"La force du collectif, c'est révélateur de qui nous sommes" (Dominique Buinier, Octo)
Entretien d'avril: Dominique Buinier, COO d'Octo Technology, nous parle de culture d'entreprise, de numérique responsable, de raison d'être, de B Corp et de la force du collectif
Bonjour,
Nous sommes toujours en avril, donc il n’est pas trop tard, même si certains d’entre vous liront cet entretien en mai… Octo est une ESN réputée sur le marché et bien connue pour avoir énormément travaillé sa culture d’entreprise depuis sa création en 1998. A tel point qu’un ouvrage va d’ailleurs sortir fin mai sur le sujet signé par Ludovic Cinquin, PDG d’Octo : Devenir une entreprise agile. Les leçons de 20 ans de transformation. Octo, c’est aujourd’hui une entreprise de 750 collaborateurs qui a rejoint le groupe Accenture en 2017.
Dominique Buinier en est sa directrice des opérations. Une “historique” d’Octo, puisqu’elle y travaille depuis un peu plus de 20 ans. Dans cet entretien riche et passionnant, elle nous livre une vision imbibée d’intelligence collective sur la culture d’entreprise d’Octo, les obstacles qu’il a fallu surmonter pour franchir certains caps de taille d’entreprise, l’importance d’être curieux et de lire, les claques qu’on se prend après son premier bilan carbone, les projets d’Octo en matière de numérique responsable, de B Corp et de raison d’être.
Je vous recommande vraiment de tout lire, relire, de prendre des notes, de vous interroger sur ce qui pourrait être utile pour votre entreprise et pour vos clients. Et surtout de partager cet entretien. Le témoignage de Dominique mérite d’être lu par le plus grand nombre. Il est tellement “insightful” comme dirait les Anglais.
L’ouvrage Devenir une entreprise agile revient sur 20 ans d’expériences d’Octo sur le sujet. Mais, alors qu’est-ce que c’est qu’une entreprise agile pour Octo ?
Une entreprise agile, c’est une entreprise qui se transforme facilement quand c’est nécessaire. C’est vraiment cette logique de transformation, qui est même constante. Chez Octo, on a un motto : There is a better way. L’amélioration continue. Dans toute l’histoire d’Octo, il y a eu des moments forts où la transformation a été un peu plus importante, mais on est tout le temps en amélioration.
Une des particularités de l’agile, c’est quand on construit un produit, par exemple, un produit logiciel, on travaille en itératif et en incrémental.
En agile, il y a également cette notion de boucle de rétroaction, c’est-à-dire qu’à la fin d’une itération de 15 jours, on fait une rétrospective. On regarde ce qui a marché et ce qui n’a pas marché et ce qu’on pourrait faire différemment. C’est dans l’ADN d’Octo depuis le début, cette nécessité d’objectiver les choses et de les améliorer.
Dans l’entreprise agile, il y a aussi la notion très forte de collaboration, de communication, de partage et le fait de trouver collectivement les solutions.
Et enfin, il y a l’obsession de la mesure. On n’est pas dans « je pense que », « j’imagine que ». Quand on prend des décisions, la plupart du temps, on fait en sorte qu’elles soient objectivées par une analyse, par de la data, par un indicateur qu’on veut améliorer.
Ce sont tous ces ingrédients qu’on retrouve dans le numérique agile : des petits pas, de l’expérimentation, de la data, du partage, de l’intelligence collective et cette notion de malléabilité.
Vous êtes chez Octo depuis un peu plus de 20 ans. Comment s’est passée la transformation culturelle au fur et à mesure des années ?
Très sincèrement, je pense qu’il n’y a pas eu d’évolution culturelle, ou vraiment à la marge, c’est-à-dire que la culture d’Octo existe depuis le démarrage. C’est facile à faire quand on est une petite start-up, quand on n’est pas nombreux. Facile à faire, mais on sait qu’il peut y avoir aussi des start-ups qui partent complètement à l’inverse. Mais cette culture du partage, de l’envie d’améliorer, du collectif, est présente depuis le début. Notre enjeu, en grandissant, a été de conserver cet ADN. En grandissant, il faut mettre du management, de l’organisation, un peu plus de process.
