#41 Evolution majeure !
C'est du lourd ! / Tout le monde doit-il devenir à mission ? / Sun'R et Ekopo rejoignent le mouvement / Une mission gouvernementale sur les missions / Harmonisation européenne etc.
Bonjour,
Commençons par une grosse évolution, majeure, essentielle même ! En tout cas, à mon niveau par rapport à cette newsletter, c’est la réponse à un casse-tête. Plusieurs d’entre vous sont abonnés à la page LinkedIn de La Machine à sens en plus de recevoir la missive directement dans vos boîtes, et je vous en remercie. Mais, je trouve cette page peu satisfaisante. Si cela permet de relayer les entretiens auprès d’un nouveau public, présenter le sommaire de la missive de la semaine a moins de portée, quoique je suppute que certains d’entre vous vous êtes abonnés par ce biais.
En parallèle, j’ai un problème de curation de contenu. Je lis bien plus que ce que je publie et parfois, certains articles ne sont pas retenus. Ce sont souvent des entretiens écrits ou audio ou des articles sur les actions menées par une entreprise. Ils sont très intéressants et peuvent vous nourrir, mais il n’est pas toujours évident pour moi d’en faire une analyse dans une missive.
Vous me voyez venir ? J’ai décidé d’utiliser cette double frustration pour trouver une solution. Je vais désormais utiliser cette matière première riche et inspirante et la publier sur le compte LinkedIn de La Machine à sens. Moyen utile de partager du contenu et de faire vivre cette page un peu statique. Surtout, raison de plus pour vous y abonner, parce que vous aurez du contenu que vous ne trouverez pas dans la newsletter. Et nouvelle raison pour partager la newsletter et son contenu auprès de votre réseau avec comme sujet “Contenu top sur les entreprises engagées”. Je m’emballe…
Plus sérieusement, je suis en démarche d’amélioration continue. J’approche tambour battant du premier anniversaire de cette newsletter et je prends un réel plaisir à publier chaque semaine, à échanger avec vous par LinkedIn, par email, par visio et bientôt, j’espère, en vrai !
Projet de passion, cette newsletter n’en reste pas moins ambitieuse : mon jus de crâne doit vous être utile. Donc si vous avez des idées à partager, des envies de synergie, des suggestions d’évolution ou autre, sachez que je serais vraiment ravi d’échanger avec vous ! C’est toujours enrichissant pour moi de bénéficier de perspectives différentes.
Je n’avais pas prévu d’édito cette semaine, mais la lecture d’une tribune m’a fait réagir et j’ai laissé aller le flot des mots. Vous retrouverez ma réflexion dans la partie “Du côté des idées”. Vos réactions m’intéressent !
Au sommaire :
Sun’R passe à mission avec des objectifs étonnants
Le média Ekopo rejoint le mouvement des sociétés à mission
Toujours plus de B Corps dans la bière
Vers une harmonie du reporting extra-financier en Europe
Bris Rocher hérite d’une nouvelle mission
Mon édito en réaction à une tribune de Pierre-Yves Gomez
Un replay à voir !
Des grands groupes parlent de purpose
Climax, une nouvelle newsletter débarque !
Du côté des entreprises
ENSOLEILLÉE CHACUN DE SON COTÉ. Le groupe Sun’R devient société à mission. On sent que dans le secteur des énergies renouvelables, le mouvement va prendre de l’ampleur. Leur raison d’être : “développer et mettre en œuvre des infrastructures et solutions intelligentes, répondant à l’urgence climatique et écologique, et permettant d’accélérer les transitions vers un monde durable alimenté par des énergies renouvelables”. Bravo ! C’est plus précis que beaucoup d’autres raisons d’être, mais il y a une très bonne connexion entre les activités de l’entreprise, ses ambitions et des objectifs globaux. En outre, tous les mots clés sont présents pour bien insister sur la focale environnementale de cette raison d’être.
