#32 C'est le mois B Corp : un label B2B ou B2C ?
Et également Grenoble Ecole de Management, première école à mission / Bonduelle toujours plus responsable / Un rapport sur le comité de mission etc.
Bonjour,
Que d’annonces pour commencer cette 32e missive ! Concernant cette newsletter, vous aurez remarqué le changement de date d’envoi, désormais le jeudi. C’est bête, mais ce petit changement amène à s’organiser différemment, à modifier tous les supports “marketing” qui parlent du vendredi…
Niveau contenu, je suis toujours preneur de vos retours concernant “l’huile essentielle du mois” envoyée mardi dernier. Je remercie celle et ceux qui m’ont déjà fait part de leurs commentaires. C’est précieux !
Dernier point d’actu pour La Machine à sens : l’invité du mois sera Guillaume Desnoës, co-fondateur d’Alenvi, jeune entreprise spécialisée dans l’accompagnement des personnes âgées. L’entretien est passionnant. Vous y découvrirez un homme qui cherche à modifier en profondeur un secteur, non seulement grâce au fonctionnement de l’entreprise, mais également en créant des synergies avec d’autres acteurs. Nous avons également parlé du rôle des entrepreneurs, notamment grâce à son essai inspirant Un Pacte. La publication est prévue pour mercredi !
Deux autres belles actus que je vous partage également. J’ai officiellement rejoint la Communauté des entreprises à mission, davantage au titre d’expert que d’entreprise évidemment. J’ai participé à mon “zoom de bienvenue” avec mes camarades de promo cette semaine. Une belle énergie se dégage et je suis fier de faire partie de ce mouvement.
Last but not least, je rejoins le comité de mission du groupe Cheval. Je vous ai déjà parlé de cette ETI drômoise des travaux publics. Une grande fierté auréolée de responsabilités importantes ! J’ai hâte d’apporter ma pierre à l’édifice tant leur mission et leur ADN sont motivants.
Et maintenant l’édito de la semaine
Le mois de mars est le mois B Corp. Suivez le hashtag #BCorpMonth si vous voulez vous rendre compte du dynamisme communicatif des entreprises B Corp. Tout est très bien fait et ce qui ressort quasi systématiquement des communications d’entreprise, c’est la fierté.
La fierté est essentielle, peut-être plus encore aujourd’hui qu’hier. Etre fier de l’entreprise pour laquelle on travaille, c’est important. Parfois, quand on se prend d’intérêt pour un sujet, on tombe dans le biais d’attention et donc on a l’impression qu’il est omniprésent. Pourtant, relativisons : on compte 4000 B Corps… dans le monde. A titre de comparaison, on compte un peu plus de 5000 ETI en France et on se plaint de n’en avoir pas assez.
Donc 4000, c’est une gouttelette dans l’océan d’autant que le label existe depuis 2006. D’où cette question en titre d’un article : “will it ever matter to consumers?”. Le papier m’a un peu étonné, parce qu’il argue que le label B Corp est avant tout destiné aux entreprises B2B plutôt que B2C.
J’ai une lecture vraiment différente. A l’origine, le label est fait pour tout type d’entreprise et il y a une pluralité de sociétés qui ont rejoint le mouvement (je vous donne un exemple surprenant plus bas). Mais j’ai l’impression que la dimension B2C commence à s’imposer progressivement surtout outre-Manche et outre-Atlantique.
On le voit avec le nombre croissant de marques de mode, de cosmétique ou alimentaires qui empruntent ce chemin. Cela reste marginal à l’échelle globale, mais ces entreprises visent un segment bien spécifique, les consom’acteurs ou du moins les consommateurs conscients. Ils sont aujourd’hui minoritaires, mais sont attentifs à ce type de label contraignant et positif. Cela va continuer à progresser à l’avenir, car la population des consommateurs conscients va augmenter et qu’il va y avoir un effet d’entraînement dans les différents secteurs concernés.
Mais, il ne faut pas imaginer que le label n’a pas d’intérêt pour le B2B. Il peut être pertinent pour des entreprises dont la direction veut porter un positionnement responsable et global. Il peut servir la marque employeur de l’entreprise. A terme, il pourra peut-être avoir une valeur business positive ; c’est aujourd’hui peu démontré pour percer sur certains marchés ou fidéliser des clients B2B.
Bref un label fait pour toutes les entreprises.
