#117 Réflexions de trottoirs
Réflexions liées à la crise des poubelles; disruption du don; choix de ne pas produire plus; une future réglementation anti-greenwashing; le fléau d'une culture toxique etc. (Temps total: 11 minutes)
Chère lectrice, cher lecteur,
Désolé de cet envoi un vendredi. Avec une semaine de congés, il m’a fallu pas mal rattraper. Donc, j’ai préféré attendre que les poubelles ne brûlent plus pour vous transmettre cette missive.
Avant de passer au sommaire, l’enquête de lectorat est toujours ouverte. Elle vous prendre 4 minutes max et me permet de mieux vous connaître, vous comprendre et être toujours plus pertinent pour vous.
Passons au sommaire :
💭 Edito : réflexions de trottoirs sur les déchets et l’incivilité ordinaire
🍷 La Chartreuse dit non à plus de croissance, mais oui à une diversification
👕 Emmaüs subit la disruption des dons et réagit
😯 Larry Fink revient à des postures plus traditionnelles. Finies les idées positives !
🚫 La Commission européenne veut faire une chasse organisée contre le greenwashing
🌍 Le rapport du GIEC vu par d’autres
💥 L’idée qui fait “bim” avec un renversement de la finalité des entreprises
👩🦰 Les femmes et le fléau d’une culture toxique
🧠 Un peu plus de jus de crâne avec la “French Coop”, le recrutement, l’Afrique sub-saharienne face au changement climatique, le futur du travail et B Corp
🎧 Mon son de la semaine : Deeper - This Heat
Bonne lecture à picorer ou à dévorer !
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Il y a fort à parier que beaucoup d’entre vous connaissent la même galère en ce moment : circuler à pied sur les trottoirs devient un parcours de slalom. Cet amoncèlement de déchets sur nos trottoirs que l’on retrouve dans plusieurs villes de France est l’occasion de faire un petit point sur la situation.
Sur la réduction des déchets, nous sommes loin du compte
Selon l’Adème, la France produisait environ 342 millions de tonnes de déchets en 2018. L’immense majorité provient de la construction (70%), tandis que les déchets ménagers représentent 11%.
On constate une diminution progressive de la quantité de déchets produits par les ménages depuis la moitié des années 2010. En 2019, selon l’Adème, chaque habitant produisait 582kg de déchets par an (incluant les déblais et gravats).
Mais, l’effort à fournir reste colossal. La loi AGEC sur la lutte contre le gaspillage et sur l’économie circulaire a fixé une trajectoire de réduction de 15% des déchets par an. D’ici 2031, l’objectif est d’atteindre 501,5kg de déchets par habitant. On en est très loin.
Dans le détail, les choses sont assez stables. 43% des déchets produits sont des ordures ménagères résiduelles et 20% sont des matériaux recyclables.
On peut espérer que depuis 2019, la part de matériaux recyclables a augmenté, mais on ne verra le résultat dans les études que dans les prochains mois et années. Par ailleurs, notons que la moyenne est plus faible si on exclut les gravats et déblais et s’établit à 529 kg/habitant. En milieu urbain dense, c’est encore inférieur, à 435 kg/habitant.
En tout cas, on voit que les campagnes de réduction des déchets ont des impacts limités sur la population française. Ce qui n’empêche pas de souligner que des solutions existent, comme le rappelle Zero Waste France dans une récente série de tweets. Globalement, c’est beaucoup de bon sens et un peu de volonté.
Mais, ne soyons pas myopes à ne regarder que la situation en France. Nous sommes un monde de déchets. Un récent épisode de l’émission Le Dessous des cartes sur ARTE le montre tristement.
Les pays occidentaux sont les principaux producteurs de déchets dans le monde avec un top 3 par habitant constitué : 1. Le Danemark 2. Les Etats-Unis 3. Le Luxembourg. Je suis sûr que vous n’auriez pas donné ce tiercé gagnant !
Evidemment, on peut remarquer que les filières de recyclage et de valorisation des déchets ont fait énormément de progrès et que les opportunités restent légion. Mais, il s’agit de s’interroger sur la manière de moins jeter…
L’émission évoque un cas intéressant : la Corée du Sud. Le pays a mis en place depuis 1995 un système de redevance sur le volume de déchets. Depuis 2013, dans certains territoires, des points de collecte digitaux pèsent les ordures et calculent la redevance en fonction du poids. Imaginez…
Une situation qui révèle l’incivilité ordinaire
Mais au-delà de cet aspect écologique, il y a une autre réflexion de trottoirs que je souhaitais partager : l’invisibilité de la collecte. On a salué les éboueurs pendant le premier confinement ; métier de première nécessité. Mais, au quotidien, c’est un métier invisible. Invisible, car on a l’habitude que la collecte se fasse et on ne la voit pas ; invisible, parce qu’on connait finalement mal ce qui se passe une fois que nos poubelles sont dehors.
