#74 Décryptage de la mission de Decathlon Travel
Analyse de la raison d'être et des objectifs de l'entreprise + Vote pour la semaine prochaine (Temps de lecture : 6 minutes)
Chère lectrice, cher lecteur,
Bienvenue pour ce 74e décryptage de société à mission. J’en rappelle le principe : chaque semaine, je vous fais voter sur deux entreprises et j’analyse la raison d’être et les objectifs statutaires de celle qui a reçu le plus grand nombre de voix. Je ne sollicite pas les entreprises en amont de la publication, mais elles sont informées, car je les taggue avec le compte de La Machine à sens sur LinkedIn. Il en va de même lors de la publication où je reprends sur mon compte LinkedIn la partie “Au global” du décryptage. Parfois, je suis contacté par les entreprises analysées, mais c’est une minorité. Dommage qu’il n’y en ait pas plus, je ne mords pas 😉.
Cette semaine, les votes se sont assez largement portés sur Decathlon Travel, l’agence de voyage sportif du groupe. Avant de passer au décryptage, je vous laisse voter pour la semaine prochaine. Deux choix :
Petite Friture, une agence de design et fabricant de mobilier, dont la raison d’être est : “Contribuer, au travers de nos collections de design, à faire émerger le beau du bien”.
Babilou Family, gestionnaire de crèches d’entreprises et de collectivités, dont la raison d’être est : “Construire un monde meilleur par l’éducation et l’attention portée à chaque enfant”.
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Je vous partage un petit bout de vie avec ce morceau. Je fais beaucoup de cardio. Il y a quelques années, j’ai découvert cette chanson via un prof dans ma salle et par la même occasion, le principe du tabata (série d’exercices de 20 secondes entrecoupés de 10 secondes de pause). Il y a 1500 versions de chansons de tabata, mais je reviens très souvent à celle-ci. Je concède que lire le décryptage, écouter la chanson et faire des burpees risque d’être un chouia difficile.
Decathlon Travel est l’agence de voyage sportif du groupe. Ce n’est pas la filiale la plus connue du groupe et c’est normal, elle a été lancée en 2021 dans le cadre d’un partenariat entre Decathlon et la société d’investissement Genairgy, et est passée société à mission l’an dernier.
Decathlon est bien connue pour ses nombreux engagements sociétaux. Elle est souvent montrée en exemple sur de nombreuses démarches d’innovation. Elle a d’ailleurs une raison d’être, qui n’est toutefois pas inscrite dans ses statuts. Difficile de dire si le passage en société à mission de Decathlon Travel est un acte isolé dans la galaxie du groupe ou si c’est un poisson pilote. L’avenir nous le dira.
La raison d’être
Nous nous engageons à adopter des pratiques durables et à les partager avec les acteurs du tourisme, que sont nos fournisseurs de prestations touristiques, nos employés et nos clients, afin d'agir ensemble pour un monde meilleur.
La raison d’être est claire et compréhensible. Elle est assez factuelle et sans trop de fioriture à part la fin sur “un monde meilleur”.
Toutefois, on peut s’étonner que l’activité ne soit pas très claire, surtout que le sport ne soit pas mentionné une fois. Cette agence de voyage sportif a justement été créée pour répondre à l’inactivité physique et pour rendre ce type de séjours plus accessible. Pourtant, rien de ces éléments ne ressort.
Mon conseil : une raison d’être doit interroger et refléter la raison pour laquelle l’entreprise existe et questionner sa contribution sociétale. Votre raison d’être ne doit pas juste décrire votre activité en rajoutant quelques termes indiquant que vous souhaitez mener votre activité en respect des hommes et de la planète. Cette dimension est déjà obligatoire selon la loi, puisque vous devez "prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux de [votre] activité".
Par ailleurs, certains choix de termes sont trop vagues — “pratiques durables”, “agir ensemble pour un monde meilleur” — mais pour des raisons différentes. La première expression est trop générique. Soit on est spécifique, soit on essaie de trouver une formulation plus énergisante et moins galvaudée. J’ai plutôt tendance à favoriser la deuxième option, sachant que le niveau de précision peut être apporté par les objectifs. Sur le deuxième bloc, c’est à mes yeux peu utile. Cela n’apporte pas grand chose à la raison d’être sinon de la rendre beaucoup trop englobante et peu identitaire.
Mon conseil : lorsque je fais des challenges de mission pour des entreprises et que je vois des termes comme "durable", "responsable", "pour un monde meilleur" etc., je leur pose la question par la négative : comme ces notions sont déjà obligatoires, qu'apportent-elles de plus ? Voulez-vous affirmer que vous n'êtes pas irresponsables, que vous n'avez pas des activités nocives, que vous n'êtes pas égoïstes et tournés juste sur votre bas de bilan ? Généralement, cela suffit à écarter ces concepts fourre-tout et de rentrer dans un degré de singularité plus pertinent et puissant pour le développement de l'entreprise.
