#140 La plus grande et tenace confusion sur l'entreprise à mission
Egalement une labellisation en question, la CSRD dans la confusion, la culture pour bien changer, l'ESG en eaux troubles aux US etc.
Chères lectrices, chers lecteurs,
L’automne serait-il enfin arrivé ? Peut-être… Il était temps ! Un mois plus tard…
Au sommaire :
💭 Peut-être la plus grande confusion autour de l’entreprise à mission
🤔 La labellisation B Corp de certaines agences Havas remise en question
✒️ Quelques nouvelles “confusantes” sur la CSRD
😥 Les fonds ESG américains sont à la peine…
🪛 L’importance de repenser sa culture dans une phase de transformation
🧠 Un peu plus de jus de crane avec le pionnier du solaire, le capabilisme d’Adam Smith, à la découverte d’un label RSE français, et l’importance d’équipe unifiée pour des projets de transformation
🎧 Mon son de la semaine : Grand Corps Malade - Autoreflet
Bonne lecture à dévorer ou à picorer !
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Quelle claque ce nouveau single de Grand Corps Malade. “Autoreflet” est un morceau autobiographique. C’est puissant, prenant, impactant ! A écouter d’urgence !
J’assistais aujourd’hui à une conférence où le représentant d’une banque engagée partageait que son entreprise s’était posée la question de passer société à mission. La question se posait vu leur positionnement, mais ils ont conclu que l’intérêt n’était pas réel ; ils étaient déjà une entreprise à mission et leurs statuts, dans l’objet social, le reflétaient déjà. Ils ont toutefois fait le travail d’inscrire une raison d’être dans leurs statuts.
C’est un discours fréquent : “Nous sommes déjà une entreprise à mission”. La suite découle sur deux options :
“pas la peine de se lancer dans cette démarche”.
“allons-y, c’est une évidence de toute manière”.
Dans les deux cas, une confusion demeure sur la société à mission. Il est certain que l’engagement d’inscrire une raison d’être et des objectifs dans ses statuts illustre une volonté de bien faire. Mais, là n’est pas l’enjeu.
L’entreprise à mission ne consiste pas à graver dans le marbre des engagements et des convictions. C’est un début, mais absolument pas la finalité. Pourtant, c’est un malentendu très fréquent !
Beaucoup insistent également sur les aspects de gouvernance avec la création du comité de mission. C’est un pilier essentiel, car le rôle de cette instance est clé dans la conduite de la mission et peut être puissant pour ouvrir de nouvelles perspectives. Il peut également être un vrai casse-tête pour des entreprises qui ont des gouvernances complexes, ou peu de ressources pour multiplier les organes sociaux de l’entreprise.
En revanche, on oublie trop souvent d’expliquer qu’une des grandes vertus de l’entreprise à mission—et peut-être son objet premier—est de pousser l’organisation à définir un cadre opérationnel de mesure de son impact positif et d’implication des équipes dans la réussite de ses engagements en vue de toujours chercher à s’améliorer.
C’est souvent à cet endroit que le bât blesse. Dans les plus petites entreprises, on structure et mesure peu ; dans les plus grandes, on structure beaucoup et on mesure tout un tas de choses plus ou moins utiles sans trop prioriser. Dans les deux cas, il est rare que l’entreprise dispose d’un cadre clair, lisible en interne et en externe, source d’amélioration continue pour l’activité et l’organisation, et sur lequel elle doit rendre des comptes.
C’est ça la force d’une vraie entreprise à mission. C’est celle qui fait de la déclinaison opérationnelle de sa mission un axe fondamental de la gestion quotidienne de son entreprise, qui cherche à impliquer profondément les équipes.
Nul doute que cet exercice est complexe et prend du temps. Cela peut d’ailleurs conduire à des changements profonds dans l’organisation interne, dans la fixation des objectifs, dans la culture (cf. la rubrique “du côté des idées”), dans l’allocation des ressources, dans les approches commerciales, dans la politique d’innovation, dans les choix d’investissement etc. C’est tout cela qu’il faut (ré)interroger.
Sans quoi, le cadre de l’entreprise à mission restera une facétie souhaitée par quelques-uns, connue de loin, mais sans concrétude—oui c’est un vrai mot.
🤔 Le label B Corp de Havas remis en question
Havas a récemment remporté un très gros appel d’offres auprès de Shell. Comme l’explique cet article de The Drum, ce contrat a suscité de nombreuses réactions d’ONG qui ont interrogé le B Lab, l’association qui gère le label B Corp, sur la compatibilité de ce contrat avec la certification que certaines agences ont obtenu, en l’occurrence New York, Londres, Lemz et Immerse.
En effet, le B Lab a un mécanisme, le Public Formal Complaints Process, qui permet à des parties prenantes de demander à l’ONG d’évaluer une situation et potentiellement le maintien de la certification en conséquence1.
L’article relate également un extrait d’interview que The Drum a eu l’an dernier avec le directeur exécutive de B Lab qui expliquait que “si une entreprise a des clients dans les énergies fossiles (…), alors son éligibilité pour la certification serait étudiée”.
Il est peu probable que ce contrat ait un quelconque impact à court terme, car la décision de candidater à un tel contrat a probablement été prise au niveau global et pas par une des agences certifiées. Donc, il est probable que le B Lab arrive à la conclusion que cette décision n’a pas été prise par une des agences labellisées. Néanmoins, cela pourrait rendre difficile la certification de tout le groupe à terme. Cela relève de subtilités un peu floues tout de même…
Mais, je trouve que c’est une bonne chose que des mécanismes d’alerte existent pour ce type de dispositif. Il en va aussi de la crédibilité des labels eux-mêmes.
