#179 Alors, notre avenir dépend-il de la technique ?
Réflexions sur le sujet de philo ; Danone, le Nutri-score et sa mission ; Alliance Experts et son réseau de garagistes ; les JE à mission ; les rapports CSRD ; le prompt à tout va
Chères lectrices, chers lecteurs,
Ca y est, tout est déréglé dans notre environnement. Mais, ne commençons pas cette missive par une note pessimiste. J’ai le bonheur de vous annoncer que mon éditrice et moi avons bouclé les tous derniers détails de mon ouvrage L’Entreprise à mission en questions (en réponses et en pratique). La sortie est bien prévue le 7 juillet et les commandes devraient prochainement être possibles. Je vous tiendrai évidemment au courant.
Le 7 juillet, j’organise un événement de lancement à Paris : présentation de l’ouvrage, témoignages d’Emery Jacquillat (ex-Camif) et Claire Schwartz (Chateauform’), échanges entre participants et cocktail dinatoire. Il reste quelques places. Si vous souhaitez recevoir une invitation, vous pouvez me contacter en réponse à cette missive.
Passons au sommaire :
💭 Edito autour du sujet du bac de philo
🥛 Danone se fait critiquer sur son abandon du Nutri-score et sa qualité de société à mission
⚙️ Alliance Experts veut engager son écosystème de garagistes dans une certification responsable
🧑🎓 Les Junior-entreprises testent la société à mission
🤖 Une étude montre les dégâts cognitifs possibles de l’IA générative
📚 Premier bilan des rapports CSRD
🧠 Un peu de jus de crâne avec les Lions Cannes, la communication autour de l’audit de mission, et l’état de santé des dirigeants
🎧 Mon son de la semaine : The Maccabees - Precious Time
Bonne lecture, à picorer ou à dévorer !
Le chiffre à trouver dans la missive
Selon une étude internationale menée par LHH ICEO, quel est le pourcentage de dirigeants français déclarant souffrir d'épuisement professionnel ?
A- 47% / B- 66% / C- 77%
Je suis un grand fan des Maccabees, pur produit indie rock britannique. J’étais triste d’apprendre il y a dix ans qu’ils se séparaient, car je n’avais jamais eu l’occasion de les voir en concert. L’annonce d’une nouvelle tournée est sortie un peu de nulle part et surtout qu’ils avaient une date parisienne. J’y serai demain ! Je vous partage un de mes morceaux préférés du groupe, “Precious Time”.
Notre avenir dépend-il de la technique ?
C’était un des sujets du bac de philosophie cette année. Quelle actualité ! Vous trouverez des corrigés facilement sur Internet, qui sont plutôt bien faits. Dans ceux que j’ai consultés, les profs arrivent à la même troisième partie, en respectant évidemment le sacrosaint thèse/antithèse/synthèse. Selon eux, l’enjeu à l’avenir se joue sur l’éthique humaine vis-à-vis de la technique. C’est intéressant de creuser ce point.
Dans ce sujet, il ne s’agit pas uniquement de la technologie, mais de la technique plus largement. Difficile de nier son utilité : littéralement, tout ce qui fait que vous pouvez lire ces mots relève d’enjeux techniques.
Si l’on considère “notre avenir” comme celui des êtres humains — une question qu’aucun des deux corrigés n’explore d’ailleurs, preuve inconsciente de l’anthropocentrisme — la technique est certainement ce qui nous distingue des autres espèces vivantes et nous rappelle le mythe de Prométhée, qui a volé le feu à Zeus pour le rendre aux humains. Cette histoire raconte en creux comment la maîtrise du feu a permis les progrès techniques, en matière de sidérurgie par exemple.
Même si les corrigés n’abordent pas ce sujet, la technique est évidemment associée au progrès. Ne tombons pas dans le hors sujet en passant trop de temps dessus, mais le progrès est un moteur fort pour le développement technique. C’est relativement récemment que l’on a commencé à vraiment questionner le lien intrinsèque entre les deux pour s’interroger sur la technique et la technologie étaient toujours au service du progrès. Pour citer Albert Einstein, “le progrès technique est comme une hache qu'on aurait mis dans les mains d'un psychopathe”.
