#62 Parlons de la semaine de 4 jours
Edito de la semaine, MAIF et CAMIF s'allient, Léa Nature lance une fondation actionnaire, chronique de Société du lien etc.
Chère lectrice, cher lecteur,
Si d’aventure vous n’aviez pas vu passer l’entretien avec Stéphane Cohen, fondateur d’Hublo, start-up à mission dans le pressing éco-responsable, je la remets en avant. Entretien riche d’un exemple d’entreprise née à mission, qui veut changer son secteur, utiliser la technologie et redorer le blason du commerce de proximité, tout ça en étant éco-responsable ! Un beau programme à découvrir !
Passons à l’édito. Aberration ! Absurdité ! Stupidité ! Les qualificatifs ne devraient pas manquer dans la bouche de certains face à cette idée qui prend racine : la semaine de quatre jours. La fintech britannique Atom Bank a annoncé avoir mis en place ce dispositif depuis début novembre. L’entreprise compte 430 collaborateurs. La liberté est laissée à chacun de choisir son jour non travaillé sachant que les métiers ayant un contact client auront un peu moins de souplesse afin qu’il n’y ait pas de rupture dans le parcours client. Cette mesure a été mise en œuvre sans réduction de salaire.
Le PDG de la banque s’appuie sur deux arguments pour justifier son choix : plusieurs études, dont une expérimentation menée en Islande, montrent que réduire la durée du temps de travail de 40 à 35-36 heures n’affectait pas la productivité, et ce qui paraissait impensable il y a deux ans ne l’est plus après avoir reconfiguré l’activité en télétravail du jour au lendemain.
Ce n’est pas un phénomène isolé, puisque l’Espagne va devenir un laboratoire géant de la semaine de quatre jours. Le groupe parlementaire de la gauche radicale Mais Pais a proposé une réduction du temps de travail de 40 à 32 heures, soit l’équivalent d’une journée de travail. Le gouvernement a décidé de tenter l’expérience en demandant à 200 entreprises volontaires de tester ce dispositif. Une aide financière servira d’incitation pour les entreprises. Leurs résultats seront comparés au fil du temps à ceux d’entreprises n’ayant pas adopté ce dispositif. Reste à voir ce qui sera comparé : juste les aspects financiers ?
Et en France ? Hasard du calendrier ou alignement d’intérêts, le Journal du Net a publié un long article sur le sujet des approches organisationnelles alternatives, telles que la semaine de quatre jours ou les congés illimités. Je vous le conseille vivement, car il y a plusieurs retours d’expérience d’entreprises qui ont mis en place ces dispositifs, en expliquent les bénéfices, les difficultés, ou parfois les retours en arrière. De la théorie à la pratique, il y a parfois plus qu’un pas.
Dans ces débats, deux aspects essentiels ressortent. Le premier concerne le temps de travail. Ceux qui plaident pour la semaine de quatre jours pensent le sujet sous l’angle de la QVT et du bien-être. En gros, “on travaille déjà beaucoup et ce dispositif doit nous permettre de travailler mieux”.
Ses détracteurs, eux, voient soit le manque à gagner — argument que l’étude islandaise fragilise — mais beaucoup d’autres y sont intellectuellement opposés, parce qu’ils considèrent qu’il faut travailler plus pour générer plus de valeur qu’aujourd’hui. En gros, “l’idée n’est pas de travailler mieux, mais déjà de travailler plus”. Les bases du débat sont bien différentes.
L’autre aspect essentiel concerne la mise en œuvre. L’article du JDN est éclairant à cet égard. Il existe un cimetière d’initiatives alternatives qui ont capoté. Leur point commun la plupart du temps : la culture d’entreprise. En effet, ces bonnes intentions sont pensées en chambre en faisant fi de l’impact que cela peut avoir sur le management, l’organisation, la transversalité, la capacité de chacun.e à s’organiser et à bénéficier de ces évolutions etc. Il y a quelques années, je disais souvent que le télétravail était insuffisamment pensé dans les entreprises : il était souvent mis en œuvre parce que les entreprises grossissaient et manquaient de place. Conséquence : des liens avec l’entreprise distendus, des problèmes managériaux fréquents, des baisses de productivité etc. Autant de sujets que l’on voit “émerger” aujourd’hui…
Tenter de nouveaux dispositifs d’organisation est louable et nécessaire. Toutefois, il faut se dire qu’ils viennent contrecarrer des habitudes profondément ancrées même si certaines sont vertement contestées. Il faut donc bien les réfléchir, les déployer à bonne échelle et au bon rythme quitte à ce qu’il y ait un accompagnement de certains collaborateurs qui pourraient être plus réticents, ne pas savoir comment adapter leur organisation de travail ou ne pas savoir adapter leurs modes de management.
Au sommaire (pas d’analyse de mission cette semaine) :
🤝 Le mariage de sens entre la MAIF et la CAMIF
📈 Léa Nature continue de surprendre en lançant une fondation actionnaire
⚰ Aucun secteur ne sera épargné par la RSE : la preuve avec Full Circle Funerals
🤔 Un débat sur l’acte anormal de gestion aka j’ai besoin d’un traducteur juridique (merci !)
