#80 L'hypercroissance et la société à mission : compatibles ?
Et également décryptage de la mission du groupe Arverne (énergie - forage) et plein d'autres actus (12')
Chère lectrice, cher lecteur,
Bienvenue dans cette 80e missive de La Machine à sens. Au sommaire :
💭L’édito : hypercroissance et société à mission sont-elles compatibles ?
⚡Décryptage de la mission du groupe Arverne (secteur de l’énergie - forage)
📱Pinterest dit “non” à la désinformation climatique
🙋♀️Vers un Next40 féminin ?
🤝De nouvelles offres d’emploi à vous proposer
👏La Suède envisage de comptabiliser les émissions carbone importées - une première au monde
🧑🏫 La Convention des entreprises pour le climat veulent que tous les décideurs reçoivent une formation aux enjeux environnementaux
📕Recension de Cette planète n’est pas très sûre d’Alexis Jenni
🧠Un peu plus de jus de crâne avec l’intérêt général et les cabinets de conseil, les voiles made in Michelin, et les DRH et la RSE
🎧Mon son de la semaine : Keep Dancing Inc - Start Up Nation
A déguster ou à picorer !
L’édito
Une récente étude de KPMG en partenariat avec CroissancePlus m’a interpellé. Intitulé Les leviers de l’hypercroissance, elle cherche à identifier ce qui caractérise les entreprises en hypercroissance. Parmi les répondants, 21% envisagent de passer société à mission. Mais hypercroissance et société à mission sont-ils compatibles ?
Dans un précédent édito, j’avais analysé la responsabilité d’entreprise de toutes nos licornes. Ce n’était pas très reluisant et on comptait sur les phalanges d’un doigt celles qui s’étaient positionnées pour devenir société à mission. La licorne est l’archétype de l’entreprise en hypercroissance. Précision utile : l’hypercroissance est définie dans le rapport par une croissance annuelle moyenne de 15% minimum sur les trois-quatre dernières années.
Donc, le nombre de 21% me paraît très élevé. Une nuance de poids est à avoir à l’esprit : l’enquête s’appuie sur un tout petit échantillon (57), donc elle n’est pas du tout représentative. Il faut ainsi prendre cette donnée à titre strictement indicatif.
Tout de même, cela m’a interrogé. En phase d’hypercroissance, les efforts semblent ailleurs : la course à l’innovation, le time to market, la course aux talents et à la fidélisation, la quête de nouveaux clients et de nouveaux marchés, l’augmentation permanente des besoins de production, la structuration interne etc.
Mais, il faut croire que les considérations de responsabilité ne sont pas si loin des préoccupations. Je vois plusieurs raisons :
La société à mission est un cadre propice à l’innovation : on se met dans une démarche d’amélioration continue, donc cela ne dessèche pas la dynamique.
La société à mission est perçue comme utile pour la marque employeur. Cela reste à prouver, mais tout autant que l’inverse, à savoir que cela l’endommage.
De plus en plus d’entreprises en hypercroissance se trouvent dans des secteurs d’activité qui sont portés par les transformations sociétales et environnementales que nous connaissons. Une forme de cohérence prend donc forme.
Cela ancre le projet et ses principes directeurs dans la durée. Dans une phase d’hypercroissance, les besoins de financement peuvent conduire à une ouverture du capital, voire à une cotation en bourse. La mission crée une boucle vertueuse entre investisseurs et dirigeants pour regarder dans la même direction.
C’est un peu le sens du business. Il parait de plus en plus incongru d’ignorer ces enjeux si on regarde par exemple les attentes clients et les stimuli réglementaires, mais rares sont ceux qui parviennent à véritablement embrasser ces sujets. Dans son profilage de dirigeants de PME, Bpifrance Lab avait identifié 18% de Stratèges engagés, à savoir des chefs d’entreprises qui conjuguent parfaitement forte croissance et responsabilité d’entreprise au cœur de la stratégie.
Les chantiers sont effectivement légion quand on est en hypercroissance et tous semblent urgents. La société à mission peut offrir cette bouffée d’oxygène nécessaire qui permet de projeter non sa croissance, mais le développement et l’utilité de son entreprise, qui vient questionner la trajectoire de cette hypercroissance, le sens à lui donner et la direction dans laquelle orienter les efforts. Bref, tout ce qui évite d’être pris dans un tourbillon permanent.