Cela amène à deux considérations. La première concerne la maîtrise de la technique. Sommes-nous toujours maîtres de la technique ou risquons-nous d’être dépendants ? La réponse est loin d’être évidente. Egalement, maîtrisons-nous toujours les usages de la technique ? La réponse est clairement négative. Cela conduit à des spirales infernales. Prenons-nous en compte toutes les conséquences possibles avant de s’engager dans des recherches techniques ? Clairement non.
La seconde concerne l’utilité de la technique. Il est certain que de nombreuses évolutions techniques ont été positives pour la société, en termes de santé, de mobilité, de sécurité, d’alimentation, de partage, etc. Mais, nous avons une farouche tendance à pousser la technique à des fins discutables, plus encore aujourd’hui. Les moyens sont accessibles à beaucoup plus de personnes, et les humains sont avides de découvertes et d’inventions.
Plutôt que de résoudre de grands problèmes de société, des ressources humaines et financières considérables sont dévouées à des enjeux techniques économiquement rentables, mais humainement peu utiles, voire délétères, et écologiquement controversés—au mieux. Le développement effréné de l’IA en est un exemple actuel.
Je rejoins les deux corrigés sur l’importance de l’éthique pour contrôler la technique afin qu’elle soit utile et qu’elle serve notre avenir. Mais, je suis peu optimiste. L’éthique de la technique est envisageable dans un monde plus ou moins aligné sur les mêmes valeurs et les mêmes ambitions. C’est loin d’être le cas. En plus, l’éthique de la technique n’étant pas une perception partagée unanimement, certains développent de nouvelles technologies sans garde-fous et parviennent à faire percevoir ceux qui veulent mieux maîtriser leurs conséquences comme des freins à la croissance et à l’innovation.
Notre avenir dépend-il donc de la technique ? Assurément, parce que nous sommes incapables de faire sans et parce qu’aucune force n’existe aujourd’hui pour ralentir cette course au toujours plus de technique et de technologie. Est-ce une bonne chose ? Evidemment non, d’un point de vue social, sociétal et environnemental.
🥛 Le débat sur Danone, l’abandon du Nutri-score et la société à mission
The Conversation a publié une tribune de Stéphane Besançon, professeur au CNAM, dans laquelle l’auteur s’interroge sur la capacité pour Danone de conserver sa qualité de société à mission, suite à l’abandon du Nutri-score. Je vous renvoie à une missive de septembre dernier où j’évoquais ce cas, ainsi que celui de Bjorg, marque d’Ecotone, également société à mission.
L’auteur estime que cet abandon sur certains produits interrogent la capacité de Danone à respecter ses engagements, notamment concernant l’étiquetage nutritionnel. En effet, le groupe agroalimentaire a fixé que 95% de ces produits (produits laitiers et d’origine végétale et de boissons aromatisées) bénéficieront d’un “étiquetage nutritionnel interprétatif” d’ici 2025.
Stéphane Besançon questionne également le rôle du comité de mission qui, selon lui, n’a pas joué son rôle de premier niveau de contrôle et a validé les résultat à tort les résultats de Danone.
Il attend donc avec impatience le prochain audit pour voir si l’OTI arrivera aux mêmes conclusions.
A ma connaissance, c’est la première fois qu’un rapport de mission est utilisé pour critiquer les efforts d’une entreprise. Sur le principe, je trouve cela pertinent. Cela rappelle que la qualité de société à mission est un engagement exigeant.
Sur le fond, l’article souffre malheureusement de beaucoup d’erreurs factuelles qui décrédibilisent son propos. Toutefois, Danone a pris l’affaire suffisamment au sérieux pour demander un droit de réponse publié sous l’article. Vu les erreurs, il n’y avait pas besoin de beaucoup d’effort.