Un autre point m’a interpellé dans cette raison d’être : c’est l’énumération de tous les “acteurs du tourisme”. Il n’y a pas de règle, mais les lister affaiblit la raison d’être. Les objectifs peuvent permettre de rentrer dans ce niveau de détails. Quand on est amené à les mentionner, c’est souvent pour des questions de politique interne.
Les objectifs
Lutter contre l'inactivité physique en proposant à nos clients d'aller à la rencontre du monde, des autres et de soi grâce aux voyages sportifs
Je m’interroge à savoir pourquoi cet objectif n’est pas la raison d’être de l’entreprise. Elle couvre presque tous les aspects qui font que l’entreprise existe et affirme une volonté de contribution sociétale.
En tant qu’objectif, cet engagement me paraît difficile à piloter avec des indicateurs et des preuves. Par exemple, comment mesurer que l’entreprise parvient à lutter contre l’inactivité physique ? Simplement parce qu’ils proposent des voyages sportifs ?
Egalement, il faudra voir comment concilier “pratiques durables” et “rencontre du monde”. Decathlon Travel offre effectivement des voyages partout dans le monde, souvent sans inclure les déplacements dans les packages. Je précise que l’entreprise indique le bilan carbone de chacune de ses offres, mais encore une fois n’inclut pas les émissions liées au déplacement.
Offrir un environnement équitable, inclusif et bienveillant à toutes les parties prenantes avec lesquelles nous interagissons (employés, fournisseurs de prestations touristiques, clients);
Cet objectif relève plutôt de la RSE et de l’expérience client que de la mission, car il revient au bien-être des collaborateurs, à des relations saines avec les fournisseurs, et un bon traitement des clients.
Par ailleurs, il ne vient pas vraiment compléter la raison d’être qui évoque l’idée de partager “des pratiques durables” avec “les acteurs du tourisme”.
Protéger les terrains de jeux de nos séjours sportifs
Cet objectif est très pertinent par rapport à l’activité de Decathlon Travel et il est engageant. Il s’agit ici de faire en sorte que l’entreprise ne vienne pas abîmer les lieux où elle propose des voyages. Cela complète la raison d’être, mais n’est pas simple, car cela ne dépend pas directement d’elle, mais de ces fameux “acteurs du tourisme”, car elle ne fait que coordonner l’organisation.
Toutefois, la formulation de cet objectif fait qu’il ne sera pas évident pour Decathlon Travel de prouver qu’elle parvient effectivement à protéger les terrains de jeux. D’où le côté engageant que revête cet objectif, car il ne s’agira pas juste de “partager” des bonnes pratiques, mais de les imposer.
Au global
✅La mission présente des éléments qui pourront être utiles au développement et à l’amélioration continue de l’entreprise, mais ils sont trop dispersés pour bien cadrer les efforts.
✅La mission va indubitablement amener Decathlon Travel à travailler avec tout son écosystème pour la réussite de sa mission, sachant que tellement d’éléments ne dépendent pas d’elle directement.
📶La raison d’être devrait être retravaillée. En l’état, le premier objectif ressemble davantage à une raison d’être. En effet, la formulation actuelle ne mentionne pas des axes clés, comme le sport ou l’accessibilité des voyages sportifs, d’ailleurs absent de la mission.
📶Certaines formules de la raison d’être viennent affaiblir soit le côté énergisant d’une raison d’être (“pratiques durables”, énumération des acteurs du tourisme), soit l’aspect de singularité (“agir ensemble pour un monde meilleur”).
📶Il y a un manque de cohérence entre la raison d’être et les objectifs. Les deux premiers objectifs sont absents de la raison d’être ou si subtiles que je ne les perçois pas.
📶Cette mission ne retranscrit malheureusement pas tous les nombreux efforts et les initiatives que porte Decathlon Travel. C’est dommage, car cela aurait pu avoir une portée plus forte. Je crains qu’en l’état, ce passage en société à mission ne serve que marginalement le développement de l’entreprise.
Cet exercice d’analyse se veut pédagogique pour toute entreprise souhaitant devenir société à mission ou en cours de transformation. Je m’évertue à être critique MAIS constructif.
Vous pouvez retrouver toutes les missions déjà analysées ici et mes 16 conseils pour passer société à mission ici.
Et si besoin, je suis à disposition pour échanger avec l’entreprise analysée.
Merci de votre lecture ! J’espère que ce décryptage vous aura plu. Je remercie Mélanie Clément Lamotte avec qui j’ai échangé en amont de ce décryptage. Vous pouvez le signaler en appuyant sur le ❤️. Retrouvez les 73 premiers décryptages ici.
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A demain,
Vivien.