#166 Est-ce grave ?
Léa Nature n'est plus société à mission; et aussi l'IA générative et l'énergie; le besoin d'agir après des intentions sur la RSE; les "green cadres"; et bien d'autres choses
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Je continue sur un petit peu d’auto-promo. Bpifrance m’a fait le plaisir de me tendre le micro pour le premier épisode de la deuxième saison de leur podcast “Parlons RSE”. L’épisode est dédié à… la société à mission. Forcément ! Même si on revient quand même aux fondamentaux, je voulais vraiment qu’on aille un peu au-delà du B-A-ba sur le sujet. Donc j’ai utilisé mon travail de terrain en accompagnement pour faire ressortir des bonnes pratiques et des écueils afin de rendre l’épisode intéressant, également pour des personnes déjà société à mission.
A écouter sur Apple Podcast, Spotify, Deezer, Audion ou toute autre plateforme de podcast.
L’auto-promo est presque terminée… mais passons au sommaire :
💭 Une ETI engagée quitte la société à mission, c’est grave ?
🧗 Pour montrer de vrais engagements, il faut agir vraiment
🪫 L’IA générative redistribue les cartes des engagements énergétiques de la tech
🏃➡️ Une initiative pour soutenir les clubs sportifs
🟩 Serait-on à l’aube de l’émergence d’une nouvelle classe, les green cadres ?
🧠 Un peu plus de jus de crâne : espérons que les Jeux paralympiques n’étaient pas une parenthèse enchantée ; la conditionnalité des aides publiques aux Ehpad et aux crèches ; coup de frein à la CSRD light volontaire pour les PME ; mais d’ailleurs quel avenir pour la CSRD ? ; humour grinçant sur la situation des climatologues ; un label pour les entreprises harmonieuses.
🎧 Mon son de la semaine : Chinese American Bear - Kids Go Down
Bonne lecture, à dévorer ou à picorer !
Je vous partage une découverte toute récente, Chinese American Bear, groupe sino-américain. Textes bilingues, pop super sweet, mélodies sucrées, une musique très bien sentie qui fait beaucoup du bien quand le ciel est gris.
A voir et écouter sur YouTube.
Dernière partie de l’auto-promo qui est aussi la base pour l’édito. Béatrice Héraud de Youmatter m’a sollicité pour un article sur le fait que Léa Nature avait décidé de retirer sa qualité de société à mission de ses statuts. Je profite donc de ce papier pour partager quelques réflexions suite à cette annonce - c’est une version un peu plus étoffé que mon post LinkedIn (n’hésitez pas à regarder les commentaires — il y a des contributions utiles).
Si une entreprise aussi engagée que Léa Nature sort du mouvement, est-ce grave ?
Ma réponse en bref : non.
En plus long…
Petit rappel juridique : c’est techniquement aussi simple de ne plus être société à mission que de le devenir. Il suffit juste d’une décision des actionnaires de changer les statuts et de retirer la qualité. C’est tout ! Il n’y a pas de médiatisation particulière si l’entreprise ne souhaite pas communiquer dessus. Léa Nature en est un exemple. La décision a été prise en fin d’année dernière et l’information n’est officiellement sortie que maintenant, mais sans forcément que ce soit organisé. Je ne sais pas si ou comment l’information a été partagée en interne.
Léa Nature n’est pas la seule à avoir pris cette décision, mais pour les quelques autres, ce sont plutôt de toutes petites structures, souvent des entreprises unipersonnelles, pour qui la gestion de la mission était difficile à supporter.
Mais, globalement, la qualité de société à mission n’est pas faite pour toutes les entreprises. Il faut savoir l’utiliser à bon escient, sinon cela est plus un “truc” dont on ne sait pas trop quoi faire.
Cela veut déjà dire en comprendre son sens. Cette qualité n’est pas un label RSE—je ne cesse de le répéter, mais la pédagogie c’est l’art de la répétition. Donc, si c’est la motivation première—ancrer une politique RSE dans les statuts—, forcément le chemin ne va pas être très pertinent pour le développement de l’entreprise. Etre une société à mission n’est pas juste faire un reporting annuel de ses actions dans le cadre d’un rapport et se faire auditer.
Cela en fait partie mais c’est loin d’en être son essence. D’ailleurs, soulignons la complémentarité possible entre la mission et des obligations réglementaires, comme la CSRD. Les deux ne répondent pas du tout aux mêmes ambitions et ne doivent pas être confondues, pas plus que sur la question des labels.
La qualité permet au début de s’interroger sur l’ambition de l’entreprise à long terme dans la société—en gros : à quoi sert mon entreprise pour vraiment améliorer notre société tout en générant du profit ? Elle vise également à structurer et prioriser les efforts et les actions afin d’éviter l’éparpillement, la dilution de moyens et d’améliorer la visibilité et la puissance des engagements.
Progressivement, elle sert aussi à se questionner sur sa trajectoire, ses activités et ses projets, à ne pas se compromettre au détriment d’une mission inscrite dans les statuts. Inévitablement, à un moment donné, cela porte sur le business model de l’entreprise.
