#165 L'envie de nouveaux récits peut-elle nous sauver ?
Et également la RSE incarnée dans un nouveau site; donner la parole sur la société à mission; les protéines végétales aux Pays-Bas; Produrable et les labels RSE
Chères lectrices, chers lecteurs,
Une fois n’est pas coutume, je vous écris un lundi ! Le salon Produrable m’a pris pas mal de temps, ainsi que plusieurs ateliers en fin de semaine. Bref… Rassurez-vous, je ne vais pas en faire une habitude ! Passons directement au sommaire :
🏢 L’ouverture d’un nouveau site peut refléter les engagements RSE d’une entreprise
🎤 Crédit Mutuel Arkea tend le micro pour interroger sur la société à mission
🎙️ A vous de choisir le secteur qui sera l’objet d’une série d’épisodes sur le podcast
🌱 Les Pays-Bas montrent la voie vers une forte augmentation des protéines végétales
😕 Mon avis mitigé sur le Produrable, le salon RSE de la rentrée
👋 Petit rappel récurrent sur la différence entre la société à mission et les labels RSE
🎧 Mon son de la semaine : Gregor Tresher (ft. Laurent Garnier) - Le Meilleur est à venir
Bonne lecture, à dévorer ou à picorer !
Comme l’édito à suivre n’est pas très réjouissant, je vous partage ce morceau au titre beaucoup plus optimiste : “Le Meilleur est à venir” de Gregor Tresher et Laurent Garnier. Morceau que j’écoute beaucoup en ce moment dans la même veine que le dernier album extraordinaire du DJ français.
J’entends beaucoup parler de nouveaux récits, de nouveaux imaginaires comme la voie à suivre pour amener notre société vers la responsabilité, la sobriété, voire une “civilisation écologique”. C’est un courant de pensée qui semble prendre beaucoup d’ampleur ces temps-ci. Je comprends pourquoi mais je m’interroge sur cette mouvance.
L’idée est pertinente. En Occident, nous sommes dans une société bâtie sur le storytelling : la libération, le confort et l’épanouissement par la détention de capital et la consommation. Ce récit est tellement puissant que personne n’ose y toucher. Il structure l’économie et la politique. En consommant, on alimente les entreprises, qui paient des impôts au bénéfice de l’Etat qui, fort de finances publiques pas trop mauvaises, peut se financer sur les marchés pour assurer son fonctionnement et des services publics plus ou moins décents—c’est hyper schématique, mais c’est pour illustrer l’équilibre qui nous tient aujourd’hui.
Remettre en question un des maillons de cette chaîne, c’est l’ébranler dans sa totalité. Nombreux acteurs ont tourné cela en dérision—à commencer par notre président. Cela conduit donc des philosophes, des sociologues et des politiques — et même une fresque — à s’interroger sur les nouveaux récits.
Il faudrait créer de nouveaux imaginaires pour sortir d’une vision où l’écologie serait uniquement associée à “moins de” : moins de confort, moins de liberté, moins de consommation etc. Ces nouveaux récits permettraient de contrer ces visions négatives en offrant des contre-narratifs positifs : pas une course vers le moins, mais vers le mieux.
Je suis le premier à reconnaître le pouvoir des mots, mais j’ai quelques doutes sur le sujet. Tout d’abord, ces nouveaux récits doivent reconnaître la nécessité d’inclure dans ces discours une dimension de justice sociale. On commence à prendre ce point en compte, mais il est encore fréquent que les enjeux environnementaux soient décorrélés des enjeux sociaux. Une transition ou transformation se fera avec toute la société ou ne se fera pas.
Ensuite, les nouveaux récits doivent inclure une forme d’émancipation. J’adhère à l’idée que nous sommes prisonniers d’un système consumériste, mais la vaste majorité des gens ne la partagent pas. Donc, ils ne voient pas “une civilisation écologiste” comme une libération et une émancipation, mais comme une privation et une réduction, souvent parce qu’ils n’ont déjà pas les moyens de posséder plus. Pour les plus aisés, leur liberté est telle qu’une “civilisation écologiste” est forcément privatoire. Bref, pas simple de voir comment trouver un système qui puisse convenir à tout le monde, ni même au plus grand nombre.