Toutefois, l’article soulève un point intéressant pour toutes les sociétés à mission. Danone a décidé de ne plus utiliser le Nutri-score sur certains produits, parce que la nouvelle méthodologie ne lui plaisait plus. Et de s’orienter vers un autre référentiel HSR (Health Star Ratings), utilisé principalement en Australie et Nouvelle-Zélande.
En soi, Danone pourra dire en 2025 qu’elle a atteint son objectif de 95% de produits bénéficiant d’un étiquetage nutritionnel interprétatif. Factuellement, ce sera probablement juste. Sur le fond, n’y a-t-il pas un débat à avoir sur le fait d’utiliser un autre système non pas parce qu’il est décrié, mais parce qu’on ne l’aime plus, et de prendre un autre système peu connu des consommateurs mais qui sied bien aux besoins de l’entreprise ? C’est effectivement au comité de mission de soulever ce point.
⚙️ Une démarche de labellisation de son réseau
Alliance Experts est un groupe spécialisé dans l’expertise automobile. Il est devenu société à mission en début d’année. Dans ses engagements, on retrouve la la promotion de solutions d’expertise durable. C’est probablement dans ce cadre que le groupe a développé un partenariat avec l’organisme néerlandais Réparer Durablement (traduction française), qui a créé une certification responsable dans le domaine de la réparation automobile.
Bien éprouvé dans le Benelux, l’objectif d’Alliance Experts est d’importer ce dispositif et de le proposer à son réseau de garages partenaires un parcours d’accompagnement pour accéder à cette certification, qui s’appuie sur l’ISO 26000. C’est une manière de préparer les garagistes aux évolutions réglementaires qui vont arriver sur la réparation.
Je trouve l’idée très judicieuse. Je me répète, mais une entreprise à mission ne peut atteindre sa mission sans embarquer son écosystème.
Je ne connais pas les détails pratiques et financiers, mais le fait qu’il y ait une certification implique une démarche structurée et auditée et un engagement réel. Pour Alliance Experts, c’est un moyen d’accompagner un secteur pas forcément en pointe sur ces sujets ; et pour les garagistes de bénéficier d’un cadre clair. Reste à voir s’ils y verront leur intérêt.
🧑🎓 De nouvelles formes d’associations à mission
IÉSEG CONSEIL Lille devient junior-entreprise à mission. Elle rejoint une poignée d’autres qui se sont lancées dans cette démarche initiée par la Confédération Nationale des Junior-Entreprises en septembre dernier. Pour rappel, les Junior-entreprises (JE) sont des cabinets de conseil de grands écoles dans lesquels les étudiants mènent des missions dans des entreprises. On en compte 200 en France.
En dépit de la dénomination, les JE ne sont pas des sociétés, mais des associations. Donc, elles ne sont théoriquement pas éligibles à la qualité juridique, mais j’ai déjà plusieurs fois évoqué le fait que des associations s’étaient malgré tout engagées dans cette démarche. Dans le cas présent, les obligations auxquelles les JE s’astreignent sont les mêmes qu’une société à mission classique.
La particularité dans le cas présent est que le déploiement est orchestré par un organisme central, la CNJE. Elle a lancé le mouvement via son comité RSE et sélectionné les sept premières JE. Initiative à suivre et qui pourrait en inspirer d’autres de la même nature.
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🧠 Un peu de jus de crâne
Les pubeux connaissent Cannes Lions, grand rendez-vous international sur la créativité. Pour Sustainable Brands, Thomas Kolster, expert de la publicité responsable, nous partage son débrief relativement optimiste sur la présence des enjeux de durabilité lors de cette semaine.
C’est suffisamment rare pour être remarqué : Le groupe de cliniques privés Vivalto Santé a communiqué suite à deuxième audit de société à mission. L’article vaut le coup d’être lu, car il a le mérite de donner du contexte et de la matière et peut inspirer des communications similaires chez d’autres.
Selon une étude de LHH ICEO relayée par Beaboss.com, 66% des dirigeants français déclarent souffrir d’épuisement professionnel. Ce chiffre de 2024 a grimpé de 26 points en un an, et est 10 points supérieurs à la moyenne mondiale.
