#96 La belle bulle d'oxygène qui grossit
Retour sur le salon Produrable, la presse s'empresse, Patagonia appartient à la planète, la fin des pubs pour la viande et plein d'autres choses (temps de lecture : 9 minutes 30)
Chère lectrice, cher lecteur,
La semaine a été dense, donc cette missive sera un peu plus courte que d’habitude. Après deux jours pleins passés au salon Produrable, tout se bouscule ! Mais, je ne veux pas vous laisser sur votre faim pour autant.
Au sommaire :
💭L’édito : je reviens sur deux jours passés à Produrable
📰Des médias s’engagent pour une couverture des enjeux climatiques
🤩Patagonia appartient désormais à la planète
❌Le compte n’est pas bon sur les engagements des entreprises pour réduire les émissions
🍖Une ville hollandaise vote l’interdiction de la pub pour la consommation de viande
🔢Les chiffres qui marquent avec le poids de Shein dans l’empreinte carbone des ados ; le partage de valeurs communes comme élément important pour vendre son entreprise ; le regard des Français sur un CIR pour l’intérêt général.
🧠Un peu plus de jus de crâne avec un débat enflammé sur la portée du label B Corp, la double matérialité expliquée, pas de tomates et de laitues cet hiver et le déclin de la livraison en 15 minutes.
🎧Mon son de la semaine : Black Angels - “El Jardin”
A picorer ou à dévorer !
💭Edito
J’assistais hier et avant-hier au salon Produrable à Paris pour la troisième fois. Je vous propose un compte-rendu de mon parcours. Il est impossible d’être exhaustif. En deux jours, il y a plusieurs centaines de tables rondes, donc chaque participant aura son regard.
Commençons déjà par l’ambiance générale. Il y a beaucoup de monde, bien plus que les années précédentes. Cela se ressentait dans les couloirs. Ca grenouillait de stands avec divers offreurs de solutions : conseil, calcul du bilan carbone, audit, pilotage de la RSE, stratégie d’impact etc., ainsi que des start-ups technologiques ou industrielles sur les enjeux de recyclabilité et d’économie circulaire.
Dans un post sur LinkedIn aujourd’hui, Philippe Zaouati de Mirova disait que Produrable était une bulle (sans s’en plaindre pour autant). C’est vrai, mais déjà c’est une bulle d’oxygène. Comme me disait quelqu’un que je rencontrais “en vrai” pour la première fois, “je me sens à l’aise ici, plus que dans les salons où j’étais obligé d’aller et qui me barbait (le langage était plus fleuri)”.
En plus, cette bulle grossit. Bien sûr que cela reste un microcosme, mais ce brassage entre les militants de la première heure, les convaincus, les “born again”, les opportunistes et ceux rattrapés par ces enjeux par la réglementation, leurs clients, leurs collaborateurs ou leurs actionnaires illustrent que les choses bougent, parce que toutes ces personnes travaillent dans des entreprises ou accompagnent des structures pour les faire bouger. Autant d’éclaireurs et de prescripteurs !
Côté contenu, Produrable est un très bon laboratoire des tendances. Par exemple, sur l’entreprise à mission, on parle moins des principes généraux, mais de l’impact dans les entreprises, ainsi que de l’audit.
Je vous partage pêle-mêle quelques éléments marquants de tendances conceptuelles. Deux notions m’ont pas mal interpellé : le progrès et la radicalité. Dans sa keynote, Geneviève Ferone-Creuzet, co-fondatrice de Prophil, a expliqué qu’il fallait repenser la notion de progrès, d’autant que “nous n’avons jamais été aussi sachants, mais cette somme de connaissances, nous n’en avons pas fait grand chose”. Comme elle rappelait, “nous touchons aux limites de notre corps et à la confiance que l’on porte les uns pour les autres, et à la soutenabilité de notre système”.
On parle beaucoup de croissance vs décroissance, mais globalement, je suis convaincu que le vrai sujet est celui du progrès, qui est le cœur du système. Qu’est-ce que le progrès ? Comment le rendre systématiquement utile ?
On a aussi beaucoup parlé de la croissance, de ses limites, de décroissance, mais ce débat est infiniment clivant. On peut en débattre à Produrable assez sereinement, mais pas dans un forum moins “alternatif”.
Autre terme intéressant : la radicalité. Dans une conférence de Mieux et Spring Lab, une définition en a été offerte : “une transformation radicale des entreprises vise à aller à la racine, à toucher à leur raison d’être, en profondeur, de manière énergétique”. Il ne s’agit pas de radical comme extrême.
La question pourrait également être de savoir si l’entreprise ne doit pas être radicale dans ses positions, voire ses renoncements.
