#128 Comment parler de l'entreprise à mission dans les offres d'emploi ?
Et aussi le numérique responsable, un hackathon sur le développement durable, le greenwashing, l'industrie verte, et d'autres sujets...
Chères lectrices, chers lecteurs,
Bienvenue dans cette 128e missive. Aujourd’hui, je pense que nous avons atteint le sommet de l’absurde, mais n’en parlons pas, c’est trop affligeant surtout quand on sait à quel point certains aiment parader avec eux… Passons directement au sommaire :
🤝 L’édito : Comment communiquer sur l’entreprise à mission dans vos offres d’emploi ?
🧑🏭🌱 Quand l’environnement et l’économie s’affrontent et pourquoi cela pourrait prendre des tournures malheureuses
🔎 Premier rapport d’activité de la DGCCRF sur le greenwashing
💭 Un hackathon original sur le développement durable
💻 Le “numérique responsable” n’est pas qu’une question d’environnement et d’éthique
🤔 4 typologies d’entreprise sur la raison d’être
🧠 Un peu plus de jus de crâne
🎧 Mon son de la semaine : Cerrone - Supernature
Bonne lecture à picorer ou à dévorer !
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Je vois passer beaucoup d’annonces d’emploi d’entreprises à mission ; elles évoquent très fréquemment qu’elles ont adopté la qualité. Rien d’étonnant, ni d’absurde, c’est même très logique. Beaucoup d’entreprises à mission témoignent du fait que leur mission les aide dans leur marque employeur et elles notent un pic de candidatures (quand elles communiquent dessus).
Mais quelques règles me semblent utiles pour éviter une éventuelle perception de mission-washing par les candidats.
Très peu de personnes savent ce qu’est une entreprise à mission, donc la pertinence de la mention n’a de sens que si elle est un peu explicitée. Dire que vous êtes entreprise mission, ça peut “faire bien”, mais rappelons que ce n’est pas un label de vertu et que les candidats sont de plus en plus vigilants face à ce type de déclaration. Mon conseil est donc de donner un peu de corps à cette mention :
soit en donnant par exemple votre raison d’être
soit en expliquant en une phrase ou deux pourquoi cette décision ou comment cela vous amène à faire des choix différents de si vous ne l’étiez pas.
Cette mention doit servir l’offre d’emploi. Encore une fois, une simple mention est inutile ; cela renvoie une image d’affichage. Imaginez vos offres autour de la question : comment peut-on expliquer dans cette offre d’emploi la manière dont la personne recrutée participera à notre mission ? Ce n’est pas évident, mais c’est vraiment en réfléchissant ainsi que votre mission servira concrètement votre marque employeur.
Si vous communiquez sur le fait que vous êtes une entreprise à mission dans vos offres d’emploi, assurez-vous que les candidats peuvent facilement trouver des informations sur le sujet, notamment sur votre site Internet. Avez-vous une page dédiée à votre mission avec le détail de votre raison d’être et de vos objectifs, voire un manifeste de mission, et le cas échéant votre rapport de mission, sans parler de l’avis de l’OTI (dont la publication est obligatoire) ?
Assurez-vous que les personnes qui recrutent soient au fait de votre mission. Il n’y a rien de plus déceptif pour une candidate de poser la question en entretien et d’avoir des discours vagues, pire un aveu d’ignorance. Dans la posture de candidat, je poserais deux questions à toutes les personnes que je rencontre : “l’entreprise se déclare société à mission, qu’est-ce que cela signifie pour vous ? Comment votre équipe, et plus particulièrement mon poste, y contribuent-ils ?”
Gardez un principe à l’esprit : une entreprise à mission s’expose. Si vous décidez de communiquer vis-à-vis des candidats via vos offres d’emploi, vous avez un devoir d’exemplarité.
Au-delà de l’image de votre entreprise—c’est déjà beaucoup—vous faites partie d’un mouvement collectif, que vous en ayez conscience ou non. Donc, c’est votre responsabilité de ne pas en usurper la portée.
🧑🏭🌱 Quand l’économie et l’environnement s’affrontent dans le choix d’une implantation
Hermès connaît une forte croissance et continue d’ouvrir de nouveaux sites de production. Elle en prévoit la construction d’un 24e à Loupes en Nouvelle-Aquitaine. Sur le papier, tout est parfait. Petite bourgade d’à peine 1000 habitants où il n’y a pas grand-chose, la création de 300 postes est une aubaine inattendue.
