#35 Troisième confinement national, donc trois nouvelles sociétés à mission pour garder le sourire
2 viennent de l'annoncer et l'autre est en route / Première offre mobile négative en carbone / Le débat d'idées sur la raison d'être / La mission sert l'innovation et la marque employeur
Bonjour,
Nous voici repartis pour un tour de confinement national. Je souhaite bon courage aux parents pour les prochaines semaines.
Pas d’édito cette semaine par manque de temps pour faire des recherches un peu plus approfondies.
Au sommaire :
La première offre mobile négative en carbone
B Corp et tuyaux flexibles : c’est possible
Naturellement à mission, mais quand même l’entreprise passe à mission
Cabinet de recrutement cherche mission
L’innovation sert la mission et vice-versa
Chronique de l’ouvrage Planète A, Plan B
La bataille des idées : quand les “holocrates” rentrent dans le bal
La mission sert la marque employeur
Une revue de littérature pour les geeks
Bonne lecture et comme d’habitude, vos commentaires, partages et likes seront très appréciés par email, via LinkedIn ou en commentaires de cette missive.
Du côté des entreprises
LA SONNERIE DU CLIMAT. Quand on pense à un smartphone couplé à son usage et à toute l’infrastructure qui l’accompagne pour accéder à Internet et pour téléphoner, on se dit que l’empreinte carbone ne doit pas être exceptionnelle… C’est le chantier que le fabricant de smartphone éthique néerlandais Fairphone et Honest Mobile, opérateur mobile britannique labellisé B Corp, ont décidé d’attaquer pour le marché britannique.
Leur objectif : lancer la première offre mobile négative en carbone. Du côté de Fairphone, les actions portent surtout sur la capacité de réparation des smartphones et de sensibilisation auprès des acheteurs. Sur ce dernier point, il s’agit d’inciter les consommateurs à conserver leur smartphone plus longtemps. Cela est également réfléchi au niveau de la fabrication afin de permettre facilement de remplacer certaines pièces défectueuses, telles que l’écran ou la batterie. Pour Honest Mobile, l’effort est porté par la compensation carbone. Plus classique comme démarche, mais je vois difficilement ce qu’ils pourraient faire au niveau de l’utilisation pur de leurs réseaux. Cela n’enlève pas ce qu’ils peuvent faire par ailleurs. Il faudra voir si cela se concrétise par d’autres aspects, comme le fait de ne pas offrir de forfait illimité sur les données.
Reste à voir si les consommateurs seront sensibles à cette démarche. A suivre…
TOUJOURS MIEUX. Toujours à la recherche de petites pépites qui viennent de passer B Corp. Je vous présente NewAge Industries, une grosse PME américaine spécialisée dans les tuyaux et tubes flexibles. Fondée en 1954, l’entreprise compte environ 200 salariés pour un chiffre d’affaires de près de 80 millions de dollars.
L’approche responsable est dans les gênes de l’entreprise de longue date. Elle a soutenu différents programmes locaux et associations, telles que la Croix rouge. NewAge Industries a beaucoup investi pour améliorer son empreinte carbone, notamment via des investissements les énergies renouvelables, en particulier le solaire.
Au niveau du management, le propriétaire et PDG Ken Baker a décidé depuis 2006 d’ouvrir le capital aux salariés : 30% dans un premier temps, puis 10% en 2013 et enfin 9% en 2016. Aujourd’hui, 49% de l’entreprise est détenue par les salariés. Trois des filiales sont même complètement détenues par les employés.
La certification B Corp vient donc couronner des engagements forts avec un objectif simple : “nous sommes audités sur les finances et sur la qualité, mais personne ne nous examine sur nos pratiques environnementales”.