Du côté des entreprises
⚡DECRYPTAGE DE LA MISSION DU GROUPE ARVERNE.
Merci à celles et ceux qui ont voté la semaine dernière. Le Groupe Arverne a été largement plébiscité.
Voici une entreprise qui n’a pas froid aux yeux : passer société à mission en faisant du forage et de l’extraction de lithium. Présenté ainsi, on se dit que le greenwashing n’est pas loin. Et pourtant non ! Arverne est une jeune entreprise très audacieuse créée en 2018. Son projet : capitaliser sur la géothermie comme ressource énergétique dans la transition écologique (bien au-delà de la pompe à chaleur que l’on connait) et extraire le lithium qui se cache dans les courants d’eau. Le mieux pour comprendre le lien entre géothermie et lithium est de lire l’entretien de Pierre Brossolet dans Transitions & Energies.
Le Groupe Arverne est bien conscient de toutes les polémiques qui peuvent entourer le forage et veut le faire de manière respectueuse des écosystèmes. Convaincu de l’important potentiel de la géothermie comme énergie renouvelable dont l’exploitation est faible en émissions carbone, l’entreprise s’est lancée dans ce pari risqué, tant les besoins d’investissement sont importants et la nécessité de penser sur le temps long indispensable. Passons au décryptage !
La raison d’être :
Par son savoir-faire unique, le groupe Arverne libère le potentiel des géo-ressources et les valorise durablement pour une transition énergétique pragmatique au service de la prospérité des territoires.
L’entreprise a fait le choix d’une raison d’être explicite et claire. Elle est singulière en grande partie parce que l’activité de l’entreprise l’est déjà : activité de niche à haut niveau d’innovation avec une approche locale.
Il n’y a pas d’artifice sémantique. C’est assez compréhensible : l’entreprise est jeune et n’a pas forcément développé son propre champ lexical.
Quelques marqueurs sont toutefois présents. A commencer par “le pragmatisme”. Cela se sent effectivement dans les prises de parole de son fondateur : “le potentiel français en géo-thermie est prouvé. Quand des ressources existent sur un territoire, il est criminel de ne pas s’y intéresser”, déclarait-il dans son entretien à Transitions & Energies.
Ensuite, “la prospérité des territoires”. Arverne se positionne effectivement sur des chantiers de nature locale. Par ailleurs, l’acceptation locale de projet de forage peut se poser et donc une proximité s’avère indispensable.
Enfin, “les géo-ressources”. Ce terme permet d’englober à la fois la chaleur de la géothermie et le lithium, qui sont les deux principaux axes de développement de l’entreprise aujourd’hui. Le lien entre lithium et transition énergétique ? L’électricité : le lithium est utilisé dans les batteries, qui sont nécessaires par exemple dans les voitures électriques.
Les objectifs :
Agir en énergéticien engagé pour répondre aux enjeux d’une transition énergétique pragmatique.
Encourager une société vertueuse en s’appuyant sur les hommes et les femmes au sein de l’entreprise et des territoires.
Deux objectifs, c’est assez peu. Il n’y a pas de règle, mais généralement, trois-quatre objectifs permettent de bien compléter la raison d’être et d’ouvrir des chantiers transformateurs pour l’entreprise.
Surtout, ces objectifs apportent peu de matière supplémentaire par rapport à la raison d’être. Le premier parle certes “d’énergéticien engagé”, mais cela n’apporte pas réellement de complément d’information et aurait pu être dans la raison d’être.
Le second est trop large pour vraiment servir d’objectif. On y parle de “société vertueuse”, concept trop fourre-tout pour guider des axes d’efforts précis. En plus, il inclut l’interne et l’externe. Comme je le conseille, dans la mesure du possible, il est préférable que chaque objectif traite d’une partie prenante.
Au global
Cette mission est un peu déséquilibrée avec une raison d’être bien travaillée et des objectifs qui n’apportent pas d’envergure complémentaire.
La raison d’être offre toutefois un certain nombre d’éléments utiles à l’avenir du groupe Arverne. Par ailleurs, cette mission pourra lui être utile dans ses levées de fonds futures, notamment en ancrant son activité “au service de la prospérité des territoires”, qui implique que son activité doit servir tous les acteurs d’un territoire sans discrimination.
Cet exercice d’analyse se veut pédagogique pour toute entreprise souhaitant devenir société à mission ou en cours de transformation. Je m’évertue à être critique MAIS constructif.
