#173 Faut-il encore prendre les États-Unis comme modèle ?
Pas sûr du tout ; également HSBC revoit ses ambitions climatiques à la baisse ; B Corp chahuté ; Groupe Rocher et l'IA ; la double matérialité ; la CSRD new gen
Chères lectrices, chers lectrices,
Bienvenue dans cette 173e missive ! Je m’appelle Vivien, consultant société à mission de jour, et veilleur RSE de nuit. Toujours un plaisir de vous retrouver pour un nouveau concentré, où nous allons pas mal parler de CSRD, mais avec un peu de recul, enfin j’espère…
Passons au sommaire :
💭 L’édito : Faut-il encore prendre les États-Unis comme modèle ?
😕 HSBC explique la baisse de ses ambitions climatiques
🥊 B Corp de nouveau chahuté par un de ses labellisés
🤖 Le Groupe Rocher s’engage pour une IA éthique et responsable
🎙️ Nouvel épisode de podcast avec OpenClassrooms
😶🌫️ La Commission européenne donne la couleur sur les révisions de la CSRD et la CSDDD
💡 Un rapport sur la double matérialité dans le monde
🧠 Un peu de jus de crâne avec la comptabilité extra-fi, la résistance française face aux exploitations pétrolières ; la rébellion d’un cadre dirigeant contre son actionnaire ; et la CSRD vue par les entreprises françaises.
🎧 Mon son de la semaine : Green Day - American Idiot
Bonne lecture à picorer ou à dévorer !
En résonance avec l’édito, je vous propose de replonger dans l’univers punk rock de Green Day avec “American Idiot” sorti en 2004. On peut pratiquement copier-coller les paroles au contexte actuel…
Une fois n’est pas coutume, je vais me lancer dans un édito de géo-économie… Cela me replonge quelques années en arrière où je travaillais en think tank sur les relations internationales. J’ai passé de nombreuses heures à défendre la relation transatlantique et l’intérêt de cultiver l’alliance avec les Etats-Unis tout en insistant sur l’importance de développer une autonomie stratégique européenne, voire de privilégier le réflexe européen.
Ce renforcement européen s’imposait d’autant plus que les Américains se désengageaient d’Europe—intellectuellement, économiquement, militairement—et qu’il semblait de plus en plus clair que notre avenir dépendait de notre capacité d’entente entre Européens. Mais il ne fallait pas tout lâcher avec nos alliés américains.
C’était il y a 8 ans.
Depuis, le contexte a bien changé. La montée des populismes de tout poil est telle qu’ils sont omniprésents en Europe. Des forces extérieures, notamment russes et désormais américaines, viennent exacerber ces phénomènes et remettent en cause nos démocraties, nos libertés et plus globalement la fabrique de nos sociétés. La polarisation de nos sociétés atteint des niveaux extrêmes, renforcée par des bulles informationnelles et une infobésité de mauvaise qualité. Les opinions radicales deviennent mainstream et remettent en cause de nombreuses évolutions progressistes, amorcées depuis plusieurs années, sur des questions sociales et environnementales.
Parallèlement, les milieux économiques sont mis sous tension par l’incertitude et l’imprévisibilité grandissantes, par “le retour de l’Histoire” et par des injonctions contradictoires. Quand Donald Trump arrive au pouvoir, donne l’impression que tout est simple, veut libérer les énergies créatrices d’emploi et de richesse économique, et en finir avec les réglementations tous azimuts, son discours reçoit un écho très positif chez beaucoup. Et génère des craintes chez bien d’autres.
Nous en arrivons alors à des réflexions moins-disantes sur le social et environnemental pour “booster notre compétitivité” ; à des évolutions législatives pour refermer nos frontières ; à des Unes de grands médias pour vilipender l’aide au développement etc. L’influence extérieure, encore une fois russe et américaine, s’impose à nous en l’absence d’une projection de force, de confiance et d’envie dans l’avenir de notre part.
Aujourd’hui, le temps est venu d’établir une relation transactionnelle avec les acteurs tiers, d’affirmer une vision ferme, positive, ouverte et encourageante dans un avenir qui prend en compte la réalité d’aujourd’hui et celle de demain. Et de se détacher des Etats-Unis comme modèle et comme allié.
Comme modèle d’abord. Tous les jours, des politiques et des économistes ne cessent de pointer du doigt l’écart grandissant entre nos économies, notamment sur les salaires, la dynamique d’innovation, les capacités financières d’investissement, la simplicité administrative, les régimes fiscaux etc. Il faudrait donc que nous répliquions le modèle américain. Vraiment ?
