#70 Décryptage de la mission des Tissages de Charlieu (textile)
Analyse de sa raison d'être et de ses objectifs statutaires
Chère lectrice, cher lecteur,
Bienvenue dans ce 70e décryptage depuis Montpellier ! Désolé de cet envoi tardif : j’ai été pris par pas mal d’engagements.
Cette semaine, je vous propose le décryptage des Tissages de Charlieu, qui avaient remporté le dernier vote. Avant de passer à l’analyse, voici le vote pour la semaine prochaine entre Viviany (entreprise du BTP) et Pierre Passion (promotion immobilière).
Egalement, je vous propose un petit changement pour le dernier décryptage de l’année. C’est à vous de proposer des entreprises. Vous seriez intéressé par un décryptage d’une société en particulier ? Dites-moi. Qu’elles soient récemment passées à mission ou pas, que je les ai déjà proposées ou pas. Je les soumettrai au vote la semaine prochaine. Pour être sûr, vérifiez tout de même si je n’ai pas déjà fait le décryptage.
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J’ai eu un flash en pensant au son du décryptage. Ca m’a rappelé “Be Yourself” d’Avril. Un tube totalement entêtant sur les excès dans la fashion ! De l’électro made in France comme on aime !
Les Tissages de Charlieu sont une entreprise historique. Fondée en 1902, la société est connue pour le tissage jacquard, mais elle s’appuie sur des siècles de tradition de tisserands. Il faut bien avoir conscience que le secteur du textile en France est réduit à peau de chagrin. Avec la concurrence des pays à bas prix en Asie, de nombreuses PME ont dû fermer et leur savoir-faire n’existent plus en France. J’imagine donc à quel point l’entreprise a dû se battre pour conserver ses ateliers, ses emplois—80 aujourd’hui—et son carnet de commandes.
Cet instinct de résistance se traduit bien par deux engagements : la création de l’association Alter-tex en 2009 pour travailler sur le développement durable dans la filière textile, puis la participation à la création en 2021 de Renaissance Textile, plateforme de recyclage textile. Pas de surprise donc qu’ils aient fait le choix de passer société à mission (Renaissance Textile l’étant depuis sa fondation).
La raison d’être
Dans l’exercice de nos activités, que ce soit directement ou indirectement, notre société entend générer un impact social, sociétal et environnemental positif et significatif.
Nous entendons prouver que nous sommes capables de produire en France des textiles au plus grand nombre, créatifs et décarbonant.
Notre société se veut comme un support de développement de l’économie circulaire textile qui contribue à préserver et créer des emplois industriels dans notre pays.
Je reprends ici la raison d’être telle qu’elle apparaît dans les statuts. C’est une raison d’être originale à plusieurs égards. Par sa longueur, sa structure et sa dimension multi-thématique : elle est découpée en trois phrases, ce qui est assez rare. Chacune porte une intention particulière : sur l’entreprise, sur la production française et sur l’industrie française.
C’est très ambitieux, mais peut-être un peu trop, car cela peut diluer les efforts sur de trop nombreux sujets, d’autant que Les Tissages de Charlieu, en tant que PME, doit dresser une liste de priorités.
Mon conseil : quand vous choisissez votre raison d’être, identifiez votre axe d’effort principal, celui sur lequel votre entreprise peut avoir l’impact positif le plus important. Cela ne signifie pas que les autres dimensions sont occultées, mais votre raison d’être va ensuite irriguer toutes les facettes de votre entreprise. Ainsi, les dimensions qui n’auront pas été retenues dans votre raison d’être pourront toutefois être traitées à d’autres moments. D’un point de vue sémantique, cette raison d’être est engageante. Par exemple, on parle “d’impact positif et significatif” : comment mesurer le “significatif” ? “Produire des textiles accessibles au plus grand nombre” est un engagement qui n’est jamais évident à tenir pour une entreprise en B2B. Certains termes m’ont étonné, comme “décarbonant” : cela donne l’impression que les textiles produits sont des puits de carbone. Pas sûr que ce soit l’idée.