Vous pouvez retrouver toutes les missions déjà analysées ici et mes 16 conseils pour passer société à mission ici.
Vous pouvez me contacter pour construire ou évaluer votre mission.
📱LES “RESEAUX” S’ATTAQUENT A LA DESINFORMATION CLIMATIQUE.
Pinterest a décidé de s’en prendre à la désinformation climatique. Il retirera tous les contenus niant le changement climatique ou les responsabilités humaines dans ce phénomène. Cela s’appliquera également à sa politique de publicités.
C’est le premier réseau social à édicter des règles sur le sujet de la désinformation climatique. Cette décision est tout à fait vertueuse, mais je ne suis pas certain que Pinterest soit le principal nid de conspirationnistes et de climato-négationnistes. Il faudra voir ce que d’autres font, à commencer par Twitter et Meta (Facebook et Instagram).
🙋♀️UN NEXT 40 FEMININ ?
Le Women’s Forum et BNP Paribas veulent créer un Next 40 100% féminin pour améliorer la visibilité des entrepreneuses. Il sera constitué de vingt start-up, quinze PME de 10 à 50 millions d’euros de chiffre d’affaires et cinq ETI affichant de 50 à 150 millions de chiffre d’affaires. L’appel à candidatures est ouvert jusqu’au 14 juillet. Les nominées seront annoncées en novembre.
P.S. : le lien vers le site de candidature ne fonctionne à l’heure où j’écris. Peut-être sera-t-il réparé quand vous lirez cette missive…
Section recherche
68% des entreprises rencontrent des difficultés de recrutement. Cette nouvelle section vise à publier gratuitement vos offres d’emploi et vous aider à toucher un lectorat sensible aux entreprises rôles modèles ou qui peut relayer aux bonnes personnes. Cette section est ouverte à toutes les entreprises à mission ou celles disposant d’un label RSE (comme Positive Workplace, B Corp, Label Lucie ou Engagé RSE).
Le Cèdre est une centrale d’achat à mission avec une forte implantation locale. Plusieurs offres sont ouvertes :
Délégué.e régional.e Languedoc-Roussillon et Provence (CDI - basé dans la région avec pas mal d’itinérance - l’offre n’est pas encore en ligne)
Responsable des marchés énergie (CDI - basé à Paray le Monial, Bourgogne Franche Comté - modalités de télétravail non spécifiées)
Haatch est un cabinet de conseil en stratégie RSE passé à mission depuis un an. Pour épauler les consultants senior, ils recherchent :
Consultant.e en RSE (CDI - basé à Paris - modalités de télétravail non spécifiées)
Le Comité 21 est un think tank et do tank spécialisé de longue date dans le développement durable avec une approche très ouverte sur l’écosystème. Ils recherchent :
Responsable RSE et Climat (CDI - basé à Paris - 2 jours de télétravail par semaine)
Mieux est une agence de communication responsable labellisée Positive Workplace. Bien installé sur une péniche, ils recherchent :
Assistant·e Chef·fe de projets communication RSE (stage pour le 1er juillet - basé à Boulogne Billancourt - modalités de télétravail non spécifiées)
Du côté de la politique
👏LA PIONNIERE SUEDE.
La Suède pourrait être le premier pays au monde à inclure les émissions de carbone importées liées à la consommation. C’est la zone d’ombre de toutes les stratégies nationales de réduction des GES, voire de neutralité carbone. En effet, ne sont mesurées que les émissions de gaz à effet de serre rejetées sur le territoire, mais pas celles qui résultent de la production de produits importés.
Selon les calculs du Carbon Footprint Project, ces émissions importées représenteraient 60% du total des émissions suédoises. Calcul à prendre avec des pincettes, parce qu’il n’existe pas de standards internationaux sur le sujet, mais cela place la Suède très haut dans la liste des mauvais élèves. En comparaison, la France serait à 35%.
La proposition de loi doit encore passer pas mal de stades et doit être affinées d’un point de vue technique, mais ce serait historique !
Du côté des idées
🧑🏫 FORMATION CONTINUE SUR L’ENVIRONNEMENT.
La Convention des Entreprises pour le Climat a publié une tribune la semaine quelques jours avant le premier tour. Même si le travail des 150 entreprises n’est pas terminé, le collectif souhaitait partager une première conviction toute simple et pourtant si nécessaire : “nous proposons que tous les décideurs suivent une formation complète, exigeante et tournée vers l’action sur les enjeux environnementaux”.