La qualité ne doit toutefois pas rester à un niveau stratégique. Elle doit donner du sens, structurer des efforts, engager des envies, fédérer les équipes, générer des synergies et de nouvelles idées, améliorer l’état actuel de l’activité et d’accroître les effets positifs de l’entreprise dans et pour la société. Tous ces éléments peuvent co-exister ; ils reflètent la réalité de la société à mission : c’est un projet d’entreprise pour en assurer son développement et sa pérennité.
Donc si certaines organisations ne perçoivent pas tous ces effets potentiels ou ne se reconnaissent pas dans cette vision, ce n’est pas bien grave qu’elles décident de retirer la qualité. Cela ne les empêche pas de faire de bonnes choses par ailleurs. Les sociétés à mission n’ont pas le monopole du bon.
La profondeur de l’engagement d’une entreprise dans ses démarches de société à mission peut être variable, mais il est certain que plus le lien avec l’activité, le quotidien et le développement est ténu, moins cette qualité paraîtra essentielle.
C’est là qu’un effort pédagogique doit être approfondi. La mission est encore trop souvent perçue comme un accessoire dont on se préoccupe quand on a le temps, mais pas comme un atout stratégique et une nécessité pour l’avenir de la structure à moyen-long terme.
🧗 Quand on s’engage, il faut montrer que ça bouge
Dans le cadre de ma veille, je vois d’innombrables articles, communiqués de presse où les entreprises affirment vouloir soit améliorer leurs démarches RSE, soit renforcer les efforts existants. C’est un discours que j’entends beaucoup aussi. Disons qu’aujourd’hui, cela devient difficile pour une entreprise de ne pas “prendre à bras le corps” ces sujets, notamment en France. Donc contraints forcés, beaucoup se lancent.
Pour que la situation évolue réellement, je vois toutefois deux éléments récurrents que l’on retrouve dans le groupe Dupont Restauration comme le relate cet article dans Zepros :
Du sang neuf : soit par l’arrivée d’un nouveau dirigeant ou cadre dirigeant, ou la création d’un nouveau service qui amène à recruter des personnes disposant de compétences que l’entreprise n’avait pas. Ce n’est pas systématique, mais à périmètre et champ de compétences constants, pas évident de faire bouger les lignes. En l’occurrence chez Dupont Restauration, la dynamique s’est emballée avec l’arrivée de Guillaume Lecompte à la présidence du groupe, qui a créé un pôle culinaire conduisant au recrutement d’Alexandre Blondiaux.
Des initiatives concrètes : les discours ont un sillage assez court si des initiatives phares ne viennent pas leur donner de la consistance. Il est important de montrer comment des velléités en faveur de la RSE se traduisent concrètement par des projets, des initiatives etc. Chez Dupont Restauration, cela s’est notamment traduit par la sortie d’un fonds brun de bœuf 100 % clean, 100 % naturel sans aucun additif, faible en taux de sel, riche en viande à destination de la restauration collective (pour rappel, le fonds brun est réalisé à partir de restes et d’os).
🪫 Merci l’IA générative : quand le nucléaire fait de l’ombre aux énergies renouvelables
L’explosion de l’IA, et a fortiori de ses composantes génératives, crée des tensions fortes pour les entreprises de la tech. D’un côté, elles sont dans une course effrénée pour prendre des parts de marché sur un segment dont le potentiel est énorme ! Les gros acteurs (notamment Google, Microsoft et Amazon) ne veulent pas rater le coche. De l’autre, elles ont pris des engagements de “neutralité carbone” il y a quelques années qui sont désormais impossibles à tenir avec des solutions très énergivores.
Quoi faire ? 1. Revoir les ambitions à la baisse en termes d’échéance. Pas évident, mais possible que Google soit obligé de renoncer à son objectif Net Zero d’ici 2030… 2. Multiplier les investissements de compensation carbone ou de projets de puits de carbone et autres techniques. Microsoft a signé ces dernières années de nombreux contrats avec des start-ups dans le secteur de la captation de CO2. Le dernier date d’aujourd’hui. 3. Investir dans des centrales nucléaires. Oui carrément ! Microsoft a signé un contrat pour rouvrir une centrale nucléaire en Pennsylvanie. Google et Amazon se penchent sur le sujet des mini-réacteurs. Ils ont tellement besoin d’énergie — de préférence non carbonée — que les énergies renouvelables ne pas assez fiables pour ces entreprises.
Tout ça aussi pour rappeler que les projets d’IA, et encore plus d’IA générative, qui pullulent en entreprise, parce que c’est à la mode et qu’il doit forcément y avoir un intérêt si tout le monde en parle, doivent être élaborés de manière responsable, parce qu’ils ont un impact physique qu’on ne peut pas négliger.
Quelqu’un a eu la bonne idée de vous transférer cette missive ? Déjà merci à cette personne !