Donc, comment maintient-on ce même ADN en grossissant ?
En surveillant le lait sur le feu. C’est l’image que j’ai en tête. On a eu des caps, avec une première alerte au passage des 50. Ensuite, on a eu la deuxième alerte au passage des 150. On avait des collaborateurs qui ne comprenaient pas pourquoi on devait grandir. Ces personnes sont parties parce qu’elles ne s’inscrivaient pas dans ce parcours. Elles n’imaginaient pas qu’on pourrait arriver à grandir tout en restant un petit peu comment on était avant. Donc ça veut dire qu’à chaque fois, on a eu les alertes des personnes. Cela nous a permis d’être plus vigilants.
Pour nous, il était beaucoup plus important de clarifier la vision, nos valeurs, nos modes de fonctionnement pour que les gens utilisent leur tête, leur intelligence, leur bon sens pour faire les choses et non pas obéissent simplement à un process.
Parmi les « historiques » d’Octo, on venait tous de grosses boîtes. Moi, j’ai bossé 10 ans chez IBM. François [Hisquin, co-fondateur qui a quitté Octo lors du rachat NDLR] était chez Atos. On avait vécu la lourdeur d’une bureaucratie et de process. D’où l’obsession de mettre le juste niveau de process. Globalement, si on avait un doute, on ne le faisait pas. On retardait à chaque fois le principe de mettre des process.
Pour nous, il était beaucoup plus important de clarifier la vision, nos valeurs, nos modes de fonctionnement pour que les gens utilisent leur tête, leur intelligence, leur bon sens pour faire les choses et non pas obéissent simplement à un process. Après, il y a des moments où il faut écrire les choses.
Il y a aussi quelque chose qui est important pour nous. On lit beaucoup chez Octo et on a été assez impressionné par un certain nombre de bouquins et entre autres, Liberté & cie d’Isaac Getz. Quelque chose nous a marqué dans ce livre : on ne manage pas pour les 3 %.
C’est-à-dire ?
Je vais prendre un exemple pour l’illustrer. C’est arrivé au début de l’histoire d’Octo. Quelqu’un a grugé sur des notes de frais. Il a passé des trucs perso. On s’en est rendu compte parce que beaucoup de choses sont transparentes. Plutôt que de mettre un process, un truc contrôlant où le manager valide la note de frais, on s’est dit qu’un cas isolé avait bogué et que tout fonctionnait vraiment bien pour tous les autres collaborateurs. Pour nous, il était hors de question de rigidifier le système pour une personne qui fait partie des 3 % qui font déconner le système. On l’a pris entre quatre yeux, on lui a fait un feed-back, on a trouvé la solution avec lui. Donc on l’a adressé d’un point de vue managérial et pas d’un point de vue process.
Quand on a ce réflexe-là, on pose les bases de l’agilité. Il y a une autre chose qui est la transparence. C’est-à-dire que dès le début, chez Octo, on avait aussi cette conscience que plus on expose les choses, plus on va provoquer des comportements vertueux.
Dans notre métier de service, les gens doivent pointer leur temps, leurs notes de frais etc. N’importe quelle personne chez Octo est capable de voir ce qu’on a vendu à quel client, à quel prix, à quel prix telle ou telle personne a été positionnée. Le système est ouvert. Avec un tel système, il y a une sorte d’intelligence collective qui va vraiment dans le bon sens. La transparence est clé dans notre boîte.
Comment ces sujets ont-ils influencé vos méthodes de recrutement ?
Il y a quelques éléments qui sont très importants pour nous dans le recrutement. La première chose, c’est la curiosité. C’est le moteur de notre boîte. Les gens sont curieux et viennent avec plein d’idées. Donc, cette curiosité va attirer derrière l’autonomie, la proactivité et l’engagement. A l’époque où je faisais passer beaucoup d’entretiens, il y a quelques questions que je posais toujours : « comment est-ce que vous vous nourrissez ? Comment est-ce que vous progressez ? Comment est-ce que vous vous intéressez ? ».