Mais, c’est sans compter le fait que ce site sera construit en partie sur des zones humides, autrement dit un lieu environnemental important pour la biodiversité. C’est sur ce point que le dossier s’assombrit d’autant que le groupe se présente comme très engagé sur le sujet.
Et d’ailleurs, saluons les efforts réalisés par l’entreprise. Sur les 6 hectares prévus, le nouveau site devait couvrir 4,4 ha de zones humides. Après des modifications, il n’en couvrira plus qu’un hectare. Hermès s’est engagée à compenser à plus de 300% cette surface dans le cadre d’un contrat de gestion de 30 ans, rapporte Novethic.
Toutefois, l’enquête publique sur le dossier s’attarde beaucoup plus sur les avantages économiques du projet que les considérations environnementales. En prime, les critères de sélection d’Hermès privilégiaient des aspects de confort, d’accès à certaines infrastructures et de proximité à d’autres sites. Parmi les critères, en dernier seulement avec une bonne dose de nuances figure : “la possibilité de s’inscrire dans un environnement naturel sans développer d’incidences notables sur la biodiversité, par la mise en place de mesures d’évitement et de réduction”.
C’est un tout petit exemple, mais cette situation risque de se reproduire fréquemment à mesure qu’on cherche à réindustrialiser le pays. Il serait dommage de promouvoir “une industrie verte” qui endommage l’environnement dans lequel les usines sont installées…
Le sujet de “l’industrie verte” est en débat au Parlement. Et on sent que la balance sera clairement du côté de l’économie, au Sénat en tout cas. Il vient d’ajouter un amendement au projet de loi, contre l’avis du gouvernement, d’exclure du décompte de ZAN (objectif de “zéro artificialisation nette des sols” en 2030) les implantations industrielles qui s’inscriraient dans la logique de la transition écologique ou de la souveraineté nationale. Pas joli, joli !
🔎Alors, qui fait de l’écoblanchiment ?
La DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) a rendu son premier rapport d’activité sur le greenwashing. Cette entité dépendant de Bercy a contrôlé 1100 entreprises en 2021 et 2022. Elle a établi qu’un quart d’entre elles pratiquaient le greenwashing. Elle a ainsi dressé 141 avertissements, 114 injonctions et 18 procès-verbaux pénaux ou administratifs.
Les mauvaises pratiques étaient diverses :
des allégations globalisantes : comme “respectueux de l’environnement”, “écologique” ou “éco-responsable”. Le rapport fait par exemple état de cette dernière mention pour de la vaisselle en bois importé d’Asie.
des allégations environnementales non-justifiées : cela peut aller de l’allégation fausse—une marque de miel qui indique reverser un don à une association qui lutte pour la sauvegarde des abeilles contre chaque pot acheté alors que le seul don effectué date de 2016—aux allégations insuffisamment justifiées.
des allégations imprécises ou ambigües : cela peut arriver quand une entreprise ne précise la quantité de matière recyclée utilisée pour la fabrication d’un produit par exemple ou des mentions comme “zéro déchet” qui n’explicitent pas si cela concerne la fabrication ou l’utilisation.
des allégations contraires aux dispositions légales.
On peut imaginer que ces contrôles ne vont cesser de s’accélérer et potentiellement les avertissements se multiplier.
💭 Une expérience originale : un hackathon interne autour du développement durable
J’ai récemment eu le plaisir de faire partie du jury d’un hackathon original organisé par le cabinet de conseil Advents. Les équipes ont été mobilisées autour du développement durable. Après avoir suivi une formation en e-learning sur le sujet, les 70 collaborateurs ont planché en groupe sur différents projets à vocation prioritaire pour le cabinet. Traditionnellement, l’hackathon s’organise plutôt dans des contextes d’innovations tech.
J’ai trouvé l’approche intéressante, tout autant que complexe. Intéressante, parce que c’est un moyen de former et d’engager les collaborateurs, ainsi que de montrer que le sujet du développement durable est sérieusement pris en compte par la direction—de manière crasse, faites le compte : 70 consultants mobilisés une journée pour un projet interne (hors clients) + quelques heures pour finaliser le projet + restitution des projets au jury + (pour certains) affiner les projets. Ce sont autant d’heures non facturées. C’est déjà une preuve d’engagement.
Mais c’est également complexe, car ce ne sont pas des consultants en développement durable. Donc, il n’est pas forcément évident pour eux de savoir où aller, comment structurer un projet dans ce domaine et d’en anticiper les retombées. Heureusement qu’ils étaient bien guidés !
