#144 Alors, cette quête de sens, c'est vraiment bullshit ?
Et aussi beaucoup de choses directement ou indirectement liées au Black Friday
Chères lectrices, chers lecteurs,
Bienvenue dans cette 144e missive. Je ne sais pas pour vous, mais j’ai l’impression que le Black Friday ne cesse de prendre de l’ampleur. Impression ou réalité ? Difficile à dire. En tout cas, en relisant la missive du jour, ce black friday est un peu un fil rouge involontaire.
Passons au sommaire :
💭 Edito : alors, la quête de sens, c’est vraiment bullshit ?
🔎 Mapping des startups à impact en France
💔 Sodexo prévient ses fournisseurs
📗 La TVA circulaire, bientôt une réalité ?
♻️ De l’importance d’envisager une supply chain circulaire
😅 La campagne de com’ qui tombe à pic en plein Black Friday
🧠 Un peu plus de jus de crâne avec l’IA et l’éthique, les directeurs R&D et la transition écologique, et l’article 25 de la CSDDD
🎧 Mon son de la semaine : English Teacher - Nearly Daffodils
Bonne lecture à picorer ou à dévorer !
P.S. : la semaine prochaine, je ne publierai que le décryptage mercredi. Je donne un cours toute la journée jeudi ce qui va limiter mes disponibilités.
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Très belle découverte avec le groupe English Teacher et son nouveau single “Nearly Daffodils”. Un joli indie rock comme j’aime, une mélodie bien léchée avec une dose de complexité, quelques exubérances ci et là, une voix féminine qui porte parfaitement la musique, le tout sur des paroles plutôt très mélancoliques. Ca s’écoute sans relâche !
Olivier Babeau a commis une nouvelle chronique sur Les Echos. Le ton est donné dès le titre : “Entreprise, vanité de la quête de sens”. C’est peut-être juste moi, mais je perçois un vent léger de critiques contre la thématique d’une entreprise gérée différemment : sur la raison d’être, sur le bien-être au travail par exemple. C’est en soi sain qu’il y ait débat. Alors regardons les arguments d’Olivier Babeau.
Il assène trois critiques contre cette quête de sens. Le premier :
[Cela] traduit une incompréhension du sens réel et bien présent de l'entreprise. Si l'on désigne par “sens” l'existence d'une “raison de faire les choses”, peut-on imaginer qu'elle manque vraiment ? La raison d'être d'une entreprise, c'est d'être utile à la société en créant plus de valeur qu'elle n'en consomme, dans le respect de son environnement. Le marché en est le juge de paix. Si les produits ne se vendent pas, la sanction est immédiate.
Cette vision me dérange un peu. Il est assez fréquent malheureusement que des collaborateurs ne sachent pas pourquoi ils font les choses : ils sont un maillon, mais n’ont pas la vision d’ensemble ; ils suivent ou supervisent un process dont ils ignorent “la raison d’être” etc. La vision de l’auteur est donc beaucoup trop macro pour appréhender le débat sur “la quête de sens”.
Deuxièmement, sa vision de la raison d’être est étriquée : “le marché en est le juge de paix”. C’est une vision assez 1990-2000 de la raison d’être (“à la Sinek” je dis souvent). On ne voit la raison d’être que comme la réponse à une demande ou besoin client. Il concède que cela doit être fait “dans le respect de son environnement”, mais quand on voit le succès de Shein par exemple, le marché, qui devrait donc être le juge de paix, ne fait pas un très bon travail…
Pour Babeau, la mission de l’entreprise est de participer “[aux] petits efforts qui [ont] permis le formidable progrès du confort objectif dont nous jouissons tous”. C’est la fameuse histoire du progrès qui rend la société toujours meilleure… Est-ce vraiment le cas ? Est-ce un réel progrès de pouvoir mettre des filtres de chat sur son visage sur les réseaux sociaux ? (A ce sujet, lisez Homo confort. Le prix à payer d’une vie sans efforts ni contraintes de Stefano Boni)
Deuxième critique :
Dans un monde sécularisé, la référence au sens n'est au fond qu'une tentative d'importer dans l'entreprise la transcendance qui manque tant à notre vie. Autrefois, ne cherchait-on aucun sens dans son travail ? Sûrement pas. Le fait de travailler était en soi une façon d'appartenir à la société, d'y tenir son rang. Au pire, on attendait la juste rémunération d'une besogne. Pour beaucoup, cela suffisait, car le sens réel de la vie était ailleurs.
C’est un argument bien connu. Toutes les grandes institutions étant remises en question, il ne resterait plus que l’entreprise dont le statut ne serait pas trop écorné.