C’est un modèle inégalitaire et brutal, où l’enrichissement personnel est l’indicateur de développement de la société qui régit tout. Tout ce qui peut entraver cette quête effrénée, en termes de redistribution, de solidarité sociale, d’investissements publics, de considérations environnementales est un obstacle. Par ailleurs, cette course à l’argent ne crée pas plus de plaisir, de satisfaction et d’épanouissement ; elle engendre surtout plus de stress et d’individualisme.
C’est peut-être une vision très micro de ma part, mais ce n’est pas la société dans laquelle je souhaite vivre, ni celle qui s’en sortira.
Comme allié ensuite. Nous oublions souvent qu’une alliance ne tient que si les deux parties s’entendent sur un ensemble de points, et qu’un équilibre existe entre tous. Elle peut se défaire. Nous avons créé une dépendance aux Etats-Unis—culturelle, économique et militaire—qui nous enferme : plutôt que d’affirmer notre vision, nous cherchons à être reconnus et considérés, à ne pas froisser. Or, les Américains ne cherchent pas la réciproque. Ils imposent de plus en plus unilatéralement et clairement, et on dispose. Nos visions divergent et il n’est absolument pas dans nos intérêts stratégique, politique, économique, environnemental et social de s’épuiser à créer un alignement qui ne les intéressent guère.
A nous de créer une voie différente, ferme, ouverte sur les autres mais qui défend notre vision où la justice, la solidarité, le collectif et l’environnement sont des paramètres d’une société riche et épanouie. Certains diront que les Européens sont divisés. C’est vrai. De plus en plus, je me dis que la configuration politico-institutionnelle actuelle n’est plus adaptée pour faire avancer nos intérêts dans un monde qui accepte peu la tergiversation, mais c’est un autre débat…
A force d’essayer d’amadouer les autres quand nous allons chez eux ou quand ils viennent chez nous, nous perdons de vue nos forces, nos atouts, nos moyens, la nécessité de les défendre et notre capacité potentielle d’affirmer nos règles du jeu. Cela crée du dépit et du déclin. Mais, ce n’est ni en se refermant sur nous-mêmes, ni en faisant des courbettes, ni en cherchant à imiter les autres que nous nous en sortirons. Arrêtons de nous comparer, soyons fiers de nos différences, affirmons-les et projetons-les !
😕 HSBC explique la baisse de ses ambitions environnementales
HSBC a publié une lettre concernant sa trajectoire de neutralité carbone. Certes pour faire part des avancées, mais surtout pour expliquer les raisons qui poussent la banque à revoir ses ambitions à la baisse. En effet, elle a annoncé qu’elle reculait son objectif d’être “net zero” sur les trois scopes de 2030 à 2050. Sacré changement !
Les raisons ? La transition ne va pas assez vite dans l’économie, et donc parmi ses fournisseurs. Pour atteindre la neutralité, il faudrait s’appuyer très fortement sur la compensation, ce qui n’irait pas dans le bon sens, selon HSBC. Mais de là à reculer le délai de 20 ans !
Côté financement, HSBC accuse aussi le coup. Sa capacité d’influence pour financer la transition chez ses clients est limitée, la demande clients stagne, les priorités aussi et l’intérêt politique sur ces sujets est en délicatesse. Bref, la banque se veut volontaire, mais ce n’est pas sa faute si les autres ne le sont pas.
Je suis taquin, mais cette attitude illustre l’immense dilemme auquel nous faisons face. Rares sont les grands acteurs économiques à montrer l’exemple en prenant des risques financiers — en gros grever un peu leurs marges ou abandonner certaines pratiques néfastes. Si les autres ne bougent pas, leur marge de manœuvre, à conditions et exigences constantes, est limitée. En cascade, cela n’incite pas les autres à bouger. Si les gros ne font pas l’effort que, eux, peuvent davantage porter, pourquoi les plus petits, plus fragiles s’hasarderaient à prendre des risques ? Heureusement que “le soutien à une transition vers la neutralité carbone est une priorité clé” pour HSBC…
🥊 Le label B Corp de nouveau chahuté
Le label B Corp est de nouveau remis en question publiquement par des entreprises certifiées. C’est un sujet que j’ai déjà abordé par le passé.
Aujourd’hui, c’est Dr. Bronner, une marque de cosmétique américaine, qui a décidé l’arrêt de sa labellisation. Dans un communiqué de presse, l’entreprise explique qu’elle ne souhaite pas partager les mêmes message et logo que des entreprises comme Unilever (sa filiale australienne vient d’être labellisée), Nestlé (seule sa filiale Nestlé Health Sciences est labellisée) et Nespresso.