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🏃➡️ Une initiative pour soutenir les clubs sportifs amateurs
Nous sommes dans une situation paradoxale. Les Jeux ont eu un effet très positif sur les adhésions à des clubs sportifs. Bonne nouvelle ! Mais double mauvaise nouvelle, cela entraîne souvent des coûts d’augmentation de place, d’infrastructures, d’encadrement etc. que les clubs ne peuvent pas forcément assumer, donc ils sont obligés de bloquer le nombre de nouvelles adhésion. Deuxième mauvaise nouvelle, il y a de fortes chances que le budget de l’Etat dédié au sport soit raboté, ce qui se fera ressentir sur les clubs.
J’évoquais il y a quelques semaines les liens à cultiver entre sport et entreprise. A ce sujet, la Fondation du Sport Français a lancé l’initiative Soutiens ton club, une plateforme de mécénat participatif pour soutenir les clubs locaux. C’est le moment d’agir !
Un peu de jus de crâne
Timothée Adolphe, qui nous a fait vibrer et pleurer en athlétisme aux Jeux paralympiques, explique dans une tribune à Usbek & Rica que ces Jeux ne doivent pas être une parenthèse et que pour cela il faut que l’accessibilité soit pensée dès la conception dans les innovations technologiques.
Pascal Demurger appelle à une conditionnalité des financements publics pour les Ehpad et les crèches (j’ai le texte complet si vous voulez).
Dans un post LinkedIn, le cabinet d’experts comptables Quovive (accessoirement, c’est le mien) explique les dernières évolutions sur la VSME ESRS, à savoir la possibilité pour des PME non concernées par la CSRD de se mettre volontairement dans un système adapté à leur taille d’entreprise.
Si ça vous a échappé, Michel Barnier se joint à d’autres leaders européens ou fédérations d’entreprises dans un questionnement sur le report de réglementations européennes, comme la CSRD et le droit de vigilance européen. Explications dans Novethic (média pour le moment sauvé de la fermeture).
Petite touche d’humour avec une vidéo d’Adam Kay, réalisateur de Don’t Look Up, qui s’insère dans une scène de Game Of Thrones pour parler du peu de considération que reçoivent les climatologues. C’est tristement drôle !
Le collectif de consultants B Harmonist spécialisé dans la culture d’entreprise (et dont je fais partie), vient de lancer le label Harmony Inside qui vise à distinguer les entreprises authentiques et alignées autour d'une culture forte et d’une stratégie claire. Plus d’infos ici.
🟩 Les “green cadres”, une nouvelle classe ?
Dans une tribune pour Le Point, Denis Maillard évoque l’émergence des “green cadres”, une classe “écolo-managériale”, dans les entreprises.
Selon lui, ces salariés en poste d’encadrement ne sont souvent ni politisés militants associatifs. Ils ont en revanche compris “leur rôle dans la bifurcation ou la continuation du système économique”, écrit l’auteur. La prise de conscience peut varier, mais prendra souvent racine suite à des sensibilisations auprès de grandes figures du monde écologiste, comme Jean-Marc Jancovici, Cyril Dion ou Camille Etienne.
Pour ces personnes, l’entreprise se présente donc comme un terrain d’activité de leur engagement écologique, d’autant plus que beaucoup se joue dans la sphère économique et que les organisations ont de grandes marges de progression. On voit donc foisonner des initiatives de type afterwork ou déjeuners thématiques sur les enjeux écologiques. Même s’il n’y a pas d’homogénéité dans cette “classe”, des groupes se sont formés pour partager les bonnes pratiques entre salariés engagés, tels que “Les Collectifs”.
L’auteur remarque que toutes ses initiatives interagissent assez peu avec les ONG écologistes. C’est vraiment une dynamique à part, propre au monde de l’entreprise.
Je n’avais jamais conscientisé la chose de la sorte, mais c’est vrai que ces cadres (on pourrait élargir le périmètre) bousculent souvent les lignes en interne, demandent plus d’actions, plus d’engagements. Ce n’est souvent pas facile à gérer, parce que la direction est moins volontariste, que beaucoup de collègues les voient presque comme des zélotes (une réaction naturelle de la peur du changement). Mais, je partage le constat de Denis Maillard sur l’émergence de cette classe, certes hétérogène mais de plus en plus assertive dans les entreprises. Et forcément ils deviennent difficiles à ignorer.
C’est terminé pour aujourd’hui. Si cette missive vous a plu, je vous invite à appuyer sur le ❤️. Cela m’encourage !
Dans deux semaines, exceptionnellement, la missive sortira le vendredi, car je serai au salon Produrable à Paris les mercredi et jeudi.
Vous voulez que l’on travaille ensemble ?
Si vous souhaitez bénéficier d’un accompagnement pour devenir société à mission, pour challenger votre raison d’être et vos objectifs, ou pour bien piloter le déploiement opérationnel de votre mission, vous pouvez me contacter par réponse à cet email si vous avez directement reçu cette missive, sinon par email si vous lisez depuis votre navigateur. Plus d’infos sur les différents parcours sur mon site.
A dans deux semaines,
Vivien.
merci Vivien d'avoir mentionné le lancement du label Harmony inside, certifiant l'authenticité des entreprises !!