#159 Il n'y a pas que les entreprises qui veulent structurer leurs contributions sociétales
Focus sur les agences de développement économique; aussi le CEO tournant; Decathlon et la CSRD; le vin à mission; La Princesse Bleue; la SAPO (?) et bien d'autres choses
Chères lectrices, chers lecteurs,
Bienvenue dans la 159e missive de La Machine à sens, votre newsletter dédiée aux responsabilités d’entreprise.
Nous rentrons progressivement dans le rythme d’une missive toutes les deux semaines pour les prochains mois. Pour rappel, si vous avez manqué le précédent épisode, je rédige actuellement un ouvrage sur la société à mission et j’ai besoin de dégager de la bande passante de cerveau. Pour en savoir plus, partager votre témoignage de société à mission (même informellement), m’indiquer les questions que vous souhaiteriez que je traite ou, soyons fous, précommander l’ouvrage, contactez-moi par retour d’email ou via ce bouton.
Passons au sommaire :
💭 Edito : les Agences de développement économique veulent davantage affirmer leurs engagements
🏃 Retour d’expérience de Decathlon sur la mise en place de la CSRD
🛞 Foxconn met en place une DG tournante et de l’intérêt de ces mécanismes
🧐 Phitrust devient une SAPO ! Une quoi ?
🔎 Petit rappel juridique sur ce qui fait que l’on est une société à mission
🎙️ Nouvel épisode de podcast avec Morgane Le Breton de Maison Le Breton (vignoble)
📖 Recension de La Révolution bleue : la petit princesse de Jean-Pierre Goux
🎧 Mon son de la semaine : Sébastien Tellier - L’amour et la violence (Boys Noize Euro remix)
Bonne lecture, à dévorer ou à picorer !
C’est assez rare qu’un roman inspire mon son de la semaine, mais c’est bien le cas avec La Révolution bleue : la petite princesse, qui distille une playlist qui navigue entre la musique de films et l’électro. C’est très pointu. J’aurais pu sélectionner Laurent Garnier, qui rythme beaucoup de mes séances d’écriture en ce moment, mais je vais privilégier une découverte, “L’amour et la violence” du génial Sébastien Tellier, remixée par Boys Noize Euro. Une pépite endiablée !
C’est l’année des premières. Début avril, AD’OCC, l’agence de développement économique d’Occitanie, a été labellisée Engagé RSE, une première en France. Quelques mois plus tôt, l’agence Nantes Saint-Nazaire Développement entérinait son passage en “structure à mission”. Une première aussi. Ces démarches illustrent une interrogation croissante de ces organismes d’attractivité et de développement économique sur leur rôle dans les transitions sociétales et l’accompagnement des entreprises sur ces sujets.
On compte une centaine d’agences de développement économique (ADE) en France, selon leur fédération, le CNER. Lieu de concertation entre acteurs locaux, on les retrouve à tous les échelons, de l’interco à la région. Ce sont très majoritairement des associations avec des effectifs allant d’une dizaine à une soixantaine de collaborateurs.
Ces agences ont connu un développement assez paradoxal ces dix dernières années entre une pression budgétaire forte et donc le besoin de trouver de nouvelles marges de manœuvre et des attentes renforcées à la faveur de plusieurs évolutions : améliorer l’attractivité territoriale, renforcement du rôle des régions dans les politiques économiques locales etc.
Sur le papier, les ADE ont déjà tout pour aller dans la bonne direction. Structure publique ou parapublique, elles servent l’intérêt général, l’attractivité et le dynamisme territorial, et l’accompagnement des entreprises locales. A priori, tout est là pour que leur mandat soit limpide.
Pourquoi donc s’engager dans des démarches de type labellisation ou mission quand on sert déjà l’intérêt général ?
Face aux transformations
Plusieurs considérations motivent ces structures. Tout d’abord, l’ampleur des transformations actuelles. Ce sont souvent des organismes au tropisme assez classique : attractivité et développement économique sont les deux piliers sur lesquels ils s’appuient. En gros, ils calculent leur performance par le nombre d’entreprises qui se créent et qui s’installent, le nombre d’emplois créés, la croissance des entreprises du territoire, le nombre d’entreprises accompagnées etc.
