#71 Faut-il pousser les EHPAD à devenir des sociétés à mission ?
Pousser, probablement pas ; inciter oui, à certaines conditions / Décryptage de la mission de Laudescher (solutions architecturales bois) / Et beaucoup d'autres actus (11')
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Dans l’édito de la semaine, je vous propose d’évoquer un sujet sensible : faut-il pousser les EHPAD à devenir sociétés à mission ? Le scandale qui entoure Orpéa depuis deux semaines soulève beaucoup d’interrogations, dans l’opinion publique, ainsi que chez ses actionnaires, mais plus généralement dans le secteur. Quelles réponses apporter pour atténuer les craintes et la défiance qui pèsent autour des EHPAD ?
Un élan marqué en faveur de la société à mission pour les EHPAD
Des avis émergent en faveur de l’adoption de la qualité de société à mission. C’est ce que demande la société de gestion, Mirova, elle-même entreprise à mission, à Orpéa. Elle a choisi de ne pas se retirer, et en tant que troisième actionnaire de l’entreprise cotée, sa voix compte. Dans une démarche rare, Mirova a rendu ses positions publiques : “nous vous encourageons à soumettre au vote de vos actionnaires la modification de vos statuts en société à mission lors de votre prochaine assemblée générale annuelle ou lors d’une assemblée générale exceptionnelle dans les meilleurs délais”.
Le gouvernement semble également s’orienter dans cette direction. C’est ce que Brigitte Bourguignon, ministre déléguée chargée de l’autonomie des personnes âgées, laissait entendre la semaine dernière. Armand Hatchuel, père spirituel du concept de société à mission, soutient également la démarche de passage en société à mission des EHPAD dans une chronique au Monde : “tout en renforçant les contrôles réglementaires, cette forme de société protégerait mieux les résidents et favoriserait une dynamique inventive du secteur”. Guillaume Desnoës, co-fondateur d’Alenvi, jeune entreprise qui bouscule le secteur de l’aide à personne, ne disait pas différemment dans une tribune LinkedIn il y a bientôt deux ans (vous le retrouverez d’ailleurs bientôt sur le futur podcast de La Machine à sens…).
Sur le principe, il n’y a évidemment aucune contre-indication. Les EHPAD à but lucratif sont des sociétés commerciales et vu leur vocation sociale, elles sont toutes désignées pour s’engager dans une démarche de société à mission. Armand Hatchuel expose parfaitement les avantages que cela pourrait comporter : mission opposable par les parties prenantes et double contrôle de la mission par un comité de mission et un organisme tiers indépendant.
La société à mission n’est pas une réponse prête à l’emploi
J’apporterais deux nuances qui me paraissent assez fondamentales. Tout d’abord, le passage en société à mission n’est ni une blanchisserie, ni un acte de contrition, ni un gage de vertu. Quand bien même des EHPAD décidaient d’adopter la qualité de société à mission, ils ne deviendraient pas soudainement vertueux.
Il me semble important de respecter un ordre. Passer société à mission n’est pas la fin d’un parcours de transformation, mais ne peut pas en être le début non plus, surtout si la qualité est adoptée sous la contrainte ou suite à des pressions externes fortes. Une entreprise doit choisir de devenir société à mission, être prête à mener à bien sa mission, sa raison d’être et les objectifs qu’elle s’est assignée. Ce sont des engagements importants, des efforts réels pour lesquels l’entreprise alloue des moyens humains et financiers conséquents et qui guident son action au quotidien.
Devenir société à mission ne consacre pas non plus la fin d’un parcours. Une mission préfigure l’ambition à venir d’une entreprise ; elle ne reflète pas juste le passé ou le présent de la société.
Imposer ces efforts par le haut et depuis l’extérieur, sans avoir amorcé des réformes structurelles en amont semble ainsi peu indiqué, voire contre-productif. Il faut faire attention à ne pas adopter les mêmes armes que certains actionnaires activistes qui pressurisent les entreprises pour optimiser les rendements financiers…
Un engagement qui doit traverser le temps
Deuxième nuance : la société à mission me semble un cadre idéal pour traverser différentes météos, mais pas si elle est adoptée en pleine tempête. Une entreprise à mission se structure en effet autour d’une raison d’être et d’objectifs qui la tire vers le haut, en tant que structure et en tant qu’organisation composée de femmes et d’hommes. Tout le monde est embarqué dans un exercice d’amélioration continue qui inclut les collaborateurs, l’équipe de direction, les actionnaires, voire les clients, les partenaires et les fournisseurs.