La curiosité le moteur de notre boîte. Les gens sont curieux et viennent avec plein d’idées. Cette curiosité va attirer derrière l’autonomie, la proactivité et l’engagement.
La deuxième chose qu’on valide, c’est le comportement. Est-ce que les gens sont plutôt dans un mindset de partage, de construction collective où vont-ils être très « perso » ? C'est très important.
On s'est plantés dans certains recrutements. Ce n’est pas une science exacte, c'est sûr. Dans ce cas, soit la personne se rend compte qu'elle n'a pas sa place, qu'elle n'est pas heureuse parce que ce n'est pas sa culture, et part d'elle-même, soit le collectif la rejette – ça nous est déjà arrivé.
Ces situations nous ont fait grandir chez Octo. Je vous donne un exemple qui m’a marqué. On devait exister depuis huit-neuf ans. On avait un collaborateur très expert dans son domaine, vraiment une référence, mais une diva, quelqu'un d'insupportable dans le collectif. On a décidé de le sortir. Ça a été une décision courageuse parce que franchement, il était bien meilleur que le reste de l'équipe. Mais en faisant ça, on a renvoyé le message que le collectif, pour nous, prime par rapport à une posture égocentrée. Et ça a donné de l'espace à toute son équipe qui s'est libérée et qui s'est réarticulée. Là où il y avait de l'expertise dans une seule personne, ça s'est réparti en plusieurs personnes et ça a grossi.
Cette première décision a été super compliquée à prendre et après, on s'est rendu compte que c'était plutôt bénéfique. Cela nous a donné la force quand c’était nécessaire de nous séparer de ces personnes que l'on trouve toxiques et potentiellement destructrices de notre de notre culture.
Au sein d’Octo, vous pratiquez la sociocratie. Qu’est-ce que c’est ?
La sociocratie est un modèle d’organisation qui implique une gouvernance beaucoup plus partagée et distribuée par rapport à d'autres modèles. C'est un fonctionnement par cercles. Chaque cercle est un ensemble de personnes qui ont un périmètre et des missions bien déterminés, au sens fonctionnel du terme.
On a par exemple un cercle qui s'appelle le cercle des corporate fonctions, que je connais bien, puisque j’en fais partie en tant que directrice des opérations. Il y a également la DRH, le DSI, le responsable com interne, la DAF et la responsable des services généraux. Ce cercle va travailler collectivement pour que l’entreprise fonctionne bien au niveau des core fonctions.
Au-dessus de tous les cercles, vous avez ce qu'on appelle un cercle général qu'on pourrait comparer à un comex et dans lequel on retrouve le DG. Ce qui est assez puissant, c'est qu’il a défini quelqu'un qui allait le représenter dans chacun de ces cercles fonctionnels sous-jacents. Donc, par exemple, il m'a nommé, en tant que COO, son représentant dans le cercle corporate. C'est ce qu'on appelle le lien descendant. Et ensuite, chacun des cercles a nommé quelqu'un pour représenter le cercle au niveau du cercle général.
Ce qui fait qu'entre ce Comex, ce cercle général et chaque cercle fonctionnel, vous avez un double lien, qui a énormément d'avantages parce qu’on va communiquer différemment, rajouter de l'intelligence collective, prendre des décisions beaucoup plus éclairées en faisant du top-down et du bottom-up.
Ensuite, la sociocratie vient avec des protocoles particuliers. Par exemple, la prise de décision se fait par consentement. Quand vous voulez prendre une décision, vous faites votre proposition et vous demandez : « Est-ce qu'il y a une objection ? ». Si la personne n'a pas d'objection, la décision est prise. Avoir une objection, ça veut dire être capable d’expliquer pourquoi on ne peut pas vivre avec cette décision. Cela permet de couper court à plein de petits débats.
