#118 Pourquoi y a-t-il une crise généralisée de l'autorité et de la légitimité ?
Juste mon avis et aussi la recherche du découplage, la mesure pour prouver, les EnR en Europe, le solutionnisme technoligique, une pause dans l'IA et d'autres choses (temps total de lecture: 10')
Chère lectrice, cher lecteur,
Bienvenue dans cette 118e missive de La Machine à sens. Aujourd’hui, c’est la journée internationale du Zéro Gaspillage. J’en parlais la semaine dernière et ça reste toujours d’actualité quand beaucoup d’entre nous regardons nos rues.
Passons au sommaire :
💭 L’édito : les raisons de la crise de l’autorité et de la légitimité
↖️↗️ Kering veut découpler croissance et émissions de GES
👗 Vinted mesure les vertus environnementales de son modèle
☀️ Vers une augmentation importante des EnR en Europe d’ici 2030
⏸️ De nombreux dirigeants et experts demandent une pause dans la recherche sur les IA puissantes
🤔 Que pensent les CEO européens ?
🤖 Le solutionnisme technologique passé au crible
🧠 Un peu plus de jus de crâne avec l’échec des bilans carbone obligatoires, un témoignage venu des petites îles et les raisons d’être pompeuses
🎧 Mon son de la semaine : Black Country, New Road - Turbines/Pigs
Bonne lecture ! A picorer ou à dévorer !
Avant de passer à la suite, je vous encourage si ce n’est pas déjà fait à prendre 4 minutes pour répondre à une enquête de lectorat. Je la fermerai dimanche soir. Elle est très instructive et commence à faire germer quelques réflexions pour la suite de la newsletter. Donc, votre avis compte beaucoup. Il m’aide pour être toujours plus pertinent pour vous. Merci d’avance !
L’autorité et la légitimité sont aujourd’hui mises à mal et pourtant, celles et ceux qui sont censées les incarner les brandissent comme des totems indéboulonnables. Cette double crise se reflète partout dans la société : en politique, dans la rue, dans la famille et dans l’entreprise.
Il est frappant de voir des élus, des parents, des managers, des représentants de certaines fonctions publiques utiliser des arguments, que je paraphrase, comme : “mon autorité est liée à ma position”, “je ne suis pas arrivé ici par hasard”, “c’est moi qui décide parce que je sais mieux que vous”, “je tire la légitimité de mes actions d’un mandat que vous m’avez donné” etc. On retrouve ici les différentes formes d’autorité de Max Weber : l’autorité traditionnelle, l’autorité légalo-rationnelle et l’autorité charismatique. On pourrait rajouter l’autorité professionnelle tirée de l’expertise.
Ces postures vous rappellent certainement des situations que vous avez connues, en étant parfois d’un côté ou de l’autre de la barrière : celle ou celui qui les incarne et celle ou celui qui les subit. Pourtant, on sait que ces postures sont contestées et contestables.
On part d’un principe erroné qu’une situation est statique, que les circonstances ne jouent aucun rôle et que la position de légitimité ou d’autorité est un point d’arrivée (je considère qu’on peut être légitime sans avoir d’autorité formelle et inversement).
En parallèle, on ne cesse de parler d’incertitude, d’agilité, d’engagement, de subsidiarité. L’incertitude, parce que notre société fait face à d’innombrables phénomènes, qui sont interconnectés et s’entrechoquent. L’agilité, parce que ce serait une réponse adaptée, mais surtout nécessaire, à cette volatilité constante. L’engagement, parce que ce serait un moyen indispensable pour conserver la volonté du collectif de participer à la recherche de solutions et à ne pas quitter le navire même si plonger par dessus bord ne présente pas plus de certitudes. La subsidiarité, parce que face à la multiplication des phénomènes, il paraît souvent plus judicieux de laisser à celles et ceux qui sont au plus proche du terrain la responsabilité de la décision à prendre plutôt que tout centraliser.
Tout cela, les personnes en position d’autorité le savent. Souvent, même, elles l’acceptent, ou a minima le concèdent. Pourtant, elles n’agissent pas en ce sens.
C’est comme si nos logiciels de pensée étaient encore programmés pour considérer que l’on tire sa légitimité ou son autorité du pouvoir de sa position, aussi infime ou important soit-il. C’est comme si l’on considérait que lorsqu’on “arrive” à cette position, on “obtient” sa légitimité et qu’elle ne doit souffrir aucune réelle remise en question. C’est comme si penser l’autorité et la légitimité comme des concepts fluides, c’était perdre en autorité ou en légitimité.
