#146 Etre une société à mission, c'est pas si facile
Et également, l'assurance sans limite, l'avenir, le bureau et les parties prenantes
Chères lectrices, chers lecteurs,
Voici l’avant dernière missive de l’année ! Déjà ! L’année a filé à une vitesse… Je ne parlerai pas de COP28 ; bien d’autres le font mieux que moi.
Mais pas si vite, avant de se lancer, je dois vous faire voter sur le tout dernier décryptage de mission de l’année qui paraîtra mercredi prochain. Je vous propose Agronutris (biotechnologie spécialisée dans l’élevage et la transformation d’insectes en protéines pour l’alimentation animale) et Naïo Technologies (robots autonomes pour les agriculteurs). Voici leurs raisons d’être :
Agronutris : “Contribuer à nourrir et préserver durablement le monde, au travers de la bioconversion.
Forte de son mantra “Élever et s’élever ensemble”, elle ambitionne, en plaçant l’Humain au cœur de son mode de fonctionnement et de sa gouvernance, de créer, en confiance avec l’ensemble de ses partenaires, une filière alimentaire juste et durable.” (Je précise que j’ai repris la raison d’être telle qu’elle est rédigée dans les statuts, pas celle présente sur le site Internet, qui paraphrase la première phrase)
Naïo Technologies : “Faire de l’agriculture une réalité mondiale”.
On passe au sommaire :
💭 Etre une société à mission, c’est pas si facile
😱 L’assurance sans limite
🤔 Il n’y a pas de taille pour penser son avenir
🏣 La mort du bureau n’est pas pour demain
🥊 Comment gérer des conflits entre parties prenantes ?
🎧 Mon son de la semaine : Laurent Garnier - Reviens la nuit
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Deux fois Laurent Garnier ? Oui, j’ose. J’ai découvert son album 33 tours et puis s’en vont sorti cette année, 2h40 de techno hors normes. Une jouissance pour les oreilles. Il a rythmé pas mal de sessions de travail intenses ces dernières semaines. Tout est démentiel dans cet album, mais “Reviens la nuit” fait partie de ces morceaux sur lesquels je reviens toujours. Partez pour 14 minutes au-delà du réel !
Skultur et Cohda ont réalisé une enquête auprès des sociétés à mission en Nouvelle-Aquitaine. La démarche est utile et je crois que c’est une première sur une région. Si les chiffres sont à prendre avec des pincettes, puisqu’on parle de 24 répondants (sur les 87 sociétés à mission que comptaient la région à la fin de l’été), on peut en tirer quelques enseignements.
Je vais partialement en retenir trois :
l’association RSE et société à mission fera long feu : l’écrasante majorité des répondants a estimé que mettre les actions RSE au service de la mission était une priorité dans leur démarche. C’est un sujet que j’ai déjà abordé à de multiples reprises.
Et je pense que je continuerai donc à l’aborder souvent. La mission n’est pas une politique RSE ++. Qu’il y ait des éléments de RSE dans sa mission peut être très pertinent, mais il ne s’agit pas “juste” de reprendre ses piliers de RSE en objectifs statutaires et d’avoir une raison d’être qui reprend son activité en indiquant “de manière durable et responsable”…
Par ailleurs, cela donne l’impression que les entreprises ne disposant pas de démarche RSE sont exclues d’un éventuel passage en société à mission, ce qui est une erreur.
Les différences entre les entreprises nativement à mission et les autres : le comportement entre les deux typologies d’entreprises varie beaucoup. C’est un des principaux enseignements de cette enquête. Il est beaucoup plus simple pour une entreprise nativement à mission de formuler sa mission (raison d’être et objectifs) et de la décliner en objectifs opérationnels que pour les autres. De même, elles trouvent plus facilement du temps à y consacrer. En soi, rien de très étonnant, puisque la mission est leur projet d’entreprise dès le début, mais c’est intéressant de le noter.
Sans surprise également que les entreprises déjà existantes voient plus d’intérêt dans la qualité de société à mission. Cela génère un processus de réflexion, d’itération, d’interrogations auprès de parties prenantes internes et externes. On sait à quel point ce travail peut s’avérer utile sur le moyen terme. Et que les entreprises nativement à mission ne font pas vraiment (au-delà de réfléchir entre associés quand il y en a plusieurs).
