#44 La société à mission : catalyseur du collaboratif
Belle mission pour Good Goût / Grandes ambitions pour la plateforme Impact / IBA et Frey, cotées et labellisées / Ca commence à bouger dans la santé / Engie pressé par un syndicat à passer à mission
Bonjour,
Ravi de vous retrouver pour cette 44e missive dans un contexte quasi estival bercé par les événements sportifs, mais surtout par l’assouplissement des règles sanitaires. Je me suis emmêlé les pinceaux : l’entretien du mois, ce sera mercredi prochain.
Un peu d’autopromo pour commencer. J’aurai le plaisir d’animer une table ronde mardi prochain (15 juin) lors de la conférence Unexpected Sources of Inspiration (USI). Moment un peu unique pendant cette conférence plutôt axée sur des keynotes, cette table ronde, intitulée “Entreprises engagées : des rôles modèles ?”, réunira Dominique Buinier, COO d’Octo, et Laëtitia Boucher, Regional Sustainability Manager chez Interface. Toutes les infos, le programme (dingue !) et les inscriptions sont par ici.
Pour l’édito de la semaine, j’aimerais vous partager mon rapport d’étonnement suite au deuxième comité de mission du Groupe Cheval auquel j’ai participé cette semaine. En particulier sur un point : la capacité de transversalité que les projets de transformation peuvent générer quand on devient société à mission.
Je suis un ardent défenseur de la transversalité en entreprise. Le collaboratif est le sceau de l’engagement, du collectif, de l’envie d’avancer ensemble. Il permet d’avancer plus vite quand on le fait bien ; et de se serrer les coudes en périodes d’intempéries. Mais il est souvent contrecarré par des process trop rigides, des plannings inflexibles et des managers qui craignent la perte de productivité de leurs équipes (je suis moi-même manager d’équipe et je sais à quel point ces problématiques sont complexes à gérer !).
Chez Cheval, la mission est récente, mais les ambitions sont grandes et véritablement transformatives. C’est ainsi que Jean-Pierre Cheval, son président, la décrit et c’est exactement le mandat dont dispose Anne-Charlotte Kubicki en tant que manager de mission.
En trois mois depuis le dernier comité de mission, les choses ont bougé à vitesse grand V. Des ateliers ont été menés pour identifier des axes de travail concrets. Des équipes projets ont été formés pour assurer le suivi et la réussite des différents objectifs. Les membres ont été formés à la gestion de projet. Le tout avec le soutien de la direction générale et l’acceptation que certains projets nécessiteront la mobilisation de moyens financiers en plus des moyens humains déjà engagés pour ces projets. Il s’agit de s’améliorer, pas de rester sur ses acquis.
Surtout, on voit une énergie collaborative incroyable avec des collaborateurs de services différents, voire de filiales différentes (le groupe Cheval compte 16 filiales). Tout se fait en bonne intelligence, avec bon sens et surtout avec enthousiasme.
Je n’avais pas anticipé cet effet, mais c’est le fruit d’une volonté d’engager les collaborateurs et surtout c’est le reflet de l’émulation collective et de la fierté que génère le fait de devenir une société à mission. Quel pied de travailler dans une entreprise qui veut projeter un impact positif !
C’est un argument de plus pour des entreprises qui pourraient hésiter, surtout quand on sait que l’engagement des salariés en France est mitigé et que les problèmes de recrutement et de fidélisation sont récurrents et coûteux pour les entreprises. Passer société à mission peut donc véritablement accroître l’engagement collaborateur si tant est qu’on leur donne la possibilité de participer à la réussite des objectifs.
Si vous avez des témoignages à partager dans vos entreprises suite à un passage en société à mission ou à une labellisation, je serais ravi d’échanger, voire de relayer. Il suffit d’appuyer sur “répondre” !
