobbying a été intense. Léa Salamé et Gilles Boulet ont dû recevoir des milliers de notifications et d’emails, mais l’écologie n’a pas fait l’objet d’un cinquième du débat. A la place, on a eu un échange un peu ras-du-sol : “vous êtes climatosceptique” et “vous êtes climato-hypocrite”.
Cela me rappelle tristement mes années bruxelloises où on aimait ergoter autour des différentes facettes de l’euroscepticisme. Je peux vous dire que ça débattait sévère : comment le définir ? comment peut-on être eurosceptiques ? Bref, on parlait de tout sauf du fond : ce que fait l’Union européenne, comment elle est construite et pour quoi faire.
J’avais un peu l’impression de replonger dans cet univers parallèle hier soir. Pour l’une, le localisme et le patriotisme économique sont la réponse au problème environnemental. Pour l’autre, la solution est dans le changement de l’appareil productif et dans les subventions pour aller vers l’électrique dans les transports et la rénovation thermique pour les habitations. Pour les deux, c’est une sorte de : changeons tout, mais pas trop.
Je ne reviendrai pas sur les nombreuses minutes passées à parler des éoliennes. C’est le problème de ce type de débat : on parle de ce qui est dans les programmes, pas de ce qui manque… Donc, si les programmes sont vaporeux, le débat l’est tout autant…
De fait, la tranche laissée à l’environnement s’est surtout focalisée sur l’énergie — dont les actions ne se feront sentir qu’à long terme — avec quelques miettes laissées au climat et un peu de poussière pour la biodiversité. En tout cas, l’urgence climatique ne semble pas si urgente après ce type de débat, mais qui croit encore qu’on pourra limiter la hausses des températures à 2°C, hein ?
Cela étant, allons voter dimanche. Et n’oublions pas les législatives en juin…
Du côté des entreprises
🧑🏫DECRYPTAGE DE LA MISSION DE TOULOUSE BUSINESS SCHOOL.
Voici le 50e décryptage de mission. Et c’est Toulouse Business School qui passe au tamis de mon analyse. TBS est la troisième école de commerce à franchir le pas après Grenoble Ecole de Management et l’emlyon. L’adoption de la qualité de société à mission est annoncée de longue date ; je pensais même que cela était fait depuis un moment !
La raison d’être :
Grâce à une recherche à impact sociétal, TBS Education forme une diversité d’acteurs ouverts et éclairés qui pourront contribuer dans leurs organisations à une économie responsable et soutenable.
La raison d’être de TBS est sobre, claire, sans fioriture. On comprend très vite son activité : la recherche et l’enseignement.
Quelques termes ressortent. La “recherche à impact sociétal” donne par exemple à réfléchir. L’utilisation du terme “sociétal” couvre les domaines sociaux et environnementaux. Il y a également la notion d’impact. Comment caractérise-t-on une recherche à impact sociétal et comment mesurer cet impact ? TBS a peut-être déjà des indicateurs, autres que la réputation des revues pour les publications ou le nombre de citations universitaires, mais c’est un chantier potentiellement structurant et innovant.
TBS ne fait pas que la formation initiale, d’où l’utilisation de l’expression “une diversité d’acteurs”. On sent d’ailleurs la volonté délibérée d’employer le terme “diversité” non seulement pour insister sur la pluralité de publics visés par l’école, mais également sur la diversité des profils qu’elle souhaite avoir en son sein.
Un point m’interroge toutefois. Cette raison d’être est-elle transformatrice pour l’école elle-même ? On pourrait avoir l’impression que sa mission est de former des bons esprits qui changeront les organisations, mais pas forcément de participer à ces changements elle-même. C’est toujours la difficulté pour les entreprises qui “sont au service de”. Mais, on verra dans les objectifs que c’est un peu corrigé.
Les objectifs :
l’enseignement
la recherche
la diversité
une économie responsable et soutenable
Sur le site de l’école, chaque “objectif” est accompagné d’un paragraphe explicatif, mais je ne sais pas si on les retrouve dans les statuts. Cette présentation est peu fréquente ; emlyon avait toutefois fait quelque chose d’assez similaire. D’un côté, on ne peut pas leur reprocher des formulations un peu génériques ; de l’autre, c’est laconique, donc difficile d’en tirer grand chose si ce n’est pas systématiquement complété par un texte d’accompagnement.
Sur le fond, cela reprend différentes parties de la raison d’être, donc on voit une complémentarité dans toute la mission.
Sur le premier objectif lié à l’enseignement, il semble qu’il y ait des marges de progrès envisagées. En effet, un accent a été mis sur la formation initiale afin d’intégrer les enjeux de développement durable dans les cursus. Cela semble en revanche moins le cas pour la formation continue.