Mais, cette bâtisse nécessite d’être construite lorsque le climat économique et social est apaisé pour convaincre et embarquer tout le monde. Quand les tensions et les difficultés sont à leur acmé, difficile d’envisager sereinement une ambition future pour qui que ce soit, de penser le long terme avec conviction et de créer une véritable adhésion, de la stickiness comme diraient les anglosaxons.
Rappelons que devenir société à mission est techniquement facile. Il n’y a pas de cahier des charges complexe à remplir et une très large souplesse est laissée aux entreprises dans la définition de leurs missions. Le contrôle s’effectue a posteriori, sachant que c’est à l’issue d’un audit 18 mois après l’adoption de la qualité que les choses peuvent se corser. Cette simplicité et cette souplesse laissent la porte ouverte à des entreprises qui font le job aux rabais, mais elles engagent beaucoup d’autres à être extrêmement appliqués pour montrer que ce choix n’est pas un affichage.
Aujourd’hui, la qualité de société à mission n’a pas trois ans. Elle reste confidentielle (environ 600 entreprises), fragile et peut rapidement perdre le crédit qu’elle commence tout juste à glaner si elle est mal utilisée. Cette innovation juridique peut avoir un pouvoir transformant dans notre économie à long terme : ne la sabordons pas avant qu’elle ait eu le temps de produire ses premiers effets et de convaincre les nombreux sceptiques qui demeurent.
Donc, que des EHPAD se dirigent vers la société à mission est évidemment une bonne démarche, mais qu’elles s’engagent à le faire dans un horizon raisonnable (12 mois) me paraît beaucoup plus sain que de les contraindre à le faire dans un calendrier resserré, qui n’aura pas les effets escomptés.
Au sommaire :
🌲 Décryptage de la mission de Laudescher
📊 Le Forum pour l’Investissement Responsable analyse les positions ESG du CAC40
📈 Etat des lieux des coopératives en France
⭐ Le “Jour d’après” chez Citeo
🌊 Ouverture du sommet One Ocean Summit
🧒 Que pensent les jeunes ? Nouveau rapport de l’Institut Montaigne
🧠 Un peu plus de jus de crâne sur les océans, les contradictions au sein de l’ESG et les steaks bas carbone
☝ Le vote de la semaine : BVA Group (institut de sondages) VS Amicio (prestataire de centres d'appels)
🎧 Mon son de la semaine : Silverbacks - “A Job Worth Something”
Du côté des entreprises
🌲 DECRYPTAGE DE LA MISSION DE LAUDESCHER.
Merci à celles et ceux qui ont participé au vote de la semaine dernière. A 59%, Laudescher l’emporte.
Cette entreprise familiale est une PME productrice de solutions architecturales bois. J’en ai déjà parlé dans une précédente missive. En effet, Laudescher s’est engagée dans une phase de labellisation intensive : EPV, Cradle to Cradle, BCorp. Et ils ont trouvé le temps de passer société à mission !
La raison d’être :
L’expérience et l’excellence dans le travail du bois pour magnifier le cadre de vie de l’Homme.
La structure sort un peu de l’ordinaire. Certes, c’est une phrase unique et courte, mais qui ne commence pas par un verbe d’action. Deuxième élément : il y a un subtil équilibre entre l’interne et l’externe et entre le business et l’inspiration.
On comprend plutôt bien le métier de Laudescher par des termes comme “le travail du bois” et “magnifier le cadre de vie”. Les termes sont clairs et renvoient à des imaginaires assez évidents. L’expérience rappelle les presque 60 ans d’existence de l’entreprise et l’excellence renvoie à l’excellence opérationnelle et à la qualité des produits. Les deux dirigeants y associent également le cadre de vie au travail, qui est une notion beaucoup plus implicite.