Mais, cette vision reflète une vision passée, celle de l’entreprise qui n’a que deux rôles : vendre des produits, payer des salaires (et accessoirement des impôts). Mais, l’entreprise, c’est plus que ça : c’est une actrice de la société par le fait qu’elle est installée quelque part, réunit au même plusieurs dizaines, centaines, voire milliers de personnes, produit quelque chose avec de la matière (que ce soit un produit ou un service), interagit avec d’innombrables personnes de la “société civile” ou du secteur public, et génère directement ou indirectement une dynamique économique dans son environnement proche (restauration, commerce, hôtellerie, mobilité…).
On a cherché à désencastrer l’entreprise de la société, ce qui lui a permis en partie de se déresponsabiliser sur les sujets sociaux et environnementaux. La quête de sens aujourd’hui est de réencastrer l’entreprise dans la société… simplement, parce que c’est sa juste place. Cela n’a pas grand chose à voir avec le sécularisme de nos sociétés.
Troisième critique :
La question du sens pourrait bien n'être dans certains cas que le noble prétexte d'une réticence au travail moins avouable. La protestation contre une absence de sens justifiant une faible motivation couvrirait en réalité un hédonisme réticent à tout effort ne se traduisant pas par un plaisir immédiat et personnel.
En gros, les promoteurs de la quête de sens sont des fainéants… C’est bien commode comme argument. Je suis le premier à considérer que le monde devient de plus en plus individualiste (à ce sujet, lisez L’Ere de l’individu tyran. La fin d’un monde commun d’Eric Sadin), mais de là à dire que ceux qui ne veulent pas travailler brandissent fallacieusement l’argument du manque de sens au travail est un raccourci intellectuel qui me laisse pantois.
Le débat n’est pas clos, et je sais que le point de vue d’Oliver Babeau n’est pas isolé…
🔎 L’état des startups à impact en France
France Digitale, Bpifrance Le Hub et le Mouvement Impact France viennent de sortir leur quatrième mapping des startups à impact. Quelques chiffres à retenir :
Les auteurs dénombrent 1142 startups à impact, soit une augmentation de 6% par rapport à l’an dernier.
Elles représentent 32000 emplois. Près de la moitié d’entre elles comptent entre 11 et 50 salariés.
Le top 4 des secteurs est l’énergie, l’économie circulaire, agriculture/alimentation et la mobilité. Les autres sont plus loin derrière.
L’Île-de-France absorbe 43% de ces startups.
Côté levée de fonds, le gros se trouve entre 2,5 et 10 millions d’euros (pas forcément en une fois).
82% ont obtenu un label, adopté un statut ou une qualité, ou font partie d’une communauté lié à l’impact. L’agrément ESUS est le plus plébiscité par 15% ; 8% sont entreprises à mission. Les communautés Greentech Innovation et Coq Vert sont les plus fréquemment citées.
En conclusion, on n’est pas encore face à un tsunami, mais doit-on espérer plus de startups “à impact” ou plus de startups qui mettent davantage l’impact au cœur de l’activité ?
💔 Tu n’es plus assez bien pour moi
Cela risque d’être le message que Sodexo UK & Irlande enverra à certains fournisseurs en 2030. Le groupe s’est fixé d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2040, mais comme beaucoup d’entreprises, le scope 3 concentre l’immense majorité des émissions. Cela nécessite donc de travailler avec les fournisseurs, qui représenteraient 34% des émissions, pour aller dans la bonne direction.
Je ne sais pas si cette mesure s’appliquera également en France, mais Sodexo UK & Irlande a ainsi annoncé qu’à partir de 2030, elle se séparera de fournisseurs qui n’auront pas fait preuve de progrès tangibles en matière de réductions d’émissions. Cela doit se traduire par l’établissement de cibles, de feuilles de route et de reporting de progrès.
Pour les plus petites structures, qui n’ont pas les ressources pour initier ce travail, Sodexo a indiqué qu’elle leur fournira “un soutien important”.
En tout cas, cette annonce traduit une réalité qui va s’imposer aux grands groupes et toucher leurs chaînes de valeur. Rares sont les grandes entreprises à avoir pris les mesures nécessaires pour suivre leur trajectoire de réduction, surtout sur le scope 3. Et, immanquablement, beaucoup d’efforts devront être portés par les fournisseurs, qui sont souvent encore plus loin, notamment parce qu’ils sont en dessous des seuils réglementaires, donc se sentent moins pressés. Pourtant, cela va devenir un incontournable pour continuer à travailler avec les grands groupes. La question est : faut-il commencer dès maintenant de manière plus ou moins proactive ou se faire imposer un rythme de changement imposé ?
📗 Vers une TVA circulaire en France ?