Enfin, ces nouveaux récits n’ont de sens que s’ils s’intègrent dans le champ politico-économique. Notre système est bâti sur la croissance—cela reste louche pour une entreprise de ne pas vouloir grossir et incompréhensible pour un Etat de ne pas conduire ses citoyens vers plus de progrès (intrinsèquement lié à la croissance). Il s’appuie sur des indicateurs économiques, à commencer par le PIB, qui dictent tout.
Les nouveaux récits semblent encore trop déconnectés des enjeux économiques (à l’exception de la petite poche d’économistes qui s’intéressent au sujet, tels que Timothée Parrique).
Bref, je trouve l’idée très pertinente. Elle peut avoir des conséquences très positives à l’échelle micro (cf. l’effet que la Convention des entreprises pour le climat peut avoir sur certains participants). Mais, plus que de récits, c’est d’un nouveau système dont nous avons besoin, et pas à l’échelle française, mais à l’échelle internationale. Autant dire que nous n’y sommes pas…
Présentement, la seule chose qui conduit les acteurs à bouger, c’est la contrainte. Sans elle, les avancées sont très limitées.
Je n’ai pas de réponse à cette équation sans solution. La puissance du récit capitaliste-libéral dans lequel nous sommes est fichtrement tenace, parce qu’il promet aux individus et aux collectifs de s’épanouir et que tout le système international s’est progressivement articulé pour favoriser cette tendance. Ne négligeons pas les crasses inégalités qu’il a également générées.
On peut évidemment prendre beaucoup de hauteur et se dire que deux siècles plus tôt, ce système n’existait pas. Mais le changer aujourd’hui exigerait une concorde internationale, commune et simultanée que seule une énorme catastrophe pourrait justifier. Il semble que la peur du précipice soit le seul salut pour que les nouveaux imaginaires puissent prendre racine… Et pourtant, je suis de nature optimiste !
🏢 Un nouveau site, reflet de nouvelles ambitions y compris RSE
Je remarque que de plus en plus d’entreprises qui décident de changer de site prennent en compte des considérations sociales et environnementales. Dans les services, ce n’est pas toujours évident, parce que rares sont les entreprises de tailles suffisamment importantes pour construire leur site ou en être propriétaire. Elles doivent donc naviguer avec le parc immobilier existant, qui s’adapte progressivement.
En revanche, les industriels ou les entreprises installées dans des zones d’activité ont une marge de manœuvre plus importante. Je prends ici l’exemple de VLAD, spécialisée dans la fabrication de batteries médicales et industrielles, mais bien d’autres industriels ont déjà mené ce type de chantier. J’espère surtout que cela deviendra de plus en plus la norme.
VLAD a inauguré fin septembre son nouveau site de production pour un investissement de 7,5 millions d’euros pour refléter ses ambitions de développement et ses engagements environnementaux (l’entreprise est notamment société à mission depuis octobre 2023).
L’entreprise s’est appuyée sur l’implication de 41 salariés (presque la moitié des effectifs) dans le cadre de groupes de travail RSE, explique l’entreprise à l’Usine Nouvelle. Cela s’intègre d’ailleurs parmi ses objectifs statutaires de mission. Avec ce travail de co-construction, l’ambition était de prendre en compte des enjeux sociaux, liés au bien-être des équipes, et environnementaux, notamment par l’installation d’un système d’auto-consommation énergétique. VLAD a ainsi installé 1000m² de panneaux photovoltaïques en toiture et devrait produire plus d’énergie qu’elle n’en consomme.
🎤 Donner la parole sur la société à mission, une bonne idée !
