#149 Faire moins mais mieux ou faire plus simple mais mieux ?
Débat qui montre la faille de notre système; mais aussi le reporting biodiv ; l'enseignement supérieur et le DD ; le coworking à mission ; l'assurabilité du monde ; l'entreprise hybride etc.
Chères lectrices, chers lecteurs,
Bienvenue dans cette 149e missive de La Machine à sens. Je vous écris gonflé à bloc après une très belle soirée des 5 ans de la société à mission organisée par la Communauté des entreprises à mission. Des fois, il y a des moments qui permettent de recharger les batteries. C’était exactement cela et cela fait beaucoup de bien !
Avant de passer au sommaire, petit rappel concernant l’enquête de lectorat toujours ouverte. Un très grand merci de prendre quelques minutes pour y répondre. Elle me permet d’améliorer le contenu que je vous propose et vous avez forcément de bonnes idées à partager.
Au sommaire (ou version télégraphique de la missive) :
💭 Comment on a réussi à créer une tension entre la nécessaire sobriété et la volonté de simplification
🌱 Une méthodologie de reporting biodiversité va se déployer en test dans 320 entreprises
🧑🎓 Le Pôle Léonard de Vinci approfondit ses engagements grâce à une nouvelle labellisation et envisage des transformations internes
🎙️ Extrait du nouvel épisode du podcast avec Guillaume Pellegrin, président-fondateur de Newton Offices (espaces de travail partagés)
😨 Va-t-on vers un monde inassurable ? C’est une vraie question quand on voit la hausse constante des dégâts liés aux catastrophes naturelles
💡 Plongée dans l’entreprise hybride, celle qui met au même niveau impératif économique et enjeux sociaux et/ou environnementaux
🧠 Un peu plus de jus de crâne avec la techno-lucidité, le rapport de mission, le bilan carbone dans le cinéma et la nécessité de donner du sens aux choses.
🎧 Mon son de la semaine : La Femme - Télégraphe
Bonne lecture à picorer ou à dévorer !
En 2011, La Femme sortait son premier maxi. C’était une très grosse claque. J’étais ensorcelé par cette espèce de garage rock electro vintage dansant. Le groupe a continué son chemin avec quelques expérimentations pyché plus ou moins heureuses. Mais, ils ont l’idée de réenregistrer ce premier EP 13 ans après sa sortie. Je m’y suis replongé avec délectation. Cette nouvelle version de “Télégraphe” est géniale !
Le choc de simplification est de retour. Cette formule que François Hollande avait fait sienne en 2013 reprend du service suite à la colère des agriculteurs. C’est une antienne de vouloir moins de réglementation, moins de charges, et parallèlement plus de soutien et d’avantages fiscaux. Loin de moi l’idée que toute réglementation est forcément bonne et que l’argent collecté par l’Etat est toujours bien utilisé…
Dans le même temps, les entreprises sont intimées d’aller vers plus de sobriété et d’envisager les conséquences à tous les niveaux de leurs organisations. Les deux logiques pourraient aller de pair, mais rien n’est jamais aussi évident.
La simplification dont on parle relève d’une perception d’excès de réglementations, de normes, qui sont toujours plus de contraintes pour les entreprises.
Autrement dit, ces efforts réglementaires surjoueraient les risques sanitaires, de sécurité etc. et obligent les entrepreneurs à passer toujours plus de temps à faire autre chose que leur métier. Cela devient insoutenable surtout pour ceux qui peinent déjà à subvenir à leurs besoins. Dans un secteur aussi ardu que l’agriculture, on ne compte plus ceux qui vivent dans la précarité ou décident de ne plus la supporter.
Bien qu’on puisse questionner la pertinence de toutes ces normes, elles ne viennent pas de nulle part et de plus en plus sont le résultat d’excès de notre propre fait (produits dangereux, pratiques déviantes etc.) eux-mêmes créés pour répondre aux demandes excessives de nos sociétés…
De l’autre côté, les appels à la sobriété croissent. La sobriété, comme moteur pour réduire les consommations, et ainsi améliorer l’environnement. Une étude prospective de la CCI Ile-de-France parue en juin dernier recense toutes les raisons qui devraient pousser les entreprises à aller vers la sobriété. Elles sont nombreuses et pertinentes, même si l’approche de l’autrice peut parfois sembler radicale : quasiment tous les modèles “durables” que prônent les entreprises sont truffés d’angles morts. Cela n’invite pas vraiment à l’espoir.
Elle pose toutefois 9 axes sur lesquels travailler : la conception et le design ; l’approvisionnement ; la production ; l’emballage, le conditionnement et stockage ; la logistique aval et le transport ; le marketing et la publicité ; l’usage et la consommation ; la relation clients et le SAV ; la réparation, le recyclage et le rebut.