🤖 Promptez, mais réfléchissez !
Une nouvelle étude menée par des chercheurs du MIT, relayée par Le Grand Continent, livre des résultats très utiles pour comprendre l’impact des outils d’IA générative sur nos capacités cognitives.
Elle révèle (sans réelle surprise) que les personnes employant des outils de génération de texte utilisent beaucoup moins de capacités cognitives, comme la réflexion et la mémoire, et sont moins en mesure de les mobiliser par la suite. L’étude montre par ailleurs que les personnes ayant recours à ces outils pour produire des textes questionnent peu le matériau proposé et ne se l’approprie pas.
Seuls les utilisateurs ayant une démarche initiale sans outil informatique (GPT et même moteur de recherche), puis utilisant ces outils pour “augmenter” leurs réflexions, montrent une très forte mobilisation de capacités cognitives.
L’impact en entreprise : bien que les volontaires soient des étudiants, j’extrapole les résultats au monde de l’entreprise. Dans un environnement où tout doit aller vite, où ces outils sont censés améliorer la productivité, où on cherche à développer des “agents IA” pour automatiser des tâches, faire à notre place (et soi-disant libérer du temps pour se consacrer aux tâches à valeur ajoutée), il faut vraiment s’interroger sur les impacts que ces outils peuvent avoir sur les compétences intellectuelles des personnes.
Cela en amènera beaucoup à passer directement par ces outils sans réflexion initiale, soit parce que c’est plus simple, plus rapide ou que c’est le process. Certaines tâches dites à faible valeur ajoutée sont à forte valeur ajoutée cognitive, comme la réalisation de comptes-rendus ou la génération de contenus (en partant évidemment du principe que ces tâches sont encore pilotées par des personnes et que ces outils ne servent tout simplement pas à remplacer des postes). A force d’affaiblir nos capacités cognitives, cela influera sur toutes nos capacités de réflexion et d’attention, au point de ne pas être très efficace sur les tâches dites à haute valeur ajoutée…
Il est essentiel que les entreprises prennent ces aspects en compte quand elles réfléchissent aux usages de l’IA en entreprise. En prenant quelques exemples de charte IA trouvées sur Internet (groupe Lisi, Septeo et Datacraft), il ressort que les aspects cognitifs ne sont jamais abordés. Cette dimension est pourtant inscrite en creux dans les lignes directrices d’utilisation de l’IA en matière d’éthique et de confiance émanant du groupe d’experts de l’UE. La perte de compétences cognitives est un enjeu essentiel de l’IA à titre individuel et au sein des organisations.
📚 Quel bilan pour les premiers rapports de CSRD ?
Carenews revient sur les premiers rapports de CSRD pour faire un bilan provisoire. La journaliste s’appuie sur deux études récentes réalisées par KPMG et BL Evolution. Quelques tendances convergent :
Le niveau global des rapports est jugé plutôt bon ;
Si les aspects climat et social sont généralement bien traités, les dimensions biodiversité et ressources le sont moins ;
Les plans de transition climatique sont hétérogènes ;
La place de la chaîne de valeur est encore trop parcellaire.
Comme le dit un des associés de KPMG, même si certaines entreprises soulignent des lourdeurs et complexités liées à la CSRD, les débats actuels pour une refonte du système vont beaucoup plus loin que ce que les entreprises évoquent. No kidding!
C’est terminé pour cette semaine. Merci de votre lecture ! Je vous invite à commenter, à réagir en appuyant sur le ❤️ dans l’en-tête et à partager ce post. Merci beaucoup !
La société à mission est un sujet pour vous ?
En phase de réflexion sur la société à mission, sur la révision de votre mission actuelle, sur le pilotage et l’animation de votre mission, je suis à votre disposition pour creuser ces sujets. Vous pouvez me contacter par réponse à cet email si vous avez directement reçu cette missive, sinon par email si vous lisez depuis votre navigateur. Plus d’infos sur les différents parcours via mon site.
On se retrouve dans deux semaines,
Vivien.