On met en avant les entreprises phares du territoire, à savoir celles qui font des croissances reluisantes, de gros investissements ou de belles levées de fonds. Il en va de même pour les accompagnements qui prônent la croissance, l’innovation, l’excellence opérationnelle.
Aujourd’hui, les défis sont plus vastes. A l’enjeu économique se sont ajoutées les dimensions sociales (inclusion, diversité, QVT etc.) et environnementales qui font sortir ces agences de leur zone de confort. Tout cela dans un contexte post-Covid où chaque territoire essaie de se montrer plus vertueux que l’autre pour être attirant.
Parallèlement, elles évoluent dans un univers où la RSE infuse partout, peu importe la taille de l’entreprise. Bien qu’elles ne soient pas soumises aux mêmes réglementations que les entreprises qu’elles accompagnent, difficile d’y échapper. Parfois, il s’agit aussi de pousser dans la même direction que les pouvoirs publics dont elles dépendent.
D’où cette recherche de reconnaissance et de structuration d’efforts. Pour ces organismes, il ne s’agit plus juste d’animer des réseaux RSE pour réunir des entreprises sur le sujet, mais d’intégrer pleinement ces questions dans leur fonctionnement. Pour beaucoup d’entre elles, ces transitions sociales et environnementales appellent à des transformations profondes, de positionnement et d’offres.
Penser, cadrer, légitimer
Il existe peu de dispositifs à l’attention des associations. Les labels RSE généralistes sont davantage structurés pour des entreprises, même si plusieurs comptent des ONG. L’agence Nantes Saint-Nazaire Développement a repris le cadre de la société à mission sans être soumis aux mêmes obligations en tant qu’association.
Mais, encore une fois, à quoi bon, puisque les associations servent déjà juridiquement l’intérêt général ? C’est une vision étroite. Beaucoup d’associations fonctionnent comme des entreprises, se posent exactement les mêmes questions stratégiques et font face aux mêmes interjections sociales et environnementales. Le point de départ n’est pas le même que pour une entreprise, mais la question l’est sensiblement : comment pouvons-nous mieux contribuer à un développement sain et positif de notre société et de notre territoire en assurant notre pérennité et notre développement ?
Pour ces agences, label ou mission, l’intérêt est de structurer les efforts, de montrer une démarche d’action globale et parfois de les légitimer auprès de leurs parties prenantes. On devrait donc voir de plus en plus d’agences de développement économique s’engager dans ces démarches.
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🏃 Comment Decathlon se met en conformité avec la CSRD
Tous les mois, vous avez une nouvelle solution, un nouvel outil de reporting, une nouvelle offre de conseil ou autre pour aider les entreprises à se préparer à la CSRD. Mais, pour le moment, vous avez très peu de retours d’expérience sur la mise en place du reporting. Cet article sur Decathlon dans Carenews tranche agréablement.
Ce qu’on y apprend :
C’est costaud : d’une équipe de quatre personnes sur la DPEF, Decathlon est passée à 9 personnes à plein temps sur le sujet. L’entreprise doit suivre 1178 données pour son rapport.
C’est utile : au départ vu comme une usine à gaz du reporting, l’équipe a changé de lunettes pour voir la CSRD comme un outil de transformation et d’amélioration utile à l’entreprise. Par ailleurs, cela décloisonne, puisque l’enjeu est transversal et nécessite l’intervention d’autres directions.
C’est technique : vu la quantité de données à gérer, c’est un défi technique important, d’autant qu’il faut étiqueter et catégoriser un nombre important de données.
Tout cela peut faire très peur. Je rappelle tout de même que Decathlon, c’est plus de 100000 collaborateurs dans 70 pays sur 1700 magasins. Cela complexifie un peu les choses. Mais, les trois éléments restent très justes pour toute entreprise couvert par la CSRD. En gros, préparez-vous dès que possible.
🛞 L’intérêt de systèmes rotatifs dans les entreprises
Le géant taiwanais de l’électronique Foxconn va instaurer un système de directeur général tournant. Cette décision prolonge celle de séparer les rôles de président et directeur général, ce que l’on voit de plus en plus. En revanche, celle d’une rotation de DG l’est beaucoup moins.
Huawei est connu pour avoir mis en place ce système et on le retrouve dans quelques autres entreprises asiatiques, mais ce n’est pas commun en Europe. Je me souviens dans une ancienne vie d’un système assez proche, au sein du think tank allemand SWP où les managers d’équipe étaient tournants. Ce système permettait de familiariser tout le monde avec le management et également de décharger les équipes de recherche sur certaines tâches administratives.
