#115 Cynisme vs courage entrepreneurial
Egalement partenariat de sens, nouveau type de congés, certification, rapport au travail, Nantes, plastique et plein d'autres actus (temps de lecture totale : 11 minutes)
Chère lectrice, cher lecteur,
Bienvenue dans cette 115e missive ! Rentrons directement dans le sommaire :
💭Courage vs cynisme entrepreneurial
🚆La responsabilité jusque dans la réflexion sur les congés
🤝 Un partenariat multisectoriel plein de sens
⚠️ Petit rappel : la société à mission n’est pas une certification
🪙 Nantes veut un budget vert et non-sexiste
🌐 Les oppositions se cristallisent sur le Traité lié au plastique
📖 100 propositions pour réformer l’économie et les entreprises
🏤 Le rapport des Français au travail
🧠 Un peu plus de jus de crâne avec les tampons, la communication réseaux sociaux, le chemin vers la neutralité carbone, et la transition juste
🎧 Mon son de la semaine : Benjamin Amaru - brigitte r. (thank you for everything)
Bonne lecture à dévorer ou à picorer !
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Lundi dernier a été une journée étonnante. D’un côté, j’ai été percuté par une forme de cynisme bluffant. De l’autre, j’ai assisté à une démonstration de courage entrepreneurial inspirant. Le choc entre deux mondes !
Dans une tribune pour la Harvard Business Review France, Jérôme Barthélémy, directeur général adjoint et professeur à l’ESSEC, s’interroge sur la conciliation entre bien commun et rentabilité. Selon lui, les termes du débat sont mal posés. Plutôt que de se demander si les deux sont compatibles, la bonne question serait plutôt : “dans quels cas est-il possible de concilier bien commun et rentabilité ?”
En effet, il défend l’idée “[qu’]une stratégie qui prend en compte les enjeux sociétaux et environnementaux peut être rentable… mais uniquement si elle permet de réduire les coûts ou d’accroître le chiffre d’affaires d’une entreprise”.
Ainsi, une entreprise participe au bien commun quand elle décide de moins polluer, de moins consommer d’énergie, ou de rendre ses produits moins gras par exemple. Il prend l’exemple de 3M qui a lancé dès les années 70 un programme de prévention de la pollution qui leur a fait économiser des milliards de dollars de maintenance et d’entretien de leurs réseaux.
Une autre option est quand une entreprise propose des services peu coûteux à ses clients qui leur permettent d’être en meilleure santé et ainsi de moins utiliser d’autres services payants plus chers.
Bref, l’entreprise ne doit voir sa contribution au bien commun que par un résultat positif à court terme sur son bas de bilan, sauf dans le cas où une réglementation lui impose d’opérer des modifications.
Cette vision ultra financiarisée me paraît diablement cynique. L’entreprise ne s’intéresse alors à son impact que si c’est concomitant avec une hausse de son chiffre d’affaires. Autrement dit, si une entreprise pollue, mais que cela lui coûte davantage que cela lui rapporterait de réduire cette pollution (et qu’il n’y a pas de réglementation le lui imposant), elle serait dans son bon droit de ne pas traiter le problème.
Un exemple récent peut l’illustrer : les éclairages et le chauffage dans les magasins. Face aux demandes de sobriété énergétique, combien de magasins ont traîné des pieds pour limiter le chauffage à 19°C et d’éteindre leurs panneaux lumineux, parfois même leurs devantures la nuit ? On verra une fois sortis de l’hiver si ces habitudes inutiles ne reviendront pas…
Mais contribue-t-on au bien commun quand on mène ce genre d’actions ? L’idée reste que le modèle ne doit pas bouger, que tout va bien, qu’il faut tenir le cap le plus longtemps possible. A bas les limites planétaires, à bas les considérations sociales, à bas la performance extrafinancière, à bas les changements de business model, à bas les prises de risques.
