#77 Décryptage de la mission du Groupe Bayard
Analyse de la raison d'être et des objectifs statutaires du groupe (temps de lecture: 6 minutes)
Chère lectrice, cher lecteur,
Bienvenue dans ce 77e décryptage de société à mission. Aujourd’hui, je vous propose l’analyse de la mission du Groupe Bayard. Je l’ai choisi de manière un peu arbitraire, car dans les acteurs de la culture, il n’y a pas grand monde pour le moment.
La semaine prochaine, toujours pas de vote, parce que je vais décrypter la mission de Contentsquare. L’annonce n’est pas officielle, mais j’ai déniché l’info en faisant mes recherches pour le baromètre 2023 “Les licornes sont-elles des entreprises rôles modèles?”.
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Les adeptes de la première heure du podcast de La Machine à sens se souviennent peut-être que je suis fan de Chapelier Fou (j’utilisais un de leurs morceaux pour l’intro et l’outro). C’est un groupe 100% instrumental hors norme onirique et poétique. Par le titre de ce morceau et son ambiance, il me semble bien aller avec ce décryptage.
Bayard rejoint donc le giron des entreprises à mission, au moment où la barre des 1000 vient d’être franchie. Ce choix avait été annoncé depuis quelques temps. Dans le paysage économique, ce n’est pas anecdotique. Bayard est un acteur majeur de la culture en France, au travers de ses activités dans la presse (La Croix, Notre Temps notamment), dans l’édition (notamment dans les publications jeunesse), auxquelles s’ajoute une présence dans l’audiovisuel et le numérique. Que ce soit sur la culture, la presse ou l’édition, autant de domaines où le cadre de la société à mission aurait tout son sens, les entreprises qui ont mené la démarche ne sont pas légion. Un retard pas si simple à expliquer !
De plus, Bayard est un acteur historique créé en 1870 avec Le Pèlerin, toujours en circulation aujourd’hui. Il est aujourd’hui très diversifié et international. L’entreprise avait déjà inscrit sa raison d’être dans ses statuts en novembre 2021. Elle a entériné son passage en société à mission (par la déclinaison d’objectifs statutaires) un an après.
Passons au décryptage !
La raison d’être
À travers mille regards, mille sensibilités, Bayard, éditeur catholique, veut accueillir et accompagner tous les publics à chaque moment de la vie.
Ensemble, nous souhaitons habiter pleinement notre monde. Aider chacune, chacun, à se sentir relié à soi-même et aux autres.
Nous sommes engagés pour le bien commun, soucieux de la nature et des générations prochaines. Nous croyons au pouvoir libérateur d’une information juste, de l’imagination et de la création qui nourrissent l’âme et la vie.
Créons des liens fertiles !
Voici une raison d’être qui sort de l’ordinaire. Tout d’abord par sa structure : elle est longue et déclinée en plusieurs phrases. Ensuite, par son style littéraire, presque poétique. Cela peut étonner de prime abord, mais en réalité, cela reflète très bien le style habituel du groupe.
Mon conseil : Chaque entreprise a son style de communication. Il est parfois très affirmé, parfois plus diffus. L'important pour qu'une mission s'intègre au mieux dans l'univers de l'entreprise est que la forme ne déroge pas avec les codes habituels, sauf si l'ambition est de marquer une rupture.
L’avantage d’une longue raison d’être est qu’elle est forcément plus explicite. L’inconvénient est qu’il est bien difficile de la mémoriser. C’est un arbitrage à faire pour l’entreprise. Le défi également d’une longue raison d’être est qu’elle couvre souvent beaucoup de sujets. Il faut pouvoir créer une cohérence sans non plus donner l’impression de vouloir tout faire, et in fine de ne rien faire vraiment bien.
C’est peut-être sur ce dernier point qu’il y a un point de vigilance. C’est une raison d’être très identitaire portée par des convictions et des termes forts et spécifiques : “éditeur catholique”, “engagés pour le bien commun”, “pouvoir libérateur d’une information juste” etc.
Mais, certaines de ces formules ne sont pas claires. Qu’est-ce veut dire “habiter pleinement notre monde” pour un éditeur ? Quid de la formule “à travers mille regards, mille sensibilités” ? En tant qu’éditeur, en quoi le Groupe Bayard crée “des liens fertiles” ?