Or, notre société est telle aujourd’hui que c’est l’intransigeance de cette attitude qui crée les ruptures, les soulèvements, les désengagements et les démissions. Lorsqu’un système porté in fine par des femmes et des hommes ne repense pas sa matrice de décisions et que ces personnes n’acceptent pas que l’autorité et/ou la légitimité qu’elles possèdent un jour doivent être interrogées, nourries et regagnées en permanence, c’est là que la chienlit prend son lit.
↖️↗️ LE FAMEUX DECOUPLAGE.
Un des principaux défis pour les entreprises est la conciliation des impératifs business, souvent compris comme une accélération de la croissance, et les impératifs environnementaux, qui se déclinent pour le moment surtout sur les enjeux climatiques avec une réduction des émissions. De manière mécanique, plus une entreprise croit, plus elle émet en valeur absolue. On peut faire des améliorations en termes d’efficacité énergétique, modifier certains approvisionnements etc., mais à un moment le tiraillement revient.
C’est le constat que fait Kering. Le groupe a développé il y a quelques années l’EP&L (Environmental Profit & Loss), un outil qui permet de donner une valeur monétaire sur l’intensité de l’empreinte environnementale (l’outil est en open source si vous êtes intéressés). L’EP&L du groupe a diminué entre 2015 et 2021 à la lumière des efforts internes, mais la croissance forte de Kering se traduit par une augmentation de l’empreinte du groupe en valeur absolue.
Le groupe s’est donc fixé de diminuer de 40% ses émissions en valeur absolue d’ici 2035. Comme l’a déclaré Marie-Claire Daveu, la directrice DD de Kering, à The Business of Fashion, “derrière ce type d’objectif, il y a une décorrélation entre la croissance du business et la décroissance des émissions de gaz à effet de serre”. Sans détailler tous les moyens, cela devrait notamment passer par “prioriser la valeur sur le volume”. Le positionnement luxe du groupe peut effectivement être une solution que tout le monde ne pourra pas explorer.
👗 VINTED MESURE.
La semaine dernière, je vous parlais de la campagne d’Emmaüs sur Vinted et Le Bon Coin pour sensibiliser au fait que la revente grevait les dons de vêtements aux associations. Autre critique faite à des plateformes de revente : cela ne ralentit pas la surconsommation (le fameux effet rebond), ni la fast-fashion (Zara est la première marque de revente sur Vinted).
Toutes ces critiques, Vinted les entend et ses réponses peuvent se résumer ainsi : ce n’est pas faux, mais nous n’y pouvons pas grand chose. En revanche, la plateforme estonienne souhaite prouver qu’elle fait sa part sur la question de réduire l’empreinte carbone de la mode.
Pour la première fois depuis sa création il y a 15 ans, l’entreprise s’est engagée dans un grand exercice d’ACV et a calculé qu’en moyenne, un achat sur la plateforme permettait d’économiser 1,8kg d’équivalent CO2 par rapport à l’achat d’un vêtement neuf. Le rapport est truffé d’autres données diverses et variées sur le choix des emballages, la livraison etc.
Point intéressant : la motivation des usagers. 20% des acheteurs et des vendeurs sont motivés par des préoccupations environnementales ou sociales. Verre à moitié vide ou à moitié plein ?
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☀️ LES ENR EN POINTE.
L’Union européenne se rapproche d’un accord définitif sur la part d’énergies renouvelables dans la consommation énergétique d’ici 2030. Après un an et demi de négociations entre les différentes institutions, un accord a été trouvé pour que leur proportion représente 42,5% de la consommation globale. Les Etats-membres, qui le souhaitent, peuvent monter à 45%.
Cela représente une augmentation de 10 points par rapport à la cible actuelle et un doublement par rapport à la part actuelle d’EnR en Europe. Pour la première fois, l’industrie est intégrée dans le champ d’application. La directive prévoit une augmentation annuelle de 1,6% d’EnR. Un des gros débats dans ces négociations a porté sur l’usage de l’hydrogène d’origine nucléaire, qui est intégré mais considéré à part, ni fossile, ni renouvelable.
Cette nouvelle réglementation doit encore être officiellement approuvée par les Etats membres avant d’être adoptée au niveau national.
⏸️ PAUSE.
La révolution de Chat GPT bouscule tout le monde. Qui va sortir gagnant ? Perdant ? Quelles sont les nouvelles limites aux développement de ce type d’intelligence artificielle (IA) ? N’est-on pas en train d’accélérer vers une IA générale ?
