#91 Décryptage de la mission de Klaro
Analyse de la raison d'être et des objectifs statutaires de l'entreprise
Chères lectrices, chers lecteurs,
Bienvenue dans ce 91e décryptage de mission. Pour rappel, vous pouvez les 90 premiers, qui couvrent beaucoup de secteurs et de tailles d’entreprises différents.
Le dernier vote a largement fait ressortir Klaro, solution d’aide à la revendication des aides. Avant de passer à l’analyse de la mission, voici les deux entreprises que je vous propose pour la semaine prochaine :
KPMG France dont la raison d’être est : “Au cœur de l’économie, des territoires, de la société, nous œuvrons et innovons avec passion pour bâtir la confiance, allier performance et responsabilité, et faire grandir les talents.”
Crédit Agricole Ile-et-Vilaine dont la raison d’être est : “Agir chaque jour dans l’intérêt de nos clients et de la société”. Pour information, c’est la même que celle du groupe.
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La raison d’être de Klaro m’a tout de suite projeté dans un univers où un morceau d’Orelsan semble adapté, et en l’occurrence “La Pluie” avec Stromae.
Klaro est une startup créée en 2019 par Cyprien Boutard-Geze. L’idée lui est venue pendant ses permanences au sein de la Croix Rouge : trop de familles ne bénéficiaient pas des aides auxquelles elles avaient droit. Selon la DREES, le taux de non-recours aux prestations sociales dépasse fréquemment les 30%. A cela se couplent le non-recours à d’autres aides moins sociales, pour la transition écologique ou la mobilité douce par exemple. Bref, l’enjeu est très important !
L’ambition de l’entreprise, qui s’appelait Toutes mes aides avant une levée de fonds de 3 millions d’euros clôturée fin 2022, revêt donc un caractère social évident. Le choix de passer société à mission acté peu avant cette levée de fonds n’est donc pas surprenant.
La raison d’être :
Réduire les inégalités sociales et améliorer le pouvoir d’achat.
C’est court et efficace. On comprend directement que l’entreprise se positionne sur des aspects sociaux et même sociétaux.
Cette raison d’être affiche une posture militante. On sait que les inégalités ne cessent de se creuser. A titre d’exemple, selon un rapport d’Oxfam de janvier 2023, les 1% des plus riches ont capté près des deux tiers des richesses financières créées depuis 2020.
Cette expression de “réduire les inégalités sociales” pourrait même très bien s’appliquer à une association. Il est en effet peu commun pour une entreprise d’afficher une telle ambition. C’est en partie contrebalancé par la seconde moitié sur le pouvoir d’achat. Mais, on pourrait très bien penser à une association d’aide aux consommateurs.
Je m’interroge en fait sur l’association entre un enjeu sociétal très fort et une dimension individuelle mercantile—on parle ici de pouvoir acheter des choses. Klaro parle également de “sérénité financière”, parfois de “bien-être financier” sur son site. Je trouve que cette ambition serait plus juste. Avoir un complément mensuel doit-il forcément se traduire par des achats ? Par ailleurs, le seul moyen de réduire les inégalités sociales est-il d’augmenter le pouvoir d’achat ? Cette raison d’être nous laisse le penser. Et enfin, les utilisateurs de l’application sont-ils uniquement des personnes qui souffrent d’inégalités sociales ?
On ne comprend pas non plus très bien que Klaro vise à ce que l’on puisse bénéficier des aides auxquelles nous avons droit en tant que citoyens. C’était plus clair avec l’ancien nom, mais en l’état, et en poussant volontairement à l’excès, une appli de bourse ou de pari en ligne pourrait avoir la même raison d’être.
Sur leur site, ils ajoutent “en permettant à chacun de recevoir ses aides”. Le fait de ne pas l’avoir mentionné dans les statuts est étonnant. Cela aurait renforcé la singularité et la clarté des enjeux et de l’activité de l’entreprise. Peut-être ont-ils souhaité ne pas se fermer de porte pour une diversification future, mais ce choix reste toutefois surprenant. C’est toujours le risque de la concision : on perd en précision.