Les bénéfices économiques ne sont ni un critère de choix, ni un résultat avéré : améliorer sa performance économique n’est pas une raison très plébiscitée pour passer société à mission. Certains diront “tant mieux !”, mais c’est important de se le dire. Il n’empêche que la différenciation sectorielle revient quand un critère de choix important. On ne passe donc pas société à mission pour des raisons business, du moins, c’est secondaire.
Et une fois qu’on le devient, une grosse majorité estime que ça ne permet de remporter des marchés ou des appels d’offres. Je pense qu’on manque encore de recul sur le sujet (cela n’est pas immédiat et dépend de pas mal de critères, à commencer par le fait de communiquer dessus…), et que l’entreprise à mission est trop peu connue aujourd’hui pour espérer que cette qualité soit un critère de sélection chez des clients ou consommateurs.
Le sondage complet sera très prochainement mis en ligne. Suivez le compte LinkedIn de Franck.
😱 L’assurance sans limite
Carrefour et CNP Assurances ont lancé la “garantie pouvoir d’achat”, une assurance qui permet aux consommateurs subissant un coup dur de bénéficier de bons d’achats pour acheter des courses. Décortiquons un peu la chose.
Pour un montant allant de 2,90€ à 8,90€ par mois, vous pouvez bénéficier de bons d’achat allant de 75€ à 1000€. Cela varie du forfait choisi, mais également des motifs des difficultés, entre “hospitalisation accidentelle” et invalidité ou perte d’autonomie. Sont également concernés les personnes ayant perdu leur emploi, sauf dans pas mal de cas comme une rupture conventionnelle ou un licenciement pour faute grave, à en croire Le Journal du dimanche. Pas sûr donc que dans le cadre d’un PSE, ça marche… Quid d’un cas de figure où il y a un chômage technique et que vous êtes en intérim avec des contrats à la semaine ? Cas de figure fréquent dans pas mal de secteurs.
Certains pourront saluer cette idée dans un contexte de hausse des prix, d’autant que les indemnités pourraient être revues à la hausse en fonction de l’inflation. Mais, si on s’interroge sur le fond de la chose, qui sont les clients potentiels ? Soit les hyper-prévoyants qui ont déjà une myriade d’assurances au cas où, soit ceux qui se sentent en fragilité et généralement, cette fragilité est également marquée financièrement. Ainsi, ils doivent encore un peu plus payer pour pouvoir manger “au cas où”.
Par ailleurs, la communication laisse à désirer en termes de lisibilité. Le site de Carrefour indique que l’indemnité forfaitaire serait “par mois”, tandis que le tableau juste en dessous indique “sur X mois”, ce qui, en langage clair, signifie que la somme serait étalée sur X mois. Par exemple, pour 2,90€ par mois, vous pouvez soit bénéficier de 75€ “en une fois” en cas d’hospitalisation accidentelle ou de 75€ “sur 9 mois” (selon le tableau) ou “par mois” (selon le texte) en cas d’incapacité ou perte d’emploi. Disons que ce n’est pas vraiment la même chose…
Enfin, on peut questionner le principe d’ensemble : est-ce un moyen d’être sociétalement engagé et de répondre à l’inflation ou de jouer sur la crainte n°1 des Français aujourd’hui pour générer des revenus supplémentaires ? Pourquoi les deux doivent-ils s’opposer, pourrait-on me demander ? C’est vrai, mais à un moment la question s’est-elle posée : si on appelle un produit “Garantie pouvoir d’achat”, ne pourrait-on pas chercher les efforts que nous pourrions faire plutôt que de demander encore une fois aux clients de les faire ? En plus, le contexte importe quand on annonce ce genre de produit. Le timing n’est pas anodin et le cynisme de cette nouvelle offre peut prendre le dessus sur l’apparente réponse à un problème de société…
🤔 A toute taille, on peut penser son avenir
Le promoteur immobilier Redman, entreprise à mission et labellisé B Corp, a lancé son RedLab, une structure à double objectif : proposer de nouvelles idées en lien avec la mission de l’entreprise, que ce soit sur les sujets bas carbone déjà bien avancés ou plus récemment sur la biodiversité, mais également de s’assurer de l’alignement des nouveaux projets avec les valeurs de l’entreprise en comité d’engagement.
On pourrait s’attendre à ce que Redman soit une ETI avec un effectif important. Rien de tout ça, c’est une PME d’environ 70 collaborateurs. Dans le choix de créer ce lab, l’entreprise fait la preuve de la résonance de sa mission sur toute son activité, quitte à créer des postes qui ne sont pas “générateurs de CA” pour être plus alignés avec les ambitions de l’entreprise. C’est un choix !