Face à ces questions fondamentales, de nombreux dirigeants de la tech et parmi les meilleurs spécialistes de l’IA ont co-signé une tribune pour demander une pause d’au moins 6 mois aux laboratoires d’IA qui entraînent les algorithmes qui pourraient être plus puissants que Chat-GPT 4.
L’ambition de cette pause est profonde :
Should we let machines flood our information channels with propaganda and untruth? Should we automate away all the jobs, including the fulfilling ones? Should we develop nonhuman minds that might eventually outnumber, outsmart, obsolete and replace us? Should we risk loss of control of our civilization? Such decisions must not be delegated to unelected tech leaders. Powerful AI systems should be developed only once we are confident that their effects will be positive and their risks will be manageable.
Il ne s’agit pas d’arrêter de travailler au développement de l’IA, mais de s’assurer que les développements sont positifs pour les humains. On verra ce qu’il adviendra de cet appel…
🤔 QUE PENSENT LES DIRIGEANTS EUROPEENS ?
PwC a sorti son baromètre annuel des CEOs avec une focale sur l’Europe. 37% des dirigeants européens estiment que leur entreprise ne sera pas viable dans 10 ans sans changement radical. En comparaison, ils ne sont que 20% à le penser aux Etats-Unis et 53% dans la région APAC (Asie Pacifique).
Parmi les principales menaces, on retrouve l’inflation et les conflits géopolitiques en tête (30% se considèrent très ou extrêmement exposés). Le changement climatique arrive en cinquième position à 24%.
Sur ce point, il y a un décalage entre les trois régions observées. On sent un tropisme fort en Europe et en APAC, bien plus qu’aux Etats-Unis. 71% des dirigeants européens et 65% en APAC ont entamé la création ou déjà créé de nouveaux produits ou services qui prennent en compte des dimensions climatiques, contre 50% outre-Atlantique.
Surtout, il ressort que le changement climatique est perçu comme la menace qui va le plus s’intensifier dans les cinq prochaines années. Le terreau est donc fertile pour avancer sur ces sujets !
🤖 LE SOLUTIONNISME TECHNOLOGIQUE, CETTE VIEILLE IDEE
Le terme de “solutionnisme technologique” est une invention récente, mais ses principes sont eux bien ancrés depuis la révolution industrielle. Le Monde consacre un excellent article, qui revient sur l’émergence de ce concept.
En fait, derrière ce terme, on voit une fascination pour la capacité de la technique à résoudre des problèmes sans interroger les usages. Pour la journaliste, Claire Legros, les promesses du solutionnisme technologique sont une forme de climatoscepticisme : “Ces promesses négligent des réalités physiques incontournables, dont l’épuisement des ressources et le temps incompressible du développement technologique, alors même que s’accélèrent les catastrophes écologiques”.
🧠UN PEU PLUS DE JUS DE CRANE.
Une enquête du Monde montre que les bilans carbone sont loin de tenir leurs promesses dans les entreprises comme dans les collectivités, déjà parce qu’ils sont encore trop rarement faits même quand ils sont obligatoires…
Robert Van Lierop, le premier président de l’Alliance of Small Island States, revient dans un entretien pour Carbon Brief sur la proposition qu’il a formulée en 1991 pour les pays développés d’aider financièrement les pays en développement à faire face au changement climatique. Passionnant !
Dans sa dernière chronique, Pierre-Yves Gomez, prof à l’emlyon, argue que les raisons d’être “pompeuses” reflètent l’incompréhension des dirigeants de ces entreprises face au phénomène de “sociétalisme” auquel leurs organisations sont confrontées.
Quelle découverte ! Je suis tombé sur un live fraîchement sorti de Black Country, New Road, sextet britannique très inspiré. “Turbines/Pigs” est une expérience musicale de 9 minutes qui monte progressivement en puissance doublée de l’effet concert. A ne pas manquer !
C’est terminé pour cette semaine. Si cette missive vous a plu, je vous invite à appuyer sur le ❤️. Cela m’encourage !
N’oubliez pas de répondre au questionnaire dont je parlais en introduction. Lundi, il sera trop tard ! Merci beaucoup !
Vous pouvez également partager le contenu sur les réseaux sociaux ou auprès de collègues. Vous êtes mes meilleurs ambassadeurs !
Vous ressentez le besoin d’être accompagnés sur la définition, l’affinage ou le pilotage de votre mission ?
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A la semaine prochaine,
Vivien.