Je suis également un peu perdu dans la hiérarchie des informations. Y en a-t-il une ? En fait, on n’oublie rien et on mentionne tout dans cette raison d’être, donc qu’est-ce qui est essentiel ? Quel est l’impact positif que le groupe cherche à maximiser ?
Le style enlevé de cette raison d’être—ce que j’apprécie par ailleurs—ne permet pas vraiment de savoir comment cela met le Groupe dans une démarche d’amélioration continue. J’ai l’impression qu’on est en partie sur l’affirmation de l’existant et éventuellement une accentuation de certains efforts. A voir peut-être avec les objectifs.
Les objectifs :
Dans un souci d’égalité des chances et d’accès à la culture, nous voulons ouvrir notre mission d’éducation et d’information auprès du plus grand nombre.
La formulation me semble un peu alambiquée pour exprimer l’engagement et donc altère sa clarté. La volonté est-elle de rendre les produits et services de Bayard accessibles au plus grand nombre ? Si ce n’est pas ça, je ne comprends pas l’expression “ouvrir notre mission d’éducation et d’information”.
Face aux urgences environnementales, sociales et sociétales, nous voulons faire que chacun de nos projets contribue à l’émergence d’un futur souhaitable partagé et donne la capacité d’agir.
Cet objectif est potentiellement très engageant en indiquant “chacun de[s] projets”. Cela signifie qu’aucun ne doit rompre avec cet objectif. Mais, la suite de la phrase vient affaiblir l’ensemble : qu’est-ce qu’un “futur souhaitable partagé” ? En quoi leurs projets peuvent-ils “donner la capacité d’agir” ? Ce n’est pas simple de bien cerner l’objet ciblé. On a l’impression qu’il doit servir un fil conducteur aux équipes, mais sans davantage d’éclairage, il ne sera pas simple de le rendre utile et actionnable.
Nous croyons à la force d’une vie intérieure et spirituelle et nous voulons, par l’écoute et le dialogue, aider les personnes à se relier au-delà de leurs différences.
Cet objectif me semble plus dédié aux activités—assez peu connues—d’événementiel du groupe, telles que l’organisation du festival de musique du Mont-Saint-Michel et sa baie, et également de podcasts. Sur cet objectif, la question est de surtout de savoir comment mesurer la capacité de l’entreprise à relier les personnes au-delà de leurs différences. Il s’agira de montrer que des personnes différentes se découvrent grâce aux activités de Bayard. Pas évident !
Au global
✅ Cette mission reprend le style de communication du groupe, ce qui la rend identitaire et unique. Bien qu’elle soit littéraire, elle s’ancrera bien dans l’univers sémantique de l’organisation. Par ailleurs, elle affirme beaucoup de convictions, ce qui lui donne davantage de corps et d’âme.
✅ Il y a une bonne cohérence d’ensemble entre la raison d’être et les objectifs, même si tout ne se répond pas très clairement.
📶 Cette mission a le défaut de ses qualités : elle embrasse beaucoup de sujets au détriment de la clarté et de la hiérarchisation de l’information. Choisir, c’est renoncer ; mais surtout, choisir, c’est prioriser. Au final : quelle est la principale contribution recherchée par cette mission ? Est-ce la création de liens ? Est-ce le développement intellectuel et personnel des publics ? Autre chose ?
📶 Les objectifs ne sont pas non plus très clairs avec des expressions parfois trop confuses ou trop conceptuelles. Ainsi, la déclinaison opérationnelle nécessitera de préciser ces dimensions (par exemple sur le “future souhaitable partagé”) sous peine de rendre le pilotage et l’évaluation impossibles.
⚠️ J’émets un point de vigilance d’ensemble. La mesure d’impact est un élément de vérification de la mission. La formulation de cette raison d’être et des objectifs statutaires étant souvent conceptuelle, il ne sera a priori pas toujours évident de les rattacher à la réalité business de l’entreprise. Par exemple, comment mesurer que chaque projet “donne la capacité d’agir” ?
Cet exercice d’analyse se veut pédagogique pour toute entreprise souhaitant devenir société à mission ou en cours de transformation. Je m’évertue à être critique MAIS constructif.
Vous pouvez retrouver toutes les missions déjà analysées ici et mes 16 conseils pour passer société à mission ici.
Et si besoin, je suis à disposition pour échanger avec l’entreprise analysée.
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A demain,
Vivien.