Sur l’objectif lié à la recherche, le texte d’accompagnement mentionne surtout le souhait de “promouvoir la recherche à impact sociétal en la rendant accessible au plus grand nombre”. Cela passe par un centre d’excellence. Est-ce vraiment un moyen de la rendre accessible au plus grand nombre ? Pas sûr. Surtout, ces axes de recherche représentent 10% du budget annuel de la recherche chez TBS. L’objectif est-il d’augmenter ce budget ? Sinon, cela reste très secondaire et on pourra opposer à l’école de ne pas en faire assez en la matière.
Sur le troisième objectif lié à la diversité, c’est un axe de développement majeur pour les écoles de commerce, donc TBS a un champ d’action conséquent à ce niveau. La question sera d’établir des objectifs ambitieux et de s’y tenir.
Le quatrième objectif porte sur “une économie responsable et soutenable”. Il regroupe tout un tas de choses, ce qui ne le rend pas très ciblé. Il couvre les partenariats avec diverses ONG, l’incubateur TBSeeds (qui n’est aujourd’hui pas spécifiquement tourné sur l’entreprenariat à impact), et la réduction de l’empreinte environnementale de l’école. Cela affaiblit un peu l’objectif, car ce sont beaucoup d’éléments assez périphériques au fonctionnement et au modèle d’activité de l’école, dont plusieurs relèvent de la politique RSE.
Au global
Cette mission s’appuie en effet sur une démarche RSE de longue date et qui a bien infusé à différents niveaux de l’école. Elle reste centrée sur ce que l’entreprise fait aujourd’hui et sur ce qu’elle souhaite améliorer, tel que la diversité. Elle ne semble pas particulièrement transformatrice. Quelle tension positive cette mission crée-t-elle pour que l’école innove dans son fonctionnement et dans son modèle d’activité ? Cette mission semble relever de la volonté d’affirmer un positionnement, une conviction, en occultant un peu le côté transformateur de la qualité de société à mission.
Par exemple, on aurait pu imaginer un engagement que tous les travaux de recherche de l’école répondent progressivement à une volonté d’impact sociétal et de promouvoir une économie responsable et soutenable. J’ai bien conscience que cela peut entamer la liberté académique, mais la société à mission est un projet d’alignement collectif.
En outre, sur ce dernier point, on sent un déséquilibre : en matière d’enseignement, TBS s’engage à former toute sa communauté apprenante aux enjeux socio-environnementaux, mais en matière de recherche, il s’agit “juste” de rendre “la recherche à impact sociétal” (qui est très minoritaire dans les recherches de l’école) accessible au plus grand nombre. En termes d’alignement et de cohérence d’ensemble, on sent qu’il y a des tiraillements internes.
Cet exercice d’analyse se veut pédagogique pour toute entreprise souhaitant devenir société à mission ou en cours de transformation. Je m’évertue à être critique MAIS constructif.
Vous pouvez retrouver toutes les missions déjà analysées ici et mes 16 conseils pour passer société à mission ici.
Vous pouvez me contacter pour construire ou évaluer votre mission.
🤝LES LICORNES COOPERATIVES.
Les Licoornes, c’est une intercoopérative lancée il y a un an et réunissant neuf sociétés coopératives d’intérêt collectif (Citiz, Commown, CoopCircuits, Enercoop, Label Emmaüs, Mobicoop, la Nef, Railcoop et TeleCoop). Ces entreprises sont installées sur des secteurs qui touchent de nombreux pans de la société : alimentation, mobilité, énergie, services financiers etc.
Elles ont décidé d’offrir la possibilité de devenir sociétaire de leurs coopératives. A ce stade, elles sont en pré-collecte, mais vous pouvez d’ores et déjà exprimer votre souhait de prendre une ou des parts dans une ou plusieurs des coopératives. Tous les détails sur le site des Licoornes.
⚖️LA LIGNE DE CRETE.
Greenweez est un site de e-commerce éco-responsable passé société à mission l’an dernier. Dans leur dernier spot publicitaire, ils osent un positionnement : ne parlons pas de ne plus consommer, mais de consommer mieux.
Evidemment, difficile pour un distributeur de se mettre sur le créneau de consommer moins. Fine ligne de crête néanmoins, car il y a plusieurs nuances entre arrêter de consommer et consommer mieux, qui semblent ignorées dans cette pub.
🧑⚖️LA RSE S’INSTALLE DANS LES DIRECTIONS JURIDIQUES.
Selon une étude du cabinet De Gaulle Fleurance & Associés, en partenariat avec l’Association française des juristes d’entreprise (AFJE), 17% du temps des directions juridiques (DJ) sont dédiés à la mise en place du cadre RSE dans leur entreprise.
Difficile d’interpréter cette donnée, car cela peut recouvrir un nombre limité ou très important de sujets en fonction de l’interprétation du répondant. Par ailleurs, en fonction de la maturité des entreprises sur la RSE, le niveau d’investissement va beaucoup varier.