✒️ Quelques nouvelles sur la CSRD
Suite à un vote au Parlement européen, il n’y a désormais plus de doute : la CSRD, et son acte délégué ESRS, vont bien entrer en vigueur à partir du 1er janvier 2024.
Un groupe d’eurodéputés du PPE (centre-droit) et Renew (centre) s’opposait à l’acte délégué sur les standards utilisés pour le reporting de durabilité (ESRS). Mais, un vote lors de la plénière hier a enterré leur désaccord. Cela vient dans le même temps atténuer l’incertitude juridique qui pesait encore.
Dans le même temps, la Commission européenne a annoncé le report de certains dispositifs de la CSRD, dont ceux concernant l’adoption de standards sectoriels. L’ESRS actuel est généraliste, mais la Commission a prévu d’en proposer des plus spécifiques. Ce projet est reporté de deux ans. Autre report : celui pour les grandes entreprises non-européennes de soumettre un reporting de durabilité. Il est également reporté de deux ans. Pas simple de s’y retrouver dans ce serpent de mer !
😥 Les fonds ESG américains ont du plomb dans l’aile
Le Financial Times a publié une analyse pour les geeks du chiffre concernant les performances des fonds ESG aux Etats-Unis. Il est très difficile de faire des comparaisons hâtives entre des fonds ESG et des fonds classiques, surtout aux Etats-Unis où le paysage réglementaire est beaucoup plus éclaté qu’en Europe.
Toutefois, sur la base de travaux réalisés par la Barclays, l’analyse note que depuis 2021, les fonds ESG sont en berne. Il y a une foultitude de chiffres, de graphiques et de considérations envisagées.
Mais une des raisons logiques avancée est que le ROI sur les fonds ESG se fait sur du long terme et que les investisseurs américains viennent de s’en rendre compte et n’aiment pas trop l’idée…
On en revient toujours au même sujet : si on ne change pas de mentalité et de comportement, on ne change pas de système. En bourse, c’est pareil. Quand on a été dopés à des taux de rendement élevés et des gains rapides — et donc a gagné potentiellement beaucoup d’argent très rapidement —, se dire qu’il faut attendre plusieurs années supplémentaires pour voir son investissement fructifier et peut-être de manière inférieure à du “quick and dirty” devient une hérésie pour les purs financiers…
N’oublions pas que tout cela se déroule sur fonds de défiance politique très forte chez les Républicains outre-Atlantique…
🪛 Comment adapter sa culture en fonction de sa stratégie ?
Trop l’ignorent, mais la culture est le creuset de la réussite ou de l’échec d’une entreprise. Dans un article de fond pour la MIT Sloan Management Review, Jonathan Knowles, Tom Hunsaker et Melanie Hughes creusent les aspects qui amènent une entreprise à devoir modifier des éléments de sa culture pour réussir des transformations.
En effet, on ne peut pas considérer que sa culture est tellement élastique qu’elle est faite pour les étapes de la vie d’une entreprise. Parfois, il faut la modifier. Pour les auteurs, “une approche stratégique de la culture implique un effort actif de créer un environnement et une infrastructure qui promeuvent le flot d’informations nécessaire entre la stratégie et l’exécution, les traitant comme des éléments complémentaires au sens que l’on donne à son action”.
Ils proposent trois situations de changement et analysent comment la culture peut en faciliter la réussite :
“reinforce magnitude” : poursuivre et accélérer les efforts déjà lancés qui permettent de rendre l’entreprise clé pour ses parties prenantes et différentes de la concurrence.
“reimagine activity” : modifier les approches et les outils utilisés pour atteindre une stratégie définie.
“rethink direction” : modifier le business model pour assurer la pérennité et le développement de l’entreprise.
Ils proposent un tableau récapitulatif que je vous partage et qui conduit à de bonnes réflexions.
🧠 Un peu plus de jus de crâne
Avis aux romanciers : voici le début d’une uchronie passionnante à écrire. Et si George Cove n’avait pas été kidnappé au début du XXe siècle, les énergies renouvelables seraient-elles la norme aujourd’hui ? Vous ne connaissez pas George Cove. Sugandha Srivastav dans un article pour The Conversation nous fait découvrir ce pionnier du solaire.
Dans une tribune au quotidien canadien Le Devoir, Thierry Pauchant veut réhabiliter Adam Smith et son “capabilisme”, bien loin de l’image de cheville ouvrière du néolibéralisme qu’on lui colle souvent.
Parmi les labels RSE généralistes, Positive Company se fait une place. Cet article dans The Good en explique les contours et les particularités.
Dans un article pour la Harvard Business Review, Antonio Nieto-Rodriguez et Kate Duchene détaillent leur recherche sur l’importance de créer une équipe aussi unifiée que possible pour réussir des transformations en interne, sujet encore plus clé quand une partie de l’équipe est composée de consultants et d’indépendants.
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A la semaine prochaine,
Vivien.
A ma connaissance, c’est le seul label RSE généraliste qui dispose d’un tel procédé. Je n’ai rien trouvé pour les labels Lucie et Engagé RSE ; le label Positive Company dispose toutefois d’un comité éthique, dont je fais d’ailleurs partie.