Toutefois, cette raison d’être pourrait également ouvrir des pistes d’innovation. Aujourd’hui, Klaro est une appli en B2B2C, puisque ses clients sont des organisations, qui proposent les services à leurs salariés, locataires, résidents étudiants etc. On pourrait envisager d’élargir la solution à tout le monde contre un abonnement mensuel à terme. Donc, ne pas fermer trop de piste n’est pas plus mal pour une entreprise encore très jeune si tant est que la raison d’être reste claire.
Les objectifs :
Mesurer le pouvoir d’achat apporté à nos utilisateurs
Améliorer le pouvoir d’achat de nos utilisateurs
Je couple l’analyse des deux premiers objectifs. En effet, il n’y a pas de raison qu’il soit distinct. Ils visent le même effet. Pour améliorer le pouvoir d’achat des utilisateurs, il faut mesurer cette évolution. Donc, le premier objectif statutaire est caduc.
En tout cas, c’est un enjeu business de premier ordre. Il est d’ailleurs assez fréquent que les startups à mission aient des objectifs statutaires liés à leur produit. C’est assez malin quand c’est pertinent, car cela lie complètement la mission à l’activité. Ici, vu la raison d’être, on aurait difficilement pu imaginer qu’il ne soit pas mentionné. C’est donc cohérent.
Permettre aux plus défavorisés de bénéficier de nos services
Sur le papier, cet objectif tombe comme un cheveu sur la soupe. Il n’apparait pas vraiment dans la raison d’être, ou très indirectement, en parlant de “réduire les inégalités sociales”. Mais, cela fait partie des axes de réflexion. La question est plus sur la temporalité de ce type d’objectifs. En soi, il s’agit de trouver un mécanisme pour que les plus démunis bénéficient de la plateforme. Une fois que ce sera le cas, l’objectif sera atteint.
Mon conseil : quand vous définissiez des objectifs statutaires, assurez qu’ils soient destinés à vivre longtemps. Ils paraîtront assez généralistes, mais ils offriront un cadre pour la déclinaison opérationnelle. Dans le cas de Klaro, une autre tournure aurait pu être : “Elargir l’accès de nos services au plus grand nombre”. Cela aurait à la fois couvert les plus démunis, mais également d’autres cibles.Au global :
✅ La raison d’être affiche une couleur sociale très claire qui répond à un enjeu sociétal important comme le demande la loi.
✅ Les objectifs statutaires sont très liés à l’activité de l’entreprise, ce qui en facilitera le pilotage.
📶 La raison d’être est une version épurée de phrases que Klaro utilise et qui seraient probablement plus singulières. On peut également se demander si la mise au même plan de la réduction des inégalités sociales et de l’augmentation du pouvoir d’achat est judicieuse.
📶 Les deux premiers objectifs sont redondants. On ne peut évaluer une augmentation si on ne la mesure pas. Il mériterait d’être fusionnés.
⚠️ Les objectifs statutaires sont uniquement tournés sur le produit. C’est compréhensible pour une startup, mais il n’y a rien sur les clients, l’écosystème partenarial ou les équipes. Quand on affiche une raison d’être aussi globale, on ne peut pas atteindre l’objectif seul. La mission doit refléter cette dimension.
⚠️ En vue d’une réécriture potentielle à terme, j’encouragerais l’entreprise à adopter moins froid. Il est assez courant pour une jeune entreprise de ne pas avoir son ton, mais en l’état, le tout est très “corpo” et ne traduit pas la dimension sociale visée par Klaro.
⚠️Cet exercice d’analyse se veut pédagogique pour toute entreprise souhaitant devenir société à mission ou en cours de transformation. Je m’évertue à être critique MAIS constructif. Je valorise le travail fourni en interne pour aboutir aux missions décryptées et offre simplement un avis, que j’espère, éclairé.
Vous pouvez retrouver toutes les missions déjà analysées ici et mes 16 conseils pour passer société à mission ici.
Et si besoin, je suis à disposition pour échanger avec l’entreprise analysée.
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A demain,
Vivien.