Mon avis : Je trouve l’idée plutôt bonne, même si elle me semble difficile à appliquer dans tous les contextes. Il semble que pour Foxconn l’ambition soit de faire émerger un successeur naturel, plutôt que de le désigner. Mais, on pourrait tout à fait envisager que cela s’inscrive dans une logique de responsabilisation collective partagée plus pérenne. Le CEO n’est plus le super-héros, seul à récolter les lauriers et à combattre tous les vents contraires. On reconnait le sens du collectif, du partage de la réussite et des difficultés, et l’idée que la vision n’est pas portée par une personne qui la diffuse à d’autres, mais qu’elle est incarnée par un groupe qui fédère tous les autres.
Plus généralement, les systèmes rotatifs peuvent être intéressants pour familiariser des collaborateurs à certains enjeux. Chez Panopli par exemple, une start-up dans le domaine des cadeaux d’entreprise, plusieurs sièges du comité RSE sont tournants pour éviter l’entre-soi et embarquer des collaborateurs parfois moins sensibles sur ces problématiques. A explorer !
🧐 La SAPO, un statut méconnu
J’avoue mon ignorance. Je vais vous parler d’un statut juridique dont je n’avais jamais entendu parler : la Société Anonyme de Participation Ouvrière (SAPO). Pourquoi aujourd’hui ? Parce que Phitrust, une société de gestion à misson bien connue pour ses positions plutôt militantes et son positionnement sur l’entreprenariat social, et jusqu’alors SA, vient de l’adopter.
La SAPO a été remise au goût du jour par la loi Pacte et s’inscrit dans les dispositifs d’actionnariat salarié, afin de mieux partager la valeur en interne. En matière de capital, on distingue deux types d’actions, celles de capital, apportées par les associés, et celles de travail, qui sont la propriété exclusive des salariés regroupées dans une SCMO (société coopérative de main-d’œuvre).
Une des particularités est que la SCMO siège au CA. Donc, un salarié est membre à ce titre. C’est important pour Phitrust, car cette obligation statutaire fait que les associés ne peuvent pas juste décider, à un moment donné, de ne plus avoir de salarié au Conseil. Cela implique donc les collaborateurs plus directement dans la gouvernance.
En outre, la SCMO participe aux délibérations les dividendes versées. Chez Phitrust, les équipes détiennent 20% du capital. Je vais creuser ce statut vieux de plus d’un siècle…
🔎Petit rappel utile sur les aspects juridiques de la société à mission
Je lisais avec intérêt la naissance d’un nouveau média dédié à l’environnement, 2050NOW, dont le groupe Les Echos-Le Parisien est à l’origine. Mon plaisir était double en apprenant qu’il s’était créé société à mission (pour info, le groupe a une raison d’être statutaire, mais, n’a pas, à ma connaissance, vocation à adopter la qualité).
Je me précipite pour aller découvrir leur mission dans leurs statuts. Et là, je découvre qu’en 2024, un groupe avec un service juridique compétent, très probablement des avocats externes et des greffiers ne sont toujours pas à la page… Les statuts mentionnent une raison d’être et un comité de mission, mais aucun objectif social ou environnemental. Donc, désolé, mais 2050NOW n’est pas une société à mission…
Petit rappel donc, pour être juridiquement reconnue comme une société à mission, il faut nécessairement inclure dans ses statuts :
une raison d’être (souvent juste après l’objet social)
un ou plusieurs objectifs sociaux et/ou environnementaux (souvent juste après l’article de la raison d’être)
les modalités de suivi de la mission, soit par un comité de mission ou un référent de mission, option ouverte aux entreprises de moins de 50 salariés (que vous insérerez dans la partie dédiée aux organes de gouvernance de la société).
Tout le reste est superfétatoire. Vous n’êtes pas obligés de mettre tout le règlement du comité de mission, ni d’avoir un article sur l’Organisme Tiers Indépendant (OTI).
🎙️ Deuxième épisode de la série “Société à mission dans l’univers viticole”
Pour le premier épisode, j’ai reçu Pauline Versace avec qui on a parlé d’œnotourisme, d’art et de littérature. Dans le second, direction de Languedoc avec Morgane Le Breton, marketing manager de la Maison Le Breton, propriétaire de plusieurs vignobles.
