#65 Décryptage de la mission de l'Arbre à café (producteur et torréfacteur)
Analyse de la raison d'être et des objectifs statutaires (temps de lecture: 6 minutes)
Chère lectrice, cher lecteur,
Bienvenue dans ce 65e décryptage ! On plonge dans des odeurs qui nous sont familières, celles du café, puisque c’est L’Arbre à café qui a remporté vos votes. Avant de passer au décryptage, voici le choix pour la semaine prochaine.
Vous avez le choix entre Victoire Avocats (vous aurez deviné l’activité) et Captain Cause (plateforme de dons à des associations).
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Le son du décryptage
Je ne sais pas pourquoi, mais ces sons du décryptage me font replonger dans ma mémoire audio. Après Faithless la semaine dernière, on reste dans les années 1990 (la toute fin), mais dans un autre genre avec un des grands morceaux de Blur “Coffee and TV”. Un pur produit de la brit pop comme on n’en entend plus vraiment !
Le décryptage
L’Arbre à café a été créé en 2009 avec une volonté de faire du café différemment, dans le respect de l’éthique et en traitant le café un peu comme le vin : du parcellaire, du monocépage, des grands crus. Personnellement, cela me parle beaucoup, mais c’est vrai que ce n’est pas une démarche si fréquente dans le café en France.
Cette approche par l’excellence conduit forcément à s’intéresser à des démarches RSE poussées, d’où l’obtention de la certification B Corp par exemple. Et désormais le passage en société à mission.
La raison d’être
Participer à changer le monde en faisant évoluer la façon de produire et de consommer un produit repère du quotidien « témoin d’une époque » : le café.
Voici une raison d’être étonnante ! En effet, elle reprend des canons d’un certain lyrisme avec la formulation de “changer le monde”. C’est toujours un peu piégeux de le mettre dans une raison d’être, parce que l’ambition est très élevée et il faut pouvoir mettre les moyens en face.
Pour le reste, la raison d’être est assez claire. On comprend bien le métier de L’Arbre à café. Il y a éventuellement la formule “témoin d’une époque” qui n’est pas très compréhensible. Je n’ai pas trouvé d’autre référence à cette formulation sur le site de l’entreprise, ni sur Internet.
Mon conseil: évitez les expressions jargonneuses ou trop strictement internes dans les raisons d'être. Cela peut prêter à confusion ou manquer de clarté. Le risque est d'affaiblir votre raison d'être ou de générer des interprétations différentes, source de désalignements possibles.
En revanche, il y a une idée très intéressante dans cette raison d’être : celle de vouloir donner à un produit commun du quotidien — un “produit repère” — une dimension sociétale.
Ainsi, la raison d’être tend à être dans une dynamique inspirante qui ancre le café dans le quotidien tout en cherchant à prendre de la hauteur. A titre de comparaison, c’est très différent de l’angle choisi par Lobodis, également société à mission (Lire le décryptage).
La raison d’être est par ailleurs formulée d’une telle manière qu’elle appelle à s’améliorer en permanence, notamment avec les verbes “changer” et “évoluer”. Surtout, elle vient directement questionner l’activité de l’entreprise et sa production. Dernier point intéressant : la volonté que cette mission embarque les clients “en faisant évoluer la façon… de consommer” le café. En effet, cela met l’entreprise dans une démarche engagée et presque activiste.
Les objectifs
Mesurer et compenser des émissions de CO2
La formulation de cet objectif est assez déceptive quand on regarde le détail des mesures que L’Arbre à café prend. Décrit comme tel, on pourrait presque être dans le greenwashing : on “réduit” en compensant. Mais, cette formulation ne rend pas justice aux efforts menés par l’entreprise, comme elle le détaille dans son communiqué.
Il y a peut-être un élément qu’il faudra creuser pour eux ; il s’agit de la réduction des émissions dans le transport du café vers la France, qui ne semble pas être intégrée.