Cette invisibilité est désormais bien visible, mais cette visibilité illustre en prime l’incivilité individuelle. Mettre le feu à des poubelles est profondément idiot et un irrespect patenté aux personnes qui nettoient et devront ramasser.
Mais, cette incivilité s’illustre également dans la manière dont les gens font leurs poubelles. Le tri apparaît aléatoire… Les sacs sont souvent mal fermés, voire inexistants avec des contenants ouverts dont le contenu se retrouve éparpillé sur le trottoir… Le gaspillage alimentaire saute aux yeux… Plutôt que de stocker un peu chez soi histoire de ne pas encombrer davantage les trottoirs, on va jeter le moindre petit truc (un peu plus, un peu moins hein…). Bref, cette situation est un miroir grossissant de cette incivilité doublée d’une bonne dose d’individualisme qui montre que la responsabilité individuelle n’est pas vraiment la priorité de chacun. Petite touche moralisatrice totalement assumée !
🍷LA CHARTREUSE VA MOINS COULER A FLOT.
La Chartreuse connait une période de frénésie. Cette très vieille liqueur qui date du XIe siècle est à la mode un peu partout dans le monde avec des prix de revente des bouteilles qui dépassent les milliers d’euros. Problème : elle l’est un peu trop. Dom Dysmas, le responsable des moines chartreux, a fait entendre son message auprès du conseil d’administration : “la croissance infinie n’est plus possible”.
Pour des raisons sociales et écologiques, la décision a été prise de ne pas produire plus. Sociales, car seuls trois moines sont impliqués, en plus de laïcs, dans certains processus de production et ils sont débordés. Ecologiques, car le réchauffement climatique complexifie la culture des plantes nécessaires à la recette secrète du breuvage.
Parallèlement, les chartreux veulent se refocaliser sur les vertus médicinales des plantes. Ils vont ainsi créer une herboristerie, qui commencera assez classiquement par des tisanes. A plus long terme (10-15 ans, l’avantage d’un actionnariat très patient), l’ambition est d’aller vers la phytothérapie. Le choc entre la hype et une entreprise millénaire !
👕QUAND LE DON EST DISRUPTE.
La revente de vêtement ou la seconde main ont bonne presse. Parmi les 16-34 ans, 74% affirment avoir vendu en ligne au moins un vêtement sur les 12 derniers mois. La réglementation pousse également les marques à envisager des offres de seconde main, d’autant plus que le secteur de la mode est largement pointé du doigt pour sa contribution aux émissions de GES.
Seul hic, des acteurs historiques voient leur modèle disrupté par cette nouvelle tendance, à commencer par Emmaüs. En effet, l’association note une baisse des dons et de leur qualité, qu’elle impute à de nouvelles tendances facilitées par des acteurs comme Vinted ou Le Bon Coin. On revend plus qu’on ne donne, encore plus chez les jeunes.
Pour les sensibiliser, Emmaüs a donc lancé une campagne assez originale sur Vinted avec plusieurs vêtements proposés sur la plateforme flanqués d’un écrit “Si tu ne le portes pas, donne-le”.
😯RETOUR A LA REALITE.
Depuis quelques années, la lettre de Larry Fink, le CEO de BlackRock, était attendue pour fournir quelques directives sur la manière dont le fonds, parmi les plus puissants du monde, allait guider ses investissements. Ces dernières années, il s’était fait le défenseur de la position que le risque climatique était un risque d’investissement et que les entreprises devaient accélérer leur transition. L’an dernier, il adoubait le capitalisme des parties prenantes.
Et cette année ? Rien de tout ça. Il continue sur une trajectoire beaucoup plus traditionnelle que j’ai déjà soulignée dans de précédentes missives : changement de contexte, donc changement d’attitude. Finies les positions un peu avant-gardistes. Il justifie le maintien des investissements importants dans les énergies fossiles.
Plus étonnant, mais dans la lignée de ce qu’il a dit précédemment : “It is not the role of an asset manager like BlackRock to engineer a particular outcome in the economy, and we don’t know the ultimate path and timing of the transition. Government policy, technological innovation, and consumer preferences will ultimately determine the pace and scale of decarbonization. Our job is to think through and model different scenarios to understand implications for our clients’ portfolios.” Mais, alors pourquoi toutes ces prises de position ces dernières années ? Et donc, les entreprises n’ont pas de rôle dans la société ?
En gros, BlackRock ne défend rien, ne se projette pas, n’a pas de conviction. “The powerful simplicity of our business model is that when we deliver value for our clients, we also create more value for our shareholders.” Il est loin le temps du capitalisme des parties prenantes.
🚫LA CHASSE AU GREENWASHING.
La Commission a proposé cette semaine une directive pour faire une chasse harmonisée contre le greenwashing. L’objectif de cette réglementation est d’établir des critères communs dans la communication des entreprises lorsqu’elles vantent les dimensions environnementales de leurs produits et services.