NATURELLEMENT A MISSION ? Je parlais la semaine dernière de cet argument qu’on entend souvent : “mais pourquoi passerions-nous société à mission, alors que nous sommes naturellement une entreprise à mission ?” Ce sera un frein pour beaucoup d’entreprises… Erilia, filiale du groupe Habitat en région, est une entreprise sociale de l’habitat. Comme elle l’indique dans ce tweet, c’est un prolongement naturel de sa mission d’intérêt général, mais, rajouterais-je, c’est toujours bien de le rappeler et de l’ancrer encore davantage.
Sa raison d’être : “Nous voulons rendre le logement accessible à tous pour changer la vie et contribuer à l’attractivité des territoires.” Sans surprise, l’accent social est le cœur de la mission. Cela transparaît dans leurs objectifs. Un autre aspect est clé : l’ancrage territorial. C’est un élément que l’on retrouve dans de nombreuses raisons d’être.
RECRUTER LA MISSION. Le monde des entreprises change : besoin d’être plus flexible, de sens, d’engagements sociétaux et environnementaux etc. Tout cela impacte le recrutement. Et c’est donc sans surprise que de jeunes cabinets de recrutement convaincus s’engagent dans cette voie. Je vous ai déjà parlé d’Omeva. C’est au tour d’Hyphae de franchir le pas de la société à mission.
Basé en Vendée, le cabinet détaille sa raison d’être : “Mettre à disposition des compétences qualifiées et expérimentées partageant nos valeurs et nos engagements RSE. Pour faire progresser les organisations sur les enjeux sociaux, sociétaux, environnementaux et économiques.” Cela rejoint le paragraphe du dessus sur les nouveaux enjeux. Je suis juste étonné par l’emploi du “notre”, à savoir que je ne sais pas ce que cela traduit : j’imagine qu’ils ne proposent que des candidats qui ont passé le filtre de leurs critères.
L’entreprise se dote également d’un comité de mission… alors qu’ils ne sont pas obligés de le faire. Je rappelle qu’en dessous de 50 collaborateurs, une entreprise peut n’avoir qu’un référent. Mais constatons que c’est une toute petite minorité d’entreprise. En me limitant à la seule recherche dans mon disque dur cérébral, aucun exemple ne me vient à l’esprit.
C’est assez logique : le comité de mission, notamment pour des petites structures, peut servir de comité stratégique ou d’advisory board. En outre, avoir “juste” un référent peut sembler contre-intuitif : le rôle d’un comité de mission est perçu comme une enceinte où de nouveaux regards et idées sont apportés. Le but d’un référent est simplement de cocher une case et de donner la responsabilité à quelqu’un de rédiger le rapport annuel de mission.
4.0 ET A MISSION. On ne le dit pas assez souvent, mais passer société à mission se conjugue très bien avec l’innovation. C’est exactement la dynamique dans laquelle s’inscrit le groupe Bordet, PME industrielle spécialisée dans la production de charbon végétal et écologique à partir de déchets de bois.
En effet, ils sont en voie de devenir société à mission et parient sur l’industrie 4.0 pour réduire encore plus leur empreinte carbone, tout en améliorant ses performances énergétiques et en optimisant ses process. Ils viennent donc de rejoindre programme « Industrie du Futur Bourgogne-Franche-Comté ».
Citation de la semaine
“Aujourd’hui, on le voit dans le monde entier, les chefs d’entreprise disposent d’une parole plus crédible et de moyens d’action plus puissants et plus rapides que le pouvoirpolitique. Cela n’enlève rien à l’importance des impulsions politiques, à la nécessaire régulation, ou au besoin de communication publique : en matière politique, l’information ne suffit pas, on le voit bien à l’aune de la crise sanitaire. Mais le pouvoir d’entraînement des entreprises est considérable. Par leur communication certes, mais surtout par leurs actions et innovations. Lorsque les entreprises décident de passer à l’action sur les sujets d’intérêt général, elles vont bien plus vite que les lois.” (Entretien de Nicolas Bordas de TBWA Corporate pour La Réclame)
Du côté des idées
CHRONIQUE. Florian Delmas, Planète A, Plan B. Faire société pour l’essentiel, éd. Coup de cœur, 2020.