La journée commençait mal. Si c’est ce genre de choses qu’on continue d’enseigner en école de commerce, le chemin est encore long et cynisme et greenwashing ont encore de longues et belles années devant eux…
Heureusement, l’après-midi m’a redonné espoir. J’animais un séminaire d’une PME d’une trentaine de collaborateurs en chemin vers l’entreprise à mission. Les deux fondateurs avaient des temps de partage de leur vision, de leurs motivations à s’engager dans cette voie. Ils ont parlé de risques, d’entreprise désirable, de décisions difficiles à prendre, d’apprendre à naviguer dans un monde complexe et paradoxal, de porter chacun sa responsabilité dans les mutations à venir.
Ils ont fait preuve d’humilité, même de vulnérabilité. Ils n’ont pas toutes les réponses, ne sont pas parfaits, mais ils veulent progresser, associer leurs équipes dans cette démarche et stimuler une démarche engageante de long terme pour “offrir du mieux dans un monde meilleur”. Le chemin ne sera pas évident, certaines positions seront questionnées, mais ils ont l’ambition de s’améliorer non pas que pour accroître leur chiffre d’affaires, mais surtout parce que c’est la bonne voie à suivre.
Je trouve ce courage entrepreneurial salutaire et bénéfique. J’assume ma part de naïveté, mais j’estime qu’il faut davantage mettre en avant et soutenir ces entreprises qui sont prêtes à bouger, à se remettre en question en profondeur, plutôt que de saluer celles qui ne bougent que sous la pression, parce que cela ne leur coûte pas grand chose ou parce que le calcul coût/bénéfice à court terme est positif.
🚆RESPONSABLE JUSQUE DANS LES CONGES.
Prendre le train pour partir en vacances plutôt que l’avion, c’est bien. Mais, parfois, cela prend beaucoup plus de temps et peut représenter l’équivalent d’un jour de congés passé en transports par souci de responsabilité.
Ubiq, une plateforme qui répertorie les solutions de bureaux en France, a décidé de lancer les TTR (Temps de Trajet Responsable), rapporte Les Echos Start. Ce dispositif lancé au début de l’année prévoit l’équivalent de deux jours par an pour prendre des transports plus responsables (train, covoiturage) que l’avion. Ce ne sont pas complètement des congés, car le collaborateur doit s’engager à travailler s’il le peut (via sa connexion wifi) pour avancer sur un dossier, lire une étude etc.
L’entreprise a lancé ce dispositif, non seulement pour des raisons écologiques, mais également de marque employeur. Elle estime également qu’il y a un coût—probablement lié à la productivité—estimé entre 600 et 700 euros par collaborateur par an.
Il est encore trop tôt pour tirer un bilan de ce dispositif, mais l’idée vaut le coup d’être réfléchie.
BUDGET VERT ET SENSIBLE AU GENRE.
A Nantes, on expérimente. Cette année, la mairie a décidé de mettre en place “un budget climat”. Il s’agit de prendre en considération les enjeux climatiques dans le budget de la ville au travers de grilles d’analyse. Cela n’implique pas forcément de nouvelles poches budgétaires. D’autres villes françaises ont déjà initié cette démarche, comme Strasbourg, Lille et Paris. Par la suite, Nantes élargira le champ à la biodiversité, à la santé et à l’alimentation.
Autre initiative de l’année, peser les enjeux d’égalité femmes-hommes dans le budget municipal. Nantes veut devenir la première ville non-sexiste de France d’ici 10 ans. Elle va commencer par trois dispositifs : les financements au Conservatoire de musique, le festival Les Scènes vagabondes et les dispositifs d’aides aux projets et aux initiatives citoyennes. Pour ces trois pans, les femmes ou les projets portés par des femmes sont sous-représentés. A suivre…
MOINS DE PLASTIQUE OU PLUS DE RECYCLAGE ?