Ce dernier terme a animé plusieurs conférences. Des exemples ont été partagés : Biocoop qui arrête la vente de bouteilles en plastique, Camif qui boycotte le Black Friday, la Banque Postale qui arrête de financer de nouveaux projets d’énergies fossiles etc. Mais, cela reste encore assez tabou ou abordé superficiellement par beaucoup. Même Fabrice Bonnifet, généralement tranchant, était sur la réserve en parlant de son entreprise, Bouygues. Il a relayé une crainte fréquente : si on est seuls à renoncer à quelque chose, d’autres vont le faire à notre place. Mais, n’est-ce pas là l’essence de la radicalité : porter et vivre avec ses convictions, être pionniers et faire bouger les autres ? Cf. l’exemple de la Camif sur le Black Friday.
Quelques autres éléments que j’ai appréciés
J’ai participé à une table ronde organisée par Transitions autour de l’étude de cas de BIC Lighter. Jean Codarini, deputy manager de cette division, a présenté le projet en cours, qui consiste à insérer les briquets de l’entreprise dans l’économie circulaire.
Le projet est très structurant, puisqu’il s’agit de réinventer tout le business model des briquets et de travailler notamment sur la collecte, le recyclage et la réutilisation. J’ai été bluffé par la profondeur de l’ambition. Elle est complètement portée par le top management (condition sine qua non, soulignait Jean Codarini). La démarche s’appuyait sur beaucoup de recherches scientifiques et l’entreprise a établi plusieurs partenariats pour la R&D, mais également avec des universitaires pour des études plus sociologiques pour comprendre les comportements et inciter les clients à ramener les briquets en points de collecte.
Autre regard intéressant, celui d’Adrienne Horel Pages, directrice de l’engagement citoyen à la Banque Postale, qui a expliqué comment ils éco-conçoivent leurs produits financiers :
Soit ils suivent un label ou référentiel (type label ISR)
En l’absence d’un référentiel, ils suivent des engagements scientifiques (notamment ceux de la Science-Based Target Initiative)
Si les deux précédents éléments n’existent pas, ils co-construisent avec des parties prenantes. Ils ont ainsi designé avec le WWF un crédit conso à impact : pour l’achat d’un véhicule électrique par exemple, il y a un taux bonifié.
Si rien n’est envisageable ou sur étagère, ils créent une mesure d’impact en interne.
La démarche structurée est méritoire et peut en inspirer plus d’un.
Je terminerais avec la transformation de Léa Nature que son fondateur Charles Kloboukoff a détaillée. Entamée il y a une quinzaine d’années, cette transformation s’est faite chemin faisant en partant de leur activité (promouvoir des solutions bio et naturelles). Cela a commencé par une réflexion systémique qui couvrait l’éco-conception, leurs fournisseurs d’énergies, leurs bâtiments, la réduction des produits issus de l’industrie pétrochimique. Ils ont ensuite structuré une démarche robuste, qui les a amenés à arrêter certains produits par souci de cohérence, comme les vitamines.
Puis s’en est suivie une série d’actions : rejoindre le mouvement 1% for the Planet (donner 1% de son CA pour financer des ONG environnementales), la création d’une fondation en 2011, le passage en société à mission et récemment la création d’une fondation actionnaire en vue de préparer la transmission (j’en avais parlé à l’époque si vous voulez plus de détails).
C’est un florilège incomplet de ces deux jours, mais il est bien difficile de tout résumer. En tout cas, une très belle édition ! On a hâte d’être en septembre 2023.
Du côté des entreprises
📰LA PRESSE S’EMPRESSE.
Après le Tournant environnemental de Radio France il y a deux semaines, une charte signée par 50 structures et plus de 500 journalistes à titre individuel formule 13 engagements en faveur d’un traitement plus fréquent, pédagogique et informé des enjeux climatiques. Lancée à l’initiative du média en ligne Vert (que je recommande chaudement par ailleurs), elle a notamment recueilli les signatures de Médiapart, 20 Minutes, les médias de France Monde, Radio Nova, Novethic et beaucoup d’autres, ainsi que des syndicats de journalisme et des écoles de journalisme. Vous pouvez découvrir les engagements ici.
🤩CA, C’EST DE LA REDISTRIBUTION.
Si votre fil LinkedIn ressemble au mien, il a été inondé toute la journée de l’annonce d’Yvon Chouinard de céder toutes les parts de Patagonia à deux structures externes : 98% pour Hold Fast Collective et 2 % pour le Patagonia Purpose Trust. La première récolte les dividendes et la seconde, disposant de 100% des votes du conseil d’administration, décide de l’affectation. Tous les fonds iront financer des actions en faveur de la protection de la planète.
❌DOIT MIEUX FAIRE.
