#157 La progression encourageante et insatisfaisante des sociétés à mission
Mon analyse sur les derniers chiffres; aussi les jeux en location; la RSE et la rémunération; une offre 360; les Français et la semaine de 4 jours et bien d'autres choses
Chères lectrices, chers lecteurs,
Bienvenue dans la 157e missive de votre newsletter dédiée aux responsabilités d’entreprise. Je vais notamment vous proposer ma lecture des dernières données sorties sur l’état des lieux de la société à mission en France, mais pas que ! Voici le sommaire :
💭 Quel est l’état des lieux des sociétés à mission ? Mon analyse sur les derniers chiffres. En gros : encourageant mais insatisfaisant !
👐 L’ESN Octo lance une offre globale pour que tout parte de la sustainability
🎲 Janod se lance dans la location de jeux pour enfants
📆 Les Français soutiennent largement la semaine de 4 jours
🧠 Un peu plus de jus de crâne avec l’Anthropocène déjà dans nos têtes même s’il n’est pas reconnu, les dessous de la fripe et de la seconde main, le succès de la Chine dans les panneaux photovoltaïques et la guerre des terres entre la truffe et le vin
🎧 Mon son de la semaine : ДТВ - un de leurs morceaux mais impossible de faire un copier-coller…
Bonne lecture à dévorer ou à picorer !
Cette semaine, je vous emmène en Ukraine avec ДТВ (prononcez DTV). Je ne sais rien de ce groupe, à part que ce titre m’a fait fort effet ! Il y a ce côté urgent, à l’arrache, enregistré on ne sait pas trop où que j’aime beaucoup. C’est sans filtre, un indie rock de passion dans un contexte forcément compliqué. Vive la musique !
Mardi matin, la Communauté des entreprises à mission publiait le nouveau baromètre de l’Observatoire des sociétés à mission. Toujours utile de faire cet état des lieux ! Que retenir ?
Au 31 décembre 2023, nous comptions 1490 sociétés à mission. Je vous disais la semaine dernière que le cap des 1500 avait été franchi, mais vous l’aurez deviné, cela a été officialisé sur les premiers mois de 2024.
C’est une augmentation de 34% par rapport à la fin 2022. On peut tourner la chose dans tous les sens : c’est une croissance encourageante, mais insatisfaisante. Croyez bien que vu mon positionnement sur le sujet, je ne prends aucun plaisir à arriver à cette conclusion. Tentons quelques pistes d’explication :
La qualité de société à mission reste trop méconnue : il y a toujours un déficit de notoriété.
Premier point, le cadre n’est pas du tout porté politiquement. A titre d’illustrations, les dernières mentions publiques de l’entreprise à mission par des ministres de Bercy (c’est un peu le “ministère de tutelle”) remontent à 2022 (j’exclus évidemment les prises de parole dans le cadre d’événements de la Communauté des entreprises à mission)…
Elle est parfois mentionnée dans d’autres dossiers, mais la loi Bien Vieillir risque de créer un triste précédent. Suite à un amendement, il était mentionné que les Ehpad à but lucratif devaient respecter “les conditions relatives à la qualité de société à mission”, ce que certains ont considéré comme une manière de les obliger à adopter la qualité. Cet amendement n’a pas duré longtemps, voté à l’Assemblée nationale et rayé sans bruit au Sénat.
Je pense que le milieu politique ne s’est jamais vraiment saisi du sujet même si c’est un élément de la loi.
Deuxièmement, les sociétés à mission ne prennent pas suffisamment la parole. Dans ma veille, je remarque une hausse impressionnante du nombre d’offres d’emploi qui mentionnent la société à mission, sans expliquer ce que c’est. En revanche, c’est bien plus rare que des articles de presse, voire des interviews creusent ce sujet. La faute aux journalistes qui ne posent pas la question “Vous êtes société à mission. Qu’est-ce que c’est et qu’est-ce que ça a changé pour vous ?”, aux entreprises qui n’intègrent pas la société à mission dans leur communication ? Je note que c’est plutôt du côté des podcasts qu’on trouve des entreprises à mission. C’est bien, mais cela reste un medium assez confidentiel.
