Les 9 tendances du sens en 2021
Décryptage de 9 tendances du sens qui ont marqué 2021 et continueront de jouer à plein en 2022 (12 minutes)
Chère lectrice, cher lecteur,
Cette dernière missive est l’occasion de faire quelques bilans et de faire un chouia de prospective, mais avant tout de vous remercier. Je m’étais donné comme objectif d’atteindre 1000 abonnés en 2021. C’était ambitieux—un peu trop—je ne l’ai pas atteint. Vous êtes 885 abonnés aujourd’hui entre LinkedIn et Substack. Cette barrière symbolique, j’espère l’atteindre en 2022 grâce à vous, car je suis toujours épaté quand je reçois un message d’un.e nouvel.le abonné.e qui me dit avoir découvert la newsletter grâce à quelqu’un. 71% d’entre vous avez déjà recommandé la newsletter, selon le sondage que j’ai fait il y a quelques mois. Merci !
Et surtout, vous appréciez le contenu. La Machine à sens obtient un NPS de +60. Cela m’encourage à vous proposer un contenu toujours plus qualitatif, qui pique votre curiosité, qui vous propose des analyses qui sortent de l’ordinaire et qui viennent alimenter ou bousculer vos réflexions. Quel plaisir également de savoir que La Machine à sens vient apporter des idées concrètes que vous mettez en place dans vos entreprises ou dans vos missions de conseil.
2022 sera encore plus riche. Attendez-vous à de nouveaux types de contenus, à une ambition plus élevée pour vous et grâce à vous… mais n’allons pas trop vite en besogne.
Avant de finir cette année, je vous propose mes “two cents” sur 9 tendances du sens en 2021. N’hésitez pas à compléter en commentaires ou par retour d’email ; l’article a le droit d’évoluer à la lumière de vos retours ! Je vous propose également quelques top 2021 intéressants.
Mais une fois n’est pas coutume, je vous propose de retrouver la playlist 2021 de La Machine à sens, tous les morceaux que je vous propose chaque semaine en fin de missive. Les mots d’ordre : le plaisir et l’éclectisme.
🤼♂️ #1 BATAILLE DE NORMES
A force de parler d’impact, de sens, d’engagement, de responsabilité, on a vu se multiplier les référentiels normatifs. La volonté est louable, mais le plus est l’ennemi du bien. Pour le consommateur, il faut offrir des scores pour tout. On a vu émerger le nutriscore, l’indice de réparabilité, et bientôt le cyber-score. Des entreprises veulent même s’imposer plus de réglementations, plus de normes, comme le collectif En Vérité dans l’agroalimentaire dont je vous parlais récemment.
Pour les entreprises, la bataille des normes fait rage. La taxonomie européenne est probablement le projet le plus emblématique de cette vague réglementaire qui déferle et surtout qui cherche à standardiser à plus grande échelle le “green” et le “brown” en matière écologique.
L’ambition est tout aussi puissante pour la CSRD (Corporate Social Reporting Directive) actuellement en discussion au niveau européen. Combien de reportings existe-t-il pour mesurer les impacts ESG des entreprises ? On a arrêté de compter, car chaque type d’entreprise, selon son secteur, sa situation capitalistique etc. peut trouver chaussure à son pied. La CSRD veut uniformiser tout cela, ce qui n’est pas une mince affaire. Mais deux autres enjeux se cachent derrière ce projet :
imposer au plus grand nombre d’entreprises de s’inscrire dans une démarche d’impact mesurable (que ce soit celles qui n’y croient pas comme celles qui se contentent de déclarations) ;
éviter de subir la loi américaine sur les normes extra-financières.
Le second point est une silencieuse mais féroce bataille qui se joue dans les salons feutrés entre Américains et Européens. Pour faire court, les Européens veulent éviter de revivre la défaite des normes comptables avec l’IFRS, où les Américains ont réussi à imposer leurs standards face à leurs équivalents européens… L’enjeu géoéconomique est colossal.
🤯 #2 LE NOUVEAU SENS DES MOTS
Dans cette newsletter, je parle de “raison d’être” et de “mission” comme nombre d’entre vous. Oui, mais… Il s’avère que beaucoup, beaucoup d’autres personnes utilisent également ces termes avec une terminologie différente. Et cela amène à des dialogues de sourds.
On a presque oublié que la loi Pacte a donné un nouveau sens aux termes de “raison d’être” et de “mission”. Toutefois, nombreux sont les critiques (académiques) de la société à mission à minimiser l’impact de la loi Pacte en soulignant que ce n’est qu’une mise à jour du vieux débat sur le “purpose” des années 2000. Beaucoup d’autres, au mieux balaient, tout cela d’un revers de la main—la raison d’être de mon entreprise c’est de bien servir mes clients—ou rejettent complètement ces idées farfelues.