Florian Delmas est directeur général d’Andros. Mais cela ne le résume pas. Comme il le dit dans les premières lignes de cet ouvrage : “Je suis né de la Terre. Cette simplicité du rapport à la nature et au monde paysan m’a forgé et c’est elle encore qui, aujourd’hui, conditionne ma façon d’agir et d’exercer mon métier.” Il est également père. C’est l’addition de ces trois identités majeures qui semblent l’amener à la rédaction de cet essai.
Planète A, Plan B est un ouvrage programmatique. L’auteur dresse dans un premier temps une série de constats liés à l’environnement et les différentes sources d’accélération du réchauffement climatique depuis plusieurs siècles, et notamment le XIXe siècle.
C’est ensuite que l’intérêt de l’ouvrage commence réellement. Florian Delmas s’inscrit dans une logique multicentrique, à la confluence de l’anthropocentrisme (l’homme est supérieur à tout le reste), le biocentrisme (tout être vivant, y compris l’homme, a la même valeur), l’écocentrisme (l’homme est partenaire de l’environnement et de l’harmonie du système).
Le multicentrisme implique un co-pilotage de l’environnement entre l’homme et la nature, mais en acceptant le fait que l’homme est plus responsable étant doté d’une pensée réflexive. Les nuances apparaissent parfois subtiles, surtout sur les deux dernières approches.
L’auteur énonce alors le concept de “Citessentielle” qui s’appuie sur un socle de base : “une démarche introspective sur notre façon d’être humain associée à l’enrichissement des relations et de la solidarité entre individus. Fondamentalement, cela impose un rapport au temps long et à la transmission que nos sociétés actuelles semblent délaisser.” Dans ce concept, la cité est ici la maison, en l’occurrence la planète ; l’essentiel viserait à reconnecter l’homme à son environnement.
Dans la dernière partie, il expose son Plan B, qui repose sur sept piliers couvrant notamment l’éducation, la régulation carbonée, la préservation de la biodiversité et une réflexion sur la mobilité.
Florian Delmas n’est donc pas défaitiste, mais il concède que le temps presse et que le défi est immense. Chacun a son rôle à jouer, bien qu’il estime que les pouvoirs publics à tous les échelons ont une responsabilité encore plus forte.
Il conclut sur les entreprises par un plaidoyer dont voici le résumé :
“C’est […] le contenu même de la mission, de la raison et de la façon d’être qui doit être revisité au regard des nouveaux enjeux de résilience et de durabilité économique, humaine et écologique. Le but ultime est de développer et d’enrichir un système de production de biens ou de services rentables, créateurs d’emplois, au sein même d’un écosystème humain et environnemental préservé, voire enrichi.”
Ces dix dernières pages sont celles que j’ai trouvées les plus inspirantes. En tant que chef d’entreprise, il assume sa responsabilité dans le problème, mais aussi comme un élément essentiel de la solution.
Dans une étude de Bpifrance Le Lab sur l’urgence climatique chez les dirigeants d’entreprise, le lien entre niveau d’information et passage à l’action était clairement établi. Planète A, Plan B est un très bon ouvrage pour tout entrepreneur cherchant à comprendre les enjeux auxquels nous faisons face. Il n’y a pas forcément de réponse précise, mais il y a tous les éléments pour servir d’élément déclencheur, et je pense que c’était là tout l’objectif très honorable de Florian Delmas.
LA BATAILLE DES IDÉES. Le débat est de plus en plus fort sur les sujets de raison d’être et de société à mission. Et forcément, cela suscite pas mal de débats, notamment de la part de ceux qui pourraient avoir l’impression que la loi Pacte ne réinvente pas non plus la roue.
