#113 Le conte des 1000 et 1 entreprises
La barre des 1000, positions courageuses, l'entreprise à mission à l'international, bronca en interne, prises de parole maladroites, payer moins pour travailler moins etc. (lecture totale: 10')
Chère lectrice, cher lecteur,
Bienvenue dans cette 113e missive. Quelle semaine mouvementée ! Jamais simple de passer des jours normaux quand une tragédie humaine touche des millions de personnes.
Ce n’est pas le sujet de cette newsletter, mais je souhaitais tout de même marquer le coup.
Je profite de ces mots d’introduction pour remercier toutes celles et tous ceux qui ont voté pour La Machine à sens dans le cadre du Festival de l’Infolettre (et également les nouveaux abonnés qui l’ont découvert par ce biais). C’est La Quotidienne de Voxe (newsletter d’actu visant l’empowerment féminin) qui a récolté le plus grand nombre de votes et remporte donc le Prix coup de cœur de la newsletter indépendante. Ont également été récompensées Rembobine (suivi un an après d’enquêtes d’actu marquantes) qui gagne le Grand Prix du jury et #Règle 30 de Numerama (actu tech de manière féministe et inclusive) pour le Prix de la newsletter de média.
Intervention à Bordeaux le 1er mars
Petite auto-promo : j’interviendrai le 1er mars à Bordeaux de 17h30-19h30 lors d’un événement intitulé “L’entreprise à mission : juste un effet de mode ?”. A mes côtés, Elodie Rochel, consultante, Magali Pawlowski du cabinet d’audit AJC et Virginie Joyeux, manager de mission de Valorem. L’événement est co-organisé par la pépinière Le Campement et Elodie Rochel. La première partie sera consacrée à nos interventions et à un débat ; la seconde sera en atelier pour bien cerner comment aboutir à une mission utile et bien formulée. J’espère avoir le plaisir de vous retrouver à cette occasion. Pour vous inscrire, c’est ici. Si vous n’êtes pas disponible, mais intéressé par un café, ce sera également avec plaisir. Faites-moi signe.
Passons au sommaire :
💭 L’édito : l’espoir de 1000 entreprises et le malheur d’une
🐟 L’étude de cas d’une entreprise qui fait des choix courageux en pensant le long terme
🛒 Greenweez offre un cas intéressant pour “internationaliser” l’entreprise à mission
🚫 Il n’y a pas que des étudiants qui ne veulent pas travailler avec TotalEnergies
🗣️ Parfois il faut apprendre à tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler
😯 Le Maryland pourrait proposer de payer moins d’impôts si elles acceptaient de moins travailler
♻️ L’économie circulaire est très loin d’être un standard
🧠 Un peu plus de jus de crâne avec Twitter, l’antifragilité, la masculinité fragile, le compte carbone et la salmonelle
🎧 Le son de la semaine : Mogwai - Dry Fantasy
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Le thème de l’édito de la semaine a évolué trois fois en quelques jours. Il devait d’abord être consacré à “la cause noble”, mais ça attendra, puis au syndrome du court-termisme et enfin à l’atteinte d’une barre symbolique. Il sera finalement sur les deux derniers sujets.
Donc, ça y est, nous y sommes : la barre des 1000 entreprises à mission vient d’être officiellement franchie. C’est symbolique et il reste beaucoup à faire, mais célébrons les réussites !
Face à cette nouvelle, on peut avoir trois réactions :
“1000 aujourd’hui, 10000 demain !” : le mouvement prend de l’ampleur, on en parle de plus en plus, le cadre séduit des entreprises de toute taille, de toute nature, de toute région et de toute ancienneté. Espérons donc que cela continue ; le train est parti et il reste beaucoup de places pour les prochains arrêts en gare.