Le résultat est que le pair à pair fonctionne mal, voire peut amener à la conclusion chez certains que ça ne sert finalement pas à grand chose…
Certains pourraient également dire : on manque de grands noms. Peut-être, mais cela serait-il forcément bénéfique ? Pas si sûr. On manque surtout d’émulation. L’effet de groupe n’existe pas assez. Aujourd’hui, trop peu de sociétés à mission ont l’impression de participer à un mouvement collectif.
Il y a eu un ralentissement du nombre de sociétés nativement à mission. Il faut savoir que 45% des sociétés à mission ont été créés après 2020, donc nombre d’entre elles le sont depuis le début. Le baromètre indique qu’elles représentaient 36% des nouvelles venues en 2022 contre 24% cette année. Structurellement, il y a eu moins de création d’entreprises en 2023 que l’année précédente, mais il est également possible que le peu de médiatisation de la société à mission depuis quelques années se traduise par une méconnaissance des porteurs de projet. Autre possibilité, un effet d’expérience commence à se former et le passage en société à mission se fait un peu moins au début du projet, davantage après quelques années d’existence.
On rentre dans le dur. Il y a une combinaison de plusieurs facteurs : l’engouement des premières années est passé, les early adopters ont déjà franchi le pas, on a plus de recul sur le fait qu’une mission nécessite de prendre son temps, on touche davantage des entreprises déjà établies et/ou plus grandes pour qui le processus de formalisation de la mission est plus long parce que plus structurant. Donc, tout est plus lent, requiert plus d’investissement de temps, plus d’efforts de conviction etc.
Le contexte politico-économique est peu favorable. L’inflation fait mal aux entreprises ; beaucoup se recentrent sur leurs fondamentaux. La société à mission n’en fait pas partie. Le contexte politique et géopolitique est jonché de conflits, de guerres, d’oppositions. L’ouverture à de nouvelles idées est plus perçue comme un risque que comme une opportunité.
Par ailleurs, par manque de recul (et donc d’analyses), il n’est pas possible d’affirmer qu’être société à mission augmente la résilience des entreprises en période d’incertitudes.
Parmi les autres enseignements, regardons les aspects positifs :
La dynamique de la société à mission est présente partout sur le territoire : cette tendance se confirme par rapport à l’an dernier. C’est une bonne nouvelle, car cela montre qu’une diffusion plus large au niveau national est possible. Le terreau est fertile. Certaines régions semblent même engager dans des dynamiques très positives, comme le Centre Val de Loire, les Hauts de France et Provence-Alpes-Côte-d’Azur dont la croissance en 2023 est bien supérieure à la moyenne nationale. De l’autre côté du spectre, l’engouement occitan, breton et en Auvergne-Rhône-Alpes se tarit.
Les plus grandes entreprises se saisissent de la qualité. La barre des 100 ETI à mission a été franchie (sur un peu plus de 6000 en France). Je le constate aussi à mon niveau dans ma veille et dans les entreprises que j’accompagne : on change d’échelle. C’est une dynamique positive, car les ETI ont souvent un bon rayonnement local qui peut servir la cause de la société à mission. Du côté des grandes entreprises, on reste sur l’épiphénomène, mais c’est forcément beaucoup plus long et il y en a moins.
Le rapport à la labellisation donne quelques enseignements intéressants. 10% des entreprises à mission ont un label RSE généraliste : 99 B Corp, 31 Lucie, 13 Positive Company et 7 Engagé RSE. Ce qui est frappant, c’est la connivence entre B Corp et société à mission. Certes, on doit rajouter des phrases spécifiques dans ses statuts et on gagne des points en ayant une raison d’être, mais cela n’amène pas forcément jusqu’à la mission. Or, aujourd’hui, un labellisé sur 4 en France est entreprise à mission !