Communiquer sur la société à mission, c’est un vrai casse-tête. Toutes (ou presque) veulent éviter le mission-washing et donc finissent par rechigner à communiquer. A la fin, cela se traduit par une communication au moment du rapport de mission ou une mention sans trop d’explication à l’occasion d’une interview dans les médias.
Crédit Mutuel Arkea fait partie de celles qui communiquent pas mal et à bon escient. A l’instar d’une vidéo qu’ils ont sorti dans laquelle ils font témoigner des collaborateurs, des administrateurs et des clients. Rien de bien compliqué, rien de surfait, mais je trouve que ça marche en l’état… peut-être justement parce que ce n’est pas surfait.
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🎙️ Pour la prochaine thématique du podcast…
Pour celles et ceux qui n’auraient pas encore voté. Deux fois par an sur le podcast de La Machine à sens dédié aux sociétés à mission, je consacre une série d’épisodes à un secteur d’activité. Votre avis est important pour savoir vers quelles entreprises je vais tourner mon micro.
Je vous laisse voter ici. Merci beaucoup !
🌱 La transition vers la protéine végétale : l’exemple néerlandais
Les Pays-Bas mènent une campagne impressionnante en faveur de la transition de protéines, dans laquelle la France est peu engagée.
En 2020, le gouvernement présentait sa Stratégie nationale des protéines dans laquelle il envisageait un équilibre de ventes de produits contenant des protéines entre celles végétales et celles d’origine animale d’ici 2030. A l’époque, on était à 40% d’origine végétale et 60% animale. Depuis, les initiatives des grandes surfaces se sont multipliées. Désormais, plusieurs d’entre elles visent même un inversement avec des objectifs de 60% de ventes de protéines d’origine végétale, rappelle l’ONG Madre Brava.
Ce rapport, publié cet été, analyse plusieurs géants européens de la distribution. Sur le sujet du rééquilibrage entre protéines végétales et animales, aucun acteur français n’a d’objectif.
Un article dans Sentient regarde plus en profondeur la situation aux Pays-Bas. Les engagements se traduisent par des actions fortes. Dans les supermarchés Jumbo, les promotions sur la viande sont terminées et l’enseigne a instauré un système de parité des prix entre les protéines d’origine animale et végétale. Cela a augmenté les ventes de produits alternatifs de 15%.
Pour terminer, c’est cadeau. Madre Brava rappelle dans son rapport que l’Allemagne connait un phénomène similaire. Les auteurs donnent l’exemple de Burger King où les burgers végétaux sont désormais moins chers que leurs équivalents à base de viande de bœuf. J’ai repensé à cette pub déplorable que Burger King France avait fait quand ils ont annoncé que tous les burgers étaient déclinés en version “veggies” (ils sont à parité de prix avec leurs équivalents à base de viande).
😕 Produrable, juste mon avis
C’était la quatrième fois que j’allais à Produrable et c’est la première fois que je suis déçu. J’ai vu le salon beaucoup grossir ces dernières années. C’est positif, parce que cela illustre que la RSE prend de l’ampleur. Mais, cette croissance n’est pas pilotée, donc c’est un peu le foutoir. Je m’explique.
15000 inscrits, c’est génial ! Désormais, le salon s’étend sur deux étages entiers du Palais des congrès à Paris. Cela prend de l’ampleur. En conséquence, le nombre de stands ne cesse d’augmenter au même titre que le nombre de conférences. Il y a tellement de tout, tout le temps, partout qu’on s’y perd. Le seul fil conducteur, c’est la CSRD. Une cliente me disait que pendant sa conférence qui n’était pas sur la CSRD, il y en avait 6 sur cette nouvelle réglementation. Et comprenez que c’est le cas pour tous les créneaux de 45 minutes sur 2 jours… Et pour tellement, tellement de stands. Cette boulimie est peu digeste pour moi.