On est obligé de se dire que toutes ces étapes sont difficiles, fastidieuses, longues et incertaines. Pourquoi, en tant qu’entreprise, m’obligerais-je à tout bouleverser quand il n’y a pas de contrainte ou de pression exogène et que mes concurrents ne le font pas non plus ?
Aller vers plus de sobriété dans son entreprise, c’est transformer toutes ses pratiques. C’est aller à l’encontre de décennies d’habitudes : envisager de gros volumes pour viser des économies d’échelle, privilégier le remplacement plutôt que la réparation parce que ça rapporte plus et que c’est plus simple, vendre des objets plutôt que des usages parce que nos organisations sont structurées pour cela, rechercher des innovations technologiques plutôt que de réfléchir à de nouvelles pratiques qui viendraient perturber des habitudes etc.
Bref, aller vers plus de sobriété, c’est tout sauf simple. Et c’est bien là que le bât blesse. Depuis des dizaines d’années, nous sommes dans des sociétés où l’on recherche simplicité, immédiateté, praticité et confort sans trop se soucier des conséquences. De même, nos sociétés occidentales sont construites sur l’autel de la croissance : qu’elle se traduise en chiffre d’affaires ou en objets que l’on possède chez soi.
Aujourd’hui, on est face à un sacré dilemme. Peut-on combiner nécessité de sobriété et volonté de simplification ? C’est une autre version du dilemme fin du monde vs fin du mois ; il est tout aussi sensible. Certains diront que des efforts sont nécessaires même s’ils sont coûteux pour continuer à vivre décemment et entreprendre demain. Les autres rétorqueront que beaucoup peinent à vivre et à entreprendre aujourd’hui, donc la projection à une génération n’a guère de sens.
C’est la lutte des récits : celui du futur et des possibles contre celui du présent et de la réalité. Et pourtant, sobriété et simplification sont, sur le papier, profondément complémentaires. C’est bien la faille de notre société : on a créé un système qui arrive à opposer “faire moins mais mieux” avec “faire plus simple mais mieux”. On est dans de beaux draps…
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🌱 Du nouveau sur le reporting lié à la biodiversité
Le reporting sur les enjeux climatiques est globalement bien normé. En revanche, celui sur la biodiversité est beaucoup moins consensuel. J’ai déjà évoqué ce sujet par le passé.
A l’automne dernier, la Taskforce on Nature-related Financial Disclosures publiait les conclusions de ses travaux. L’organe souhait offrir un cadre standard sur le sujet de la biodiversité.
Il vient d’annoncer un partenariat avec 320 entreprises lors du sommet de Davos pour mettre en œuvre un reporting biodiversité qui s’appuiera sur cette méthodologie.
Dans le lot, on compte majoritairement des services financiers (banques, sociétés de gestion). On y retrouve plusieurs entreprises françaises, dont La Banque Postale, Carrefour, Kering et Mirova.
🧑🎓 Un établissement d’enseignement supérieur approfondit ses efforts
Le Pôle Leonard de Vinci, ensemble de quatre établissements basés à La Défense, poursuit ses efforts dans la prise en compte des enjeux de développement durable en obtenant le label DD&RS (Développement durable et responsabilité sociétale) pour deux de ses entités.
On compte aujourd’hui 41 établissements labellisés. Pour le Pôle LdV, cela concerne les écoles de management et d’ingénieurs. Ce label interroge les organismes sur cinq catégories : Stratégie et gouvernance, enseignement et formation, recherche et innovation, environnement, et politique sociale. Autant dire une approche globale qui nécessite un investissement de la part des établissements.
Le Pôle va également devenir société à mission en réunissant ses quatre entités dans une même structure. Plusieurs grandes écoles ont déjà adopté cette qualité comme l’emlyon, les écoles du groupe Ionis (dont ESME et EPITA) et Sup’Biotech. Beaucoup d’établissements ne sont pas directement éligibles, étant des associations, mais on voit que ça bouge aussi : le premier exemple est Montpellier Business School. L’aspect structurant que ce cadre offre quand on le met bien en place peut s’avérer très utile surtout vu les défis de transformation que beaucoup d’établissement ont aujourd’hui.
🎙️ 35e épisode du podcast de La Machine à sens
Pour ce nouvel échange, j’ai eu le plaisir d’accueillir Guillaume Pellegrin, président-fondateur de Newton Offices, entreprise marseillaise qui gère des espaces de travail partagés un peu partout en France. Ils sont passés société à mission l’an dernier.
Vous pouvez retrouver l’épisode sur toutes les plateformes. Petit conseil pour les utilisateurs de Spotify : le chapitrage de l’épisode est accessible depuis votre mobile, ce qui facilite une écoute plus ciblée.
Voici un extrait de l’entretien.
Avec l’évolution des profils en interne, comment arrives-tu à maintenir la cohésion autour du projet ?