💡 Quelques bons mots de Paul Polman, ancien PDG d’Unilever
📖 Chronique de la Société du Lien. La révolution du comment
📆 Quelques événements et podcasts à noter
Du côté des entreprises
🤝 F-A-I-M. BIEN PLUS EN COMMUN QUE QUATRE LETTRES
On peut enfin se l’avouer : qui n’a jamais confondu la MAIF et la CAMIF ? Si vous n’assumez pas, je suis sûr que vous avez déjà entendu d’autres personnes se tromper. Et pourtant, leurs activités sont très différentes… mais il y a des points de jonction, qui viennent de se multiplier. Historiquement, ce sont deux entreprises très liées au milieu enseignant, puisque la MAIF est à l’origine de la création de la CAMIF en 1947. Leurs sièges sociaux sont à Niort. Toutes deux sont des fers de lance des sociétés à mission. Et aujourd’hui, elles sont liées par leur capital, le sang des entreprises. MAIF détient désormais 82% du capital de CAMIF. Un rapprochement qui fait sens, comme le signale le communiqué de presse.
📈 TOUCHE PAS A MA BOITE.
Chez Léa Nature, on ne fait jamais les choses tout à fait comme ailleurs. Son fondateur Charles Kloboukoff a toujours défendu une vision du capitalisme un peu à la marge. Et il continue…
Il a décidé de progressivement céder ses parts à une fondation actionnaire plutôt que de les transmettre à ses enfants. Modèle peu fréquent en France, il l’est beaucoup en Europe du Nord. “L’idée, c’est de sanctuariser l’entreprise dans sa mission, explique Charles Kloboukoff à France 3, de la rendre inaliénable et quasi incessible, de la mettre à l’abri de prédateurs et de faire perdurer son activité de relocalisation et de transformation de productions bio en France et quelque part, de trouver un mode de transmission qui permette d’établir une gouvernance axée sur justement une charte d’engagement pour pérenniser le sens que nous avons voulu donner à l’entreprise”.
Joliment nommée FICUS Fondaction, la présidence du conseil d’administration sera assurée par Catherine Kloboukoff, l’épouse du fondateur et sa fille, Emma. Un comité philanthropique de 15 membres sera nommé par tirage au sort auprès de collaborateurs volontaires.
⚰ LA CURIOSITE DE LA SEMAINE.
Cela faisait longtemps que je ne vous avais pas partagé la B Corp étonnante. Partons donc outre-Manche chez Full Circle Funerals, qui comme son nom le laisse penser est une entreprise de pompes funèbres. Et oui ! Pas de raison que la RSE ne touche pas toute l’économie.
Du côté de la politique
🤔 BESOIN D’UN TRADUCTEUR JURIDIQUE
Qui donc dans l’Oise a mis dans la tête de leurs parlementaires qu’il était temps de parler de l’acte anormal de gestion comme un angle mort de la loi Pacte ? En l’espace de quelques semaines, le sénateur de l’Oise Jérôme Lascher, dans une question écrite, puis le député de l’Oise Victor Habert-Dassault, dans une audition avec Alain Griset, le secrétaire d’Etat en charge des PME, ont soulevé la nécessité de revoir le périmètre de l’acte anormal de gestion à la lumière de la loi Pacte. Le cabinet Gide peut-être…
Selon eux, un flou demeure sur le sujet : si la loi a évolué sur le sujet, l’administration fiscale, elle, ne l’a pas encore fait, à tort. J’aimerais pouvoir aller plus loin dans le commentaire, mais j’avoue mon incompréhension totale : je sais que le droit n’a aucun secret pour certains d’entre vous, quelqu’un pourrait-il m’éclairer ? Si vous voulez, je publierai votre réponse qui pourrait en aider plus d’un d’ailleurs.
Néanmoins, Alain Griset semble avoir clos le chapitre : “les évolutions apportées par la loi PACTE […] n’ont pas de raison de modifier les règles de déductibilité fiscales des charges. Ces principes n’impliquent pas que l’ensemble des dépenses bénéficiant à des tiers soient considérées comme non déductibles.” Mais comme je n’ai pas tout compris, je n’arrive pas à savoir s’il répond à côté ou si la question était mal posée, et donc si ce sujet est important…
La citation de la semaine
💡 “We talk about courageous leaders in the book [Net Positive: How Courageous Companies Thrive By Giving More than They Take], coming from the French word, “coeur”, which is the heart as much as the head, bringing humanity back to business. And these leaders are so strongly purpose-driven that they understand it is uncomfortable to set targets that you don’t know how to achieve, but that are needed.
It is uncomfortable to take responsibility of the total handprint you have in society. It is uncomfortable to work with other people when you’re not totally in charge and can’t set the agenda or might have to hear some inconvenient truths. So that takes courage. That comes from that stronger sense of purpose.” (Paul Polman, ancien PDG d’Unilever dans un entretien pour la Harvard Business Review)
Du côté des idées
📖 CHRONIQUE DE LA SOCIETE DU LIEN. LA REVOLUTION DU COMMENT DE GUILLAUME DESNOËS, THIBAULT DE SAINT BLANCARD ET CLEMENT SAINT OLIVE, EDITIONS DE L’AUBE.