Le ministre de la Transition écologique Christophe Béchu a missionné Emmanuelle Ledoux, DG de l’Institut national de l’économie circulaire, et Emery Jacquillat, président de Camif, pour produire un rapport sur la TVA circulaire. Le fruit de deux mois de travail vient de lui être rendu. Les auteurs formulent sept recommandations :
Adopter une TVA à 5,5% sur les opérations de réparation dans l’électroménager, les chaussures et articles en cuir et des vêtements et du linge de maison. Pourquoi ceux-là ? Parce qu’ils sont déjà visés par la directive européenne TVA.
Elargir le champ de la TVA réduite à d’autres secteurs, ce qui nécessiterait une révision de la directive, mais les auteurs estiment que le momentum existe.
Mesurer l’impact économique, social et environnemental des taux de TVA réduits.
Définir plus clairement les notions de reconditionnement et de remanufacturing, et lui donner un caractère local pour éviter les produits reconditionnés importés à l’empreinte carbone plus élevée.
Une fois le point précédent acté, étendre une TVA réduite aux produits reconditionnés.
Développer une TVA réduite pour l’économie de la fonctionnalité (location, paiement à l’usage etc.).
Ouvrir les produits manufacturés éco-conçus aux taux de TVA réduits pour éviter un désavantage compétitif entre des produits pas chers mais peu durables et des produits éco-conçus.
Si vous vous demandez si un tel développement de la TVA à taux réduit ne viendrait pas grever les recettes fiscales de l’Etat, les auteurs ont la réponse : les secteurs de la réparation ou du reconditionnement sont tellement peu développés que les pertes seront compensées par les nombreuses créations d’entreprises et d’emplois pour répondre à de nouveaux besoins.
A suivre…
♻️ De l’importance d’une chaîne de valeur circulaire
Info utile en lien avec l’actu de Sodexo. La fondation Ellen MacArthur a publié un livre blanc sur les chaînes de valeur circulaires. Comme vous le savez probablement, un peu comme la compensation doit être l’option de dernier ressort dans une stratégie climat, de manière un peu rapide, le recyclage est son pendant pour la circularité.
C’est tout l’objet de ce papier qui s’évertue à montrer comment intégrer toute sa chaîne de valeur en amont et en aval—ses fournisseurs comme ses clients—pour viser la réparation, la maintenance, le reconditionnement, le réemploi, ou la valorisation, et en dernier choix le recyclage.
Pour les auteurs, trois conditions sont indispensables :
un réseau de partenaires interconnectés et diversifiés ;
des flux multidirectionnels d’informations, de produits et de revenus ;
de la création de valeur qui s’appuie sur des principes et des processus de circularité.
Il y a pas mal d’exemples pour illustrer le propos. Ce rapport est destiné avant tout aux responsables supply chain, mais je pense qu’il pourra intéresser les directions générales et les directions achats.
Une chose est certaine : l’approche est holistique et nécessitera, pour être mise en place, d’accepter de prendre le temps de changer et d’investir avec un retour sur investissement qui ne sera probablement pas immédiat. C’est le lot de toute transformation ! Et ce même si les objectifs d’une chaîne de valeur circulaire sont très business, à savoir augmenter sa résilience, réduire les coûts et réduire l’impact sur le climat.
😅 Le métier du futur : dévendeur
Voici une campagne de communication pleine d’humour, même si elle fait grincer quelques dents. L’ADEME vient de sortir quatre clips qui déconseillent l’achat de neuf au profit de la réparation, de la location, du reconditionné ou du non-achat.
En période de Black Friday, c’est osé, mais c’est bien vu.
🧠 Un peu plus de jus de crâne
Après la CSRD, la CSDDD est en cours de validation au niveau européen et certains se battent pour l’article 25. Tout ça vous paraît technique ? C’est vrai, mais cela peut faire avancer la cause des entreprises cherchant à améliorer leur impact, comme l’expliquent plusieurs cadre du B Lab dans un entretien avec Christopher Marquis dans Forbes.
Selon Dan Edwards et Michael Zeitlyn dans un article pour la MIT Sloan Management Review, les directeurs R&D des entreprises doivent être plus impliqués dans les trajectoires de réductions de GES des entreprises.
Un éthicien de l’IA, vous connaissez ? Entretien très intéressant d’Enrico Panaï et Emmanuel R. Goffi dans Alliancy sur l’intérêt de faire appel à ce spécialiste pour bien aborder les sujets d’éthique et d’IA.
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A mercredi prochain,
Vivien.
Merci et Bravo pour l'ensemble de ces informations collectées dans différents secteurs et supports ; c'est vraiment enrichissant !
Toujours intéressant et d’actualité merci