C’est le cas des promoteurs de l’holacratie, tels que Bernard Marie Chiquet. Dans une tribune pour la version française de la Harvard Business Review, il argue que la raison d’être “pacte” - sa terminologie - est trop pyramidale. Par conséquent, elle n’est pas incarnée par tous les collaborateurs de l’entreprise. Selon lui, la raison d’être parle à la tête (dirigeant et son équipe rapprochée), mais ne change pas le quotidien des autres.
La raison d’être telle qu’envisagée dans l’holacratie notamment serait plus intéressante : elle est fractale, “intimement liée à chaque référentiel ou niveau de complexité (rôle, cercle, organisation), formant les niveaux de la structure holarchique d’une organisation vivante et réinventée par un management constitutionnel de type holacratie”.
Plutôt que parler de raison d’être, il s’agit de parler de création de valeur : chaque collaborateur devrait, à son niveau, s’interroger sur la manière de créer de la valeur pour lui et pour l’entreprise.
Je trouve le point de vue de l’auteur pertinent. Je ne comprends juste pas pourquoi il estime que “la raison d’être ‘pacte’” est pyramidale. Elle est ce que l’entreprise décide qu’elle sera. A ce stade, j’ai tout vu : des raisons d’être imposées par le haut, d’autres émanant d’un long travail consultatif en interne, d’autres ayant fait l’objet de votes etc.
Quant à l’incarnation au quotidien, son approche est tout aussi légitime qu’une autre ; l’important est effectivement de la faire vivre partout dans l’entreprise, à tous les niveaux. Je vous renvoie à l’entretien de février avec Jean-Pierre Richard, qui expliquait qu’au sein d’ESII, le processus s’était fait de manière bottom-up : chaque collaborateur a travaillé sur sa propre raison d’être, chaque service a fait le même exercice ; et la raison d’être de l’entreprise est le reflet de ces travaux réalisés à différents niveaux.
LES ATTRIBUTS DE LA MISSION. Dans une nouvelle étude orientée B2C, le cabinet américain de marketing Porter Novelli détaille la différence de réactions chez les consommateurs entre des marques “conventionnelles” et des marques à mission (purpose brands).
Quelques données sont intéressantes et notamment celles-ci.
Les auteurs cherchent à comprendre si l’objet des campagnes de marketing peut jouer sur les actions provoquées chez les consommateurs. La comparaison est faite entre des campagnes centrées sur le produit et d’autres centrées sur la mission. On note que ces dernières l’emportent toujours, à une courte tête néanmoins.
Là où l’écart est le plus grand, c’est sur la marque employeur. Que ce soit sur des secteurs en tension pour le recrutement ou pour fidéliser les talents en interne, on voit bien que la question du sens ressort de manière très claire sur les orientations professionnelles qu’elle que ce soit l’âge. Sur ce dernier point, c’est mon analyse, car le cabinet ne fournit aucun croisement dans son étude.
POUR LES GEEKS. Un sujet d’étude commence à devenir mainstream quand vous voyez des revues de littérature publiées dans des revues universitaires. Ce n’est pas la première, mais en tout cas, c’est la plus à jour. Ce type de lecture est recommandé aux universitaires, étudiants, analystes et à tout bon geek ! Saluons le travail de Elsa Diez-Busto, Lidia Sanchez-Ruiz et Ana Fernandez-Laviada qui ont trouvé comme point d’atterrissage la revue Sustainability. Profitez-en : l’article est en libre accès.
Mon son de la semaine
Je regardais la télé récemment et je suis tombé sur une version complètement remasterisée et très nostalgique de “Mad World” de Tears for Fears. Je n’ai pas réussi à la trouver ailleurs, mais je suis tombé sur cette version tout aussi inspirée de Lily Allen.
C’est tout pour cette semaine. Merci de votre lecture ! N’hésitez pas à me faire vos commentaires, retours, recommandations par email ou via LinkedIn. Et partagez cette newsletter auprès de votre réseau. Je suis sûr que deux personnes que vous connaissez pourraient être intéressées.
A mardi pour l’huile essentielle du mois et à jeudi pour la 36e missive,
Vivien.