#8 Peut-on encore avoir une raison d'être sans modifier les statuts de son entreprise ?
Au sommaire : Ma Bonne étoile, nouvelle entreprise à mission ; la stratégie fournisseurs-partenaires de Wessanen ; focus sur la raison d'être ; l'Impact Score fait sa rentrée...
Bonjour, bienvenue dans cette nouvelle missive de La Machine à sens, la newsletter qui parle de l’entreprise du XXIe siècle. Si un/e lecteur/trice bien informé/e vous a transmis cet email, je vous invite à vous abonner pour recevoir les prochains envois. Vous pouvez retrouver les précédentes newsletters ici.
La rentrée bat définitivement son plein. Les rythmes s’accélèrent. Les événements reprennent, de même que les annonces. Et ça bouge ! D’ailleurs, je serai mardi au salon Produrable. Je serais ravi d’échanger si vous êtes également présent. Vous avez juste besoin de répondre à cet email pour me le dire ou en commentaires.
Au programme de cette missive :
Déjà B Corp, Ma Bonne étoile devient entreprise à mission après une levée de fonds
Focus sur la stratégie fournisseurs-partenaires du groupe néerlandais Wessanen
Et si le stage de 3e était centré sur la raison d’être des entreprises ?
Je vais quand même répondre à la question qui est en titre…
L’Impact Score fait irruption dans le débat après les Universités d’été de l’économie de demain
Du côté des entreprises
A quelques heures près la semaine dernière, j’aurais pu parler de Ma Bonne étoile, l’entreprise qui est derrière Squiz, spécialisée dans le packaging zéro déchet. Cela aurait parfaitement convenu dans l’analyse que je faisais : comment ne pas diluer sa mission quand on n’est plus maître à bord. C’est un hasard de calendrier que je n’avais pas prévu. En tout cas, Ma Bonne étoile est l’exemple parfait de ce que j’évoquais : quand on fait une levée de fonds et qu’on est une B Corp ou une entreprise à mission, il faut prendre le temps de trouver les bons partenaires pour maintenir le feu des engagements. C’est exactement ce qu’a fait Ma Bonne étoile, qui est une B Corp depuis 2015.
Ils ont annoncé une levée de fonds de 1,8 million d’euros auprès du fonds de la MAIF (récemment devenue société à mission) et de ONE CREATION Coopérative, fonds suisse certifié B Corp. Autant dire que les objectifs de l’entreprise ne devraient pas être écornés par ces investisseurs à impact. Mais, cette levée de fonds va encore plus loin, puisque Ma Bonne étoile devient dans le même temps une entreprise à mission. On peut penser que la MAIF n’est pas étrangère à cette décision, mais on voit bien que les bonnes rencontres peuvent déboucher sur de belles avancées.
Dans ma seconde missive, je parlais du rachat de Danival par Wessanen, groupe agroalimentaire néerlandais labellisé B Corp. Cet article de Décision Achats détaille comment l’entreprise infuse ses valeurs auprès de ses fournisseurs. Ils ont établi trois niveaux de relations avec leurs fournisseurs, qui se traduisent par autant de niveaux de proximité. Tous doivent s’enregistrer sur Sedex (Supplier Ethical Data Exchange), une plateforme collaborative évaluant les fournisseurs en matière de sourcing responsable. Mais, la relation devient fusionnelle avec les Partners : contrats de trois ans et plus, des initiatives communes, telles que de la co-construction sur des produits etc. Un beau modèle, qui est loin d’être la norme…
Quand on fait partie d’un groupe qui a le statut de société à mission, cela infuse dans tous les niveaux de l’entreprise. Preuve en est avec Petit Bateau, qui fait partie du groupe Rocher. Ils soutiennent une consultation citoyenne autour de la question : “Comment agir pour une mode plus responsable ?”. On sait que les enjeux auxquels font face à l’industrie textile sont colossaux.
Et si on changeait le stage de 3e ? C’est ce que proposent Marion Darrieutort et Antoine Lemarchand, les co-présidents de Entreprise & Progrès dans une tribune.
La Tribune de nos coprésidents @LesEchos « Restaurons la confiance entre les jeunes et les #entreprises » Marion Darrieutort @Darrieu et Antoine Lemarchand #impact #raisondetre @LesEchosLeur idée est de faire de ces élèves des “reporters de raison d’être” pour essayer de restaurer un lien de confiance entre les jeunes et l’entreprise à un moment où la défiance semble maximum. Il s’agirait pour ces élèves de comprendre comment les entreprises qui inscrivent la raison d’être dans leurs statuts cherchent à créer un impact positif pour la société. L’idée est très louable tant on sait que le stage de 3e est un passage obligé, mais rarement une expérience mémorable… Si l’audience des auteurs était effectivement les jeunes, je ne suis en revanche pas certain qu’une tribune dans Les Echos soit le meilleur vecteur de communication… #clashgénérationnel
Je vous conseille la lecture de cet article dans La Semaine du Minervois consacré à Terra Hominis, société à mission spécialisée dans le crowdfunding de projets viticoles. On part à la rencontre de Ludovic Aventin, son fondateur. J’adore ce qu’il dit sur le statut d’entreprise à mission :
C'est bien plus qu'un label, c'est un véritable objet social que l'on peut ajouter. Je suis convaincu que c'est le statut juridique de demain, le label bio de demain.
Je termine cette section entreprise par une étude de Comfluence que j’avais manquée au début de l’été. Ce cabinet a étudié les entreprises du CAC40 pour identifier si elles ont une raison d’être et comment elle est formulée. Initialement sortie juste avant le confinement, les auteurs l’ont mise à jour début juillet. Quelques éléments ressortent.
