#169 Osez vos engagements, assumez-les et valorisez-les
Quelques exemples d'entreprises qui tiennent leurs engagements et d'autres qui sont moins exemplaires; également l'histoire d'amour entre Londres et B Corp; Le travail paie-t-il encore? etc.
Chères lectrices, chers lecteurs,
Bienvenue dans cette 169e missive. Je m’appelle Vivien. c’est moi qui tiens la plume de cette newsletter sur les responsabilités d’entreprise. Cela fait plus de quatre ans. Ca, c’est de la stabilité ! Allez, trêve de plaisanterie, passons au sommaire :
✅ Bel engage beaucoup de moyens pour se réinventer
💂 Londres devient la ville la plus “bcorpée” du monde
📰 The Guardian réaffirme ses engagements environnementaux
😱 L’exemple de Coca Cola qui a essayé de faire passer crème des ambitions à la baisse
🎙️ Nouvel épisode de podcast avec Claire Schwartz de Chateauform’ (évenementiel)
🧠 Un peu de jus de crâne avec un film sur l’agroalimentaire, un podcast sur le territoire à mission, le dilemme du biocarburant et un CAC 40 plus féminin, la CSRD revisitée ?
💡 Et si on accélérait la mise en place d’un statut de société à mission européen
📖 Recension de Sortir du travail qui ne paie plus d’Antoine Foucher
🎧 Mon son de la semaine : Agoria - Quiero
Bonne lecture à picorer ou à dévorer !
Parlons un peu d’amour pour le son de la semaine, surtout dans le contexte actuel avec cet envoûtant morceau “Quiero”, extrait du dernier album d’Agoria, producteur électro qu’on ne présente plus. Juste une pépite !
Une fois n’est pas coutume, l’édito est en lien avec pas mal des contenus de la partie “Du côté des entreprises”. Il s’agit de prendre des engagements même quand le marché ne les demande pas et de s’y tenir même quand ils sont coûteux ou peu reconnus.
J’ai le plaisir d’accompagner un traiteur qui prend des engagements forts depuis plusieurs années. Le secteur est globalement conservateur en matière d’innovation et d’engagements sociaux et environnementaux. Ce n’est pas une question de taille, mais d’état d’esprit.
En plus, sur ce marché, rares sont les clients très pointilleux sur ces aspects. L’important, c’est que ce soit bon, que la réception se passe bien et le moins cher possible. Donc, rien n’incite au changement, à des partis pris, puisque les clients ne les demandent pas. En plus, si personne ne bouge, pourquoi être l’éclaireur qui pourrait se brûler les ailes, car ces engagements pourraient mécaniquement augmenter la facture ? Pourquoi se mettre volontairement dans une posture de handicap par rapport à ses concurrents ?
Ces postures, je les rencontre très fréquemment ! Je n’ai pas de réponse mathématique, entièrement rationnelle.
C’est un choix qu’il faut assumer, comme l’a fait ce traiteur. A titre d’exemple, ils ont décidé que 100% des viandes utilisées dans leurs pièces seraient d’origine française, tout en réduisant le nombre de propositions à base de viande bovine. Cet engagement est coûteux, mais il est significatif. De même, ils intègrent du personnel en situation de handicap ou en réinsertion sur un certain type de réception. C’est un enjeu de société.
Personne ne leur a demandé ces engagements et quasiment aucun concurrent ne les a suivis. Ils feront évidemment partie du modèle de mission, car ils sont des preuves d’une approche différente dans le secteur et ne sont pas de minces affaires à tenir.
L’approche de ce traiteur pour absorber ces coûts a été de monter en gamme, de créer plus de valeur pour les clients, seul moyen pour trouver un équilibre qui permette à l’entreprise de se développer, de rémunérer ses salariés, de poursuivre ses investissements et ses engagements.
Reste un point que nous avons identifié : ces engagements sont peu valorisés auprès des clients et des convives. Ils sont bons pour le karma, mais ce serait encore mieux qu’ils soient bons pour le business. Il s’agit de faire prendre conscience aux clients, et, à leur échelle, de faire évoluer les pratiques du secteur en modifiant les demandes clients.