Donc, c'est toute une gamme d'outils qui régissent la gouvernance d'entreprise. On a gagné en fluidité de prise de décision et en lisibilité. On est en train de passer à l'étape d'après. Dans nos équipes, il y a un certain nombre de tribus qui ont décidé d’elles-mêmes de s'organiser aussi en cercles. On voulait déjà tester au niveau direction, voir si cela nous apportait quelque chose. Maintenant, on va partir dans une phase de déploiement où on va accompagner les équipes qui ont envie d'aller plus loin.
Au sein d’Octo, vous avez travaillé deux fois vos valeurs. Une première fois où l’exercice semblait assez convenu et un second beaucoup plus fondateur. Comment l’expliquer ?
La première explication, c’est qu’on en avait marre de voir chez nos clients les valeurs affichées sur des beaux posters qui n'étaient absolument pas incarnées. Cela ne nous convenait pas. On s’est dit que si on choisit des valeurs, il faut qu’on soit congruent et qu’elles nous représentent. On a donc fait ce travail d’introspection pour faire émerger ce qui est important pour nous.
Travailler sur le why a été fondateur pour passer le cap des 150.
Cela nous a effectivement poussé à revisiter le premier travail qu’on avait fait. Ensuite, on a eu des périodes de doutes en grossissant. J’ai parlé du cap des 50 et des 150. C’est un cap assez documenté parce que 150, c’est la taille d’une tribu au sens tribal, pas au sens tribu d’Octo. Jusque-là, les gens se connaissent, peuvent se croiser dans la rue, s’appeler par leur prénom etc. On a patiné, c’est-à-dire qu'on a eu pas mal de démissions à un moment donné où la croissance était compliquée. On a dû bien mettre deux ans à passer ce cap de 150 parce que les gens ne s’y retrouvaient plus.
On s’est réinterrogé : « Quel est notre why ? » C’est-à-dire qu’est-ce qui fait qu’on est ensemble et qu’on a envie de bosser ensemble. On a pris le modèle de Simon Sinek, qui porte d’abord sur le why, puis, par extension, on est allé sur le what et après sur le how. Mais travailler sur le why a été fondateur pour passer le cap des 150.
Et maintenant vous travaillez sur votre raison d’être.
On a commencé il y a un an. Notre why commençait à dater. On s’est rendu compte qu’il ne nous représentait plus complètement. On a associé pas mal d’Octos et globalement, notre raison d’être va remplacer notre why.
Comment vous y êtes-vous pris ?
C’est un travail qu’on a co-leadé, la directrice marketing et moi. Au début, on a beaucoup regardé, on a fait un travail de veille en regardant différentes raisons d’être et en se formant. On a décidé de faire la démarche sans se faire accompagner.
Pour impliquer les Octos, on a expliqué à toutes les équipes pourquoi Octo voulait se doter d’une raison d’être et ce qu’il y avait derrière cette intention. On a d’abord capté comment les gens se sentaient par rapport à cette initiative.
Ensuite, on a fait un appel à candidatures. On voulait un groupe d’une vingtaine de personnes qui soient assez représentatif en termes de fonctions dans l’entreprise. Dans un premier temps, on leur a envoyé pas mal de raisons d’être pour les faire réagir. Cela nous a permis de sortir collectivement les principes directeurs de la raison d’être qu’on voulait pour nous.
Après, on a fait des ateliers de brainstorming pour travailler la formalisation. Et à un moment donné, on a été bloqué, c’est-à-dire qu’on sentait qu’on touchait du doigt le truc, mais on n’arrivait pas à la formaliser. On était coincé. On a fait appel à une entreprise spécialisée dans l’écriture pour nous aider à la formaliser.
Quelle est la prochaine étape ?
On va présenter ce travail à tous les Octo. Donc on va faire un sondage sur 750 personnes pour savoir s’ils trouvent que cette raison d’être représente Octo.