Les décideurs sont autant dans la sphère privée que publique. J’ai déjà relayé pas mal d’études sur ces sujet, que ce soit sur le faible niveau de connaissances de membres de conseils d’administration sur les enjeux climatiques (alors imaginez si on élargit le champ) ou sur la récente proposition de loi concernant une formation au climat pour tous les élus locaux.
📕RECENSION DE CETTE PLANETE N’EST PAS TRES SURE. HISTOIRE DES SIX GRANDES EXTINCTIONS PAR ALEXIS JENNI (HUMENSCIENCES, 2022).
Je connaissais Alexis Jenni pour son magistral roman L’Art français de la guerre. Outre ses talents de romancier, il est également agrégé de biologie et a enseigné la SVT. C’est en mélangeant ses deux casquettes qu’il a écrit Cette planète n’est pas très sûre. Il a vocation à traiter de milliards d’années d’histoire de la Terre en 200 pages. Projet ambitieux, mais heureusement, il n’y pas eu tant d’extinctions—dont on est absolument certain—donc cela rend l’exercice un peu plus réaliste.
Le livre part des travaux de David Raup et Jack Sepkoski, The Big Five, qui recense cinq grandes extinctions massives. La plus connue est celle des dinosaures, mais bien d’autres nous sont inconnues. Et d’ailleurs, ce chiffre reste assez théorique. D’autres recherches en ont trouvées 18.
J’ai par exemple été bluffé par les conséquences de l’apparition de l’oxygène sur Terre qui causa l’extinction massive de bactéries il y a 2,4 milliards d’années. Il faut des millions, voire dizaine de millions d’années à de nouveaux écosystèmes à réapparaître, sous de nouvelles formes, après moult adaptations lentes à ces conditions de départ hostiles. Beaucoup de ces disparitions sont liées aux volcans qui rentrent en éruption et forment d’épais nuages sur la surface de la planète générant l’extinction progressive—c’est rarement brutal—de la faune et la flore du moment.
Dans un monde où le temps long se définit souvent en années, voire en décennies, ce livre force à la réflexion. Nous représentons l’équivalent d’un bip dans l’histoire de la Terre. Et pourtant, nous arrivons à en modifier les conditions de vie de manière vraiment brutales (en même pas 200 ans). A titre d’exemple, Alexandre Jenni évoque des travaux montrant que 40% des animaux ont disparu en 40 ans et 32% des espèces étudiées dans ces recherches, notamment les lions ou les girafes, ont vu leur population se réduire, ainsi que leur zone de répartition se rétrécir.
On ressort de cette lecture empreint d’une grande humilité. Cet ouvrage rappelle de nouveau que le changement climatique n’est pas dangereux pour la Terre ; il est avant tout dangereux pour la faune et la flore actuelles, et donc nous aussi. Alexis Jenni cite Bruno David en demandant : “au bout de quel degré de dégradation un système globalement résilient s’effondre-t-il ? Quand un système est progressivement dégradé, on en connait la fin : il s’effondre et disparaît. Mais quand ?” Et de conclure plus loin : “quand les grands cycles se dérèglent, quand les rapports entre espèces se dérèglent, le chaos qui s’installe est favorable aux espèces opportunistes et invasives, c’est une prolifération de méduses, d’algues, de micro-organismes pathogènes”.
Vous pouvez vous procurer l’ouvrage ici.
🧠UN PEU PLUS DE JUS DE CRÂNE.
Michelin se lance dans la très grosse voile à bateau.
Pour Thomas Chardin de Parlons RH, les DRH doivent davantage investir la RSE
Pour Géraldine Hatchuel, les cabinets de conseil ne peuvent pas faire des missions d’intérêt général
Mon son de la semaine
Découvert par le hasard de la lecture aléatoire, ce titre est juste tombé à un moment assez caustique, entre les deux tours. Intitulé “Start Up Nation”, ce morceau de Keep Dancing Inc est dans l’ère du temps : “In the start up nation, if you can’t a job, just cross the street” ou “In the start up nation, embrace the fail”. Critique douce, ironie sous des airs de danse, je vous laisse juge.
Si vous êtes arrivé.e jusque là, j’ai un petit service à vous demander : cliquez sur ❤ si vous appréciez la missive. Cela m’encourage et permet de savoir les sujets qui vous intéressent.
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Vous souhaitez devenir société à mission ?
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A la semaine prochaine,
Vivien.