Un travail de pédagogie s’impose : la raison d’être et la mission sont désormais à interpréter au prisme de ce que dit la loi, qui les articule autour de “enjeux sociaux et environnementaux” et de la mesure des décisions prises. C’est un véritablement changement de paradigme—il fallait que je place ce mot !—qui implique de mettre à jour son dictionnaire. Et cela prendra du temps, parce que “raison d’être” et “mission” sont des termes complètement galvaudés. Le risque de ce flou sémantique, c’est une course à l’échalotte, qui pourrait s’avérer contre-productive.
😎#3 LA CONVICTION, PREMIER MOTEUR DES ENTREPRISES A MISSION
Saluons le fait que l’on finisse l’année 2021 à près de 500 sociétés à mission. Il y en avait 88 fin 2020. Pour les entreprises qui ont un peu d’histoire, le premier levier d’action reste la conviction de la direction. J’ai rencontré bon nombre de dirigeant.es, souvent seuls actionnaires ou actionnaires largement majoritaires, qui portaient cet envie dans leurs tripes. La société à mission est une évidence, un moyen d’affirmer en interne comme en externe que cette conviction est reconnue par la puissance publique et de plus en plus par ses pairs. Ce n’est pas une lubie de dirigeant un peu farfelu ou en marge, non c’est un vrai mouvement.
J’espère que cette conviction restera le principal moteur en 2022, et que cette dynamique positive—et forcément de plus en plus médiatique—ne sera pas rattrapée par des motifs plus opportunistes, et donc des esprits plus volatils.
🏃♀️ #4 LA COURSE AUX LABELS
En France, la confiance se gagne. Le capital de départ est de zéro et augmente à mesure que vous faites de bonnes occasions. Je trouve cette vision malheureuse, parce que personne ne peut être parfait et qu’une erreur ne doit pas ensevelir tous les efforts et les bonnes actions menés jusqu’alors. Une espèce de parade incontournable aujourd’hui se trouve dans les labels.
Leur explosion est devenue le reflet d’une méfiance généralisée de tout—du côté des citoyens/consommateurs/collaborateurs—et d’une course à l’onction de vertu—du côté des entreprises.
Du côté des entreprises, quatre phénomènes sont à l’œuvre : la difficulté de recruter et fidéliser, la demande de sens toujours plus forte, l’attention croissante portée par les employeurs aux collaborateurs suite à la crise sanitaire et la volonté de rendre public des efforts positifs, ou d’afficher une image vertueuse.
Ces quatre enjeux sont intrinsèquement liés et les réponses sont protéiformes, mais passent en grande partie par des labels : B Corp, Positive Workplace, Hu-Man, label Lucie etc. pour les plus généralistes. Aucun risque que cette tendance ne s’arrête : parce que ça marche pour certains, parce qu’il y a une demande et parce que les entreprises n’ont pas vraiment trouvé mieux jusqu’à présent.
😬 “LA JEUNESSE”, UNE CONTRADICTION ?
Ah ces jeunes qui déconcertent : demande de sens, perpétuels insatisfaits, employés volatils, peu engagés au travail, mal formés etc. J’ai tout entendu ! “La jeunesse” qui rentre sur le marché du travail serait la porte-drapeau d’engagements forts, d’envies de changement, de diriger autrement, de gérer sa vie différemment. Les jeunes accepteraient de gagner moins pour des métiers avec plus de sens. La génération Z va changer le monde, disent même certains.
Oui, mais voilà, on en oublie un point clé : cette génération Z, surtout ceux qui rentrent sur le marché du travail, demande en premier lieu une bonne rémunération et de la stabilité… Et oui, ils s’avèrent tiraillés entre la quête de sens, l’envie de changer le monde et des besoins beaucoup plus basico-basiques de projection sereine dans l’avenir et de confort matériel.
Surtout, la jeunesse est plurielle. On observe une multitude de désaccords générationnels sur tout un tas de sujets sociétaux : l’environnement, le vivre ensemble, la solidarité, l’économie, la consommation etc. Et pourtant, le discours ambiant reste dominée par l’observation d’une petite minorité, la plus revendicatrice. Il va falloir revoir notre logiciel.
👨👩👧👧 #6 LE E ET LE G ONT BONNE PRESSE, QUID DU S ?
La crise sanitaire a accéléré la prise en compte des enjeux climatiques. Sujet déjà fondamental auparavant, il a pris une nouvelle dimension ces derniers 18 mois. A tel point que les appels se sont multipliés pour ne pas oublier les autres éléments qui composent l’environnement, et notamment la biodiversité—incarnés notamment par un premier rapport inédit entre le GIEC et l’IPBES. Cet aspect est beaucoup plus délicat à comptabiliser pour les entreprises, mais on y viendra, forcément.
Le Environment et Governance bénéficient donc d’une attention forte des entreprises, mais quid du Society ? En effet, les conséquences sociales de la crise sanitaire sont énormes : exacerbation des inégalités sociales, mise en lumière des populations fragiles et précaires etc. Les entreprises peuvent estimer “faire le job” en créant de l’emploi, mais les attentes vont s’accentuer pour qu’elles en fassent davantage auprès des populations locales, pour la formation de leurs collaborateurs, dans leurs actions de mécénat, en matière de diversité, de lutte contre les discriminations etc.