Il y a donc une distinction entre la raison d’être telle que l’entreprise la définit et celle qui suit la logique de la loi PACTE. Plusieurs entreprises sont prudentes sur l’inscription de la raison d’être dans les statuts. Elle devient alors une boussole dans toutes les décisions et cela ne semble pas être la direction que tous ces chefs d’entreprise souhaitent prendre. C’est tout le débat : si beaucoup d’entreprise n’ont pas attendu la loi PACTE pour définir leur raison d’être, c’est parfois mieux de pouvoir en faire le fleuron de tous les outils de communication que d’en faire une boussole stratégique. Néanmoins, l’étude pointe du doigt un phénomène intéressant, à savoir que la formulation à la première personne du pluriel, plus personnelle et engageante, aboutit généralement à une modification de statuts dans deux-tiers de cas. C’est le cas d’Atos et de Carrefour par exemple.
A la lecture de cette étude, on se demande tout de même si tout le monde s’entend sur la formalisation d’une raison d’être. Elle ressemble parfois davantage à une ambition qu’à une raison d’être. A titre d’exemple : “Satisfaire nos clients et conserver leur confiance” ou “créer de la valeur et du sens”.
Cette hétérogénéité illustre une des lacunes de la loi PACTE : elle ne définit pas la raison d’être. Elle inscrit seulement que “les statuts peuvent préciser une raison d'être, constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité.” Avec ça, on met un peu ce qu’on veut dans la raison d’être. C’est une faiblesse pointée du doigt par Patrick D’Humières d’Eco Learn dans un récent papier pour La Tribune.
De ce fait, seule la pratique et la multiplication des raisons d’être inscrites dans les statuts permettront véritablement de discerner ce qu’est une raison d’être et ce qui ne l’est pas. Je rejoins Patrick D’Humières quand il dit que la raison d’être est un stade transitoire vers l’entreprise à mission.
La loi PACTE est une fusée à trois étages : le premier est une généralisation de l’évolution de l’objet de l’entreprise pour prendre en compte des objectifs sociaux et environnementaux, le second volontaire est la raison d’être et le dernier également volontaire est le statut d’entreprise à mission. Mais quel intérêt aurait une entreprise à s’arrêter au deuxième étage ? Que la transition vers l’entreprise à mission soit progressive est très compréhensible surtout pour des gros paquebots comme les entreprises du CAC40, mais on pourrait craindre une forme d’affichage si la finalité se limite à la raison d’être. Il vaut mieux alors ne pas se lancer du tout, mais cela sera-t-il acceptable à terme ? Espérons que non. Et donc, après la loi PACTE, une raison d’être peut-elle être simplement déclarée sans être inscrite dans les statuts ? La réponse est dans la question…
Du côté des idées
Les Universités d’Eté de l’Economie de Demain se tenaient la semaine dernière. Cela a été l’occasion pour le collectif Mouves (mouvement des entreprises sociales et solidaires) de dévoiler un nouvel outil : l’Impact score. Il s’inspire de la philosophie de Nutriscore. L’objectif serait d’évaluer toutes les entreprises sur la base de quatre piliers : l’impact social et environnemental et le partage de la richesse et du pouvoir. En soi, on se rapproche des piliers de l’ESG. L’idée n’est pas nouvelle, mais cette rencontre lui a donné un nouveau souffle. L’arrivée au gouvernement d’Olivia Grégoire en charge de l’ESS offre aussi une courroie de transmission vers l’exécutif. C’est en tout cas le message qu’elle a livré pendant les UEED.
De nombreuses questions se posent autour de l’utilité de ce dispositif, de son articulation avec la loi PACTE, mais aussi avec le label B Corp. Appréciez comment Augustin Boulot, le délégué général de B Corp France, voit l’articulation :
Ce nouvel outil est-il pertinent ?
Absolument, et nous avons travaillé à sa conception avec eux. Le label B Corp est très exigeant à obtenir, il permet d'aller très loin, alors que l'Impact Score sera un excellent moyen d'introduction au sujet. Il permettra aux entreprises de savoir où elles en sont, de se situer. C'est un très bon premier pas.
Bonnes lectures ou écoutes
Bon article dans la version française de la Harvard Business Review sur la nécessité de redéfinir la notion de “wartime CEO” pour le sortir d’une simple logique de croissance à tout prix et intégrer l’importance de la santé des collaborateurs ou l’utilité de devenir B Corp ou entreprise à mission.
Entretien commun de Corinne Thouvenin et Charlotte Bosc pour Objectif ETI où elles expliquent comment la raison d’être et la société à mission sont des “boussoles stratégiques” pour l’entreprise.
Entretien fouillé sur la raison d’être avec Anne-France Bonnet, dirigeante du cabinet Nuova Vista, pour Maestrium. J’ai trouvé cette phrase très pertinente : “La stratégie devient la conséquence de la raison d’être, et non l’inverse.”
“Objectif Raison d’être” sur BFM Business est de retour. Cyrielle Hariel a reçu Dominique Carlac'h, vice-présidente du Medef, et Eva Sadoun, co-présidente du Mouves. Quelques bons passages sur la raison d’être.
Point agenda
Et pour terminer, quelques bons événements avec le salon Produrable (6 et 7 septembre) qui donne la part belle à la RSE, la raison d’être et l’entreprise à mission. Très beau programme ! J’y serai mardi. Peut-être ferai-je une missive exceptionnelle pour l’occasion.
Egalement l’événement “Comment pouvons-nous collectivement réussir la transition écologique ?” à Paris (10 et 11 septembre).
C’est tout pour cette semaine. Je vous dis à vendredi prochain pour la suite. N’hésitez pas à partager cet email ou cette missive à votre réseau. Et pour finir, vos réactions sont très appréciées par un like ou un commentaire !
A vendredi prochain,
Vivien.