“Que maintenant ?” : dans les “cercles économiques”, on parle assez régulièrement de l’entreprise à mission à tel point qu’on peut penser que c’est une vague bien présente. A mon avis, la barre des 1000 a été franchie il y a un moment, mais le recensement est tellement compliqué qu’on ne l’atteint qu’aujourd’hui (et il faut faire le tri, car certaines ne respectent pas la loi, soit parce qu’il n’y a pas d’objectifs statutaire, soit parce qu’il n’y a pas de raison d’être…). En tout cas, cette réaction montre que le sujet essaime dans les débats et qu’il faut continuer.
“Que 1000, c’est pas beaucoup !” : C’est vrai que 1000, c’est quelques pouillèmes du nombre de sociétés en France. Rappelons toutefois que la société à mission est née avec la loi Pacte en 2019, que les décrets d’application sont entrés en vigueur début 2020. C’est donc encore récent et, en vrai, ce dispositif reste encore peu et mal connu par les entreprises en place.
La majorité des entreprises à mission se sont créées ces trois dernières années. Au-delà de la méconnaissance, l’intérêt n’est pas toujours perceptible pour les entreprises déjà établies, ainsi que les opportunités qu’elle représente.
Il y a, je pense, un autre point que je développerai un autre jour. L’entreprise à mission est trop associée à une démarche RSE ou de communication et pas assez au développement commercial, à la pérennité et à la stratégie de l’entreprise. Cela lui coûte beaucoup.
Mais ne boudons pas notre plaisir. Il faut toujours des précurseurs et des éclaireurs qui montrent la voie, testent le terrain, acceptent que tout n’est pas parfait et limpide, pour que les autres puissent emprunter un chemin mieux balisé et plus clair.
Cette vision positive et encourageante du rôle de l’entreprise que porte la société à mission a été contrebalancée cette semaine par l’incarnation la plus basico-basique du syndrome du court-termisme.
BP a décidé d’augmenter ses investissements d’un milliard de dollars par an dans le pétrole et le gaz sur le reste de la décennie - et autant dans les énergies bas carbone (histoire de ne pas paraître trop vil). La raison :
“Les débats d’il y a trois ou quatre ans tournaient singulièrement autour d’une énergie plus propre, d’une énergie moins carbonée”, a expliqué Bernard Looney, le PDG de l’entreprise. “Aujourd’hui, on parle beaucoup plus de sécurité énergétique et d’énergie abordable”.
Comprenez : avec l’augmentation du prix du baril, les investissements dans les énergies renouvelables ont un impact négatif sur la valeur boursière de BP par rapport à d’autres majors moins-disantes sur le sujet comme Exxon. Pas de quoi rassurer les marchés… C’est tellement vrai que cette annonce a été saluée par les investisseurs, puisque l’action a pris 13% ces derniers jours, au plus haut depuis trois ans et demi.
Mais cela est un coup de canif dans les engagements que Bernard Looney avait formulé en faveur d’une réduction des investissements dans les énergies fossiles.
Rassurons-nous : l’entreprise affirme que ces nouveaux investissements se feront sur des projets de court terme rémunérateurs et qu’ils n’entament pas la marche vers l’atteinte des objectifs climatiques…
En tout cas, si vous cherchez un exemple probant de pensée court-terme et de primauté actionnariale, je vous le sers sur un plateau… En espérant que d’autres pétroliers ne soient pas inspirés par cette volte-face.
🐟C’EST DANS LA BOITE.
La Tribune consacre un article en étude de cas sur La Belle-Îloise. Cette ETI bretonne connait les mêmes difficultés que bon nombre d’entreprises : augmentation des prix de l’énergie et des matières premières. Pour faire face à cette situation, Caroline Hilliet Le Branchu, sa PDG, explique que le choix est de rogner sur les marges plutôt que de pratiquer des licenciements ou d’importantes hausses de prix. “Je n’envisage ni de réduction de postes ni de passer les gens au travail de nuit, parce que La Belle-Îloise travaille du poisson frais. Pour nous, l’option est de baisser notre marge et de poursuivre nos investissements.”