Et vous n’avez pas associé de parties prenantes externes ?
On s’est posé la question, mais on ne l’a pas fait, je pense, parce qu’on n’aurait pas su qui associer au départ.
En fait ce qu’on s’est dit, c’est que notre partie prenante numéro une, en fait le fuel d’Octo, ce sont les Octos. On est une boîte de services, donc c’est l’humain qui est le plus important.
Donc, une fois la raison d'être validée, souhaitez-vous aller plus loin ?
Oui, on aimerait aller plus loin. Déjà, notre intention est de la mettre dans nos statuts. On va mettre en place un comité de gouvernance de cette raison d'être et se fixer des KPI pour la piloter. Donc tout ça, globalement, quand je vous dis ça, c'est qu'on va tout doucement vers l’entreprise à mission.
Parallèlement, vous êtes en cours de certification B Corp. Pourquoi maintenant ?
On va faire un petit pas en arrière. Depuis 2010, on participe au palmarès « Great place to work ». Pas tous les ans, cette année, c’est notre sixième participation. On y voyait un moyen de prendre la température et un peu de se benchmarker. On l’a refait cette année après une pause, parce que c’est la première fois qu’on le fait en étant filiale d’Accenture.
Pourquoi vous parler de « Great place to work » ? Parce qu’il y a à peu près deux ans, on commençait à se dire que ce palmarès était très orienté bien-être au travail, pratiques managériales. On commençait à se rendre compte que cela manquait de sens. Il faut prendre soin de ses équipes, mais la question derrière, c’est : pour quoi faire ?
Au sein d’Octo, on a une culture de partage : on rédige beaucoup de livres blancs, on fait des cours dans des écoles, également de l’open source, notre blog est riche en contenus. Mais on voulait aller plus loin.
En proximité d’Octo, on connaît bien Davidson [une autre ESN NDLR]. Ils ont souvent concouru pour le palmarès « Great Place to work » dans la catégorie supérieure, parce qu’ils sont plus gros que nous. Eux sont devenus B Corp. Nos DG respectifs se connaissent bien, donc on est partis en exploration il y a un an et demi pour comprendre leurs motivations et les avantages qu’ils y trouvaient. C’était le déclic qu’il nous fallait pour franchir le pas.
Vous partiez d’une base de RSE ?
On n’a jamais eu de démarche RSE conscientisée et je trouve que souvent, ce type de démarche n’est pas suffisamment au cœur du business. Pour aller plus loin donc, on voulait trouver une façon de mixer business model et operating model.
La démarche B Corp présente un bénéfice énorme quand on n’a jamais fait de RSE et qu’on n’a pas d’expertise interne. Ça a structuré notre analyse de l’existant et les chantiers sur lesquels on voulait se lancer.
Alors, depuis la loi PACTE avec la raison d'être, avec l'entreprise à mission, cela permet de remettre ces enjeux au centre. A ce titre, B Corp nous paraissait intéressant. Et, chez Octo, on a toujours été des gens de challenge. On a identifié que B Corp était un label super compliqué à obtenir, très exigeant, donc un peu dans le mode : « Allez, on n’est pas cap, on y va ».
La démarche présente un bénéfice énorme quand on n’a jamais fait de RSE et qu’on n’a pas d’expertise interne. En effet, ça a structuré notre analyse de l’existant et les chantiers sur lesquels on voulait se lancer.
Donc, ça vraiment, c'est quelque chose que je trouve très bien. On est en phase finale pour la certification, que nous espérons pour bientôt.
La structuration du label nous permet ainsi de combiner operating model et business model. En plus, c’est international. Et cela va nous permettre de créer encore plus d'engagement chez les Octos.
Le volet management et gouvernance fait partie de ceux que vous traitez depuis longtemps. C’est moins le cas pour l’axe environnemental sur lequel vous travaillez désormais beaucoup. Ce n’est pas un terreau évident pour une ESN. Comment a-t-il émergé ?