Je constate effectivement que le sujet du label B Corp est fréquemment abordé par les sociétés à mission, mais je n’imaginais pas que c’était dans ces proportions !
Au global, ce baromètre vient illustrer un point que j’ai déjà partagé précédemment : nous sommes au premier carrefour pour la société à mission. Soit, cette qualité juridique reste cantonnée aux happy few, soit elle prend un nouvel essor, ce qui passera par plus de communication de la part de tous les acteurs motivés par ce cadre, par les bénéfices qu’il apporte, ainsi que par les améliorations possibles pour le rendre plus robuste, plus attirant, presque plus indispensable pour toute entreprise responsable ou qui veut le devenir davantage.
👐 Adopter une offre globale pour faire tout bouger
OCTO Technology est un ESN qui est connue pour beaucoup réfléchir à son organisation et à son offre. Je vous renvoie notamment à l’entretien que j’ai fait avec Dominique Buinier, jusqu’à peu COO et directrice du développement durable de l’entreprise.
Ces réflexions ont amené l’entreprise à explorer de nombreuses voies. Aujourd’hui, un nouveau chapitre avec “O by OCTO” qui s’accompagne d’un manifeste écrit par l’équipe et qui retrace l’évolution de la pensée de l’entreprise pour mettre la “sustainability” au cœur de tout.
Frédéric Lenci, partner chez OCTO, esquisse les contours de cette nouvelle offre. C’est une vision très globale qui touche évidemment les aspects assez évidents du numérique responsable (éco-conception, mise en conformité, accessibilité), mais également sur les aspects stratégique (“la stratégie digitale au service de la sustainability et pas l’inverse”), la mesure par la data en cherchant s’insérer dans les sujets de CSRD, mais aussi sur des sujets plus étonnant comme la préparation des organisations aux risques environnementaux et géopolitiques, et la refonte de business models avec la primeur à l’économie de la fonctionnalité.
Une centaine de personnes sont formées en interne pour pouvoir répondre à ces différents enjeux. Connaissant un tout petit peu la structure, je ne doute pas de l’énergie qui sera mise en œuvre pour la réussite de cette activité. Ce que je trouve fort, c’est vraiment cette vision très globale, potentiellement très transformante ! Octo va sortir de sa zone de confort, mais n’est-ce pas ce dont on a parfois besoin pour être alignés avec sa vision ?
🫰 Ca devient sérieux quand on touche à la rémunération
La Deutsche Bank a annoncé qu’elle allait modifier les conditions de ses Incentives de Long Terme (LTIP) pour le COMEX afin d’y intégrer davantage des enjeux sociaux et environnementaux.
Les aspects RSE correspondent désormais au tiers des LTIP, ce qui est dans la moyenne très haute. L’objectif de la banque a été d’adopter un système simple autour de quelques indicateurs clés pour éviter une trop grande complexité, sujette à plus de subjectivité. Sur les aspects environnementaux, l’indicateur est plutôt simple, puisqu’il se focalise sur les émissions carbone en s’appuyant sur la trajectoire de neutralité carbone de l’entreprise. Sur les aspects sociaux, cela concernera la diversité entre hommes et femmes à des postes de responsabilité (soit 35% d’ici 2025). Sur les aspects de gouvernance, on est sur des aspects assez classiques de KYI, de lutte contre le blanchiment d’argent et de gestion des risques.
Mon avis : cette pratique est de plus en plus fréquente dans les grands groupes. Selon une récente étude de PwC sur la France, 88% des groupes du CAC 40 intègrent des enjeux de RSE dans la rémunération des directeurs allant en général de 10 à 30% du total. Avec l’arrivée de la CSRD, on peut estimer que cela va se généraliser encore davantage au-delà des entreprises cotées. En effet, dans le non-coté, ce type de pratique est plus sporadique.
Pourtant, on sait que quand on touche au portefeuille, soudainement, on trouve du temps, des financements et de l’intérêt. Ce n’est pas forcément adapté à toutes les entreprises, mais c’est un dispositif à envisager dans pas mal de cas.