Toutefois, je trouve cette démarche créative et plusieurs projets fort pertinents sont ressortis.
Si vous êtes intéressés pour votre entreprise, je peux vous mettre en relation avec le pilote de la démarche chez Advents.
💻 Le “numérique responsable” ne concerne pas que les enjeux environnementaux ou d’éthique
Le syndicat des entreprises numériques Numeum vient d’élire sa nouvelle présidente, Véronique Torner. Elle a donné un entretien à L’Usine Digitale dans lequel elle indique faire du numérique responsable une priorité de son mandat. Son propos est louable et crédible, car elle s’intéresse au sujet de longue date notamment au sein du Syntec.
Toutefois, un point me dérange. Elle insiste beaucoup sur les aspects environnementaux. “Mais le terme ‘numérique responsable’ englobe aussi les sujets de la protection des données, de la souveraineté, de la cybersécurité ou encore de l’éthique autour de l’IA”, précise-t-elle.
Certes, c’est vrai, mais le numérique responsable implique également des enjeux sociaux : l’accessibilité des services numériques à des personnes peu familières du numérique (ce qu’on appelle l’illectronisme), l’accessibilité des solutions numériques aux personnes touchés de handicap (les daltoniens par exemple).
Frédérick Marchand avait très bien explicité ces sujets dans un épisode du podcast.
🤔 Réflexion judicieuse sur “l’objectif” des entreprises
Tom Rippin, le fondateur du programme On Purpose (que je recommande pour les professionnels cherchant à se reconvertir dans les métiers à impact) a publié une tribune qui interpelle dans Pioneer Post. Selon lui, les travaux cherchant à justifier le business case de la prise en compte du “purpose” (disons la raison d’être) conduisent les débats dans la mauvaise direction.
Selon lui, “si vous ressentez le besoin de faire un business case sur la raison d’être, alors votre raison d’être est de faire de l’argent—pas ce que vous prétendez vouloir défendre dans votre business case”.
Il détaille sa pensée selon laquelle il y a quatre approches des entreprises par rapport à la raison d’être :
les entreprises qui font du profit leur raison d’être ;
les entreprises qui ont une pensée un peu plus ouverte et s’intéressent à leurs parties prenantes immédiates, mais avant tout dans l’idée que cela servira leurs intérêts financiers (bien traiter leurs collaborateurs, choyer leurs clients etc.) ;
les entreprises qui se donnent pour raison d’être de résoudre des problèmes sociaux ou environnementaux avec un souci de développement économique ;
les organisations qui cherchent par tous les modes de financement possibles à résoudre des problèmes sociaux et environnementaux
Lui prône pour le dernier type, la plus difficile. La troisième typologie est florissante aujourd’hui et je trouve le raisonnement parfois troublant. Plutôt que de créer une association, des fondateurs se dirigent vers l’entreprise quitte à devoir parfois faire rentrer des ronds dans des carrés… On a parfois l’impression aujourd’hui que l’entreprenariat n’a de sens que dans le monde du lucratif.
Mais, tous les modes de financement ne permettent pas forcément de faire vivre une organisation ou de lui permettre d’avoir un impact important. Néanmoins, je trouve utile de réfléchir à la finalité de son entreprise sous le prisme du sujet financier.
Je n’ai pas d’avis arrêté sur le sujet : je peux par exemple entendre le discours selon lequel une entreprise développe une offre bien plus vertueuse que ses concurrents et veut croître pour toucher plus de personnes souvent en remplacement d’autres offres. Bref, le débat est ouvert…
🧠 Un peu plus de jus de crâne
L’émission Etat de santé de LCP s’est consacrée au congé menstruel. Au-delà de la bonne idée, pas si simple dans la pratique.
Le cabinet de conseil Greenscale consacre son dernier dossier bien foutu aux fondamentaux de l’analyse de cycle de vie.
Antoine Denoix, PDG d’Axa Climate, et Olivier Hamant, directeur de l’institut Michel Serres, plaident dans une tribune pour Le Monde de revisiter nos modèles de performance, trop fragiles et destructeurs, au profit d’un paradigme tourné sur la robustesse.
Des fois, ça fait du bien de se replonger dans les classiques. C’est ainsi que j’ai redécouvert “Supernature” de Cerrone sorti en 1977. Dire que ce tube n’a pas pris une ride serait faux, mais il reste encore tout aussi entraînant. La marque des morceaux intemporels !
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A la semaine prochaine,
Vivien.