Les deux évidemment me répondriez-vous ! Mais s’il fallait vraiment privilégier une des options ! C’est tout l’enjeu des négociations du Traité internationale sur le plastique. Deux logiques s’opposent explique cet article dans Climate Change News. Un bloc beaucoup porté par l’Union européenne privilégie un traité appelant à une réduction de la production de plastique. En face, un bloc porté notamment par les Etats-Unis et l’Arabie Saoudite, tous deux grands producteurs de pétrole, veut que la focale se porte sur la diminution de la pollution liée aux produits en plastique grâce au recyclage.
Certains pays, même s’ils sont touchés par le réchauffement climatique, sont partagés par un appel à la réduction de la production de plastique. Par exemple, la coalition des petites îles craint que cela ferait trop grimper le prix du plastique.
Autre point d’achoppement, la gouvernance du traité. Une opposition, globalement selon les mêmes répartitions, se cristallise autour des objectifs. Pour les uns, il faudrait des objectifs globaux décidés au niveau international. Pour les autres, il faut adopter une approche flexible qui laisse à chaque pays le soin de dessiner sa feuille de route.
Bref, on n’est pas sorti du plastique.
📖100 PROPOSITIONS POUR TRANSFORMER L’ECONOMIE ET LES ENTREPRISES.
Le Grand Défi, initiative aux ambitions proches de la Convention des Entreprises pour le Climat (pour faire court), a rendu ses 100 propositions il y a quelques semaines. J’avais oublié de répercuter l’info. Et pourtant, ce document est très riche. Ces recommandations concernent à la fois les entreprises au niveau individuel, ainsi que les politiques publiques.
Difficile de résumer l’ensemble des propositions sinon de dire qu’elles visent à créer une dynamique globale à laquelle peu d’entreprises peuvent échapper. On y parle de formation, de réglementation, d’incitation fiscale, de facilitation de démarches administratives, d’investissements, d’éco-gestes etc.
Une partie concerne la gouvernance et touche à l’entreprise à mission. Une des propositions est d’inciter le maximum de sociétés à franchir le pas : 10 000 dès l’an prochain et 50% des entreprises d’ici 2030. Je suis réservé sur l’idée de massifier le nombre de sociétés à mission à ce point.
Toutefois, une des suggestions a retenu mon attention : que les TPE et PME bénéficient de la prise en charge du premier audit. L’idée a du mérite et je pourrais en discuter, mais je garde ça pour une prochaine fois.
🤝UN PARTENARIAT QUI FAIT SENS.
Epsor (société d’épargne) s’associe à La Finance de l’Echiquier (société de gestion) et Reforest’action (compensation carbone) pour offrir aux épargnants une solution à double intérêt : participer au financement de la transition énergétique par des produits financiers et augmenter les capacités de captation de CO2 par le financement de programmes de plantation d’arbres.
Ce fonds qui couvre la part E d’Echiquier Climate & Biodiversity Impact Europe (labellisé ISR et classifié Article 9 du règlement SFDR) financera des grandes entreprises actives sur la transition énergétique (sont citées par exemple Schneider Electric, Veolia et Air Liquide). Une partie des frais de gestion sera dédiée au financement de programmes de plantation d’arbres.
Cette initiative rappelle la force des partenariats pour construire de nouvelles offres, proposer de nouveaux services et toujours répondre à des demandes clients ou réglementaires en évolution.
⚠️PETIT RAPPEL QUI COMPTE.
Ces derniers jours, j’ai vu plusieurs entreprises à mission qui inscrivaient leur démarche dans une logique de certification. C’est le cas de Cosmogen (dont vous avez reçu le décryptage hier), d’Alma Pro (l’autre entreprise proposée au vote la semaine dernière), ainsi que l’Hôtel Rosalie, qui a récemment adopté la qualité.
Je le rappelle : devenir société à mission ne peut pas être assimilé à une certification. C’est même très problématique de le dire. Pourquoi ?
