#63 Tendance émergente : les territoires à mission
Et également décryptage de la mission de BLB Vignobles, état des lieux des sociétés à mission, le Jour d'après chez Aigle, le difficile parcours des femmes en entreprise etc.
Chère lectrice, cher lecteur,
Je commence par un partage d’enthousiasme. Hier, lors du premier congrès européen sur la société à mission, la Communauté des entreprises à mission a sorti son nouveau baromètre. En quelques mois, les effectifs ont doublé de volume, passant de 206 en septembre à 405 aujourd’hui ! Plus de détails un peu plus bas.
Aujourd’hui, je souhaiterais vous parler d’une tendance émergente : les territoires à mission. De quoi parle-t-on ? Le concept est n’est pas très bien défini encore, mais il s’appuie sur des dynamiques existantes assez proches de ce que les territoires avaient essayé de faire en s’inspirant de la marque employeur, à savoir créer une dynamique vertueuse sur un territoire pour en améliorer l’attractivité.
Il s’agit de s’inspirer de ce que la loi Pacte propose aux entreprises avec la société à mission, à savoir de s’assigner une raison d’être et des objectifs portés par des engagements sociaux et environnementaux. Quel intérêt ? C’est très variable, car les acteurs qui portent ces projets ont tous des profils différents. Je vous propose d’explorer quatre initiatives pour lancer le sujet qui sera probablement à creuser par la suite.
Une initiative des élus locaux
La Communauté d’Agglomération Lens-Liévin a lancé un processus d’adoption de mission. Cela s’inscrit dans un projet plus profond engagé en 2017 et qui permettrait de structurer toutes les démarches enclenchées depuis. Sous l’impulsion de son président Sylvain Robert et d’un groupe de citoyens volontaires, la CALL a rencontré 200 acteurs locaux et organisé six ateliers en avril. Pas beaucoup de nouvelles depuis néanmoins.
Une initiative portée par une entreprise
Le Groupe Cheval a inscrit dans ses objectifs la notion de territoire à mission. L’ambition est différente de la CALL, puisqu’il s’agit ici d’embarquer un maximum d’entreprises des départements de la Drôme et de l’Ardèche dans la démarche de société à mission. Derrière cette volonté se cache la conviction que plus il y aura de sociétés à mission sur le territoire, plus cela créera une dynamique positive d’un point sociétal et environnemental. Un premier événement réunissant une centaine de participants a eu lieu en septembre à Valence.
Une initiative portée par une CCI
Dans l’Hérault, l’initiative du territoire à mission est portée par la CCI locale et les réseaux économiques du territoire. Lors d’un événement de rentrée organisée par la CCI locale, 42 réseaux ont planché sur l’engagement responsable des entreprises. La Chambre de commerce de l’Hérault pousse le sujet de la RSE depuis quelques années. Elle veut aujourd’hui poursuivre les efforts et faire du département un territoire exemplaire en lançant une démarche de territoire à mission.
Une initiative portée par une marque de territoire
Dernière initiative, peut-être la plus avancée à ce stade, avec la marque de territoire Tout commence en Finistère. Portée par l’agence d’attractivité Finistère 360°, elle vient de créer la marque à mission Tout Commence en Finistère Demain autour d’une raison d’être : “développer et soutenir une attractivité à impact positif en engageant avec les ambassadeurs les transitions écologiques, sociales, sociétales et économiques auxquelles les populations aspirent et dont notre planète a besoin”. L’ambition est d’accompagner des entreprises ambassadeurs à bénéficier de ce label de marque à mission.
J’aurais pu rajouter quelques autres initiatives, notamment une table ronde sur le sujet lors du Forum National de l’ESS à Niort en octobre. On voit donc que ces sujets sont très émergents et portés par des intérêts assez différents. Il faudra voir comment chaque initiative se concrétise, mais il n’est pas étonnant de voir cette voie empruntée par les différents acteurs mentionnés.
Les objectifs sont convergents : dynamiser le territoire, en améliorer l’attractivité, l’inscrire dans une mouvance de responsabilité sociale et environnementale etc. Mais surtout, il est intéressant de voir que peu importe qui porte le sujet, nous sommes toujours sur une entente entre public et privé. La CALL cherche à associer des acteurs privés. Le Groupe Cheval avait pris soin d’inviter plusieurs élus locaux à son événement de septembre.