Toutefois, cette raison d’être dégage une forme de panache, qui va bien à l’entreprise, surtout au vu de ses engagements dans l’industrie textile plus largement.
A noter que l’entreprise, sur son site, communique sur une autre raison d’être : “prouver que l’on peut produire en France des textiles accessibles, éco-responsables, socio-responsables et créatifs”. C’est une version plus condensée qui mélange les différentes phrases, mais qui fonctionne moins bien. En effet, le sujet de la production made in France porte sur le prix davantage que sur les aspects de responsabilité écologique ou sociale ou sur la créativité.
Mon conseil : il faut faire attention quand la raison d'être des statuts est modifiée dans la communication externe. Cela peut fonctionner dans certains cas--je viens même de le conseiller à une entreprise, donc je vais être cohérent--mais les modifications doivent être à la marge, par exemple pour faciliter la mobilisation de la raison d'être à l'oral.Les objectifs :
Démontrer la décarbonation dans l’industrie textile
Sur le principe, se focaliser sur la décarbonation est pertinent. L’utilisation du terme “démontrer” est fort tant on sait que le secteur de la mode et du textile est souvent pointé du doigt comme un mauvais élève sur le sujet.
Mais, la formulation est ambigüe. On y parle ici de “l’industrie textile”. Pas simple de piloter un tel objectif… Surtout, en vue de la vérification par l’OTI, l’auditeur sera bien en peine face à un objectif formulé ainsi, car il n’est pas centré sur l’entreprise.
Démontrer le nombre d’emplois créés directement ou indirectement dans l’industrie textile français
Dans la même veine que le précédent objectif, celui-ci est problématique, car il n’est pas spécifique à l’entreprise. Que l’entreprise souhaite contribuer à cette ambition est vertueux tant le secteur du textile a été décimé en France depuis 30 ans, mais est-ce à une entreprise de démontrer les emplois créés dans l’industrie textile ? En outre, cet objectif est assez limite d’un point de vue social ou environnemental. On peut considérer que créer de l’emploi est un enjeu social, mais cela participe avant tout de la dimension économique d’une entreprise.
Il aurait par exemple été intéressant d’axer sur l’aspect formation, maintien de compétences rares ou réémergence de savoir-faire disparus.
Au global
✅ Une mission qui a du panache, est énergisante et ambitieuse
✅ Une volonté d’être rôle modèle vis-à-vis de l’écosystème
📶 Le côté presque militant de cette mission est ambitieux, mais démontre les écueils de ce type de mission : il y a trop d’éléments qui font qu’il est difficile de s’y retrouver.
📶 Cela se traduit par une cohérence assez relative entre la raison d’être et les objectifs. Par exemple, la raison d’être parle de créativité, ce que l’on ne retrouve pas dans les objectifs. L’aspect significatif mentionné dans la raison d’être n’est pas appuyé dans les objectifs, ce qui le rend vague.
📶 La formulation des objectifs pourrait être revue. L’utilisation du terme “démontrer” est caduque. Une société de mission doit démontrer ce qu’elle fait auprès de ses parties prenantes, mais également pour passer l’audit. De même, les objectifs sont centrés sur l’industrie textile, pas sur la société, ce qui va générer un pilotage de la mission complexe.
Cet exercice d’analyse se veut pédagogique pour toute entreprise souhaitant devenir société à mission ou en cours de transformation. Je m’évertue à être critique MAIS constructif.
Vous pouvez retrouver toutes les missions déjà analysées ici et mes 16 conseils pour passer société à mission ici.
Et si besoin, je suis à disposition pour échanger avec l’entreprise analysée
Merci de votre lecture ! J’espère que ce décryptage vous aura plu. Retrouvez les 68 premiers décryptages ici.
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A demain,
Vivien.