Cela trompe les clients et les consommateurs. Une certification est délivrée par un organisme tiers, lorsqu’une entreprise remplit un cahier des charges. Le cadre de la société à mission fait que c’est l’entreprise qui se fixe sa raison d’être et ses objectifs et peut se déclarer dès qu’elle a changé ses statuts.
Ce ne sont pas des nuances !
🏤LE RAPPORT AU TRAVAIL VU PAR LES FRANCAIS.
L’Ifop a réalisé pour Paris Première un sondage sur le rapport des Français au travail. Il n’y a pas une semaine où on n’entend pas des poncifs comme “les jeunes ne veulent pas travailler”, “c’est plus comme avant”, “il n’y a que le plaisir qui les intéresse” etc. Cette enquête offre quelques enseignements intéressants.
Pour résumer et je tire un peu l’interprétation, plus on est diplômé, cadre, disposant d’un salaire supérieur à 2500€ par mois, plus on perçoit le travail comme une source d’épanouissement davantage que comme une contrainte nécessaire pour subvenir à ses besoins. Le genre, l’âge ou la région ne jouent pas.
Sans surprise, la rémunération (62%) et l’ambiance (58%) sont les deux facteurs d’épanouissement les plus importants au global. C’est le détail par sous-population qui vaut le coup. Ainsi, la rémunération est un enjeu plus important pour les hommes que pour les femmes qui privilégient en premier l’ambiance de travail. Au niveau de l’âge, les seuls à privilégier l’ambiance de travail sont les 25-34 ans, même si les 35-49 mettent l’ambiance presque au même niveau que la rémunération.
Autre point très intéressant : l’ambiance n’est pas vraiment un élément important pour les cadres. Pour 40% d’entre eux, le premier élément d’épanouissement, de loin, concerne l’intérêt des missions réalisées.
En termes de niveau de salaires, la rémunération est évidemment essentielle pour l’épanouissement au travail, mais encore plus pour les ouvriers (75%), les cadres (65%) et les employés (60%). En tout cas, l’âge n’est pas un facteur.
Point intéressant, la reconnaissance par la hiérarchie n’est pas perçue comme un élément essentiel d’épanouissement, ni les perspectives professionnelles. La reconnaissance l’est davantage par les femmes, par les moins de 25 ans, les 35-49 ans et pour les salaires plus élevés.
On peut regretter que dans les facteurs d’épanouissement, la modalité de l’équilibre vie pro/vie perso n’ait pas été incluse.
🧠UN PEU PLUS DE JUS DE CRÂNE.
Le média Vert tire à boulets rouges sur la communication de TotalEnergies sur les réseaux sociaux. Il y a de quoi faire !
Une enquête du New York Times montre comment le prix des tampons augmente à cause du réchauffement climatique.
Témoignage passionnant de James Bevan, le patron de la Environmental Agency au Royaume-Uni. Il explique comment son organisation s’est engagé sur la voie de la neutralité carbone, les défis, les engagements, les résultats. Une mine d’or ! (L’article est disponible sur abonnement. Dites-moi si vous êtes intéressé, je vous l’enverrai)
Comment définir “transition juste” ? C’est la question à laquelle se sont attelés Adriano La Gioia, Aurore Fransolet, Marek Hudson et Sandrine Meyer. C’est un terme qu’on utile fréquemment, mais qu’on définit peu. Quatre visions émergent en fonction des personnes à qui l’on pose la question : vision holistique, vision centrée sur les travailleurs, vision portée sur les actions de l’Etat, vision centrée sur la mise sur un pied d’égalité des entreprises.
Ca n’arrive pas souvent de vous proposer presque à la suite deux morceaux du même artiste, mais j’ai découvert le dernier EP de Benjamin Amaru, easy lullabies. Des morceaux intimes et épurés tous au piano avec même le son de la mécanique intérieure. Sublime EP à l’image de “brigitte r. (thank you for everything)”.
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A la semaine prochaine,
Vivien.