Cela relance le débat autour des labels et de leur obtention, entre les puristes qui veulent des conditions d’accès hyper strictes pour récompenser les entreprises les plus engagées, et beaucoup d’autres, à commencer par les organisations certificatrices elles-mêmes, qui souhaitent la popularisation des labels et qui les présentent comme des accélérateurs de transition. Je comprends les deux camps et j’ai bien du mal à me faire un avis sur la question.
En revanche, ce que je trouve sain, c’est que des entreprises au sein d’un mouvement prennent la parole pour défendre l’intégrité du cadre. C’est la preuve qu’elles prennent le mouvement au sérieux et comprennent que sa crédibilité dépend d’un engagement de chacune et chacun dans la réussite du mouvement et l’essor du collectif. Petit message subliminal pour les entreprises à mission qui ne font pas suffisamment corps à mes yeux ; rares sont celles qui œuvrent au développement et à la robustesse collective du mouvement. Pour les habitués, vous savez que c’est une de mes marottes…
🤖 Le Groupe Rocher s’engage pour une IA éthique et responsable
Le Groupe Rocher vient de signer le Pacte IA de la Commission européenne en faveur d’une intelligence artificielle éthique et responsable. Ce n’est pas une démarche évidente pour une entreprise du retail, mais en matière d’innovation et de gestion des opérations, difficile de passer à côté de l’IA… Cette démarche vient compléter des efforts lancés depuis quelques années d’audit interne, de comitologie et d’adoption de pratiques.
Le Pacte IA participe de la dynamique enclenchée par l’AI Act, la réglementation européenne sur l’intelligence artificielle qui se déploie progressivement. Le Pacte IA est une initiative transitoire pour aider les entreprises à se préparer à la mise en œuvre complète des règles de l’AI Act. Cela inclut de la sensibilisation, de la formation, du partage de bonnes pratiques et la structuration d’une stratégie d’usage de l’IA en entreprise. Environ 200 entreprises, principalement des grands groupes, ont signé le Pacte IA, mais l’adhésion est ouverte aux entreprises de toute taille. A réfléchir pour des organisations qui utilisent de plus en plus l’IA, souhaitent mieux structurer leurs démarches et son usage.
Nouvel épisode de podcast avec OpenClassrooms
J’ai le plaisir de vous présenter le 44e épisode du podcast 100% entreprises à mission avec Audrey Yvert, head of impact and advocacy chez OpenClassrooms. C’est le 2e épisode de ma série spéciale sur les sociétés à mission dans le secteur de l’enseignement et de la formation.
L’échange est passionnant, car OpenClassrooms a pas mal de recul, étant société à mission depuis… avant la loi Pacte. Surtout, je trouve l’épisode très instructif sur la volonté de l’entreprise à établir des mesures d’impact simples mais puissantes et sur le rôle du comité de mission, central dans le fonctionnement de l’entreprise, puisque c’est lui qui fixe les objectifs qu’OpenClassrooms doit suivre.
L’épisode est disponible sur toutes les plateformes d’écoute. Il est chapitré, donc vous pouvez accéder facilement aux parties qui vous intéresse.
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😶🌫️ La Commission annonce la couleur sur les réglementations liées au développement durable
Vous avez probablement déjà lu le résumé des principales mesures proposées par la Commission européenne concernant la CSRD et la CSDDD. Positive Company en a fait un résumé digeste sur son blog. Pour les super fans, tous les documents sont accessibles ici.
Pour comprendre la philosophie derrière cette proposition de directive, voici l’exercice d’équilibriste de la Commission :
Cette proposition contient des dispositions visant à simplifier et rationaliser le cadre réglementaire afin de réduire la charge pesant sur les entreprises résultant de la CSRD et de la CSDDD, sans compromettre les objectifs politiques de ces législations, et d'assurer une mise en œuvre plus efficace et rentable de l’ambition globale du Green Deal européen en faveur d'une transition verte et juste.
Concrètement, que se passe-t-il désormais ? Vous verrez de nombreux commentaires sur LinkedIn ou autre rappelant que, pour le moment, rien ne change ; c’est une proposition. Certains espèrent même que le Parlement européen reverra les ambitions à la hausse.
Mon avis : si vous êtes dans une entreprise de moins de 1000 salariés, oubliez la CSRD et penchez-vous sur la VSME, jusqu’alors la version volontaire et simplifiée de la CSRD pour les PME non cotées.
Vu l’équilibre politique au Parlement et au Conseil, et le fait que cette ambition dérégulatoire est soutenue par tout ce qui est à la droite des partis de gauche, je ne crois pas à un revirement. Par ailleurs, la Commission a demandé une procédure accélérée, donc la confirmation interviendra dans les prochains mois.
