#152 L'innovation est-elle une fin en soi ?
Egalement la Chine et l'extrafinancier; la Gen Z; le Home Index; l'ESG et les actionnaires
Chères lectrices, chers lecteurs,
Bienvenue dans la 152e missive de votre newsletter sur les responsabilités d’entreprise.
Ce sera une version un peu plus courte, parce que j’étais à Lille aujourd’hui pour intervenir dans un atelier sur la société à mission co-organisé par la French Tech Lille et la Communauté des entreprises à mission.
La thématique de mon intervention : comment formuler sa raison d’être et ses objectifs ? C’était un sacré travail de formaliser mes recommandations pour être didactique et concret et un vrai plaisir de les partager. N’hésitez pas à me contacter si vous pensez que je peux être utile sur une intervention de cette nature.
Passons au sommaire :
🔎 Retour d’expérience sur le déploiement de l’outil Home Index chez Leroy Merlin : impact sur les fournisseurs et collaborations en interne
▶️ La Chine avance elle aussi sur son reporting extrafinancier en dévoilant son standard
❓ Deux éléments permettraient aux actionnaires de valider plus facilement les investissements ESG des entreprises
🤔 L’entreprise à mission serait has been ; la génération Z voudrait des entreprises à missionS, à savoir chacun la sienne
🧠 Un peu plus de jus de crâne avec un guide de l’AMF sur la CSRD, l’écologie punitive et le greenblaming
🎧 Gwendoline - Héros National
Bonne lecture à picorer ou à dévorer !
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J’ai récemment découvert Gwendoline, un groupe français de rock aux paroles bien acérées et sarcastiques. J’aime beaucoup ! Leur dernier single s’appelle “Héros National” et il porte toujours ce sentiment d’une jeunesse lassée et désespérée par le monde dans lequel elle évolue.
L’innovation est-elle une fin en soi ? Si vous êtes abonnés à cette newsletter, il y a de fortes chances pour que vous pensiez que non. C’est également ce que je pense. Je vous avais prévenu : c’est une version express !
Plus sérieusement, je soulève cette question, parce que j’ai été frappée cette semaine par la raison d’être d’Initial Expertise, qui communiquait dans un tweet sur son passage en société à mission. La raison d’être de ce cabinet de conseil en TEE est : “Innover pour accompagner nos clients et nos partenaires dans les nouveaux usages de l’énergie”.
On reproche parfois à des entreprises d’innover pour le simple fait d’innover, comme si ne pas innover, c’était stagner, voire régresser. Pensez à la logique, que je trouve fatiguée, de sortir un “nouvel” iPhone tous les ans ou de chercher l’irritant dans le parcours utilisateur d’un produit ou service pour en proposer un qui sera un peu différent, sans se demander si ce produit ou service est vraiment utile.
Je pousse le raisonnement à l’absurde, car ce n’est probablement pas la logique d’Initial Expertise. Néanmoins, je trouve étonnant d’affirmer que la finalité de son entreprise, c’est d’innover.
L’innovation est un moyen pour arriver à une fin, qui est, elle, l’ambition de l’entreprise.
Toutes les entreprises doivent innover. C’est une obligation. Regardez le triste état dans lequel se trouvent les Galeries Lafayette de province, au bord de la fermeture. Bien sûr, la concurrence est souvent pointée du doigt pour expliquer la chute de ces enseignes — on peut également citer Go Sport, Camaïeu, Gap, André et d’autres. Or, le cœur du sujet est un manque d’investissement et d’innovation.
L’innovation qu’une entreprise doit poursuivre est un des leviers à sa disposition pour assurer son développement, au même titre que le recrutement des bons collaborateurs, politique commerciale, le management des équipes etc. et de plus en plus la politique RSE.
Donc, commencer sa raison d’être par “innover pour” est considérer que l’innovation prime sur tout le reste. Cela me paraît assez dangereux et potentiellement contre-productif. L’innovation, c’est complexe, incertain et épuisant. En faire l’élément clé du fonctionnement est un risque qu’il me paraît difficile de tenir dans le temps si l’on veut avancer sereinement. Et dans le cas d’Initial Expertise, l’essentiel à mon yeux n’est pas tant qu’ils innovent, mais qu’ils accompagnent leurs clients à innover…
🔎 Un point sur le déploiement de Home Index
Adeo a créé le Home Index, scoring dédié aux produits des différentes filiales du groupe. Leroy Merlin France a été la première à le déployer en 2022. Pauline Toulemonde (Adeo) et Alice Fruchart (Leroy Merlin) font un point d’étape sur le déploiement du dispositif.