C’est sur cette dimension que l’on peut réconcilier engagement et développement économique. On n’est jamais complètement seul à bouger, mais il faut accepter de se mettre en tension, de trouver des partenaires avec qui travailler (clients, fournisseurs, associations professionnelles etc.), d’être persévérant, d’être humble et ambitieux, et de faire valoir des engagements qui ne sont pas des contraintes en plus, mais qui deviennent progressivement de nouvelles réalités du marché et de la société.
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✅ Se réinventer, c’est pas si facile, mais c’est nécessaire
Bel est connue pour ses marques phares telles que Kiri, Boursin et Babybel, où le lait d’origine animale est le cœur du produit (ils ont également acquis d’autres marques dans le fruit comme Pom’Potes). Dans un article des Echos, on découvre toutes les ambitions du groupe, récemment devenu société à mission, pour explorer de nouvelles voies : plus de végétal et des produits plus sains.
Depuis 5 ans, le groupe a pris un virage vers le végétal. Comme le dit sa DG, Cécile Béliot, ils ne sont pas dans leur zone de confort. On parle de partenariats avec des acteurs de la food tech, de programmes de recherches pluriannuels, de produits à base d’amande, de lait de coco, de recours à des résidus alimentaires comme les trognons de pomme.
L’objectif est d’avoir une offre moitié-moitié entre produits laitiers et produits mélangeant le fruit et le végétal. Il s’agit de s’aligner avec l’évolution des modes de consommation, comme le Veganuary par exemple, ainsi que de diminuer l’empreinte environnementale des produits.
Pour les produits laitiers, les formules sont également revues pour s’aligner avec “le mieux manger” : moins de sucre, de sel, de gras. Une des particularités de Bel est de devoir adapter ces produits aux différents marchés. Il existe par exemple 150 versions de La Vache qui rit. Autant dire qu’aller vers plus de végétal est un choix stratégique conséquent, en termes de positionnement, d’investissement et de modèle d’affaires !
Mon avis : il faut clairement les reins solides pour aborder ce type de virage, mais il va dans le sens de nos sociétés, même si cela n’avance pas à la même vitesse partout. Il faut également une capacité de projection intellectuelle pour accepter que son offre actuelle n’est pas tenable sur le long terme et qu’il faut engager d’importantes dépenses d’exploration des alternatives. C’est courageux !
📰 Le Guardian renouvelle ses engagements
The Guardian est connu pour avoir pris des engagements forts sur les enjeux environnementaux. Ils en avaient fait part fin 2019 et cinq ans plus tard, ils les mettent à jour. Ils font office d’exemples parmi les médias mainstream. Ils ont récemment pris la décision de se retirer de Twitter (en France, Ouest France a suspendu son activité sur le réseau social).
Parmi les 5 engagements du quotidien britannique, ils renouvèlent leur volonté de rester indépendant en refusant notamment toute publicité du secteur des énergies fossiles. Ils s’engagent à réduire leur empreinte carbone de deux tiers d’ici 2030 (ils en sont à 43% aujourd’hui) et leur empreinte sur la nature. Ils vont continuer un reporting significatif sur les enjeux environnementaux sur lequel ils font aujourd’hui autorité et le rendre accessible dans les termes utilisés.
Mon avis : toute personne intéressée par les enjeux environnementaux sait que le Guardian est devenu incontournable sur ce sujet. C’est une vraie orientation prise par le quotidien. A l’heure du sensationnalisme et de la précarisation continue du secteur, cet engagement démontre le sérieux et l’ambition de l’entreprise, ce qui se traduit par une forte fidélité de ses lecteurs payants. A réfléchir…
💂 1000 B Corp à Londres
Londres devient la ville regroupant le plus grand nombre d’entreprises labellisées B Corp, regroupant désormais 1000 sociétés. La répartition reflète le panorama des B Corp plus globalement : la moitié sont des PME de 10 à 49 salariés. Londres concentre près de la moitié des entreprises labellisées au Royaume-Uni.
En France, la barre des 500 entreprises labellisées a été récemment franchie.