Cette directive veut combattre le manque de clarté et de transparence de ces allégations qui peuvent parfois tromper les consommateurs. Sont particulièrement visées celles du type “neutre en carbone”, “ocean-friendly”, “fabriqué à partir de matériaux recyclés” etc. L’ambition de la Commission est que ces déclarations soient explicitées (par exemple, quelle part du produit est faite à partir de matériaux recyclés ? Quel rôle joue la compensation dans la neutralité revendiquée ?) et appuyées par des preuves scientifiques.
Un autre aspect de la directive vise les labels environnementaux. La Commission en a recensé 230 en Europe. Le législateur européen veut stopper l’hémorragie et apporter de la clarté.
Prochaine étape : cette directive sera discutée au sein du Parlement européen et du Conseil. Donc, n’attendons pas de transposition avant l’année prochaine, mais mieux vaut s’y préparer dès maintenant.
🌍 NOUVEAU RAPPORT DU GIEC.
Je n’ai aucune prétention de pouvoir résumer le nouveau rapport du GIEC. D’autres l’ont fait, à commencer par le média Vert ou Bon Pote. Côté analyses, Fabrice Bonnifet, président du C3D a consacré sa dernière chronique au sujet (“la lucidité ou le chaos”).
💥UNE IDEE BIG BANG.
Dans une tribune au Monde, Mickaël Lainé, professeur d’économie à Paris-VIII, propose un changement profond de la finalité des entreprises afin qu’elle participe pleinement à la transition de nos sociétés.
Selon lui, il faudrait réviser la loi et revoir la rémunération des dirigeants sur trois critères : “la baisse des émissions de gaz à effet de serre ; l’investissement net (comme indicateur de prospérité macroéconomique) ; et la justice sociale (sous la forme d’une réduction des inégalités salariales entre les dirigeants et le reste des employés)”.
En prime, pas de dividende aux actionnaires si l’entreprise ne réduit pas ses émissions ou si elle désinvestit. Derrière ce “climatisme” comme il l’appelle, il voit un moyen “pragmatique” d’aboutir à la décroissance. Forcément. Assez mécaniquement, quand une entreprise croît, au moins à court terme, ses émissions augmentent. Il faut du temps pour décarboner son activité. Ca a au moins le mérite de stimuler la réflexion.
👩🦰 CULTURE TOXIQUE, UN FLEAU POUR LES FEMMES.
Dans un article pour la revue MIT Sloan Management Review, Donald Sull et Charles Sull expliquent comment une culture toxique affecte davantage les femmes que les hommes. Selon cet article, les femmes sont 41% plus susceptibles de ressentir une culture toxique que les hommes.
Les cinq principales raisons sont : manque d’équité des genres, manque de respect des managers, environnement coupe-gorge, management abusif et comportement non-éthique.
Autant vous dire que ce sont autant de raisons pour lesquelles les femmes quittent les entreprises…
🧠UN PEU PLUS DE JUS DE CRANE.
Maud Sarda du label Emmaüs plaide pour une “French Coop”, en vue de mécanismes d’incitations fiscales et d’augmenter la visibilité des coopératives pour soutenir l’investissement dans ces structures.
Le mouvement B Corp est-il devenu trop gros ? C’est la question de cet article à la lumière de la certification d’entreprises plus grosses que certains questionnent.
Podcast à écouter : le dernier épisode de Harmony Inside avec
qui reçoit Aurélie Jourdon, co-fondatrice d'Omeva, un cabinet de recrutement pour les métiers à impact.Nosmot Gbadamosi dans Foreign Policy explique à quel point le changement climatique a déjà affecté l’Afrique sub-saharienne. Et cela ne va s’aggraver !
Xavier sur
partage un premier retour de ses lecteurs sur les difficultés liées à l'évolution du travail ! C'est éclairant !
Deeper est un groupe que j’ai récemment découvert. Pour qui écoute fréquemment les morceaux que je partage, vous retrouverez tout ce que j’aime dans “This Heat” : un morceau indie hyper marqué, des instrus parfaites (quelques passages de batterie sont hyper malins) et un esprit d’urgence. Je l’écoute en boucle !!
C’est terminé pour cette semaine. Si cette missive vous a plu, je vous invite à appuyer sur le ❤️. Cela m’encourage ! N’oubliez pas de répondre au questionnaire dont je parlais en introduction. Merci beaucoup !
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Si vous souhaitez bénéficier d’un accompagnement pour devenir société à mission, pour challenger votre raison d’être et vos objectifs, ou pour bien piloter le déploiement opérationnel de votre mission, vous pouvez me contacter par réponse à cet email si vous avez directement reçu cette missive, sinon par email si vous lisez depuis votre navigateur. Plus d’infos sur les différents parcours sur mon site.
A la semaine prochaine,
Vivien.
Triste le changement de posture de Larry Fink !!