Je crois beaucoup à la cohérence à l'exemplarité et donc il a fallu mettre des mots : on joue à quoi ? On croit en quoi ? Dans quel cas on dit “ça c’est ok, c’est nous”, “ça ce n’est pas ok, ça nous va pas, ça nous heurte”. Ce n’est pas évident de mettre des mots là-dessus.
Au début, tu ne le fais pas, ou plutôt par mimétisme en montrant l’exemple. Mais, au bout d’un moment tu te poses trop de questions, donc il a fallu mettre des mots pour deux raisons : parce qu’on veut construire des immeubles qui nous ressemblent vraiment et qui ne soient pas juste ce qu’on peut voir à droite à gauche, et puis plus globalement pour définir tes valeurs et ta mission. Dès l'instant où tu arrives à les définir, tout s’éclaire, on peut tout aligner et comprendre pourquoi telle ou telle chose nous gênait.
On parle de beaucoup de sujets dans cet épisode : l’état du coworking avant et après le Covid, le développement de Newton Offices actif dans la gestion immobilière et l’hospitality management, la décentralisation de l’organisation, les enjeux environnementaux liés à la gestion des bâtiments, la mission, Sting aussi.
💡Petite pause pour vous rappeler de prendre quelques minutes pour donner votre avis sur la newsletter, m’aiguiller dans quelques idées et me faire part de suggestions que vous pouvez avoir. Merci !
😨 Un monde inassurable ?
Cela fait déjà quelques années que certains acteurs de l’assurance préviennent du risque que le réchauffement climatique va rendre le monde de plus en plus difficile à assurer. C’est déjà le cas dans certaines régions aux Etats-Unis par exemple.
Selon le dernier rapport d’Aon, Climate and Catastrophe Insight, le coût estimé des dommages causés par les catastrophes naturelles en 2023 s’élève à 380 milliards de dollars. C’est 22 % de plus que la moyenne du XXIe siècle et c’est la moitième année consécutive que ce nombre dépasse les 300 milliards.
Les acteurs de l’assurance ont couvert ces pertes à hauteur de 118 milliards de dollars, soit 31 % de plus que la moyenne au XXIe siècle. Evidemment, le fait que 2023 ait été l’année la plus chaude jamais enregistrée n’y est pas pour rien, au mettre que la multiplication des tempêtes et inondations en Europe et aux Etats-Unis.
Donc, on n’est probablement pas prêt de voir de stabilisation des prix des assurances. D’autant qu’une étude de France Assureurs de 2022 chiffrait à 69 milliards d’euros l’augmentation des dégâts causés par les aléas naturels entre 2020 et 2050 par rapport aux trois précédentes décennies, ce qui représenterait une hausse de 93%.
Vers l’entreprise hybride ?
Dans un article pour la HBR France, Lionel Garreau et Amélie Gabriagues détaillent les vertus de l’entreprise hybride : “ces entreprises protéiformes, où une logique traditionnelle économique fusionne avec une autre logique répondant à des impératifs distincts (sociaux, environnementaux)”.
Il n’y plus de hiérarchie entre les deux. Mais, il faut surmonter plusieurs types de tensions en interne : sur l’identité de l’entreprise, sur les ressources mobilisées par exemple.
Les auteurs énumèrent cinq axes pour devenir une entreprise hybride et surmonter les tensions qui émergeront :
Prendre conscience des logiques et des finalités poursuivies
Identifier la logique sous-jacente aux pratiques déployées
Identifier les cercles vertueux entre logiques
Créer des dispositifs pour mettre en place l’articulation
Piloter l’articulation des logiques
Cela ramène un peu au sujet de l’édito sur la sobriété. Dans ces entreprises hybrides, cette dynamique sera souvent à l’œuvre, mais elle demande d’accepter un coût d’entrée, de gérer les conflits et les irritants, d’identifier des zones de succès et de célébrer les avancées, de piloter cette trajectoire et de persévérer dans le temps.
🧠 Un peu plus de jus de crâne
Quand on parler IA et climat, on prend surtout en compte les émissions liées à l’entraînement des modèles, mais moins la production des matériaux nécessaires et pas du tout celles liées aux utilisations de l’IA. D’où l’appel de Lou Welgryn et Théo Alves da Costa dans Vert à devenir techno-lucides.
L’Agence Déclic prodigue quelques conseils pour rédiger son premier rapport de comité de mission.
Cela peut paraître évident, mais c’est un écueil tellement fréquent : selon un article de Liam Fahey et Hubert Saint-Onge, face à l’adversité de l’environnement business, les leaders qui s’en sortent le mieux sont ceux qui créent des mécanismes pour donner du sens à ce qui se passe, plutôt que de le subir.
Même les tournages de cinéma se mettent au bilan carbone, explique Pioche!e
C’est terminé pour aujourd’hui. Si cette missive vous a plu, je vous invite à appuyer sur le ❤️. Cela m’encourage !
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A mercredi prochain pour le retour des décryptages ! Le vote est encore ouvert !
Vivien.