C’est un important revers, car la RSE, plutôt que de se généraliser, reste volontaire pour l’immense majorité des entreprises. Toutefois, il est très probable que beaucoup d’ETI se lancent tout de même dans la production d’un rapport de durabilité en s’inspirant de la VSME. D’autant plus que dans le cadre de la CSDDD, les fournisseurs de rang 1 continueront d’être sollicités par leurs clients pour fournir des données extra-financières restreintes au périmètre de la VSME, même si ce reporting devrait être moins fréquent, puisque les audits n’auront plus lieu annuellement, mais tous les 5 ans.
Donc, pour toute PME et ETI, ne considérez pas que le chapitre CSRD est clos, mais a priori, ces annonces devraient tout de même libérer des énergies pour sortir la tête des data points.
🧠 Un peu de jus de crâne
Passionnant échange avec Alexandre Rambaud sur la comptabilité extra-financière sur le podcast No(s) limit(es)
A l’initiative de makesense, une consultation a été menée auprès d’entreprises françaises sur leur perception de la CSRD. Résultat principal : 80% des entreprises interrogées sont satisfaites de la CSRD et de son contenu.
Reportage d’Euronews à Villemer, bourgade française qui fait de la résistance face aux quelques exploitations pétrolières dans l’Hexagone
Frédéric Lenci, partner chez Octo Technology, ESN détenue à 100% par Accenture, s’est fendu d’une tribune très critique contre son actionnaire qui abandonne ses pratiques de DEI.
💡Plongée dans la double matérialité à l’international
Menacée un temps par la loi Omnibus, il semble que la double matérialité soit préservée dans la réglementation européenne. Tant mieux ! A ce sujet, la Chaire de recherche sur la double matérialité vient de sortir une publication très riche sur le sujet. Ce rapport propose une analyse critique et géopolitique de la Double matérialité.
Il cherche à comprendre ce concept infuse dans le monde de la comptabilité extra-financière, les forces de soutien et les opposants. Les auteurs proposent une analyse comparative de onze cadres normatifs internationaux dont les ESRS, les standards de l’ISSB, le CDP, ou l’ISO 14001.
Un des points clés des auteurs est de présenter la double matérialité comme “un objet frontière”, à savoir un concept flexible qui s’adapte en fonction des besoins mais qui présente des caractéristiques suffisamment communes pour que différents groupes puissent communiquer sur le sujet. Cela explique la raison pour laquelle la double matérialité reste un concept aux contours encore flous. Ce n’est que progressivement que l’objet-frontière peut amener à une plus forte standardisation, ce que l’Union européenne essaie de réaliser aujourd’hui avec la Double matérialité via les ESRS.
Les auteurs présentent cette vision géopolitique, car ils montrent, à raison, que les enjeux comptables sont des enjeux éminemment géopolitiques, car ils régissent le fonctionnement de l’économie. En cela, ils défendent l’importance de maintenir et de déployer davantage la double matérialité à l’échelle internationale face à d’autres notions, comme la matérialité simple (portée par l’ISSB aux Etats-Unis) et la matérialité dynamique.
C’est terminé pour cette semaine. Merci de votre lecture ! Je vous invite à commenter, à réagir en appuyant sur le ❤️ dans l’en-tête et à partager ce post. Merci beaucoup !
La société à mission est un sujet pour vous ?
En phase de réflexion sur la société à mission, sur la révision de votre mission actuelle, sur le pilotage et l’animation de votre mission, je suis à votre disposition pour creuser ces sujets. Vous pouvez me contacter par réponse à cet email si vous avez directement reçu cette missive, sinon par email si vous lisez depuis votre navigateur. Plus d’infos sur les différents parcours via mon site.
On se retrouve dans deux semaines,
Vivien.
suis très en phase avec ton edito !
Trump et l’Europe c'est un choc de cultures qui en dit long sur notre avenir
Trump exècre la régulation, la diplomatie prudente, les idéaux universalistes, les préoccupations environnementales. Bref, tout ce qui façonne l’Europe.
À ses yeux, notre continent est "faible", trop attaché aux compromis, là où lui valorise le rapport de force et la confrontation directe.
C’est un choc de cultures. Une incompréhension et une défiance quasi instinctive qui rend le dialogue difficile. Et qui explique pourquoi Trump se sent plus en phase avec des leaders comme Poutine, qui partagent cette vision du monde dominée par la puissance brute.
Alors, n’ayons aucune illusion sur les relations futures avec les États-Unis sous Trump.
L’Europe doit apprendre à exister par elle-même. Le moment est venu d’affirmer notre indépendance... et d'être encore plus fiers de ce que nous sommes et de ce qui fait notre différence.