C’est une nouvelle fois la force du collectif. C’est très révélateur de qui on est. Il y a un petit groupe d’Octos qui, depuis une dizaine d'années, s'intéresse au Green IT, dans la mouvance de Frédéric Bordage. Donc, on avait déjà un petit groupe qui avait ça dans le cœur.
Puis, il s'est passé quelque chose il y a un an et demi. J’étais de plus en plus sensibilisée aux enjeux de dérèglement climatique et j'avais envie de sentir quel était le niveau d'engagement en interne. J'ai organisé un BBL (brown bag lunch), sur le zéro déchet. Je pensais qu’on allait réunir une vingtaine de personnes ; on était une cinquantaine. C'était juste incroyable. On est rapidement passé du perso au pro : « qu'est-ce qu'on fait pour Octo ? Comment est-ce qu'on peut faire du zéro déchet chez Octo et même comment est-ce qu'on peut aller plus loin ? »
C’était au moment où on se lançait dans la démarche B Corp. Quand on a regardé le sujet environnement, on s'est dit qu’on était à la ramasse. On ne savait ce qu’était un bilan de gaz à effet de serre. Et là, on va reboucler avec l'entreprise agile. Très vite, on s’est mis en action. Sur le bilan carbone par exemple. Rapidement, on a décidé qu’on allait le faire nous-même en apprenant et qu'on allait se faire accompagner pour faire.
On veut défendre le numérique responsable, alors on doit être exemplaire.
On a mis la barre haute. Les Scopes 1 et 2 ne servent à rien pour une entreprise de services, donc on est parti sur les trois Scopes. On a pris un jeune ingénieur sorti d’école qui animait déjà des Fresques du climat en interne. On lui a payé la formation pour qu’il sache faire un bilan carbone.
Et on l’a fait avec lui sans compromission, sans rien mettre sous la moquette. Ensuite, en comité de direction, on a décidé par consentement de nous aligner sur les Accords de Paris et de réduire nos émissions de gaz à effet de serre de 5 % par an.
On a créé le Décarb'octo, un groupe de suivi de la démarche. On en est au premier quart de la démarche à peu près. On avance très vite même s’il faut convaincre certaines personnes un peu sur la réserve. Par exemple, sur les ordinateurs et les smartphones, on les changeait tous les deux-trois ans. Désormais, ce sera tous les cinq ans. On veut défendre le numérique responsable, alors on doit être exemplaire.
Sur quel projet travaillez-vous aujourd’hui ?
On travaille à la création de notre méthodologie de mesure d’impact de nos missions. Il existe déjà des démarches pour calculer l’impact carbone. On s’est aligné sur le projet Négaoctet. Mais en fait, quand on fait une mission de consulting ou un projet, pour nous c’est important d’arriver à mesurer l’impact global. Outre l’impact environnemental, il peut y avoir aussi des impacts sociétaux, d’autres impacts sur d’autres choses. Mais comme, il n’y a pas tellement de démarches qui existent, on a lancé le projet.
Pour nous, ce qui va être important, c’est de venir vers nos clients et d’être capables, sur des choix, de se questionner et de dire : « Sur cette architecture, vous voulez aller dans le cloud pour telle ou telle raison, vous voulez faire telle ou telle chose. Voilà l’impact que ça peut avoir sur le carbone, ça peut être ça ou ça. Qu’est-ce qu’on fait ? Est-ce qu’on le prend en compte ou pas ? » Et d’autres questions aussi : comment fait-on nos missions, est-ce qu’on les fait en télétravail ? Est-ce qu’on les fait en se déplaçant tout le temps sur le site des clients ? Quel est l’impact au niveau des transports ? Il y a tout ça.
Et ce n’est que le début, chez Octo, il y a un principe très fort : Eat your own dog food. C’est-à-dire qu’on est des consultants, notre rêve, c’est d’aller aider nos clients à mieux faire du numérique responsable. Mais pour nous, c’est important déjà de le faire en interne, de tester des choses et de se planter. Donc c’est pour ça qu’on a cette force de pouvoir utiliser l’interne pour nous servir de banc de test.