Trois leviers sont actionnés : l’investissement dans de nouveaux moyens de production (pour produire plus), le recrutement (pas simple quand le taux de chômage dans le Morbihan est à 5,3%) et le développement commercial de nouvelles offres (dans les produits à base d’algues par exemple).
On retrouve ici le meilleur des entreprises familiales : la vision de long terme avec une recherche de pérennité non à 5 ans, mais à la prochaine génération. Ce n’est pas applicable à toutes les entreprises, mais il y a des bonnes pratiques à tirer.
🛒L’ENTREPRISE A MISSION A L’INTERNATIONAL.
Aujourd’hui, la qualité de société à mission est une spécificité française. Des efforts sont menés pour lui conférer une dimension européenne, mais ils prendront du temps. En attendant, que faire ?
Une approche souvent retenue par les entreprises à mission présentes à l’international est d’opter en plus pour le label B Corp, car il est davantage connu à l’étranger. C’est une option plutôt attrayante quand l’entreprise n’a qu’une seule entité juridique. Sinon, chaque filiale doit se faire labelliser et ça peut commencer à chiffrer et être rudement complexe (demandez à Danone).
Une autre option quand vous avez une ou plusieurs filiales est de s’appuyer sur la législation locale. C’est ce que Greenweez vient de faire en Italie. Entreprise à mission en France, elle a racheté Sorgente Natura en 2019. Depuis le 1er février, l’entreprise a changé de nom pour devenir Greenweez Italia et est devenue dans le même temps une società benefit, un équivalent italien de l’entreprise à mission. Certes, il n’existe pas encore beaucoup de pays en Europe avec des législations de cette nature (je vous présenterai le cas très atypique des scooters Yego dans un prochain épisode de podcast).
🚫LA BRONCA CHEZ ADN.
Il n’y a pas que les étudiants de grandes écoles qui rechignent à s’acoquiner avec TotalEnergies. Le très bon média en ligne L’ADN, connu pour publier sur l’écologie, la diversité et la responsabilité d’entreprise, vient de connaître un épisode sulfureux en interne. En décembre, ils ont candidaté et gagné un appel d’offres du pétrolier français pour accompagner la “TotalEnergies Digital Factory”.
Petit souci : les équipes d’ADN ont refusé de contribuer. Sous la pression interne, la direction a décidé de renoncer au contrat dont le montant total pouvait aller jusqu’à 400 000 euros. Ca me rappelle l’épisode d’Hootsuite il y a quelques années qui avait rencontré la même opposition après avoir gagné un appel d’offres avec l’agence fédérale d’immigration américaine.
🗣️TOURNER SEPT FOIS LA LANGUE DANS SA BOUCHE.
Le ministre de la Transition écologique Christophe Béchu s’est récemment illustré par deux prises de parole que l’on peut aisément contester. Lors d’une conférence fin janvier, il a déclaré qu’il fallait modéliser un monde à +4°C d’ici 2100. Il a estimé que c’était indispensable pour la prise de conscience et pour mesurer les efforts d’adaptation.
Il n’est pas le premier représentant de premier plan à estimer qu’il faut envisager des scénarios plus graves qu’une augmentation des températures de 2°C. Par exemple, Nicolas Dufourcq, DG de Bpifrance, considère qu’il faut tout faire pour limiter l’augmentation à +2,5°C, “max 3°C”.
Mais, la question se pose : quelle est l’utilité réelle de modéliser un monde inhabitable à +4°C ? Ne serait-il pas plus judicieux de dépenser l’argent public, ressource déjà contrainte, pour travailler sur des actions d’adaptation liées à des scenarii moins catastrophistes quand on sait que tous les efforts ne sont déjà pas déployés pour un scénario à +2°C ? Question ouverte (ou rhétorique…).