Au sommaire :
Good Goût dans la continuité de tous ses engagements
Cotées et labellisées, ce n’est pas une évidence
Quand Engie est pressée de passer à mission par un syndicat
Emmanuel Faber était auditionné par une commission parlementaire
Alaxione, startup dans la santé, veut passer société à mission
Le gouvernement veut aller plus loin avec la plateforme Impact
Lancement du Grand défi pour accélérer la transition des entreprises
LE MONDE DU GOUT. Passer société à mission n’a pas encore la faveur de nombreux titres de presse, spécialisés ou pas. Cela n’empêche pas des reportages sur ces entreprises comme l’ont fait Les Echos Week-end. Mais, il reste que même des entreprises très fortes en communication et en marketing ne trouvent pas toujours preneurs. C’est le cas de Good Goût, dont je vous ai plusieurs fois parlée.
L’entreprise vient de passer société à mission et je ne crois pas avoir vu un seul relais dans les médias. Ils en ont moins fait que lors de leur passage B Corp, mais il y a tout de même un communiqué de presse et une communication sur leur site. J’ai récupéré le CP et je suis allé plus loin en leur demandant leur raison d’être. Petit à petit, cela devient ma ligne de conduite : je ne parle que des sociétés à mission qui communiquent sur leur raison d’être et leurs objectifs (c’est une nouvelle posture, donc j’ai pu contrevenir à ce principe par le passé).
Revenons à Good Goût. Leur raison d’être : “S’éveiller au goût pour s’ouvrir au monde”. Je trouve que c’est une très belle formule très cohérente par rapport à l’entreprise. On comprend la cible : les enfants en bas âge (l’éveil) ; l’univers gourmand et le parti pris d’utiliser le goût comme un moyen de s’ouvrir en ayant une alimentation diversifiée. Cela traduit un positionnement différent d’autres marques qui pourraient axer sur la nutrition saine par exemple. Ici, Good Goût illustre le côté presque éducatif de l’alimentation chez les plus petits. Il est vrai qu’il faut oser proposer un mijoté panais chou kale et saumon fumé à des bambins !
Mais il y a un côté étonnant dans la formulation. La très grande majorité des raisons d’être évoquent l’ambition de l’entreprise. Ils auraient donc pu écrire : “éveiller au goût pour ouvrir au monde”. Ils ont opté pour la forme réflexive. Cela donne une dimension plus universelle à leur raison d’être, comme s’ils cherchaient à participer à une dynamique plus large. C’est intelligent !
A cette raison d’être viennent s’adosser six engagements. Je ne suis pas certain que ce soit les objectifs statutaires, mais j’imagine que les deux doivent être assez semblables:
Militer pour une consommation responsable et éclairée auprès de nos consommateurs
S’engager à améliorer la durabilité de nos emballages
Participer à la protection de la biodiversité
Être une entreprise neutre en carbone
Soutenir les jeunes mamans et les femmes enceintes grâce à notre partenariat avec la Maison de Tom Pouce
Éduquer les enfants à l’alimentation durable
On voit donc des objectifs qui sont un peu hors champ par rapport à la raison d’être, mais qui sont fortement portés par l’entreprise : soutenir les jeunes mamans et les femmes enceintes par exemple. Certains sont plus indirects, mais évidemment quand vous êtes dans l’agroalimentaire, le climat et la biodiversité sont décisifs. Bref, une logique réfléchie et inspirante.
Derrière chacun de ces engagements, il y a des actions fortes, beaucoup sont déjà en cours, mais Good Goût prévoit d’aller plus loin. A titre d’exemple, l’entreprise est neutre en carbone depuis l’an dernier, mais veut pousser la démarche plus loin pour diminuer encore ces émissions.
LES 24E et 25E. Quand on reparle des certifications ou des qualités, on fait souvent la distinction des entreprises par tailles. Mais, on peut aussi faire une autre segmentation : entreprise cotée ou non. En effet, on remarque que le coté est souvent plus lent/réservé/prudent/contraint (à vous de choisir). C’est donc toujours un mini-événement quand l’une franchit le pas.