Il est évident que dès que l’on touche au territoire, cette association entre le public et le privé est nécessaire. Après tout, l’engagement social et environnemental des entreprises intervient forcément en complément de l’action publique. Du bon sens certes, mais qu’il faut encourager, car cette coopération continue et féconde sera le terreau d’initiatives porteuses de résultats.
Autre point essentiel : du côté des entreprises, les TPE, PME et ETI sont à la manœuvre. C’est assez logique, puisque ce sont souvent ces entreprises qui portent le plus le sens du territoire non seulement dans leurs activités (rayonnement local ou régional), mais également dans leurs démarches RSE. Pas étonnant en conséquence qu’elles forment le gros des troupes des sociétés à mission aujourd’hui.
En tout cas, on devrait probablement voir ces initiatives se multiplier à l’avenir tant elles font sens pour allier les efforts de tous les acteurs locaux en direction d’un territoire attractif, responsable et pérenne. C’est la coordination entre les différents acteurs qui sera probablement le plus difficile dans le temps pour maintenir la dynamique, canaliser les divergences et assurer que les projets servent l’intérêt général et pas des intérêts particuliers.
Au sommaire de cette missive :
🍷 Décryptage de la mission de BLB Vignobles
📝 Quatrième baromètre des entreprises à mission : état des lieux
👍 Le Jour d’après chez Aigle
👩💼 Le difficile parcours des femmes en entreprises (volet 2 de l’analyse)
📖 Un peu de jus de crâne en plus avec quelques lectures et podcasts
📆 Quelques événements à noter dans les prochains jours
🎧 Mon son de la semaine : Bloc Party - “Traps”
🍷 DECRYPTAGE DE LA MISSION DE BLB VIGNOBLES
Le groupe héraultais BLB Vignobles vient de passer société à mission. Cette entreprise regroupe les domaines de la Jasse, Montlobre et les Vignes des deux soleils. Engagée de longue date dans la RSE, multi-certifiée, la société avait même déjà son comité de parties prenantes qu’elle réunit chaque année. Si les vignerons pourraient être d’excellents candidats à la qualité de société à mission, à ma connaissance, seul le groupe Vranken-Pommery avait franchi le pas avant BLB Vignobles.
Passons à l’analyse de la mission (je remercie Marion de me l’avoir partagée et je suis ravi que mes décryptages aient été utiles dans le travail de façonnage de la mission !).
La raison d’être :
Nous créons le ‘grand cru de tous les jours’ et nous façonnons nos paysages autant avec ceux qui côtoient nos vignes que ceux qui partagent nos vins.
Cette raison d’être est accompagnée d’un manifesto détaillant la signification de chaque mot (très bonne idée comme je le recommande dans mes 16 conseils pour devenir société à mission). Dans l’ensemble, cette raison d’être est claire, compréhensible, présente le métier, les parties prenantes visées et peut permettre d’inscrire l’entreprise dans une démarche d’amélioration continue.
Le terme de “grand cru de tous les jours” est proche d’un jargon interne ou d’un concept marketing, mais on en comprend assez facilement l’idée : faire des vins de qualité accessibles à tous les types de consommateurs.
La notion de protection de l’environnement ressort en filigrane non seulement dans le fait de produire des vins de qualité, mais également dans la mention de “nos paysages”. C’est subtil. Je suis agréablement surpris de ne pas voir mentionné “le terroir”. Cela aurait été compréhensible, mais un peu facile. Surtout, parler de paysage est plus large.
Autre subtilité que l’on ne comprend qu’avec le manifesto, c’est l’utilisation du terme “façonner”. De prime abord, on pourrait penser que cela implique une intervention humaine importante et directe. En réalité, derrière l’expression “avec ceux qui côtoient nos vignes”, il y a certes les collaborateurs qui travaillent la vigne, mais également toute la biodiversité (faune et flore) que BLB Vignobles encouragent sur leurs terres.