En revanche, les objectifs sont eux plus étonnants :
Développer des solutions et systèmes d’adaptation de l’agriculture aux changements climatiques (Sun'Agri) ;
Développer des infrastructures de production d’électricité renouvelable (Sun'R Power) ;
Développer la fourniture d’électricité renouvelable en circuits courts afin de rapprocher et mettre en lien producteurs et consommateurs (Volterres)
Il y a donc un objectif par filiale. C’est étrange. Cela donne un côté siloté, un peu comme si les trois poursuivaient des objectifs globaux différents sous un même chapeau. Que les objectifs opérationnels et les indicateurs de suivi soient spécifiques aux activités de chaque filiale fait sens, mais les objectifs statutaires ? Etrange…
Par ailleurs, que va faire le groupe s’ils font une croissance externe ou ouvre une quatrième filiale ? Ils vont rajouter un nouveau objectif ?
BONNE PRESSE. Ekopo, média en ligne qui vise à aider les entreprises à réussir leur transition écologique, devient une société à mission. On aurait pu s’y attendre. Je n’ai pas les détails de leurs objectifs - je vais me renseigner - donc pas d’analyse comme j’aime bien faire.
Leur raison d’être : “accompagner les entreprises dans leur transformation écologique et leur communication responsable grâce à la transmission d'informations utiles et de solutions pratiques”. On est clairement dans la raison d’être pragmatique, mais j’attends d’en savoir plus pour faire un décryptage complet.
ON NE LES ARRÊTE PLUS. Pas une semaine ne passe sans que je vois passer une certification B Corp pour un brasseur. Nous sommes surtout sur des acteurs nord-américains, mais la dynamique est impressionnante (je vous en ai déjà parlé plusieurs fois). Cette semaine, c’est autour de Triple Bottom Brewing d’annoncer sa labellisation.
De ce côté de l’Atlantique, il n’y a vraiment que des signaux faibles (Deck & Donohue en France, BrewDog au Royaume-Uni par exemple), mais on pourrait tout à fait anticiper une vague assez similaire. Il suffit de voir l’explosion de marques de bière locales qui revendiquent le local, l’artisanal, l’attention à l’environnement etc. La démarche est déjà bien en ligne avec la philosophie de B Corp, ou de Positive Workplace pour prendre un label concurrent et français.
Ce qui manque ? L’intérêt commercial ou marketing. B Corp et encore Positive Workplace restent des labels confidentiels peu connus des consommateurs, et donc peu valorisables pour le moment. Il faudra que quelques acteurs montrent la voie (regardez le mouvement enclenché dans l’univers de la mode).
Le marché de la bière (hors majors) reste toutefois très éclaté, donc on pourrait tout à fait voir l’effort de labellisation prendre dans une région et pas du tout dans celle d’à côté.
Du côté de la politique
LA CSRD, VOUS ALLEZ BIEN LA CONNAÎTRE. Dans la famille des outils de reporting extra-financier, j’appelle la CSRD. Vous ne la connaissez peut-être pas encore, mais elle va bientôt s’inviter dans le quotidien de beaucoup d’entreprises. Il s’agit de la Corporate Sustainability Reporting Directive. Présentée il y a quelques semaines par la Commission européenne, cette directive vise à harmoniser les pratiques de reporting extra-financier pour les grands groupes et les PME et ETI cotées. Les PME non-cotées pourront également s’y astreindre de manière volontaire et dans une version allégée.
Si le processus de transposition se déroule correctement (chose assez rare), elle devrait rentrer en vigueur en France en 2023. Elle viendra remplacer la DPEF. Sont concernées toutes les entreprises européennes, mais pas les groupes étrangers. La Commission croit dans le pouvoir normatif de l’Union européenne pour que cette nouvelle directive devienne un standard international (comme la directive REACH en son temps). Pas de certitude que cela se passe : il suffit de voir le RGPD qui est certes mis en place par toutes les entreprises opérant en Europe, mais ce n’est pas pour autant devenu la politique de données première de ces entreprises.
En tout cas, c’est une étape importante pour les Européens dans le combat (le mot est volontaire) d’harmonisation des normes extra-financières au niveau international. L’enjeu est similaire à celui qui était en jeu au moment de décider des normes comptables internationales.
BRIS ROCHER MISSIONNÉ. Les missions, Bris Rocher, PDG du groupe Rocher, ça lui connait. Il va ajouter une mission à ses cordes : une mission gouvernementale. Bruno Le Maire et Olivia Grégoire lui ont demandé de produire un rapport sur la gouvernance responsable des entreprises suite à l’entrée en vigueur de la loi Pacte il y a deux ans.