Selon une nouvelle étude du Carbon Disclosure Project et d’Oliver Wyman, il y a un petit problème entre les engagements nationaux de réduction d’émissions et la réalité des entreprises. Selon leurs calculs et leurs modélisations, en cumulant les trajectoires des entreprises des pays du G7, on est sur une trajectoire de +2,7°C… (2,3°C pour la France).
Du côté de la politique
🍖LA PUB REGLEMENTEE.
Il existe plusieurs restrictions sur les publicités. En France, la loi Evin encadre la publicité sur l’alcool. Souvent, ce sont des enjeux de santé qui régissent les motivations. Plusieurs lois récentes en France ont des impacts sur les publicités. Pour les pubs de voiture, il est obligatoire de mentionner le niveau d’émissions, mais pas d’interdiction pour autant. Comme les constructeurs ne font désormais plus que la promotion de véhicules électriques et hybrides, tout semble parfait.
Mais, là, Haarlem, ville hollandaise de 160 000 d’habitants, a décidé de franchir un nouveau pas. Le conseil municipal a voté l’interdiction des publicités en faveur de la consommation de viande dans les espaces publics. L’objectif est de sensibiliser à l’impact de la consommation de viande sur le réchauffement climatique.
Cette interdiction couvre également les vols aériens, les voitures à moteur thermique. Cette décision rentrera en vigueur en 2024, afin d’honorer les contrats en cours.
🔢Les chiffres qui marquent
12. C’est le pourcentage que pèse Shein dans l’empreinte carbone des ados (même 22% chez les adolescentes), selon une enquête du Teen Lab by Pixabay.
3,34. Selon une nouvelle étude de Bpifrance Le Lab sur la croissance externe, le partage de valeurs communes avec l’acquéreur serait le troisième critère le plus plébiscité par les dirigeants de PME-ETI en cas de vente de leur entreprise, derrière le montant de l’offre la plus élevée (3,52/5) et le maintien des emplois (3,42).
17. C’est le pourcentage de Français étant tout à fait d’accord avec l’idée de créer un Crédit d’impôt recherche qui financerait des domaines de recherche dont l’intérêt général a été démontré. C’est ce qui ressort d’une enquête sur les Français et la RSE réalisée par l’Ifop pour le Forum de Giverny.
Du côté des idées
Je pense que l’édito suffira pour cette semaine. Mais, si jamais vous voulez quelques idées, je me permets une petite auto-promo. Vincent, qui gère le podcast Harmony Inside de main de maître, m’a tendu le micro pour parler de la société à mission. Un épisode sans blabla où on a essayé de couvrir la très grande majorité des questions que je peux avoir de la part d’entreprises. A retrouver sur toutes les plateformes d’écoute.
🧠UN PEU PLUS DE JUS DE CRANE.
Le débat est lancé dans la communauté B Corp à savoir si le label sert une meilleure économie ou juste à faire moins de mal (cette contribution intervient après l’attribution du label à Nespresso). Le patron du B Lab UK estime que le seul moyen de fondamentalement changer le système est que les entreprises labellisées influencent la sphère politique.
Si vous n’avez pas bien saisi la méga-importance du débat sur la double matérialité, cette excellente tribune de Patrick d’Humières devrait vous éclairer.
On pourrait ne pas avoir de tomates et de laitues cet hiver (donc élevées dans des serres), pas par choix ou par décision, mais à cause du prix de l’énergie, explique le Financial Times.
Les start-up de la livraison ultra-rapide sont en chute ultra-rapide, selon Wired. Souvenons-nous de l’emballement il y a deux ans où ces entreprises ont levé des sommes astronomiques en des temps records. Dans un contexte d’investissement plus tendu, espérons que les capitaux se focaliseront sur des innovations utiles (cf. ce que je disais la semaine dernière).
Mon son de la semaine
Belle découverte ! Le hasard des playlists m’a fait tomber sur “El Jardin” des Black Angels. J’ai été frappé par la maturité mélodique de ce morceau. Je le définirais comme du rock adulte si cela fait sens. Mais c’est assez logique : le groupe existe depuis 2004 ! (J’ai quelques albums à découvrir comme ça)
Merci de votre lecture !
Vous pouvez également partager le contenu sur les réseaux sociaux ou auprès de collègues. Vous êtes mes meilleurs ambassadeurs !
Vous ressentez le besoin d’être accompagnés sur la société à mission ?
Si vous souhaitez bénéficier d’un accompagnement pour devenir société à mission, pour challenger votre raison d’être et vos objectifs, ou pour bien piloter le déploiement opérationnel de votre mission, vous pouvez me contacter par réponse à cet email si vous me lisez depuis votre boîte, sinon par email si vous lisez depuis votre navigateur. Plus d’infos sur les différents parcours sur mon site.
A la semaine prochaine,
Vivien.