Les objectifs
Qualité gustative : Rendre le plaisir de la dégustation responsable accessible à tous
Qualité sociale : prioriser la qualité de vie et l’humain dans l’ensemble de nos pratiques
Qualité environnementale : Avoir un impact positif sur les enjeux climatiques et favoriser le développement de la biodiversité
Qualité émotionnelle : Façonner et partager nos espaces et le vivant, offrir une expérience où l’essentiel se vit et se voit
Premier constat : voici une mission travaillée de manière cohérente où la raison d’être et les objectifs se complètent. Second constat : chaque objectif couvre une partie prenante définie. Deux points auxquels j’attache beaucoup d’importance, car cela rend le tout plus clair et plus actionnable pour l’entreprise (je vous renvoie à mes 16 conseils).
Le premier objectif n’est pas forcément évident de prime abord. Connaissant un peu le domaine du vin, je le comprends : il s’agit de faire en sorte que les producteurs de vin de qualité ou dits “responsables” (bio, biodynamie, agriculture raisonnée etc.) n’appliquent pas un premium sur les prix rendant les vins trop chers pour certains consommateurs. C’est en tout cas une saine contrainte que BLB Vignobles souhaite s’appliquer.
Le second objectif n’est toujours pas vraiment ma tasse de thé. Désolé de me répéter, mais je suis vraiment partagé sur l’intérêt de parler des aspects managériaux, QVT et autres dans la mission. C’est soit dans l’ADN de l’entreprise — cela semble être le cas — soit une promesse vaine qui va se heurter au mur de la réalité. Mais, la formulation est un peu plus maline que ce qu’on peut voir habituellement, donc tout dépendra de la manière dont se déclinent les objectifs opérationnels.
Rien à dire sur le troisième objectif même si “avoir un impact positif sur les enjeux climatiques” est vague.
Le dernier objectif est en théorie un peu à côté des objectifs d’une mission. Mais je le trouve intelligent, car il marque la singularité des domaines, une mise en avant du partage qui vient reboucler avec les autres objectifs.
Bref, une très belle mission à la fois inspirante et centrée business, bien articulée et équilibrée, tout en étant singulière. Elle ouvre de nombreux chantiers d’innovation pour l’avenir.
Vous souhaitez passer société à mission, échanger sur vos premières ébauches de raison d’être et/ou d’objectifs, bénéficier d’un regard critique et constructif sur votre mission pour publication… ou pas, vous pouvez m’envoyer un email. Je serai ravi d’échanger avec vous.
📝 NOUVEAU BAROMETRE DES ENTREPRISES A MISSION.
Il y a donc aujourd’hui 405 sociétés à mission, un doublement par rapport au précédent baromètre. Une croissance exceptionnelle en quelques mois, que l’on peut expliquer de trois manières.
Tout d’abord, le dispositif essaime progressivement non seulement grâce aux efforts de ses promoteurs, mais également aux entreprises qui ont déjà franchi le cap et qui prennent leur bâton de pèlerin. Ensuite, la qualité est mieux comprise et donc les freins psychologiques de certains commencent à se lever, notamment sur les risques juridiques et les contraintes du dispositif. Enfin, la Communauté des entreprises à mission a commencé un partenariat avec le Conseil National des Greffes du Tribunal de Commerce pour améliorer son recensement. Jusqu’alors, la CEM s’appuyait principalement sur l’auto-déclaration des sociétés auprès de la communauté. Beaucoup ne le faisaient pas d’où un recensement désormais plus précis.
Pour le reste, pas de modification importante dans les données. La société à mission est surtout portée par les TPE et petites PME (79% des effectifs) et par des entreprises récentes, globalement moins de 10 ans (73%). On voit que le travail reste encore important sur les plus grosses structures et sur les plus établies.
⭐ LE JOUR D’APRES.
Aigle, devenue société à mission fin 2020, renforce son renoncement au Black Friday. L’an dernier, ils avaient fermé leur e-shop pour renvoyer les clients sur leur site de seconde main. Cette année, en lien avec ses engagements de mission, l’entreprise a décidé en plus de fermer tous ses magasins vendredi dernier.
Comme l’a déclaré Sandrine Conseiller, la DG d’Aigle, “certains parleront d'un manque à gagner, nous le voyons comme une preuve de l'engagement sincère de la marque pour une consommation plus durable”.
Du côté des idées
👩💼 LE DIFFICILE PARCOURS DES FEMMES (VOLET 2).