L’indice s’appuie sur 31 critères sociaux, sociétaux et environnementaux qui permettent d’établir une note sur 100, ramenée ensuite sur l’échelle désormais bien connue des lettres allant de A à E.
Dans cet entretien, j’ai trouvé intéressant les explications concernant les impacts organisationnels en interne et dans les relations avec les fournisseurs. Sur ce dernier point, les équipes en lien avec les fournisseurs ont dû adapter les informations demandées pour pouvoir construire cet index. Cette démarche a d’abord été menée auprès des produits de marque distributeur (forcément, la marge de manœuvre est plus forte…), ainsi qu’avec les fournisseurs volontaires.
Le Home Index est aujourd’hui visible sur 40000 du million de références visibles. Il est déployé en interne dans d’autres pays, comme en Espagne.
Le deuxième aspect concerne les changements organisationnels. Un tel projet est forcément transverse, car il touche les équipes achats, relations fournisseurs, marketing, communication, web et merchandising. Cela montre l’importance de bien identifier les conséquences d’une telle démarche et surtout d’y associer les bonnes personnes.
L’objectif à terme est de faire de ce Home Index un standard dans le secteur, pas juste au sein du groupe Adeo.
Mon avis : encore une fois, on ne peut changer seul. Il faut embarquer ses fournisseurs dans ce type de démarche. C’est engageant et structurant et nécessite donc un accompagnement sur le long terme. Mais, cela demande également un bon pilotage interne. Les projets de transformation ne peuvent se faire si les entreprises ne disposent pas de personnes compétentes sur de la gestion de projets. Et malheureusement, il est fréquent de constater que seules quelques personnes savent réellement gérer des projets transverses.
▶️ Pendant ce temps-là, du côté de la Chine
Le rift atlantique sur le reporting extra-financier a pompé pas mal d’énergie à savoir s’il fallait aller vers une double matérialité ou pas et d’essayer d’imposer son standard sur l’autre.
Pendant ce temps, la Chine avançait dans son coin. Elle vient de publier ses standards pour ses trois principales bourses. Au niveau du contenu, à en croire les articles que j’ai pu lire, on retrouve quatre grandes têtes de chapitre : la gouvernance, la stratégie, le management du risque, et les indicateurs et cibles.
Côté fond, sans grande surprise, la dimension environnementale est beaucoup plus prégnante que la partie sociale, très peu relevée dans les informations que j’ai pu trouver. Il faudra toutefois que les entreprises concernées respectent la stratégie de développement national du pays, dont certaines prérogatives au développement de zones rurales. Mais, pas certain que la QVT soit au top des priorités… Et, de quoi faire plaisir aux Européens, les Chinois ont adopté le principe de double matérialité.
Cette nouvelle réglementation concerne les grandes entreprises cotées, soit environ 500 en Chine. Aucune info en revanche sur l’application éventuelle de ces dispositifs sur les entreprises étrangères actives dans le pays.
🧠 Un peu de jus de crâne
L’AMF a sorti un guide pratique pour aider les entreprises dans leur reporting CSRD et plus particulièrement sur les aspects environnementaux. C’est un document complet qui a le défaut de sa vertu : il n’est pas très pédagogique sur la forme.
C’est quoi “l’écologie punitive” ? Camille Crosnier de France Inter a demandé à des sénateurs. Attention, ça déménage !
Dans la continuité, le collectif Construire l’écologie vient de sortir une note sur “le greenblaming”, qu’il définit comme “l’utilisation d’arguments fallacieux ou partiels imputant à une politique de transformation écologique des torts qui en légitimeraient l’arrêt”.
❓Quand est-ce que la RSE crée de la valeur pour les actionnaires ?
Oui, oui, la RSE, c’est une question de principe et de convictions, mais chez les actionnaires, tous ne partagent pas ces convictions et restent mitigés sur l’intérêt ou la pertinence de s’engager dans cette voie—ça coûte, mais est-ce que ça rapporte ? D’où parfois l’utilité des business cases.