Lors du salon Produrable, Guillaume intervenait sur une table ronde. Il vient me voir et me donne un exemplaire du dernier ouvrage qu’il a co-écrit avec les co-fondateurs d’Alenvi. Il me le présente surtout comme un témoignage “de ce qu’on a voulu faire”. L’essai est court (102 pages), mais j’ai lu et chroniqué Un Pacte auparavant, donc la brièveté peut cacher la densité et la profondeur du propos.
Et non, Guillaume, ce n’est pas qu’un témoignage, c’est un nouveau pacte de société que vous proposez tous les trois au nom invitant de “société du lien”. Derrière un témoignage humain et sincère où trois entrepreneurs éduqués à HEC décident de se lancer dans le secteur peu glamour des auxiliaires de vie en pleine “start-up nation”, on découvre un véritable plaidoyer pour refondre tout un secteur d’activité, mais beaucoup plus. La Société du lien porte un message fort : le secteur du prendre soin “va devenir le cœur du système de demain, dans tous les sens du terme. […] Face à [un mélange de déshumanisation et de fragmentation], la pandémie a montré que le vrai capital que nous cherchions à protéger était notre bien-être physique et moral”. Mais, en fait, ils vont même plus loin, car c’est un nouveau paradigme sociétal qu’ils appellent de leurs vœux en s’appuyant sur leur expérience.
A la fois “modeste et immodeste” pour reprendre les termes des auteurs, cet ouvrage est au premier abord le témoignage de trois entrepreneurs doté d’une plume attrayante qui plonge le lecteur dans la réalité finalement méconnue des auxiliaires de vie. Peu valorisé en France, abruti par des méthodes de management déshumanisantes, c’est un secteur peu attractif. C’est exactement ce que les auteurs ont voulu changer via les différentes structures qu’ils ont créées, d’abord Alenvi, puis Compani et le réseau Biens communs. Ce livre permet d’en relater les différentes expériences et d’avouer certaines limites qu’ils peuvent rencontrer.
L’ambition n’est pas de disrupter le marché, mais avant tout d’en améliorer les conditions de travail pour les auxiliaires et in fine l’expérience des patients. Vous retrouverez des éléments que Guillaume avait partagé dans son entretien pour La Machine à sens, mais beaucoup plus : être humain, responsabiliser, former, donner le droit à l’erreur etc.
Pour être transparent, ce n’est peut-être pas un ouvrage que j’aurais acheté : le récit de trois entrepreneurs dans un secteur qui m’intéresse peu. Quelle erreur aurais-je fait ! Les auteurs parviennent à mêler le micro — leur expérience — au macro — le secteur du care — au très macro — notre environnement économique et même notre société. Ce n’est jamais moralisateur, même si c’est militant. La Société du lien est un plaidoyer plein d’espoir pour faire changer un secteur, ce à quoi les auteurs s’emploient, mais également un avenir désirable qu’ils partager à l’envie : celui d’une société où l’empathie et l’humain sont des piliers de nos comportements.
Cet ouvrage est un peu ce que je souhaite que les éditeurs et entrepreneurs français fassent davantage : publier des témoignages pour partager leurs expériences, inspirer d’autres et faire grandir la société sur la réalité du monde de l’entreprise, qui évolue. On critique souvent la littérature business anglo-saxonne, mais au moins, les ouvrages de dirigeants sont très nombreux, souvent riches, et permettent justement de partager la flamme, de témoigner d’une époque. Espérons que cette “société du lien” se fasse également par des témoignages d’entrepreneurs qui ont tant à partager !
📆 A VOS AGENDAS ET A VOS OREILLES.
La Communauté des entreprises à mission se lance en croisade : faire monter le sujet de la société à mission au niveau européen. Le premier congrès européen aura lieu à Paris le 1er décembre. Vous pouvez vous inscrire ici pour suivre le congrès en ligne.
La CEM de nouveau organise un webinaire le 10 décembre sur le thème “La société à mission, réussir les 100 premiers jours et au-delà”, qui permettra de présenter le fruit d’un groupe de travail de la communauté. Inscriptions en ligne
Le spécialiste de la culture d’entreprise Patrick Vignaud de B-Harmonist animera une masterclass le 15 décembre sur le thème “Gagner des clients en leur faisant vivre une expérience unique” le tout passé à la moulinette de la culture d’entreprise. Inscriptions en ligne
Mon comparse Clarence du côté de Purpose Info a mis en ligne son nouveau débat au plateau de prestige : Augustin de Romanet et Christian de Boissieu. C’est à regarder sur sa chaîne YouTube.
Mon son de la semaine
Modest Mouse, c’est l’un des meilleurs groupes de rock inconnu en France. Je n’ai jamais compris comment le public français n’avait jamais été séduit par leur son, leurs paroles poétiques, leur créativité. Pas sûr que leur nouvel album cartonne davantage. Mais écoutez ce single et vous verrez à quel point c’est bon ! Et si vous découvrez, plongez dans l’immense album Good News For People Who Love Bad News.
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A jeudi prochain,
Vivien.