Il y a deux semaines, je vous partageais quelques premières analyses d’une enquête de l’Ifop pour Michael Page sur le top management face à l’enjeu du leadership féminin réalisée auprès de cadres dirigeants et cadres encadrants (managers en d’autres termes). En voici le deuxième volet.
Commençons par ce résultat : tous les cadres (61% pour les dirigeants et 60% pour les managers) s’accordent sur le fait qu’une entreprise dirigée par une femme a de meilleures performances.
Voici un exemple de donnée qu’on peut utiliser un peu comme on veut. D’aucuns affirmeront que cette conclusion devrait être davantage partagée, parce que c’est un signal fort en faveur du “leadership au féminin”. D’autres seront plus circonspects et creuseront : ce résultat est-il partagé entre hommes et femmes ? Globalement oui, ou plutôt une petite majorité d’hommes (52% et 51%) répond comme une très forte majorité de femmes (76% et 75%). Mais, là encore attention, parce que la question obligeait à se positionner : on ne pouvait pas répondre “je ne sais pas” ou “ni oui, ni non”, donc le choix est faible. Et surtout, la question est finalement floue. De quel type de performance parle-t-on ? Economique ? Globale ? Bref, prudence en utilisant cette donnée qui est très encourageante de prime abord.
Derniers chiffres intéressants : les actions à mener pour favoriser l’accès des femmes à des postes de direction. Notons sur ce sujet qu’il y a une sacrée différence entre cadres dirigeants et encadrants et entre hommes et femmes. Les managers sont en effet beaucoup plus critiques que les cadres dirigeants. Si dans les deux cas 58% concèdent qu’au moins une action a été menée sur le sujet (par exemple formation et sensibilisation à la promotion de la diversité, programme interne de détection de hauts potentiels féminins, ou réseau féminin interne), l’écart se creuse quand on monte à trois actions menées : 35% pour les cadres dirigeants et 29% pour les managers.
L’écart est encore plus marqué sur la question de savoir ce que leur entreprise devrait faire de plus. Entre les cadres dirigeantes et les cadres encadrantes, l’écart est de 10 points quand il s’agit d’évaluer si l’entreprise permet une bonne inclusion des femmes, respectivement 28% et 18%. Quel enseignement tirer ? J’ai l’impression que le dialogue femmes managers-femmes dirigeantes pourrait être source d’apprentissages tant les perceptions semblent différentes !
Mais n’oublions pas le dialogue femmes-hommes. Sur ce dernier point comme sur d’autres déjà analysés, l’écart est important comme vous le voyez sur les graphiques.
Ecart étonnant. Est-ce le fruit d’une mauvaise perception chez les hommes ? Est-ce un regard beaucoup plus critique chez les femmes ? Probablement un peu des deux, mais de manière générale, les résultats montrent la marge de progression importante qu’il reste à faire sur le sujet.
📖 UN PEU PLUS DE JUS DE CRÂNE.
L’économie régénérative, vous connaissez peut-être, mais quid du leadership régénératif ? Allez lire ce bon papier sur Sustainable Brands.
Comment réconcilier communication et responsabilité ? Jean-Luc Chetrit, DG de l’Union des marques se penche sur le sujet dans la HBR France.
Alice Vachet, du podcast L’Empreinte, a reçu Sandrine Sommer, directrice du Développement Durable de Moët Hennessy. Très bon épisode !
📆 A VOS AGENDAS.
Nous n’irons plus travailler organise une table ronde sur le thème “La Tech for Good : entre la promesses et la réalité”. Elle a lieu ce samedi entre 16h30 et 18h30 à Paris. Renseignements et inscriptions ici.
L’association L’entreprise à mission Lyon AuRA commence son programme de conférence 2022 dès le 7 décembre avec un webinaire sur le thème “Empreinte carbone et analyse du cycle de vie : utilité et méthode”. Renseignements et inscriptions ici.
L’AFNOR va sortir un guide pratique sur la société à mission. Il sera présenté le 9 décembre lors d’un webinaire. Renseignements et inscriptions ici.
Mon son de la semaine
Bloc Party est de retour ! Son nouveau single “Traps” est une pépite ! Tout simplement.
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A jeudi prochain,
Vivien.