Le périmètre de sa mission :
évaluer l’impact des outils en faveur d’un capitalisme plus responsable et identifier des voies d’approfondissement, dans la continuité des avancées de la loi Pacte ;
analyser les expériences des entreprises pionnières dans l’adoption de leur mission, pour inspirer d’autres entreprises ;
établir un comparatif à l’échelle européenne, en fonction des différentes législations et certifications en cours ;
formuler des proposition pour tirer le meilleur parti des avancées de la loi Pacte en faveur d’une gouvernance plus responsable des entreprises, pour renforcer la diffusion de ces principes et de ces outils.
Le rapport sera rendu en octobre 2021. Vous imaginez que je vais suivre ces travaux avec grand intérêt !
Du côté des idées
A MARCHE FORCÉE ? Pierre-Yves Gomez, professeur à l’emlyon, a publié une tribune dans Le Monde sur les sociétés à mission. Son propos central est que les sceptiques devront se rendre à l’évidence que le besoin de la mission l’emportera. C’est la conclusion de son papier que je souhaite discuter :
[L]e débat sur la société à mission met au jour deux profils de dirigeants et donc un vrai clivage entre ceux qui, négligeant son intérêt stratégique, feront l’exercice sous la contrainte ou comme un coup de communication, et ceux qui entreprendront cette démarche difficile en étant conscients du besoin d’utilité et de motivation qu’éprouvent aujourd’hui tant de communautés de travail.
Je ne suis pas à l’aise avec cette approche. Si cette tendance venait à s’ancrer, ce serait le dévoiement pur et simple de l’esprit de la loi, et plus globalement de l’ambition de la dynamique enclenchée : que les entreprises s’engagent positivement ET durablement pour contribuer à résoudre des enjeux de société et qu’elles mènent de profondes transformations pour adapter tout leur business model en conséquence. Sans quoi, on tomberait dans ce que la RSE est devenue : une conviction pour les pionniers, une opportunité business/marketing pour beaucoup quand le calcul coût/bénéfice a fini par être positif, une contrainte pour les autres qui n’y voient qu’une couche supplémentaire de paperasse. La différence entre les deux : on peut mettre la RSE au cœur de sa stratégie ; la mission doit guider la stratégie…
En outre, une telle évolution pourrait handicaper les entreprises sincères. En dépit de tous les efforts pour être vertueux, authentiques et cohérents, il y a toujours des loupés, des trous dans la raquette, des brebis galeuses ou des choix difficiles qui viendront ternir l’image de l’entreprise. Les clients et consommateurs sont certes de mieux en mieux informés, mais l’information qu’ils décident de retenir ou celles qui leur est transmise est de qualité variable : on parle beaucoup plus des ratés que des efforts et des réussites… le bad buzz, la cancel culture, le woke etc. sont autant de phénomènes qui montrent que tout peut être terrassé par une mauvaise presse. Dans The Power of Bad, John Tierney et Roy Baumeister expliquent qu’il faut quatre bonnes actions pour en contrer une mauvaise. Encore faut-il connaître les quatre bonnes…
Enfin, cela vient ouvrir la porte à des missions sans sens et sans profondeur. C’est presque contre-intuitif, mais à coup de saupoudrage intelligent, d’initiatives marquantes mais ponctuelles, de coups de communication réussis, une entreprise opportuniste pourra donner l’impression qu’elle sert une mission. Une entreprise peut par exemple se donner comme mission de servir au mieux ses clients. C’est très simple de conférer une dimension sociale, voire environnementale, à cette mission : on leur offre des produits de qualité made in France ; on les conseille pour qu’ils soient en bonne santé ; on leur fournit une alimentation durable ; on leur fait économiser de l’énergie etc.
Le problème est que toutes ces “missions” sont juste des positionnements d’offre. Prenez ces mêmes phrases et mettez les dans le sens inverse. Elles peuvent fonctionner, mais elles sont d’un cynisme terrifiant. Il est important que la mission soit rattachée au core business de l’entreprise. Mais si la mission n’est que le core business, est-ce le chemin que l’on souhaite pour la société à mission ?