Mais, on sent que les DJ sont en phase de montée en compétence : 37 % estiment être en réaction par rapport aux textes légaux, 29 % sont en phase d’étude pour mettre en place des procédures et des outils et seules 13 % estiment être très avancées. Pour les 21% restants, je pense qu’on peut déduire que la maturité n’est pas du tout au rendez-vous…
Sur les dispositifs de la loi Pacte (raison d’être et société à mission), 59% des DJ sont mobilisées par la raison d’être : c’est fait dans 28% et c’est envisagé dans 31% de cas. Il n’est pas dit que l’on parle toujours d’une raison d’être statutaire. D’autant que seules 3% envisagent un passage de leur entreprise en société à mission. Mais, permettez-moi d’être taquin : je ne m’attends pas vraiment à ce que les DJ soient les zélateurs de la société à mission ; l’inverse m’aurait étonné.
Dernier point intéressant : 53% ont accompagné leur entreprise à revoir les mécanismes de rémunération des dirigeants pour inclure des critères RSE. Peut mieux faire, mais la dynamique est enclenchée.
Du côté des idées
🔎LES ODD ET LES ENTREPRISES
Les Objectifs de Développement Durable constituent un cadre régulièrement utilisés par les entreprises pour piloter leurs efforts de RSE. Mais quels sont ceux qui sont les plus plébiscités ? Y a-t-il eu un avant et un après 2015 (date de publication des ODD) ?
Ce sont quelques-unes des questions traitées par Keith Whittingham, Andrew Earle, Dante Leyva-de la Hiz et Alessia Argiolas dans un article de Business Research Quarterly. Leur travail s’appuie sur l’analyse des rapports RSE d’entreprises jugées de très bon niveau par S&P Global Sustainability Yearbook. Ils ont ensuite appliqué un certain nombre de critères pour catégoriser les entreprises. Voici le résultat.
Les ODD sont mentionnés lorsque les entreprises mènent fréquemment des actions concordantes avec l’objectif. On constate donc que c’est très hétérogène. Certains objectifs sont absents, comme la réduction de la pauvreté ou une éducation de meilleure qualité. A l’inverse, certains objectifs ressortent beaucoup, à commencer par l’action climatique.
On remarque également pas mal de disparités, notamment au niveau des secteurs d’activité et des régions. Cette recherche vient confirmer le fait que les entreprises se focalisent souvent sur quelques ODD, soit les plus évidents, soit les plus pertinents pour elles, sans forcément adopter une approche globale.
Petit point d’attention : l’étude se focalise ici sur les “meilleurs élèves”, les très grandes entreprises et sur des rapports datant de 2016 et 2019. Donc, cela donne quelques indicateurs, mais laisse de côté toutes les entreprises qui travaillent peu sur des enjeux liés à des ODD, la très grande majorité des entreprises et les progrès éventuels réalisés ces dernières années.
🧑🏫LA DECROISSANCE RENTRE A L’UNIVERSITE.
L’Université de Clermont-Ferrand vient de lancer l’Observatoire de la Post-Croissance et de la Décroissance. Il est piloté par Thimothée Parrique, dont la thèse sur la décroissance a beaucoup fait parler. Une conférence de lancement vient d’avoir lieu. Un journal universitaire vient d’être, le Degrowth Journal. Un appel à publication a été lancé pour les intéressés.
🧠UN PEU PLUS DE JUS DE CRÂNE.
En matière de mécénat, donner beaucoup n’est pas forcément plébiscité par les consommateurs, selon des travaux de recherche.
Thomas Breuzard lance le concept de “l’égoïsme altruiste”.
Le renoncement, un nouveau crédo ?
Lancement d’un journal papier sur la low tech
Les conséquences de la guerre en Ukraine sur notre alimentation : huile de palme, OGM etc.
Avec Guillaume Desnoës, co-fondateur d’Alenvi, Compani et Biens communs, nous avons animé un webinaire sur la société à mission avec une focale sur les acteurs du prendre soin. Vous pouvez retrouver le replay.
Mon son de la semaine
Je pense avoir déjà partagé un morceau de Rolling Blackouts Coastal Fever. Probablement un des groupes de rock qui me surprend le plus à chaque nouvelle sortie. Paroles travaillées, mélodies accrocheuses, une harmonie hyper bien trouvée à chaque fois. Et puis, franchement, un nom de groupe qui claque ! Hâte de les voir en concert lors de leur passage parisien.
Si vous êtes arrivé.e jusque là, j’ai un petit service à vous demander : cliquez sur ❤ si vous appréciez la missive. Cela m’encourage et permet de savoir les sujets qui vous intéressent.
Vous pouvez également partager le contenu sur les réseaux sociaux ou auprès de collègues. Vous êtes mes meilleurs ambassadeurs !
Vous souhaitez devenir société à mission ?
Si vous souhaitez bénéficier d’un accompagnement, échanger sur vos réflexions liées à la raison d’être ou la société à mission, vous pouvez me contacter par réponse à cet email si vous me lisez depuis votre boîte, sinon par email si vous lisez depuis votre navigateur.
A dans deux semaines,
Vivien.