😱 En fait, ça se voit quand on revoit ses ambitions à la baisse
Quand on prend des engagements, c’est mieux de les tenir dans le temps, parce que certains ne manqueront pas de pointer du doigt les inexpliquées volte-face. La preuve avec Coca Cola. Il y a deux ans, l’entreprise avait promis que d’ici 2030, 25% de ses boissons seraient vendues dans des contenants rechargeables ou consignés. Cet engagement a disparu…
Dans une mise à jour de ses engagements, Coca Cola précise qu’elle étend son échéancier à 2035, au lieu de 2030 précédemment et revoit à la baisse plusieurs indicateurs. En matière de matériaux recyclés, l’objectif était d’atteindre 50% d’ici 2030. Il a été revu à la baisse sur un échéancier plus long. Autre indicateur révisé : Coca Cola s’engageait à collecter une bouteille ou une canette pour chacune vendue d’ici 2030 ; c’est désormais entre 70 et 75% d’ici 2035.
Mon avis : l’entreprise peut tourner l’affaire dans tous les sens, elle dégrade ses engagements et c’est un mauvais signal, tant on sait à quel point l’entreprise est déjà plombé par d’innombrables critiques (dernièrement sur l’impressionnante présence de micro plastiques dans les bouteilles). D’aucuns pourraient se dire que mauvais élève pour mauvais élève, pas de surprise dans ces annonces. Mais, cela illustre un point essentiel : quand on choisit des indicateurs, il faut bien faire le travail et surtout consacrer les moyens humains et financiers nécessaires, ainsi qu’assumer ces choix (notamment vis-à-vis des actionnaires).
🎙️ A écouter : entrevue avec Claire Schwartz, responsable de l’engagement et manager de la mission chez Châteauform’
Un nouvel épisode du podcast est disponible. La plupart d’entre vous connaissez probablement Châteauform’ pour ses lieux prestigieux où il est toujours agréable d’organiser un séminaire ou une formation. C’est également beaucoup d’autres choses. C’est ce qui nous raconte Claire Schwartz. Plongée dans la mission de l’entreprise, sa déclinaison opérationnelle, le pilotage pour un groupe de plus de 2000 personnes, la complémentarité mission/CSRD et bien d’autres sujets.
Vous pouvez écouter l’épisode en cliquant sur le lien. Sur cette page, vous pourrez facilement sélectionner les chapitres de l’épisode qui vous intéressent le plus.
L’épisode et les 41 premiers sont également disponibles sur toutes les plateformes d’écoute. N’hésitez pas à vous abonner pour les recevoir dès leur sortie et n’en manquer aucun !
Un peu de jus de crâne
Goliath vient d’être diffusé sur France 2 et est en streaming jusqu’à dimanche soir sur la plateforme FranceTV. Film saisissant sur le cynisme dans l’industrie agroalimentaire notamment avec Gilles Lellouche, Pierre Niney et Emmanuelle Bercot.
Au micro de KPMG, épisode de podcast intéressant sur la notion de territoire à mission en mettant notamment en avant les exemples de deux “associations à mission” qui ont vocation à servir leurs territoires locaux : Charentes Tourisme et Nantes Saint-Nazaire Développement.
L’ONG Actives a dévoilé sa liste de 40 femmes prêtes à diriger une entreprise du CAC 40. On n’en compte que 3 aujourd’hui. La liste est forcément prestigieuse. L’ONG en fera de même pour le SBF 120 et pour l’ESS.
Et si la CSRD était modifiée ? C’est une éventualité qui commence à se cristalliser. En ligne de mire, a priori, surtout une modification des seuils et un allègement possible du reporting pour certaines entreprises, selon un article de l’indispensable média Novethic.
Un article de Big Think revient sur le très gros dilemme des biocarburants. Sur le papier, c’est une alternative salutaire aux énergies fossiles. Mais l’enfer est pavé de bonnes intentions : agriculture intensive en monoculture et concurrence avec des terres agricoles à destination de l’alimentation humaine sont deux des principaux problèmes…
💡 Penser un cadre d’entreprise à mission au niveau européen
Olivier Favereau, Emery Jacquillat et Martin Richer ont co-signé une tribune dans Le Monde appelant de leurs voeux un cadre européen pour les entreprises à mission, qui pourraient prendre la forme de purpose driven company.
Selon eux, cela répond aux demandes d’harmonisation des règles de gouvernance européennes des entreprises. Ce cadre commun pourrait allier différents acquis : la codétermination présente dans 18 des 27 Etats membres, différentes formes juridiques d’entreprises à mission (Espagne, France, Italie), et des avancées réglementaires européennes comme les CSE européens ou la CSRD.