L’émergence de ce type de “mission” est une réalité que l’on constate déjà (cf. missive #38 sur la mission d’Axa Prévoyance & Patrimoines par exemple). C’est dans le respect du texte de loi, mais est-ce dans son esprit ?
Et si les sociétés à mission avaient vocation à être ces entreprises qui sont convaincues, celles qui ont accepté d’opérer une transformation profonde de toute leur activité, de leur management, de leurs opérations, et même de leurs indicateurs clés. Celles qui ont accepté qu’il fallait parfois renoncer à des projets ou prendre un détour pour être cohérent plutôt que de ne regarder que le coût supplémentaire ou le manque à gagner à court terme. Et surtout celles qui estiment que leur mission ne leur appartient pas, que leur entreprise est un maillon d’un écosystème plus large qui participe à une ambition importante pour la société.
Pour les opportunistes, la raison d’être peut très bien faire l’affaire. Elle est moins engageante, plus floue et peut parfaitement s’habiller d’un bon branding, alimenter de bonnes campagnes de communication, voire créer un souffle d’engagement (temporaire) chez les équipes. L’effet sera moins transformant et profond surtout quand il n’y a pas de réel suivi de la raison d’être, mais il faudra tout de même faire bouger des lignes sous peine d’être accusé de “purpose washing”, de ne plus intéresser des investisseurs soucieux des enjeux ESG, ou de se faire bouder par des talents de tous âges qui veulent faire un bout de chemin dans des entreprises qui agissent de manière positive.
Je ne pense pas que toutes les entreprises ont vocation ou doivent devenir des sociétés à mission. Cela doit être un choix important, conscient, stratégique, voulu et pérenne. Plus j’y réfléchis et plus je me dis que cela doit être un statut à part, réservé aux plus audacieuses et aux plus engagées. Tant pis pour les autres : cela ne les empêchera pas de bouger ; le mouvement de bascule de l’économie va devenir trop important pour qu’elles ne soient pas embarquées.
REPLAY ! Si comme moi, vous n’avez pas pu assister au webinaire organisé par Positive Workplace sur la raison d’être et la société à mission, pas de panique, le replay est désormais disponible.
BIG BOSS ET LE PURPOSE. The Purposeful Company, un think tank britannique investi sur les sujets de purpose (étonnant !), a sorti un rapport très intéressant intitulé The Purpose Tapes: Purpose driven leaders in their own words. Quatorze dirigeants de grands groupes internationaux, dont Barclays, EY, Infosys ou Unilever, ont répondu aux questions du think tank. Le résultat est inégal, mais certaines parties sont particulièrement intéressantes.
La première moitié se veut inspirante et le réussit plutôt pas mal même si on tombe parfois dans l’incantatoire. La deuxième moitié est plus intéressante. Elle traite de sujets sensibles, tels que le rapport aux actionnaires (chapitre tout en nuance mais à lire absolument) et les blocages au développement du sens en entreprise (je pense que certains se sont retenus mais il y a des éléments hyper intéressants).
UNE NEWSLETTER A SUIVRE. Vous connaissez peut-être Tech Trash, une newsletter décalée sur le monde de la tech. Après une campagne de levée de fonds sur KissKissBankBank, l’équipe débarque avec une nouvelle newsletter hebdo sur le climat, Climax. Même tonalité décalée !
Ils ont décidé d’adopter un modèle d’abonnement payant de minimum 4€ par mois (vous décidez du montant à partir de ce seuil minimum).
Mon son de la semaine
Morceau assez génial sur toutes les raisons qu’on peut trouver pour ne pas s’engager sérieusement dans un combat.
C’est tout pour cette semaine. Merci de votre lecture ! Vos commentaires, likes et partages sont le meilleur de faire connaître cette newsletter et toutes les initiatives engagées dont je parle.
Vous souhaitez échanger ou collaborer ?
Je suis effectivement un être de chair et d’esprit. Si vous souhaitez partager une actu, une analyse, faire du ping pong intellectuel sur vos réflexions, me conseiller une entreprise à interroger pour “L’entretien du mois”, réfléchir à des synergies, ou encore me conseiller de me pencher sur un sujet, vous pouvez me contacter par réponse à cet email si vous me lisez depuis votre boîte, par email ou via LinkedIn.
Repos jeudi prochain, donc à dans deux semaines,
Vivien.