Cette entreprise familiale fait du vin et de la RSE. Les deux vont de pair et ce depuis très longtemps. Morgane nous plonge dans le quotidien d’un vignoble assez atypique, de la vigne au bureau en passant par la mise en bouteille. Bruno, son père, a toujours eu à cœur de mettre la RSE au centre de l’activité des domaines. Ce qui se traduit par des démarches structurées de longue date. Aujourd’hui, La Maison Le Breton est société à mission (forcément s’ils sont sur le podcast), mais également labellisée B Corp.
L’épisode est passionnant !
Vous pouvez retrouver l’épisode sur toutes les plateformes d’écoute.
🧠 Un peu de jus de crâne
Daniel Kahneman vient de décéder. Dans un entretien pour Atlantico, un de ses co-auteurs Olivier Sibony revient sur l’influent parcours de ce spécialiste de psychologie cognitive prix Nobel d’économie.
La TVA verte, vous connaissez ? L’idée d’avoir une TVA à 5,5% pour les biens et services écologiquement et socialement responsables. Près de 200 entrepreneurs ont signé une tribune de Bien ou Bien pour faire avancer ce sujet. “La TVA est un outil politique.”
Pour mieux faire comprendre l’impact du réchauffement climatique, une équipe du MIT propose un nouvel indicateur : les jours où on pourra continuer à sortir dehors (outdoor days). Intéressant !
Rodolphe Landemaine, fondateur notamment de la Maison Landemaine (enseigne de boulangeries), est au micro de Yacine sur le podcast “Dans la tête d’un CEO”. Il y a une bonne partie sur le scale-up de l’entreprise, mais une très grosse aussi sur la prise de conscience écologique du dirigeant et comment cela impacte sa trajectoire et ses dernières créations d’entreprise. Passionnant !
📖 Recension de La Révolution bleue. La Petite princesse de Jean-Pierre Goux, Eyrolles, 2024.
Si vous aimez les romans et que vous évoluez dans des sphères liées au développement durable, vous avez très probablement déjà entendu parler de cet ouvrage. Sinon, cela va être chose faite.
La Révolution bleue est le premier tome d’une nouvelle saga de Jean-Pierre Goux, déjà auteur de Siècle bleu. Je ne vais pas les comparer, puisque je n’ai pas (encore) lu la première saga. Ce nouvel ouvrage est porté par un vent d’espoir, celui de notre capacité à changer nos habitudes et nos modes de vie si nous sommes emmenés par un mouvement collectif.
Abel, Lucie et Janie sont les trois personnages principaux de ce roman. Ils sont réunis par Paul Gardner, astronaute-prophète porteur d’une vision, la révolution bleue, qui meurt sur la Lune au début de l’histoire. Leur combat, chacun à sa manière, est d’éclairer et de fédérer les autres, cette grande partie de l’humanité réfractaire aux changements.
On côtoie le président des Etats-Unis, une sorte de born again dévolue à la cause de la révolution bleue. On rentre dans les arcanes du pouvoir chinois qui fomente un projet concurrent et bien plus autoritaire pour amener l’humanité à se transformer. On rencontre les oppositions nombreuses dopées par les réseaux sociaux. On assiste à l’éclosion d’une leader inspirante. La Révolution bleue est à mi-chemin entre le roman spirituel, le thriller d’espionnage et l’ouvrage de vulgarisation scientifique. C’est la force et la faiblesse du roman. Sa force, parce que cela lui donne une complexité et une richesse impressionnantes ; sa faiblesse, parce qu’on se perd parfois à force de détails, de réflexions et autres qui ralentissent le tempo.
Toutefois, apprécions notre plaisir de lire un ouvrage fourni, encourageant et optimiste ! C’est rare et salutaire. On finit ce récit avec le sentiment d’un bout de chemin accompli malgré les embuches, mais d’une série de cols hors catégorie encore à franchir dans les prochains tomes. Et je ne peux que saluer la playlist de cet ouvrage ! La musique joue un rôle essentiel dans l’intrigue. Le récit est agrémenté de références très pointues, dont plusieurs morceaux ont déjà intégré ma playlist du moment, comme celui de la semaine.
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A la semaine prochaine pour une missive spéciale,
Vivien.