Deux l’ont fait cette semaine. Il s’agit d’IBA, entreprise belge spécialisée dans la protonthérapie. Cette ETI cotée vient d’obtenir la labellisation B Corp. Si le nombre de B Corps a augmenté de manière très rapide depuis deux ans, le nombre d’entreprises cotées reste faible, puisqu’IBA n’est que la 24e dans le monde, selon le communiqué. Je n’ai pas vérifié, mais cela ne me semble pas invraisemblable. Surtout, je me demande si cela ne prend pas en compte une partie des différentes entités de Danone qui sont certifiées…
Elle est suivie de près par Frey, que vous connaissez bien maintenant, puisque j’en ai parlé par le passé : la foncière est également passée société à mission (missive #24). Un exemple de plus de sociétés à mission qui passe B Corp. Mais ça pourrait être un autre label.
En effet, un label, délivré par un organisme tiers, vient soit appuyer la qualité de société à mission, décision volontaire, soit offrir un référentiel pour être dans une démarche d’amélioration continue. Les deux approches ne sont pas mutuellement exclusives. Frey semble davantage mettre en avant le premier point : “le Groupe apporte une garantie indiscutable du niveau de son engagement ESG pour toutes ses parties prenantes : actionnaires, banquiers, fournisseurs, enseignes, collectivités et consommateurs”.
PRESSÉE A PASSER A MISSION. C’est peut-être le meilleur entretien que j’ai eu l’occasion de lire d’un représentant syndical sur la société à mission. José Belo Dos Reis, le délégué fédéral de la liaison Engie, explique pourquoi la CFDT souhaite que l’entreprise aille vers la qualité de société à mission.
L’argumentation est structurée : ce serait un moyen de pousser la transformation de l’entreprise et notamment d’acter certains choix (sortir du charbon) et clarifier certains flous (sur les gaz de schiste). Engie dispose aujourd’hui d’une raison d’être, mais comme vous le savez, elle n’a rien de contraignant.
Passer à mission demanderait à l’entreprise d’établir une série d’objectifs qui seraient statutaires et vérifiés. Le représentant syndical y voit un moyen de pression si la direction ne remplit pas ses objectifs, mais c’est un moyen également de se défendre face aux actionnaires s’il faut prendre des décisions difficiles.
Globalement, José Belo Dos Reis le sait, c’est difficile pour une direction d’entreprise de balayer d’un revers de la main une initiative positive comme celle de passer société à mission. Compliqué en effet pour une direction générale d’affirmer : on ne va pas passer société à mission, parce que cela va créer de nouvelles contraintes liées à des enjeux sociaux et environnementaux…
La CFDT confirme donc son positionnement favorable à cette évolution juridique, contrairement à certains autres, dont j’ai déjà parlés.
FABER AUDITIONNÉ. Emmanuel Faber a été auditionné hier devant la commission des Affaires économiques de l’Assemblée Nationale. Antoine Boudet, journaliste aux Echos, y était et a fait un thread dessus. Quelques retours intéressants sur l’entreprise à mission notamment et les investisseurs activistes face aux entreprises qui mettent l’ESG en avant.
C’EST POUR BIENTÔT. Alaxione, startup perpignanaise de solutions de e-secrétariat pour les acteurs de la santé, annonce vouloir passer société à mission, peut-être même d’ici l’été. Deux éléments attirent mon attention. Tout d’abord, le secteur de la santé commence à prendre la mesure de cette qualité, mais surtout chez les petits acteurs.