En toute transparence, Redman est très souvent citée parmi les entreprises très engagées et j’aimerais beaucoup vous proposer un épisode de podcast avec eux, mais bon, à chaque fois que j’ai essayé, je n’ai pas eu de réponse…
🏣 Le bureau est là pour durer, mais pas que pour travailler
Si vous vous accrochez à l’idée que bureau = travail (et c’est tout), il va falloir revoir votre logiciel surtout si vous êtes sur Paris. Dans le baromètre annuel de Paris Workplace réalisé par Ifop, quelques éléments ressortent. Sont-ils applicables en dehors de Paris ou de grandes métropoles ? Cela reste à voir.
Selon les répondants (tous salariés dans des bureaux - c’est important de le préciser), aller au travail est important pour leur vie sociale avec les collègues, travailler en commun sur des projets et faire pleinement de l’équipe. Voici le top 3. Par ailleurs, arrivent à égalité 50-50 les deux propositions selon lesquelles le lieu de travail est uniquement un lieu de travail, et un lieu de travail mais également un lieu de vie.
Et si vous pensiez que les “djeuns” n’étaient pas très bureau, eh bien ça dépend beaucoup. 70% des salariés franciliens du tertiaire de -25 ans considèrent qu’on prendra davantage le temps de se parler au travail.
Cela étant, sur Paris, le télétravail est essentiel. 79% des répondants estiment que c’est un critère de choix pour leur prochain poste, avec un idéal à 2,3 jours par semaine.
Que penser de ces chiffres ? Il est important de s’interroger sur ce qu’on fait au bureau. Avant de me lancer à mon compte, je manageais une équipe et je m’étais fixé officieusement une règle : quand je suis au bureau, je serai “improductif”, car je passerai du temps en réunion d’équipe, avec mon équipe en one-to-one, en réunion sur des projets, à manger à la cantine avec eux. Mon objectif était de ne surtout pas négliger la relation humaine et de maximiser les temps d’échanges avec eux quand j’étais au bureau en même temps qu’eux, tout en me laissant autant qu’à l’équipe le choix des jours de télétravail.
Je n’ai pas masterisé cet équilibre et tout n’était pas parfait, mais effectivement dans les emplois de services, le “tout-bureau” est mort et le “tout-bureau domicile” n’a aucune pérennité sinon pour des entreprises cherchant des profils très spécifiques.
🥊 C’est beau le capitalisme des parties prenantes, mais ce n’est pas sans conflit
On dit souvent qu’il faut passer du capitalisme actionnarial (shareholder capitalism) au capitalisme des parties prenantes (stakeholder capitalism). Soit, mais cela ne résout pas les conflits qui peuvent émerger entre parties prenantes.
Dans un article pour la Harvard Business Review, Dorie Clark et Karen Walker proposent quelques solutions. La première étape est d’identifier les sources de la confusion. Autrement dit, chacun doit exprimer et expliquer son point de vue. C’est une chose d’être en désaccord, mais c’est bien que l’autre partie (ou les autres) le comprennent. Deuxième étape, un échange individuel peut évacuer les tensions. Il est vrai qu’un intermédiaire peut être utile, mais cela nécessite que les parties prenantes soient ouvertes à la discussion. Enfin, savoir passer à autre chose. Ce conseil s’applique surtout au dirigeant quand les parties prenantes sont en interne ou à l’entreprise quand les parties prenantes sont externes. J’avoue être plus circonspect par ce conseil, parce que lesdites parties prenantes ne vont pas toujours s’évaporer d’un coup.
Néanmoins, un aspect manque un peu dans cet article : une mission claire, communiquée et incarnée. Cela peut servir de juge de paix quand il y a des désaccords. Cela ne résout pas tout, mais en interne comme en externe, c’est un élément d’évaluation relativement objectif et ancré, qui permet de dépassionner les échanges.
C’est terminé pour aujourd’hui. Si cette missive vous a plu, je vous invite à appuyer sur le ❤️. Cela m’encourage !
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Si vous souhaitez bénéficier d’un accompagnement pour devenir société à mission, pour challenger votre raison d’être et vos objectifs, ou pour bien piloter le déploiement opérationnel de votre mission, vous pouvez me contacter par réponse à cet email si vous avez directement reçu cette missive, sinon par email si vous lisez depuis votre navigateur. Plus d’infos sur les différents parcours sur mon site.
A la semaine prochaine,
Vivien.