Quand on fait son premier bilan carbone, ça s’accompagne de son lot de surprises. En avez-vous eues ?
Oui, on s’est pris des claques quand on s’est rendu compte que c’est ce qu’on fait en termes de métier qui génère le plus d’émissions de gaz à effet de serre. C’est le cœur de notre métier. D’où l’importance d’aller vers du numérique responsable, de la sobriété numérique, c’est-à-dire : comment peut-on agir sur les missions que l’on fait avec nos clients ?
Mais, la claque n’est pas tellement venue du bilan carbone. Elle est venue quand on a commencé à brainstormer sur les différents leviers pour réduire le bilan carbone et se mettre dans les accords de Paris. On a réalisé qu’il n’y avait pas plusieurs choix entre telles ou telles actions ; il fallait qu’on fasse tout. C’est-à-dire qu’il faut qu’on réduise le nombre de mètres carrés par collaborateur, qu’on arrête complètement l’avion, que toutes nos missions où on code soient faites en mode éco conception. Et là, vous prenez la claque.
Comment justement arrivez-vous à concilier ces engagements avec le business ? Ce n’est pas toujours évident.
C’est trop tôt pour dresser un bilan, mais il y a deux choses qui jouent. La première chose, c’est que le numérique responsable est un sujet dont s’emparent toutes les entreprises. Depuis un an, on sent vraiment que toutes les DSI se posent la question de l’empreinte de leur numérique. Et nous, on est des prestataires de conseil, donc aussi c’est une opportunité business d’aider les entreprises à aller dans cette voie.
C’est pour ça que la raison d’être, je vous ai dit qu’elle allait tourner autour du numérique responsable ; elle va orienter petit à petit notre business là-dessus.
Et l’autre chose, c’est qu’on est un métier de service, donc, notre fuel, ce sont les gens. Et la nouvelle génération qui arrive en grande partie, et ça, c’est réjouissant, elle cherche à bosser dans une entreprise qui fait du sens, qui a des valeurs. Et on commence à voir les premiers candidats qui nous disent : « Qu’est-ce que vous faites d’un point de vue environnemental ? » Donc, en tant que boîte en croissance et pour la marque employeur, c’est important.
Mais, on sait qu’à un moment donné, on va devoir traiter des questions compliquées. Il y a des gens qui nous disent : « telle entreprise est un de nos gros clients, mais on ne veut plus bosser pour elle ».
Pour terminer, vous parlez beaucoup de sobriété numérique. Quels efforts de sensibilisation déployez-vous sur le sujet ?
Cela commence déjà par l’interne. Par exemple, la Fresque du climat est obligatoire dans le parcours d’intégration. Ensuite, On le fait beaucoup avec Accenture, parce qu’Accenture est également en train de beaucoup se déployer là-dessus. Et on le fait aussi beaucoup en étant impliqué dans le consortium Négaoctet, dans Planet Tech'Care ; on va signer la charte INR [charte du numérique responsable NDLR], et ainsi de suite.
Pour reprendre Tribal Leadership [ouvrage de Dave Logan et John King paru en 2008 NDLR], on est au fameux stade 5 où la cause est tellement importante que peu importe l’enjeu concurrentiel, il faut s’impliquer. Et plus on est nombreux, plus on va y aller. Donc le sujet numéro un aujourd’hui, c’est vraiment la sensibilisation, parce que plus on sensibilise de personnes, plus derrière on va créer un effet boule de neige.
Merci de votre lecture. J’espère que vous avez pris autant de plaisir à lire cet entretien que j’en ai pris à le mener. N’hésitez pas à le commenter, le partager et à vous abonner si vous découvrez La Machine à sens.
Je vous dis à demain pour la 39e missive.
Vivien.
Vision très intéressant et courageuse, c'est elle qui manque aux grandes
beau témoignage d'une entreprise ayant une très belle culture, l'assumant, même une fois rachetée