J’aime beaucoup le terme de “magnifier” qui évoque la notion d’améliorer en rendant plus beau. Belle trouvaille sémantique qui retranscrit l’univers et la volonté de l’entreprise.
De prime abord, on pourrait s’interroger sur l’aspect social ou environnemental que vise cette raison d’être. Il est effectivement assez discret, puisqu’il semble incarner par “le cadre de vie”. Les associés expliquent dans la vidéo que cela contribue au bien-être de l’homme dans son environnement. J’aurais affiné un peu, sachant que les réalisations de Laudescher concernent surtout des lieux collectifs et souvent de passage.
D’aucuns pourraient enfin s’étonner qu’il n’y ait pas de mention de l’aspect environnemental dans la raison d’être sachant que l’entreprise travaille le bois.
Elle reste tout de même bien construite, liée au métier tout en ayant le potentiel pour pousser l’entreprise à être toujours plus créative et toujours exigeante.
Les objectifs :
Œuvrer au développement personnel et au bien-être de nos collaborateurs
Capitaliser sur notre savoir-faire unique en proposant à nos clients et notre écosystème des produits encore plus innovants, performants, esthétiques, source de confort et d’harmonie
Améliorer l’empreinte environnementale de l’entreprise en favorisant l’économie circulaire, notamment par la régénération de la ressource bois.
Ces trois objectifs sont cohérents et plutôt complémentaires de la raison d’être. C’est un point important.
Si vous êtes abonné.e depuis quelques temps à La Machine à sens, vous savez que je suis toujours dubitatif face aux objectifs ayant trait à la QVT et au management. Pas moins cette fois-ci. Le développement personnel et le bien-être des collaborateurs n’ont pas à être inscrits dans les statuts, surtout si c’est déjà une démarche ancrée dans les pratiques de l’entreprise. Je sais que l’envie de l’afficher peut être forte, mais c’est un prérequis dans l’économie d’aujourd’hui surtout quand on devient entreprise à mission.
Le second objectif est très cohérent avec la raison d’être et participe d’une démarche d’amélioration continue. La question peut toutefois se poser de savoir en quoi cela participe d’enjeux sociaux ou environnementaux. En effet, ils lancent un laboratoire de recherche dédiée à l’innovation en partenariat avec des designers industriels. Mais ont-ils besoin d’être entreprise à mission pour lancer cette initiative ? Sur cet objectif, j’aurais avant tout mis l’accent sur la notion de confort et d’harmonie pour répondre plus clairement à la question : à quoi cela sert-il de “magnifier le confort de vie de l’Homme” ? C’est trop implicite dans la mission.
Le troisième objectif est salutaire, car il aurait été étonnant que l’aspect environnemental soit absent de la mission, sachant que Laudescher travaille le bois, une matière première qui doit être exploitée de manière responsable et durable, et que l’entreprise s’est engagée dans la démarche d’économie circulaire Cradle to Cradle et qu’elle est Entreprise du Patrimoine Vivant.
Cette mission s’inscrit dans une démarche globale d’évolution de l’entreprise comme vous pourrez le voir dans la vidéo. Je pense qu’elle a le potentiel pour servir Laudescher à se transformer, se questionner et grandir. Elle devra probablement affiner dans ses objectifs opérationnels les notions environnementales et sociales qui apparaissent finalement assez peu dans les éléments statutaires.
Cet exercice d’analyse se veut pédagogique pour toute entreprise souhaitant devenir société à mission ou en cours de transformation. Je m’évertue à être critique MAIS constructif. Vous pouvez également me contacter si vous souhaitez engager une démarche de construction ou d’évaluation de votre mission.
Vous pouvez retrouver les 41 missions déjà analysées ici et mes 16 conseils pour passer société à mission ici.
☝ A VOUS DE VOTER.
Comme chaque semaine, c’est à vous de choisir la mission que vous voulez voir analysée dans la prochaine missive. Quel décryptage de mission vous intéresserait ? Il suffit de cliquer sur votre choix.