Au sommaire :
Une première école passe à mission
Bonduelle persiste et signe
Le fameux exemple étonnant de B Corp
Le groupe Cheval explique comment faire vivre sa mission
La Communauté des entreprises à mission publie un rapport sur le comité de mission
La bataille des OTI
Du côté des entreprises
LES ECOLES AUSSI. Grenoble Ecole de Management a été la première à dégainer. L’école de commerce vient en effet de passer société à mission. C’est une première en France. J’ai comme l’impression qu’un vent de rivalité planait entre Grenoble et Lyon, puisque l’emlyon devrait également passer à mission. Mais, ne cherchons pas la petite bête.
Les écoles d’enseignement supérieur sont des entreprises privées et peuvent tout à fait adopter la qualité de société à mission. La voie est toute naturelle pour les structures tournées vers l’éducation. Je ne serais donc pas surpris si d’autres écoles venaient à aller dans cette direction.
Et ce d’autant plus qu’il y une marque école à développer. La concurrence est rude entre établissements et nombreux sont ceux à dire que les jeunes générations veulent du sens (disons plutôt que la question du sens devient centrale pour tout le monde aujourd’hui), et donc que cela passe aussi par le choix de leur école.
La raison d’être de GEM : “Apporter des réponses, par la formation et la recherche, aux grands défis de la transition écologique, sociétale et économique et contribuer à un monde plus résilient, plus juste, plus pacifique, plus responsable.” Pas grand chose à rajouter. Tout est dit.
Je n’ai qu’une chose : bon courage aux autres écoles pour se distinguer… C’est peut-être l’aspect que l’école devra travailler : qu’est-ce qui lui est vraiment spécifique ? La notion de “pacifique” est assez étonnante et je serais curieux de savoir ce que cela signifie pour les actions de l’école.
GEM précise qu’elle “pourra opposer sa raison d'être à des tiers qui ne partagent pas ses convictions”. Si demain une entreprise de l’armement veut recruter des stagiaires ou des alternants, l’école refusera-t-elle de promouvoir les offres auprès de ses étudiants ? A partir de quel niveau GEM considère que les pratiques environnementales d’une entreprise prête à financer une chaire peuvent l’amener à renoncer à ce financement ?
Ma plus grande surprise vient des objectifs fixés. Plutôt que d’adopter des objectifs qui auraient été travaillés par et pour l’école, GEM a décidé de reprendre cinq objectifs inspirés des ODD. Deux objectifs sont ainsi : “Agir avec éthique et défendre l’intégrité physique et morale des personnes : refuser tout comportement ou parole portant atteinte aux droits, à la santé et la dignité de chaque individu” ou “Promouvoir la solidarité et les principes de Paix économique et combattre toute forme de corruption et de violence”.
Les ODD sont souvent utilisés pour réfléchir à des actions que l’entreprise peut mener en matière de RSE, mais généralement ils sont adaptés à l’activité de l’entreprise. Et je sais que GEM a réalisé ce travail, puisque les cinq objectifs avaient déjà été présentés à l’automne dernier lors de la publication du GEM Manifesto for a Sustainable Future accompagnés d’objectifs spécifiques. Choix étonnant donc, parce qu’avec des objectifs aussi macroscopiques, l’école va être constamment prise à partie, d’autant plus que les étudiants sont généralement une partie prenante très engagée. Je ne suis pas certain que ces objectifs statutaires ont été vraiment stress-testés.
BONDUELLE STATUTAIREMENT VÉGÉTALE. Bonduelle fait partie de ces entreprises françaises responsables dont on parle trop peu. Et pourtant, c’est une marque connue de toutes et tous, peut-être pas très hype, mais inscrite dans le paysage économique français depuis des décennies.
J’ai déjà plusieurs évoqué le chemin que l’entreprise prend vers la certification B Corp en étant co-sponsor du B Movement Builder, initiative visant à rendre le parcours de certification plus adapté aux grands groupes peu nombreux à s’être lancés dans la démarche, surtout les cotés.
En Assemblée générale, les actionnaires de Bonduelle ont validé la raison d’être statutaire du groupe : “Nous inspirons la transition vers l’alimentation végétale, pour contribuer au bien-être de l’Homme et à la préservation de la planète.”
Je trouve cette raison d’être très bien écrite et le choix des mots est judicieux, clair et ouvre le champ des possibles. L’entreprise est en train d’élaborer une feuille de route autour de trois grandes transitions : les transitions alimentaire, agro-écologique et socio-économique. Si l’ambition de passer à mission n’est pas affirmée, je serais surpris que ce ne soit pas le but à terme (conjointement avec l’objectif de certification B Corp en 2025 ?).