Evidemment, les appels à un moratoire sur cette dernière ne vont pas dans le bon sens pour les auteurs. Ils reflètent “l’absence d’une vision globale”.
Pour eux, la vertu d’un tel cadre serait d’affirmer un modèle européen distinct du capitalisme actionnarial américain et étatique chinois. Ce modèle serait plus collaboratif, plus ouvert sur la société.
Je trouve courageux — et nécessaire — de tenir ces positions dans un contexte défavorable où la dynamique semble être au détricotage et à une remise en cause des enjeux de responsabilité d’entreprise. Mais c’est aussi cela avoir des convictions : être capable de les tenir dans le temps même quand les vents sont contraires.
📖 Recension de Sortir du travail qui ne paie plus d’Antoine Foucher (Editions de l’Aube, 2024)
Antoine Foucher, spécialiste des questions sociales, ancien collaborateur de cabinet et aujourd’hui dirigeant du cabinet Quintet explique la situation malheureuse dans laquelle nous sommes aujourd’hui : le travail ne permet plus de changer de niveau de vie. Nous pouvons progresser, mais dans l’ensemble, on stagne. Nous sommes dans une ère où nous travaillons plus, mais ne gagnons pas mieux nos vies, voire le nombre d’actifs en difficultés augmente.
Parallèlement, notre rapport au travail évolue. Certains sont en résistance, d’autres relativisent le travail (d’autant qu’il n’a plus le pouvoir émancipateur d’avant), d’autres encore l’abordent de manière existentielle : quitte à ne pas gagner mieux ma vie, autant que mes heures au travail aient du sens.
Sur cette dernière approche, l’auteur explique qu’il ne faut pas considérer que les salariés qui partagent cette vision du travail sont forcément moralisateurs ou radicaux. Un emploi peu rémunérateur et qui n’apporte pas de bénéfice à la société ou qui ne permet de remarquer le travail bien fait n’est plus acceptable (pour celles et ceux qui peuvent choisir).
Pour Antoine Foucher, l’un des soucis est que notre productivité stagne depuis 15 ans. Ses explications sur le sujet sont éclairantes et plus poussées que les poncifs qu’on nous sert habituellement.
A cela s’ajoutent des choix faits en matière de rémunération avec des charges importantes pour financer notre système collectif. Pour un salaire net de 2630€, sur 100€ un travailleur gagnait 69€ en 1968, 60 en 1987 et 54 aujourd’hui. Parallèlement, l’effet démographique fait que la charge qui pèse sur les actifs pour financer les retraites ne cesse d’augmenter. L’auteur explique enfin qu’il va falloir financer l’indispensable transition écologique et que ces sommes sont colossales.
Bref, il trouver un autre système s’impose, surtout pour revenir à un travail rémunérateur. Sa principale proposition est une taxation différente de celle d’aujourd’hui : moins taxer le travail, plus taxer le capital et l’héritage (à partir de 500 000€), un tout peu plus les retraites (+1%), et d’établir un nouveau système de TVA revu à la hausse (a priori l’aspect le plus explosif). Il est également favorable à une démocratisation de l’actionnariat salarié.
Comment Antoine Foucher l’écrit, c’est un nouveau contrat social, complexe à mettre en place, qui nécessite donc une validation par référendum. Cela implique également une nouvelle justification de l’idéal du travail porté davantage par le sens de son quotidien, sa capacité à s’orienter vers et se former à des métiers dans lesquels s’épanouir tout en conciliant davantage nos désirs de citoyens et consommateurs (prompts au tout, tout de suite, maintenant) et à de nos désirs de travailleurs (notamment en recherche de meilleures conditions de travail).
Je trouve cet ouvrage très nuancé sur un débat qui ne l’est souvent pas. Certains partis pris sont forts et assumés, ce qui rend cet essai captivant et indispensable pour se poser les bonnes questions et engager un débat sérieux et nourri.
Et pour poursuivre dans une tonalité assez proche, j’enchaîne avec Classes figées. Comprendre la France empêchée d’Agathe Cagé.
C’est terminé pour aujourd’hui. Si cette missive vous a plu, je vous invite à appuyer sur le ❤️. Cela m’encourage !
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A dans deux semaines pour la dernière missive de 2024,
Vivien.