📣 BVA Group (institut de sondages)
📲 Amicio (prestataire de centres d'appels)
⏩ LA SOCIETE A MISSION, C’EST POUR BIENTÔT : Lixo (solutions IT pour l’industrie du déchet), MaLiterie (fabricant de matelas).
📊 LE CAC40 ET L’ESG.
Le Forum pour l’Investissement Responsable (FIR) vient de sortir un rapport analysant les politiques d’ESG du CAC40. Le FIR a pris une action dans chacune des entreprises et a soumis, pour la deuxième année, une série des questions touchant les aspects environnementaux, sociaux et de gouvernance.
Sur les 13 questions posées, il ressort une amélioration globale avec une note moyenne par question passant à 1,26/3 contre 1,04 en 2020. La notation a été établie par des membres de la commission Dialogue et Engagement du FIR. Je n’ai pas suffisamment analysé la méthodologie pour pouvoir juger de sa pertinence. Toutefois, un élément est important à avoir à l’esprit : répondre aux questions et être cohérent dans ses réponses rapportent des points. 27 entreprises voient leur note moyenne augmenter. Orange arrive en tête avec 2,00/3 en moyenne. BNP Paribas, Michelin et TotalEnergies sont second ex-aequo avec 1,92/3.
L’axe d’amélioration au global porte sur le pilier social de l’ESG. Ca ne vous rappelle pas quelques chose ?
⭐ LE JOUR D’APRES CHEZ CITEO.
Passée société à mission en 2020, Citeo s’est donnée parmi ses objectifs celui de sensibiliser sur l’économie circulaire. A l’occasion des élections présidentielles et législatives, l’entreprise a décidé de publier 10 propositions de politique publique pour accélérer l’économie circulaire.
📈 LE POIDS DES COOPERATIVES.
Coop FR, le mouvement de représentation des coopératives en France, a rendu public quelques données sur le poids de ces entreprises en France.
Du côté de la politique
🌊 L’OCEAN, CET INDISPENSABLE RESERVOIR.
Le One Ocean Summit s’est ouvert hier à Brest. C’est le premier grand rassemblement politique pour parler des océans qui représentent tout de même les trois-quarts de la planète. Mais qu’est-ce que c’est ? Décryptage dans Novethic.
Du coté des idées
🧒 QUE PENSENT LES JEUNES ?
L’Institut Montaigne a publié un rapport sur la jeunesse française. En s’appuyant sur une enquête réalisée par Harris Interactive, Olivier Galland et Marc Lazar décryptent de nombreux enjeux sociaux, sociétaux, politiques concernant les jeunes (18-24 ans) en les comparant à la génération de leurs parents et aux “baby boomers”. Il y aurait beaucoup d’éléments à noter, mais en voici quelques-uns :
Les jeunes ne sont pas beaucoup plus écolo que leurs aînés. Il y a aujourd’hui un consensus intergénérationnel sur le sujet.
La confirmation que les jeunes n’ont pas un attachement fort à la démocratie et c’est inquiétant...
Je vous invite à explorer le rapport plus en détails qui touchent à une myriade de sujets divers et variés. Les auteurs établissent également quatre profils de jeunes : les démocrates protestataires (39%), les désengagés (26%), les révoltés (22%), les intégrés transgressifs (13%).
🧠 UN PEU PLUS DE JUS DE CRANE.
🌊 Pourquoi les océans sont-ils indispensables pour lutter contre le réchauffement climatique ?
🤜🤛 Pour les entreprises cotées, investir dans sa transition écologique peut avoir des impacts négatifs sur les équipes et les actionnaires. C’est la contradiction à gérer.
🐄 L’illusion des steaks bas carbone.
Mon son de la semaine
Je suis Silverbacks depuis plusieurs années. Groupe rock irlandais inconnu en France et pourtant bourré de talent. Ce single “A Job Worth Something” est un pur produit de la pandémie où le chanteur du groupe, qui rédige des documents techniques hors des scènes, s’interroge sur la portée de son métier, alors qu’il voit sa sœur se débattre à l’hôpital en tant qu’infirmière. Le tout sur une mélodie amenée par des envolées de guitare comme j’adore.
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Vous souhaitez devenir société à mission ?
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A jeudi prochain,
Vivien.