Dans un article de la HBR, Aaron Yoon détermine deux critères essentiels pour que les investissements ESG génèrent de la valeur pour les actionnaires :
des dirigeants très compétents* : lorsqu’ils combinent de très bonnes qualités managériales et des investissements en matière d’ESG, leurs entreprises performent mieux.
la qualité de la supply chain : les entreprises dont les fournisseurs s’investissent dans des démarches RSE sont moins susceptibles à des risques de réputation, d’approvisionnement etc., ce qui en bout de chaîne se traduit par des résultats supérieurs pour l’entreprise.
Mon avis : Rien de très étonnant dans ces résultats, mais c’est toujours bien de pouvoir le démontrer. Selon moi, cela plaide pour l’importance de se former sur ces enjeux quand on est au CODIR d’une entreprise, peu importe son périmètre d’action.
De même, l’importance de la chaîne de valeur est clé. Avoir une démarche profonde en matière de RSE est impossible sans son écosystème. On parle souvent de la question des clients, moins de ses fournisseurs, qui sont pourtant des maillons essentiels. J’y fais régulièrement référence dans cette newsletter. C’est également un aspect sur lequel je mets beaucoup l’accent dans les missions des entreprises que j’accompagne.
* Le papier détermine la compétence des dirigeants en s’appuyant sur les notations des cadres dirigeants sur Glassdoor.
🤔 Vers l’entreprise à missionS ?
Vous voulez devenir société à mission ? Oubliez ! Selon le chercheur Navi Rajdiou dans un entretien pour ParlerRH, c’est déjà has been pour les générations Z.
Ma génération (X) et les milléniaux (Y) voulaient travailler pour des entreprises qui assument une forte responsabilité sociale et écologique. En travaillant dans une “entreprise à mission”, les employés issus des générations X et Y trouvaient du “sens”.
Or, les employés issus de la génération Z ne se contenteront pas de travailler pour une entreprise qui a une noble mission. Car cette dernière est trop… générique pour ces jeunes qui sont à la recherche de leur mission… “personnelle” ! Les entreprises qui vont attirer ces jeunes talents sont celles qui offriront une “feuille de route personnalisée” permettant à chacun des collaborateurs de découvrir et de poursuivre son “individualized purpose” (sa raison d’être individualisée).
Cela me laisse pensif. Est-on arrivé à un point dans nos sociétés où l’individu est vraiment devenu tout puissant et l’individualisme la norme ? Ainsi, le collectif serait old school ; inutile d’appuyer sur ce bouton, vous créeriez de la défiance, voire de l’opposition. Si c’est le cas, je nous souhaite collectivement bien du courage, nous vieux réacs embaumés dans nos illusions.
C’est terminé pour aujourd’hui. Si cette missive vous a plu, je vous invite à appuyer sur le ❤️. Cela m’encourage !
Vous pouvez également partager le contenu sur les réseaux sociaux ou auprès de collègues. Vous êtes mes meilleurs ambassadeurs !
Vous voulez que l’on travaille ensemble ?
Si vous souhaitez bénéficier d’un accompagnement pour devenir société à mission, pour challenger votre raison d’être et vos objectifs, ou pour bien piloter le déploiement opérationnel de votre mission, vous pouvez me contacter par réponse à cet email si vous avez directement reçu cette missive, sinon par email si vous lisez depuis votre navigateur. Plus d’infos sur les différents parcours sur mon site.
A mercredi pour le prochain décryptage (pour de vrai cette fois-ci),
Vivien.
Sur le dernier point (l'entreprise à missionS) il me parait tout à fait normal qu'il y ait pour chaque collaborateur (et pas seulement les jeunes) une adéquation entre son “individualized purpose" et la "mission" de l'entreprise, bref que l'ensemble des individualized purposes contribuent à la mission.
Ce qui est important (et pas souvent fait) c'est que l'entreprise s'intéresse à l'individualized purpose de chacun notamment au cours du recrutement lors de la vérification du "cultural fit" (pour rester dans les anglicismes)
Merci pour cette missive qui parle régulièrement de la chaîne d’approvisionnement