Promouvoir les agricultures régénératrices
C’est un énorme enjeu pour la culture du café. L’entreprise est déjà active sur le sujet. Elle continuera de l’être à la lumière des objectifs opérationnels qu’elle affiche. Une remarque toutefois : cet enjeu est sectoriel. Il pourrait être intéressant de travailler de concert avec d’autres producteurs et torréfacteurs pour que ces pratiques se développent encore plus massivement.
Obtenir le renouvellement du statut de société B Corp
Je suis surpris par cet objectif. Il me rappelle la démarche de Ma Bonne Etoile (écouter l’épisode de podcast). La différence est qu’ici, L’Arbre à café rend son objectif temporel. Quand l’entreprise aura obtenu sa recertification (et pas le renouvellement du statut), l’objectif sera caduc. J’aurais privilégié une formulation telle que “Toujours chercher à améliorer notre score dans les processus de recertification B Corp” par exemple.
L’idée n’est pas dénuée de sens de mettre cette démarche dans les statuts, car l’approche de B Corp est plus globale et lie complètement démarche RSE et mission.
Labelliser AB et Demeter nos filiales agricoles
Un peu comme le précédent objectif, l’objectif est temporel, d’autant plus que l’horizon est fixé à 2025. Evidemment, il y a des étapes à atteindre d’ici là, mais concrètement, l’OTI qui viendra auditer l’entreprise en 2024 ne pourra pas conclure que l’objectif a été atteint avec une telle formulation si les labellisations n’ont pas été obtenues…
Mon conseil: lorsque vous rédigez vos objectifs, pensez qu'ils sont intemporels et presque non atteignables. Ils doivent vous aider à vous améliorer en permanence. Les objectifs opérationnels sont ceux qui doivent être jalonnés dans le temps.
Participer à l’innovation et à la recherche du secteur pour rendre le café meilleur
Je ne suis pas certain que cet objectif apporte grand chose à la mission stricto sensu. Si l’idée était d’inclure un objectif tourné vers le secteur, j’aurais davantage axé sur l’amélioration de pratiques responsables en vue d’une agriculture régénérative, d’une réduction des émissions ou de la consommation d’eau pour produire le café etc.
Au global
✅ Une mission engageante portée par une raison d’être énergisante.
✅ Une bonne cohérence entre la raison d’être et les objectifs, même si les aspects sociaux (traitement des employés chez leurs partenaires par exemple) auraient pu ressortir davantage et seraient cohérents avec la raison d’être de “participer à changer le monde”.
✅ La mission fait bien preuve d’une démarche d’amélioration continue qui sera utile pour encourager l’entreprise à progresser.
📶 Au final, la raison d’être contient pas mal de mots qui ne sont pas appuyés par des objectifs : “produit repère”, “témoin d’une époque”. Ils affaiblissent la mission dans son ensemble.
📶 Certains objectifs statutaires sont temporels, ce qui n’est pas la meilleure approche pour pérenniser la mission.
📶 Les objectifs mériteraient d’être un peu mieux organisés pour faciliter le pilotage. Il y a pas mal de recouvrements possibles. Par exemple, la promotion de pratiques régénératives et la labellisation AB et Demeter de ses filiales. J’aurais privilégié une approche plus séparée : un objectif sur l’environnement, pas juste le climat (pour ajouter la consommation d’eau : une tasse de café nécessite 130 litres d’eau… et qui aurait pu inclure une démarche sectorielle), un objectif sur les fermes avec lesquelles ils travaillent, un sur leur propre ferme puisqu’ils sont producteurs, un sur leurs pratiques internes, et un dernier sur les produits qu’ils vendent en marketplace qui sont absents de cette mission.
Cet exercice d’analyse se veut pédagogique pour toute entreprise souhaitant devenir société à mission ou en cours de transformation. Je m’évertue à être critique MAIS constructif.
Vous pouvez retrouver toutes les missions déjà analysées ici et mes 16 conseils pour passer société à mission ici.
Et si besoin, je suis à disposition pour échanger avec l’entreprise analysée.
Merci de votre lecture ! J’espère que ce décryptage vous aura plu. Retrouvez les 64 premiers décryptages ici.
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A demain pour la missive traditionnelle - la 1-0-0ème !!
Vivien.