Autre fait d’arme récent. Le ministre et la secrétaire d’Etat chargée de l’Ecologie Bérangère Couillard engagent des actions de “name and shame” sur les réseaux sociaux. La dernière en date : nommer les entreprises de restauration rapide qui n’ont pas fourni de plan d’actions sur la fin de la vaisselle jetable. On y retrouve McDonald’s, Starbucks, Domino’s ou encore Nabab Kebab. Et au milieu, on retrouve Restoria. Les plus anciens abonnés se souviennent peut-être du décryptage de mission que j’ai fait.
Seulement, il y a quelques hics dans ce name and shame. Tout d’abord, Restoria n’est pas une chaîne de restauration rapide, mais de restauration collective. La loi AGEC ne s’applique donc pas à elle. Mais, en plus Emmanuel Saulou, le président de Restoria a pris un malin plaisir (dont il serait probablement bien passé) à torpiller la dénonciation de son entreprise dans la liste.
Olivier Demaegdt a recensé les différents tweets de contre-offensive du dirigeant.
😯TRAVAILLER MOINS POUR PAYER MOINS.
L’Etat du Maryland aux Etats-Unis se penche sur une loi instaurant la semaine de 32h (équivalent de quatre jours outre-Atlantique). Le petit twist, c’est que les législateurs proposeraient une incitation fiscale pouvant représenter 750 000 dollars par an, pendant deux ans, pour les entreprises qui passent à la semaine de quatre jours.
♻️L’ECONOMIE CIRCULAIRE, TRES LOIN D’ETRE UN STANDARD.
On peut avoir l’impression que l’économie circulaire prend de l’ampleur, que les solutions se multiplient et progressivement infusent en entreprise. A l’échelle mondiale, ce n’est pas du tout le cas. Selon le nouveau rapport The Circularity Gap, l’économie circulaire ne pèse que 7,2% de l’économie mondiale, au plus bas depuis les six ans que le rapport existe.
En cause, toujours plus de consommation dans les pays riches et une augmentation de la consommation dans les pays à revenus moyens.
16 solutions sont proposées dans le rapport autour de quatre principes :
use less (moins extraire de matériaux vierges)
use longer (la prolongation de l’utilisation)
make clean (privilégier les énergies renouvelables et les matériaux régénératifs)
use again (le réemploi)
Le rapport met beaucoup l’accent sur le rôle réglementaire des pouvoirs et sur les partenariats publics-privés comme autant de leviers pour accélérer la transition vers une économie plus circulaire.
🧠UN PEU PLUS DE JUS DE CRANE.
Comment créer un comportement anti-fragile en entreprise en s’appuyant sur une culture forte ? C’est ce qu’explique Cédric Watine dans le podcast de Pauline Laigneau.
Selon Jonas Heese et Joseph Pacelli, il ne faut pas espérer la ruine de Twitter. Ils expliquent que ce réseau social, plus encore que d’autres, joue un rôle pour tenir les entreprises responsables de leurs actions.
La newsletter du Monde Chaleur humaine revient sur le principe de “compte carbone individuel” évoqué par certains.
Dans une enquête approfondie de Basta!, le média explique que la réglementation pour limiter la salmonelle conduit à la maltraitance animale et met en péril la disponibilité à grande échelle des œufs de plein air.
Fruit d’une recherche quelque peu contre-intuitive par les temps qui courent, Maryam Kouchaki, Keith Leavitt, Luke Zhu et Anthony C. Klotz analysent dans un article pour la Harvard Business Review le phénomène de “masculinité fragile”, comment il peut avoir des conséquences négatives lorsqu’un employé l’expérimente et comment gérer ces situations. A lire en entier même si vous trouvez la première moitié franchement exagérée.
Mogwai est un groupe vétéran de la scène post-rock créé en 1997. Ils ont marqué l’histoire de ce mouvement musical trop méconnu. Surtout, ils sont toujours là. Leur dernier album regorge de belles pépites, comme cet onirique “Dry Fantasy”.
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A la semaine prochaine,
Vivien.