Une chose m’a frappé dans la vidéo de présentation de la raison d’être et de ses tenants et aboutissants : elle est en anglais. C’est effectivement un enjeu important pour les entreprises dont les parties prenantes sont internationales (clients, fournisseurs, actionnaires, partenaires etc.). Ce n’est pas parce que la loi PACTE est un dispositif français qu’on ne peut inclure les démarches de raison d’être et de société à mission dans une communication internationale. Les enjeux d’entreprise responsable sont aujourd’hui internationaux ; aucune barrière existe pour trouver les bons mots pour expliquer la démarche.
FLUIDIFIER B CORP. J’aime bien partager des exemples de B Corp un peu étonnants. Je vous présente Fluitec, entreprise néerlandaise de lubrifiant industriel. Ils viennent d’être certifiés B Corp. Autant vous dire que c’est par conviction. Ils sont dans un secteur où je doute que l’effet d’image soit aujourd’hui perceptible pour leurs clients.
Mais, il y a tout de même un pari sur l’avenir… Comme le dit Pierre Vanderkelen, “en tant que fournisseur d’industries [comme les gaz industriels, le pétrole], en plus d’une fiabilité renforcée et des économies de coût, nous apportons des bénéfices mesurables en termes de durabilité. C’est fantastique de voir des organisations mettre la durabilité et l’environnement comme critère ou KPI dans leurs décisions d’achats.”
FAIRE VIVRE LA MISSION. Si vous avez lu plus haut, vous savez que je fais partie du comité de mission du groupe Cheval. Les Echos consacrent un article à l’entreprise. Son président Jean-Pierre Cheval revient sur les raisons de ce choix et explique un peu comment l’entreprise compte faire vivre cette mission. Au-delà du comité de mission, ils ont créé un comité opérationnel, le G60 pour optimiser l’implication des collaborateurs.
La citation de la semaine
Les entreprises sont-elles de bonne foi, lorsqu’elles nous disent qu’elles sont responsables ?
Alain Schnapper : Le capitalisme actionnarial a touché ses limites à deux reprises : en 2008 [avec la crise des subprimes], puis en 2020 [avec la pandémie de Covid-19], vu l’enthousiasme avec lequel tout le monde s’est tourné vers les États. Sur le plan idéologique, cela a remis les pendules à l’heure. En Europe en tout cas. Il y a désormais une prise de conscience de la nécessité de mobiliser les États et les entreprises selon un contrat social à réinventer. L’État peut être l’un des acteurs qui oriente les entreprises vers une forme d’intérêt général. Et de plus en plus d’actionnaires prennent conscience des risques, qu’ils ne peuvent rationnellement plus écarter. La nature des enjeux ne laisse plus guère le choix. Les compagnies pétrolières, par exemple, sont soumises à une forte pression de leurs actionnaires. (Entretien passionnant de Dominique et Alain Schnapper dans Usine Nouvelle)
Du côté des idées
L’UTILITÉ DU COMITÉ DE MISSION. La Communauté des entreprises à mission vient de publier un rapport sur le comité de mission : à quoi sert-il ? Comment le composer ? Comment l’animer ? Il est le fruit d’une réflexion portée par l’un des groupes de travail de l’association. Il sort fraîchement des presses, donc je n’ai pas encore eu le temps de le lire.
LA BATAILLE EST LANCÉE. C’est un des enjeux cachés de la société à mission. Il faut choisir un organe externe qui agira comme Organisme Tiers Indépendant afin de contrôler le respect de la mission. Mais qui pour faire ce travail ? C’est l’objet de cette tribune de Bastien Moraga et Julien Mimoun.
QUELLES DIFFÉRENCES ? Heureusement que Google Translate existe ! Ca me permet de lire les articles concernant les débats italiens sur le sujet des sociétés à mission, ou società benefit. Là-bas comme ici, la question se pose : faut-il choisir entre B Corp et società benefit ? Quelles sont les différences entre les deux ? Sont-ils compatibles, voire complémentaires ? Sans prendre partie, l’article présente assez clairement les différences. Je remarque que l’on pourrait presque remplacer società benefit par société à mission.
Mon son de la semaine
Apaisant, magnétique, “Mystery of Love”, le nouveau single de Thibault Cauvin est une perle.
C’est tout pour cette semaine. Merci de votre lecture ! N’hésitez pas à me faire vos commentaires, retours, recommandations par email ou via LinkedIn. Et partagez cette newsletter auprès de votre réseau. Je suis sûr que deux personnes que vous connaissez pourraient être intéressées.
A la semaine prochaine - mercredi pour l’invité du mois et jeudi pour la 33e missive,
Vivien.