Le problème est que cette croissance non pilotée se traduit par une forte hétérogénéité des conférences, un élément clé du salon. Tout bêtement, tout le monde ne sait pas organiser une conférence. C’est souvent soit une présentation de 40 minutes, qui sous couvert d’informations et d’analyses, est avant tout une démonstration de l’expertise et de l’offre de l’entreprise (souvent du cabinet de conseil), soit un échange plus ou moins préparé entre des intervenants façon café du commerce où tout le monde est d’accord. Il y a quelques exceptions, heureusement ! Par ailleurs, quasiment aucune conférence ne part du thème — cette année sur les valeurs — ce qui pose la question de l’intérêt d’en avoir un.
S’il est difficile de faire quoi que ce soit côté stand — ils sont déjà organisés par grandes catégories —, il serait utile de mieux cadrer les événements proposés. Soit, il faut préparer un kit d’organisation d’une conférence utile pour des participants, soit imposer une contrainte — trouver un lien avec la thématique par exemple —, soit un format. Par exemple, pour les conférences — hors échanges en amphi qui sont un peu plus de l’ordre du débat d’idées ou masterclasses qui doivent être méthodologiques — il faut un mélange entre des intervenants conseil et entreprises. Les retours d’expérience d’entreprises qui faisaient le sel des événements des précédentes années deviennent minoritaires. Et c’est très dommage !
Heureusement, Produrable reste le moment où l’on retrouve plein de connaissances, parfois c’est la seule fois de l’année qu’on les croise ! C’est déjà précieux !
👋 Petit rappel périodique sur la société à mission et les labels RSE
En lisant cet article dans Le Figaro, j’ai commencé par lever les yeux au ciel… Encore une confusion entre société à mission et label RSE… il faut attendre le tout dernier paragraphe pour que la journaliste présente la complémentarité entre les deux !
C’est l’heure du rappel périodique sur la confusion persistante entre société à mission et label RSE. Pour une version plus détaillée, je vous renvoie vers l’article complet.
Quand on veut faire montre de l’engagement de son entreprise, on ne peut pas comparer la qualité de société à mission avec des labels RSE, comme B Corp, Positive Company, Lucie ou Engagé RSE.
Les labels demandent de se conformer à un cahier des charges pour gagner des points et obtenir le sésame. Comme ils sont censés être à jour des bonnes pratiques, les référentiels évoluent et aident les entreprises à se poser des questions sur tous les sujets sociaux et environnementaux, et à progresser pour atténuer leurs impacts négatifs et se faire recertifier.
La société à mission est une qualité juridique qui fait inscrire dans les statuts de l’entreprise une raison d’être et des objectifs sociaux et/ou environnementaux liés à son activité. Chaque organisation est libre de définir les axes sur lesquels elle estime pouvoir jouer un rôle positif. Un audit s’effectue a posteriori pour vérifier la bonne adéquation entre intentions, moyens et réalisations.
Autrement dit, on ne devient pas société à mission pour mettre ses pratiques RSE (inclusion, diversité, éco-gestes divers, partage de la valeur) dans ses statuts.
Les deux sont donc complémentaires, car ils ne traitent pas entièrement des mêmes sujets, mais participent d’une dynamique : l’entreprise responsable dans ses pratiques autant que dans son business model.
C’est terminé pour aujourd’hui. Si cette missive vous a plu, je vous invite à appuyer sur le ❤️. Cela m’encourage !
Dans deux semaines, exceptionnellement, la missive sortira le vendredi, car je serai au salon Produrable à Paris les mercredi et jeudi.
Vous voulez que l’on travaille ensemble ?
Si vous souhaitez bénéficier d’un accompagnement pour devenir société à mission, pour challenger votre raison d’être et vos objectifs, ou pour bien piloter le déploiement opérationnel de votre mission, vous pouvez me contacter par réponse à cet email si vous avez directement reçu cette missive, sinon par email si vous lisez depuis votre navigateur. Plus d’infos sur les différents parcours sur mon site.
A la semaine prochaine,
Vivien.