🏳 #7 LA SOBRIETE PLUTOT QUE LA DECROISSANCE
Le débat entre croissance et décroissance est devenu d’une stérilité débilitante. Les positions idéologiques des uns et des autres empêchent tout dialogue utile. Pour les premiers, la décroissance est un retour inepte à l’âge de pierres, la négation du progrès bénéfique à la société et à l’avenir. Pour les autres, la croissance est une dangereuse fuite en avant, une pensée unique inféodée au saugrenu solutionnisme technologique.
En revanche, le récent décès de Pierre Rabhi nous rappelle un autre concept moins chargé : la sobriété. Il a consacré plusieurs ouvrages à cette notion. Surtout, l’angle qu’il adopte est beaucoup moins négatif que ce que les détracteurs de la décroissance entrevoient : plutôt que le moins de tout, on est davantage sur le mieux d’une partie. Une enquête de Viavoice pour Le Pacte Civique montre d’ailleurs que 72% des Français seraient prêts à aller vers plus de sobriété dans leur vie.
Le terme reste un peu fourre-tout et les plus radicaux des deux camps ne s’y retrouveront peut-être pas, mais c’est une base de débat plus riche et moins idéologisée.
😵 #8 LE VOULOIR CHANGER RESTE DOMINANT
On entend toutes et tous les alertes rouges. Difficile de les ignorer ! Mais, c’est dur de changer, non seulement au niveau individuel, mais également collectif. Selon une enquête de l’Obsoco pour Trusteam Finance, l’intensité de responsabilité dans les comportement d’achat est faible pour 68% des Français. D’où des mesures à pas feutrés ou concentrés sur certains comportements.
Au niveau des entreprises, on suit la réglementation, on lance quelques projets pilotes ou symboliques, mais on va rarement changer en profondeur son business model. Pourtant, c’est une véritable transformation d’entreprise que la prise en compte des enjeux climatiques appelle. Seule une petit minorité d’entreprises s’engagent dans cette voie.
Malheureusement, il vaut mieux vouloir changer maintenant, car demain, sous la contrainte réglementaire, la pression des clients et/ou des actionnaires, le changement sera exigé, subi et devra se faire dans des conditions beaucoup plus tendues.
📈 #9 LES ACTEURS FINANCIERS, DOUCEMENT MAIS SÛREMENT ACTEURS DU CHANGEMENT
On ne peut pas dire qu’ils y vont de gaité de cœur malgré des communications tambour-battant, mais les acteurs financiers deviennent les chantres du changement. Et oui, la pression monte… Côté assureurs, ils voient une augmentation certaine des risques climatiques et certaines voix ont déjà annoncé que certains risques ne pourront plus être couverts à terme si nous nous dirigeons vers une augmentation des températures de 2°C.
Côté banques, les “plans climat” pullulent : des prêts verts émergent, mais pour réduire leur empreinte carbone, il va progressivement falloir qu’elles modifient les conditions d’accès de leurs prêts classiques afin d’y intégrer des engagements TEE de la part de leurs clients. Elles ne pourront pas faire autrement.
Côté investissement, une vague monte doucement, mais sûrement. La réglementation se resserre, notamment avec la taxonomie verte ou le règlement “disclosure”. Faire une due diligence sans regarder, voire exiger dans certains cas, des engagements ESG se raréfie. On voit poindre des fonds activistes qui gagnent des batailles pour la TEE. Quel fonds n’a pas encore “sa poche” d’investissement vert ? Les green bonds continuent de prendre de l’ampleur, notamment sous la houlette de la Commission européenne. Les épargnants demandent de plus en plus que leur épargne soit utilisée dans des investissements responsables. Un ensemble de signaux faibles, qui illustrent toutefois des mouvements de plaque à l’œuvre.
Quelques autres top 2021
🐤 Twitter fait sa rétro 2021 : toujours intéressant de voir ce qui captivé les twittors. Spoiler: on ne parle pas de l’économie de demain. C’est par ici
💡 Tom Whitwell - “52 things I learned in 2021” sur Fluxx. Parfait pour la culture G.
👁🗨 Le World Economic Forum examine 10 tendances tech de 2021. C’est par ici.
⏩ Springwise fait ses prédictions sur les tendances émergentes qui vont faire 2022. C’est par ici
🌍 L’ONG ShareAction analyse les résolutions des actionnaires en 2021, surtout quan elles parlent d’ESG. Peut mieux faire. C’est par ici
🏅 Le label Positive Workplace a rendu son palmarès 2021. C’est par ici.
C’est tout pour cette année. Si vous êtes arrivé.e jusque là, je présume que cette missive vous a intéressé.e. J’ai un petit service à vous demander : appuyez sur ❤. Cela permet d’améliorer le référencement de La Machine à sens et vous aidez ainsi à ce que d’autres découvrent cette newsletter plus facilement. Vous pouvez également partager le contenu sur les réseaux sociaux ou auprès de collègues.
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Je vous souhaite de belles fêtes, et j’espère un peu de repos. On se retrouve le 6 janvier.
Vivien.