Si vous avez des retours sur ces sujets, je serais intéressé d’échanger avec vous, totalement informellement bien sûr. Vous n’avez qu’à répondre à ce message.
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🎲 La location s’installe aussi dans les jeux pour enfants
Le groupe Juratoys, via sa marque Janod, a fait part de son partenariat avec la plateforme Lib&Lou, rapporte La Voix du Jura, pour proposer des jeux pour enfants sur abonnement.
La marque avait déjà mis en location une centaine de jeux et va ajouter une quarantaine de nouvelles références. L’objectif est d’aller vers l’économie circulaire et dans un premier temps de mieux comprendre les usages et l’usure pour prendre des actions en matière de durabilité des jeux.
Mon avis : l’économie de la fonctionnalité a de beaux jours devant elle, mais ce n’est pas simple à mettre en place. C’est vraiment un nouveau business model de bout en bout et c’est exigeant parce que personne n’est habituée à cette approche, en interne, chez les clients, chez les fournisseurs et chez les partenaires (les banques par exemple). Donc, cela se prépare sur une gamme, une marque ou un produit pour apprendre à risques mesurés. Mais, il est évident que cela va toucher presque tous les secteurs à terme.
🧠 Un peu de jus de crâne
Vous avez peut-être que les géologues avaient décidé de rejeter l’idée que nous étions dans l’Anthropocène. Soit, mais comme le remarque très justement Kevin Collins dans une tribune pour The Conversation, s’il n’existe peut-être pas les preuves scientifiques suffisantes pour parler de l’Anthropocène, il est déjà dans nos esprits.
La Chine est de très loin la première productrice de panneaux photovoltaïques, mais comment l’expliquer au-delà d’avoir la matière première ? Fascinant reportage dans le New York Times sur le sujet.
Aurélia Carré pose la question : une communication responsable rend-elle une marque moins désirable ? Spoiler : non, mais là n’est pas l’intérêt de l’article. C’est plutôt dans les exemples qu’elle donne et les conseils qu’elle prodigue à la fin.
Plongée révélatrice dans l’univers de la fripe et la seconde main avec la sociologue Emmanuelle Durand dans un long entretien pour Usbek & Rica.
Le changement climatique est en train de créer un conflit de terres entre la truffe blanche et le vin en Italie explique Euronews !
📆 Les Français et la semaine de 4 jours
Un sondage Ifop pour Politis illustre une très forte adhésion des Français à la semaine de quatre jours, sur le principe d’une semaine de 32h sur quatre jours payée 35h.
70% des Français y seraient favorables (on monte à 77% chez les actifs). Toutefois, il y a des différences assez marquées. Entre hommes et femmes par exemple. Ces dernières soutiennent plus cette démarche que les hommes, respectivement à 73% et 67% (c’est encore plus flagrant chez les actifs). Pas surprenant si ce n’est que ça reflète de nouveau les rôles “traditionnels” dans la famille…
Entre les générations ensuite. Les moins de 35 ans adhèrent à 84% quand on tombe à 65% pour les autres (c’est surtout les plus de 65 ans qui font baisser ; ils ne sont que 49% à adhérer au principe).
Entre CSP. Les CSP+ sont moins favorables à la semaine de 4 jours (71% tout de même) contre 80% pour les catégories populaires. Côté dirigeants, intéressant de noter que 72% sont réceptifs à l’idée, même s’il y a une majorité qui est plutôt favorable.
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A la semaine prochaine,
Vivien.
la progression du nb d'entr à mission est effectivement un peu décevante !
tout à fait d'accord sur la conjoncture peu favorable qui amène les entr à être plutôt dans le temps court, plus que dans le temps long
pas vraiment d'accord sur "pas possible d’affirmer qu’être société à mission augmente la résilience des entreprises en période d’incertitudes.". Avoir du sens augmente forcément la résilience, la mission et plus globalement la culture d'entreprise, qui est le système immunitaire de l'entreprise !