Ensuite, il est intéressant de voir qu’il ne faut pas forcément aller hyper bien pour s’engager dans cette démarche. Le co-fondateur Serge Zaluski illustre les difficultés auxquelles l’entreprise fait face (difficulté d’accéder aux médecins surchargés par les commissions auxquelles ils doivent participer, report de l’ouverture d’un bureau en Côte d’Ivoire etc.) et pourtant, la voie est tracée. Les cas de figure tels qu’Alaxione sont assez rares. Souvent, les startups naissent à mission ou adoptent la qualité quand leurs fondamentaux commerciaux sont déjà assurés, mais c’est plus rare qu’elles se lancent dans ces démarches en plein développement.
Du côté de la politique
IMPACT ET PLUS. Fin mai, Olivia Grégoire a annoncé le lancement de la plateforme Impact qui est présenté comme un “club d’entraînement” avant le déploiement de nouvelles réglementations sur le reporting extra-financier - la fameuse directive CSRD (missive #41). Aux côtés de Bruno Le Maire, ils ont présenté hier en conseil des ministres une communication sur la stratégie de promotion de la performance environnementale, résumée dans le compte-rendu de la réunion.
On comprend que la plateforme est un moyen pour le gouvernement d’alimenter ses réflexions en vue de la présidence de l’UE au premier semestre pendant laquelle la France va porter les négociations sur la nouvelle directive.
On apprend également que 150 entreprises ont déjà rejoint le projet. Et surtout, que la plateforme actuelle est une première version. Dans de futures évolutions, les formulaires entreprise seront pré-remplis avec certaines données dont l’administration dispose déjà. Dans un second temps, des auto-diagnostics et des accompagnements seront proposés.
Le bon projet
ENTREPRISE ET CLIMAT. Tout le monde le sait : les entreprises font partie de la solution en matière de lutte contre le dérèglement climatique. Beaucoup agissent en ce sens, avec leurs forces et leurs capacités d’action. D’autres parfois ne savent pas trop par où commencer ou comment structurer leur démarche. Il est important d’adopter une posture positive vis-à-vis des entreprises et du climat. Ne faire que les blâmer présente peu d’intérêt sinon de générer une posture défensive.
L’initiative du Grand Défi est donc louable. Elle va chercher à réunir 150 entreprises tirées au sort (pas simple de les mobiliser derrière…), organiser des rencontres avec des experts, afin de faire émerger 100 propositions d’actions pour favoriser la transition des entreprises. Le processus va se dérouler en deux temps : une grande consultation ouverte aux entreprises, aux “territoires” (les collectivités j’imagine) et à la société civile ; puis des réunions avec les 150 choisis afin d’aboutir aux propositions.
C’est donc la deuxième initiative du genre à émerger en quelques mois après la Convention des entreprises pour le climat. J’ai envie d’espérer que les démarches sont complémentaires et qu’elles vont collaborer en bonne intelligence. En effet, leurs objectifs sont identiques. C’est sur les processus que les choses changent : Le Grand Défi se revendique plus inclusif. Bref, ce type d’initiative est salutaire. Gardons à l’esprit qu’il faut encourager ces projets !
Mon son de la semaine
J’ai découvert beaucoup de remixes cette semaine et j’ai longuement hésité, mais je me suis orienté sur “Everything Goes My Way” de Metronomy repris ici par Anna Prior. A la frontière entre remix et reprise, elle arrive à créer une loop qui ne vous lâchera pas. Une très belle réussite !
C’est tout pour cette semaine. Merci de votre lecture ! Vos commentaires, likes et partages sont le meilleur de faire connaître cette newsletter et toutes les initiatives engagées dont je parle.
Vous souhaitez échanger ou collaborer ?
Je suis effectivement un être de chair et d’esprit. Si vous souhaitez partager une actu, une analyse, faire du ping pong intellectuel sur vos réflexions, me conseiller une entreprise à interroger pour “L’entretien du mois”, réfléchir à des synergies, ou encore me conseiller de me pencher sur un sujet, vous pouvez me contacter par réponse à cet email si vous me lisez depuis votre boîte, par email ou via LinkedIn.
A mercredi pour l’entretien et vendredi pour la prochaine missive,
Vivien.